1En ces temps d’obscurantisme politique et médiatique, de populisme rétrograde et médiatique, la moindre idée passe pour être une pensée, et la somme de quelques pensées devient une philosophie... si elles empruntent les canaux médiatiques classiques. Pour ne pas taper une fois de plus sur les têtes d’épingles qui font office de “penseurs médiatiques”, je vous invite à vous pencher sur le “média des médias”, Internet, complètement absent de la dernière campagne électorale, sauf tout en bas et en tout petit sur les tracts distribués dans la rue par les différents partis.
2Internet ne nous sauve pas encore du “Titanic social” dans lequel nous avons tous embarqué. Défaut du refus intrinsèque d’une nouvelle technologie ? Ou défaut, déficit de langage, de pensée ? Défaut au final d’une explication, d’une pédagogie, d’une socialisation ?
3Internet fait converger un ensemble de pensées des technologies et de leurs rapports avec l’Homme. Internet n’est donc pas seulement une technique. Pour reprendre l’affirmation de Mac Luhan “le message est le médium” : Internet est un facteur d’évolution, et sans doute un des principaux moyens de l’évolution des sociétés modernes, après quarante années de tentatives, de balbutiements et de signes. Si beaucoup de choses se mettent en œuvre aujourd’hui, les prémices en reviennent systématiquement aux années soixante.
4C’est la reconnexion globale, pour reprendre un terme de Pierre Lévy [1].
5La Machine automatique a d’abord été envisagée comme productiviste (la révolution industrielle du xixe siècle). Puis la Machine s’est libérée de l’emprise de l’homme dans les années quarante et cinquante avec l’invention de l’ordinateur et de la cybernétique. C’est l’ère de la machine pensante. Une machine qui se veut l’égal de l’homme avec l’Intelligence Artificielle. Depuis lors, entre l’Homme et la Machine, c’est une course à la survie. La machine envisagée comme substitut de l’homme. Mais une autre conception de la machine voit le jour dans les années soixante. Depuis Apollo. Une machine qui peut nous aider à envisager autrement le monde dans lequel on vit. Un monde global, dont on peut avoir une image, et dont surtout on peut relier tous les points par les réseaux de télécommunication. Une machine qui vient étayer les pensées d’un monde en cours de construction. Un monde où tous peuvent être présents, donc un monde d’échanges, de partage et de solidarités.
6La Machine peut aider les hommes à se reconnecter. Avec son cortège, encore une fois, d’inégalités, de laissés-pour-compte, de paradoxes et d’interprétations contradictoires.
La reconnexion globale, c’est cette idée qu’internet est un village mondial, planétaire
7Annick Bureaud [2] pose la base de cette nouvelle approche des technologies à Apollo (et les premiers pas de l’homme sur la lune) pour expliquer la métaphore du village planétaire : “[Elle] a été largement contestée. Ceux qui la défendaient furent peut-être tout simplement les premiers à prendre conscience et à intégrer la réalité d’une terre unique, magnifiquement révélée, à la fin des années soixante, par le programme Apollo et l’image, devenue icône, de la petite boule bleue sur le noir de l’espace […] Il s’agit moins d’une question de communication ou d’incommunication que d’un espace commun.” Un espace commun qui est encore virtuel, dont les entreprises se gargarisent de l’organiser, de créer des infrastructures, de le nourrir par des programmes multiples. Mais surtout un espace commun ouvert, potentiellement, à tous.
La reconnexion globale, c’est cette idée que l’on devient tous lecteur et auteur sur le réseau
8Le réseau permet une nouvelle condition de l’expression de la citoyenneté dans la république de l’hypermédia (Jean-Louis Wessberg in Les dossiers de l’audiovisuel, n°96, mars-avril 2001). C’est le concept du “tous scribes”. Dépassant les concepts du “courrier des lecteurs” ou des “émission de libre parole” à la radio ou à real TV, Internet permet, par la démocratisation des outils d’édition et la quasi-gratuité des systèmes d’hébergement de site web, à tout un chacun d’être producteur et diffuseur de son propre contenu. Depuis six ans, les pages perso, comme on les nomme, fleurissent sur le réseau. Du simple CV a des productions de plus en plus construites, des magazines alternatifs aux sites web répertoriant les ressources sur un très grand nombre de sujets pointus, l’Internet est le lieu de nouvelles expressions, d’autant plus libres qu’elles se mondialisent, d’autant plus indépendantes qu’elles sont le fait de millions d’internautes. Un nouvel espace commun.
