Couverture de LOBS_055

Article de revue

La protection et la conservation des œuvres chorégraphiques

Pages 80 à 82

Notes

  • [1]
    J.-G. Noverre, Lettres sur la danse et sur les ballets, 1760.
  • [2]
    TGI Paris, 3e ch., 13 mai 2016, n° 14/05221.
  • [3]
    CA Paris, 13 mars 2018, n° 17/10025.
  • [4]
    Trib. Civ. Seine, 11 juillet 1862, Perrot c. Petipa.
  • [5]
    P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 2019 ; Trib. Admin. Nice 6 avril 1966, au bénéfice de Massine, pour le ballet Le Tricorne composé par Manuel de Falla.
  • [6]
    Site officiel de la SACD www.sacd.fr.
  • [7]
    A. Loyer, « La notation chorégraphique : une forme de survivance du passé », in La Revue du Conservatoire [En ligne], Création/Re-création, Le sixième numéro, mis à jour le : 08/12/2017.
  • [8]
    P. Le Moal, Dictionnaire de la danse, Larousse, 1999.

Jean-Georges Noverre l’évoquait déjà en 1760 : la chorégraphie peut être entendue comme « l’art d’écrire la danse à l’aide de différents signes, comme on écrit la musique à l’aide de figures ou de caractères désignés par la dénomination des notes »[1]. Cette définition a évolué avec les techniques modernes pour caractériser plus largement l’art de composer, de diriger, d’ordonner des ballets et des danses, mais elle est toujours utile en droit.

1La protection intellectuelle aujourd’hui offerte en France aux œuvres chorégraphiques déterminées par un ensemble de pas et de figures, par essence intangibles et fugitives, n’est pas sans poser difficulté, comme en témoigne une décision récente rendue par le Tribunal de grande instance de Paris le 13 mai 2016. Les juges sont venus reconnaître une protection par le droit d’auteur sur neuf chorégraphies, bien qu’étant composées de mouvements simples et communs, en indiquant que « chaque chorégraphie résulte de choix d’une combinaison de ces gestes et d’un rythme propre en harmonie avec la musique sélectionnée pour les accompagner, qui est également à l’origine de l’inspiration de la chorégraphe » [2]. Cette décision fut confirmée en appel le 13 mars 2018 [3].

2Ainsi, se pose les questions de savoir ce que dit le droit d’auteur à propos de la conservation des œuvres chorégraphiques et quelle est la vie, au regard de la loi, d’un ballet après la disparition de son chorégraphe.

La protection des œuvres chorégraphiques par le droit d’auteur

3La grande loi sur le droit d’auteur du 11 mars 1957 ne prévoyait pas une protection explicite pour les œuvres chorégraphiques. Ce n’est qu’au cours des années 1980 qu’une telle protection a été instaurée. Jusqu’alors, seule la jurisprudence avait permis de protéger la chorégraphie, comme l’illustre la décision du Tribunal civil de la Seine du 11 juillet 1862 [4], première en la matière, qui opposait deux chorégraphes : Jules Perrot et Marius Petipa. Ce dernier était accusé d’avoir repris un pas de danse de Jules Perrot dénommé « Cosmopolitina ». Marius Petipa invoquait pour sa défense que la chorégraphie n’était pas protégeable, contrairement au libretto (livret contenant l’explication des différentes scènes d’un ballet), niant ainsi l’autonomie de la chorégraphie en tant qu’œuvre de l’esprit. Mais le Tribunal, ne retenant pas son argumentation, l’a condamné pour contrefaçon en affirmant que le pas dansé « Cosmopolitina » n’était que la reproduction de celui composé par Jules Perrot, et que ce pas, combinant plusieurs danses, présentait un caractère particulier, qui en faisait une composition artistique distincte. Ainsi, le Tribunal est venu reconnaître à la chorégraphie, entendue comme un enchaînement de mouvements, une protection distincte de celle du libretto.