9Même si nous sommes dans un système qui génère sa propre critique, devenant ainsi inchangeable (Benassayag, Debord), Internet est réellement une alternative aux schémas de l’information et de la communication classiques. Et on ne peut affirmer qu’il sera un jour entre les mains seulement de quelques holdings cablo-opérateurs. “The revolution will not be televised”, clamait et clame encore Gil Scott Heron, un des pères fondateurs du rap américain dans les années soixante-dix. La “révolution de la société” engendrée depuis les années soixante peut alors s’appuyer sur cette première prise, affleurant du système médiatique actuel.
La reconnexion globale, c’est donc l’enjeu d’une nouvelle ère médiatique
10Une nouvelle ère où la technologie, incidemment porteuse de progrès, n’est plus au service de son propre progrès, mais d’une nouvelle socialité, où le média n’est plus celui d’une poignée de “penseurs” et de journalistes porteurs de “vérité”, mais celui des “vérités plurielles” et invérifiables, une telle ère donc remet au goût du jour soit la suspicion permanente, soit la confiance. Et pendant quelque temps encore, nous allons balancer entre ces deux extrêmes. Jusqu’au moment où cette nouvelle ère médiatique deviendra un projet de société.
11On peut considérer aujourd’hui que, sur l’écran de la télé, “ce n’est qu’un film”. Sur l’écran du réseau, c’est autre chose. Comme le propose Derrick de Kerckhove [2], “le silence et l’asynchronie des réseaux contribuent à transmuer en pensée ce qui était d’abord communication. La pensée des réseaux est donc une nouvelle configuration psychologique qui passe par l’écran”.
Une techno-utopie de plus ?
12Non, ce n’est pas de la techno-utopie, non ce n’est pas un article de plus d’un technophile extrémiste tentant à tout prix vous convertir à ce “grand machin mondialisateur”. Ce n’est pas non plus une approche philosophique d’une technologie perturbatrice et complexe dans ses effets. C’est tout simplement l’envie de pointer dès maintenant ce que les analyses ont montré avec des années de retard, pour le train, le réseau routier et la voiture, qui ne sont pas simplement des moyens de transport, mais des outils de circulation, d’aménagement du territoire, d’enrichissement, de modification des rythmes de vie, de travail. Des outils de changements sociaux dynamiques. Oui, le réseau est complexe, dans sa mise en œuvre et dans la compréhension des enjeux qu’il véhicule, qui sont en étant ceux qui le fondent. Il nécessite une explication, une pédagogie, des mots simples, des idées claires. Il doit devenir politique : inscrit au sein même des débats de la société, puisqu’il va profondément la modifier. Positivement et négativement.
13L’on disait au début du siècle que prendre le train était dangereux, car dans les tunnels la pression était telle que les corps risquaient d’exploser !
Critique de sites
14FacesGenerator, de Christophe Martin
15http:// www. lafriche. org/ videochroniques
16Sur le site de vidéochroniques, rubrique galerie, projet CM. FaceGenerator est un générateur de visages qui potentiellement et aléatoirement crée 5 millions de visages différents par combinaison de morceaux de visages. Une invitation permanente à mettre des “bouts” de son visage pour en arriver à la génération des 6 milliards de visages des hommes, femmes et enfants qui peuplent notre terre ! La reconnexion par la génération automatique des Visages de l’Homme, dans l’espoir que l’on s’y reconnaisse, ou plus simplement que l’on imagine que cela soit (aléatoirement) vrai ? Un simple, mais universel, site.
17Hooger Brugge
18http:// www. hoogerbrugge. com
19Une de mes découvertes de l’année. Un site à la fois performance télévisuelle, sous formes de BD, de vignettes vidéo et interactives. Un voyage perpétuel dans l’univers d’homme-costume-cravate- en-noir-et-blanc dans un ascenseur sans fin. Des loops (boucles) de gestes absurdes. Des samplers, des jeux… Une délectation visuelle, auditive. Une surprise à chaque clic. On a l’impression de cheminer dans un univers sans queue ni tête, mais terriblement proche de la réalité ! Est-ce cela que cet artiste d’exception veut nous faire toucher du doigt ?
Bibliographie
A Lire
- L’invention de la communication, A. Mattelart, La Découverte, 1994
- Le culte d’Internet, une menace pour le lien social, Philippe Breton, La Découverte, 2000
- Internet All Over, numéro hors série d’Art Press, novembre 1999
- Contre-offensive, Florence Aubenas et Miguel Benasayag, La Découverte, 2002