4La décision du Tribunal administratif de Nice en 1966 [5] rendue au bénéfice de Massine, pour le ballet Le Tricorne composé par Manuel de Falla est également notable. Comme toute œuvre de collaboration, le ballet est caractérisé par le régime de l’indivision selon lequel chaque coauteur a des droits personnels et un droit indivis sur l’ensemble. S’agissant des droits indivis, le ballet est la propriété de tous les coauteurs et ne peut être exploité ou modifié sans le consentement de tous. Dans cette affaire, Léonide Massine, chorégraphe, demandait réparation pour le préjudice causé par la suppression de son apport dans un spectacle conçu et organisé avec le compositeur Falla et le librettiste Sierra. En effet, sa chorégraphie s’était vu substituer celle de Françoise Adret. Il a obtenu gain de cause car il y avait eu modification de l’œuvre dans son ensemble sans son accord.

5La loi du 3 juillet 1985 a permis de reconnaître au chorégraphe le statut d’auteur et de protéger les œuvres chorégraphiques. Cette protection est aujourd’hui expressément mentionnée à l’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que « sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code […] les œuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement ».

6La condition fondamentale de protection de l’œuvre chorégraphique imposée par la loi est la création d’une forme originale, puisque, en droit d’auteur, une œuvre de l’esprit n’est protégeable que si elle se trouve concrétisée formellement et qu’elle est originale.

7Dans le domaine précis des œuvres chorégraphiques, la condition de forme exige donc une matérialisation des chorégraphies ainsi qu’une conservation de celles-ci sur un support (dessin, écrit, photographie ou vidéo). Or, cette condition de forme peut poser difficulté en ce sens qu’il n’est pas aisé de fixer matériellement de manière objective le ballet et sa composition, créés par le chorégraphe. Plusieurs moyens peuvent être mis en œuvre pour que ces derniers puissent fixer et déclarer leurs œuvres chorégraphiques : la fixation peut se faire non seulement par dessins, par enregistrement audiovisuel mais aussi par un système de notation chorégraphique établi [6].

8Si les outils technologiques tels que la photographie ou la vidéo apparaissent aujourd’hui comme les plus accessibles et les plus à même de restituer l’ensemble d’une œuvre chorégraphique (chorégraphie, musique, décors et costumes), pour autant la notation chorégraphique reste encore un moyen privilégié par les professionnels, dans toute l’Europe et surtout en France, depuis les années 1990 [7].

Partition en cinétographie Laban. Extrait de Sei solo, création 2009 de Raphaël Cottin

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Partition en cinétographie Laban. Extrait de Sei solo, création 2009 de Raphaël Cottin

© Raphaël Cottin CC BY-SA 4.0

La notation chorégraphique et son évolution

9Dès le XVe siècle, les chorégraphes ont manifesté leur volonté de transcrire une danse à l’écrit, en vue de pérenniser sa création, de permettre sa transmission voire sa réinterprétation ultérieure.

10Elle s’incarne dans ce procédé de notation chorégraphique dont l’évolution a donné naissance à de nombreux systèmes d’écriture du mouvement, certains étant désormais très établis. La notation chorégraphique consiste en la retranscription, la représentation du corps humain en son rapport à l’espace, aux objets, à ses partenaires dans la durée, le rythme, la force, la dynamique, la qualité du mouvement et autres précisions corporelles. La succession du tracé des positions changeantes du corps reproduit le mouvement de la danse. La notation chorégraphique permet la transcription des intentions du chorégraphe sur une partition.

11Depuis le XXe siècle notamment, l’écriture s’attache véritablement à tous les mouvements, et non plus à un code gestuel codifié. La « Labanotation » est l’un de ces systèmes reconnus en matière de danse. Mis au point par Laban en 1928, fondateur de la danse moderne européenne, ce système prend en considération la gravité, s’intéresse à la dynamique du mouvement ainsi qu’au transfert de poids plus qu’aux positions elles-mêmes. Cette notation s’adapte donc très bien aux œuvres contemporaines [8].

La fonction de notateur chorégraphique

12Le notateur chorégraphique est au cœur du processus. En effet, il a pour rôle principal de transcrire la chorégraphie aussi bien dans un but de protection de cette œuvre artistique que dans celui de sa conservation et de sa transmission. Ladite transcription permettra d’assurer également la promotion de la chorégraphie. Le notateur chorégraphique, possédant un don d’observation et une certaine logique, retranscrit fidèlement la chorégraphie qui lui est soumise en accord avec le chorégraphe.

La durée de protection d’une œuvre chorégraphique

13Après le décès de l’auteur-chorégraphe, la protection des œuvres est assurée par les ayants droit de l’auteur. Il s’agit alors de distinguer la durée du droit patrimonial de celle du droit moral, établies par le législateur. D’une part, selon l’article L.123-1 du Code de la propriété intellectuelle, la durée du droit patrimonial est de soixante-dix ans post mortem. D’autre part, selon l’article L.121-1 du même Code, la durée du droit moral est perpétuelle post mortem auctoris.

Intérêt de la gestion collective pour les droits patrimoniaux de l’auteur-chorégraphe

14Les sociétés d’auteurs comme la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) jouent un rôle essentiel dans la conservation des œuvres chorégraphiques, puisqu’elles acceptent de protéger toutes les créations, notamment les œuvres de spectacle vivant.

15La SACD est un organisme de gestion collective dont la mission principale est de défendre et de protéger les droits des auteurs, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne. Elle permet alors aux auteurs-chorégraphes qui y adhèrent, non seulement de protéger leurs créations mais aussi de gérer leurs droits patrimoniaux. À cette fin, les auteurs-chorégraphes ou leurs ayants droit, doivent déclarer leurs pièces chorégraphiques à la SACD, en satisfaisant l’exigence d’un support intégrant l’œuvre chorégraphique (les notes et dessins du notateur chorégraphique, un enregistrement audiovisuel ou photographique). Cette déclaration, qui constitue la fiche d’identité d’une œuvre, détaillant ses caractéristiques et la contribution de son auteur, permet à la société de reverser aux auteurs-chorégraphes leurs droits de diffusion liés à ladite œuvre. Elle permet ainsi à la société de savoir quand, par qui et comment une œuvre est exploitée, et donc de suivre les différentes adaptations de l’œuvre chorégraphique dans le temps.

16Par ailleurs, une autre possibilité est offerte aux auteurs chorégraphes non-adhérents à la SACD (ou à leurs ayants droit) : le dépôt de création. Il s’agit d’un mécanisme visant à la protéger avant de la faire circuler, ceci en vue de pouvoir prouver son existence à une date précise contre une éventuelle copie. Grâce à ce dépôt de création à la SACD, l’auteur-chorégraphe bénéficiera d’une preuve attestant de l’existence de son œuvre assortie de l’identité de son auteur, à une date déterminée, pour une durée déterminable, par ailleurs renouvelable. Ainsi, la gestion collective des droits patrimoniaux de l’auteur-chorégraphe présente aujourd’hui un intérêt majeur dans un contexte où le progrès technologique et la vidéo ont renforcé le besoin de protection de l’œuvre.

Surveillance des héritiers de l’auteur-chorégraphe pour le droit moral

17Le droit moral protège les intérêts non-économiques de l’auteur-chorégraphe et permet de sanctionner les atteintes portées à son œuvre chorégraphique. Il lui confère le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Le droit moral étant un droit perpétuel, il subsiste non seulement après le décès de l’auteur, mais aussi après l’extinction des droits patrimoniaux. Les héritiers de l’auteur-chorégraphe pourront donc exercer ce droit, même si l’œuvre est tombée dans le domaine public.

18L’auteur chorégraphe est un auteur, son notateur sans doute un autre dérivé, mais là est un autre débat passionnant que le droit n’a pas encore tranché.


Date de mise en ligne : 16/01/2020

https://doi.org/10.3917/lobs.055.0080

Notes

  • [1]
    J.-G. Noverre, Lettres sur la danse et sur les ballets, 1760.
  • [2]
    TGI Paris, 3e ch., 13 mai 2016, n° 14/05221.
  • [3]
    CA Paris, 13 mars 2018, n° 17/10025.
  • [4]
    Trib. Civ. Seine, 11 juillet 1862, Perrot c. Petipa.
  • [5]
    P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 2019 ; Trib. Admin. Nice 6 avril 1966, au bénéfice de Massine, pour le ballet Le Tricorne composé par Manuel de Falla.
  • [6]
    Site officiel de la SACD www.sacd.fr.
  • [7]
    A. Loyer, « La notation chorégraphique : une forme de survivance du passé », in La Revue du Conservatoire [En ligne], Création/Re-création, Le sixième numéro, mis à jour le : 08/12/2017.
  • [8]
    P. Le Moal, Dictionnaire de la danse, Larousse, 1999.

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