Couverture de LOBS_054

Article de revue

Face aux intercommunalités recomposées

Le nouveau positionnement des départements

Pages 57 à 60

Le regroupement des EPCI, intervenu dans le sillage de la loi NOTRe du 7 août 2015, a conduit les départements à repenser leurs modes d’intervention culturelle auprès des intercommunalités. Même si leurs compétences obligatoires restent inchangées, les départements doivent cependant élaborer une nouvelle logique d’accompagnement avec, à la clef, des innovations dans leurs modes de conventionnement. Il leur faut aussi imaginer des leviers incitatifs pour encourager les EPCI à développer leur propre politique culturelle, avec parfois l’émergence de nouveaux profils professionnels. Parmi les départements déjà bien avancés dans cette voie figurent les Côtes d’Armor et la Somme.

1L’Observatoire – En quoi la réforme territoriale a-t-elle fait évoluer le positionnement du Département des Côtes d’Armor en matière de politique culturelle ? Et pourquoi avez-vous lancé cette démarche d’analyse du positionnement du Département ? Que souhaitiez-vous mettre au jour ?

2Alain Cadec – Indépendamment de la réforme territoriale, le contexte financier que rencontrent les collectivités territoriales s’avère particulièrement tendu. À la baisse répétée des dotations de l’État s’est ajoutée une hausse constante des dépenses de solidarité, ce qui risquait de porter préjudice aux compétences dites volontaristes comme le sport ou la culture. Au Département des Côtes d’Armor, nous avons fait un double choix. Tout d’abord, notre méthode s’appuie sur une gestion courageuse pour préserver nos interventions volontaristes et nos capacités à investir. En clair, il s’agit de réduire nos dépenses de fonctionnement là où nous pouvons le faire (par la mutualisation, l’innovation, une meilleure organisation) sans impacter la qualité du service. Ensuite, nous avons choisi de mettre en œuvre une démarche de coordination avec les EPCI pour travailler ensemble, dans le même sens, en évitant les doublons et en favorisant les passerelles pour ce qui concerne la culture. C’est le sens des États généraux des politiques culturelles qui ont associé les collectivités et les acteurs associatifs.

3Cela nous permet aujourd’hui de conserver de larges ambitions sur le plan des politiques culturelles sur un territoire qui se distingue par sa vitalité dans ce domaine. J’ajoute que le Département a fait le choix, au passage, de maintenir un haut niveau de financement de ses politiques culturelles.

4L’Observatoire – Quel sens donnez-vous à la politique culturelle des départements dans le nouveau paysage territorial ?

5Laurent Somon – Suite à la réforme territoriale, le Département de la Somme a fait le choix de réorienter sa politique culturelle en 2017. Il fallait nécessairement accompagner l’harmonisation et la structuration des compétences culturelles de ces nouvelles intercommunalités, passées de 29 à 16. Il fallait également prendre en compte l’introduction du principe de responsabilité conjointe et le fait que la culture devenait une compétence partagée, impliquant le développement de nouvelles coopérations territoriales. À ce titre, la mise en place d’une commission culture au sein des CTAP (Conférences territoriales de l’action publique) et l’instauration d’un débat annuel de la CTAP en faveur de la culture sont des outils intéressants. Enfin, la notion de droits culturels, avec l’essor de la participation des habitants à la vie culturelle, était également un enjeu à prendre en compte.

6La Somme a souhaité mettre la culture au cœur de son ambition d’agir au plus près des habitants et des territoires. Cette volonté s’est traduite par une politique culturelle bâtie autour de deux piliers complémentaires :

  • un ensemble de schémas, dispositifs ou appels à projets sectoriels dans les champs de la lecture publique, des enseignements artistiques, des archives, de l’éducation artistique et culturelle au collège, du patrimoine, du spectacle vivant ou encore des arts visuels ;
  • une politique culturelle territoriale, autour d’un dispositif d’accompagnement des projets culturels de territoire, fléché principalement sur des postes de coordonnateurs culturels, construit en adéquation avec la politique d’investissement territorial du Département et une contractualisation 2017 – 2020 avec les EPCI. Le projet culturel de territoire est devenu la clef de voûte de la politique culturelle du Département.

7Alain Cadec – Le département se situe à la bonne échelle pour être à la fois suffisamment ancré sur son territoire et disposer d’une vue d’ensemble. Nous disposons d’une expertise dont nous avons pu faire bénéficier les EPCI au moment même où ceux-ci devaient assimiler un redécoupage drastique de la carte intercommunale territoriale (le nombre d’EPCI est passé de 35 à 8). Notre méthode consiste également à faire évoluer le rôle du Département en passant d’une logique de guichet à une logique de projets, sur la base d’un diagnostic partagé. Enfin, il convient ici de dire que le sens de notre action départementale est d’assurer l’équité et permettre un accès équivalent à l’offre culturelle pour tout le territoire.

8L’Observatoire – Le Département de la Somme a souhaité clarifier l’accompagnement des différents échelons territoriaux. Qu’est-ce qui a changé précisément ?

9Laurent Somon – Le soutien en fonctionnement aux projets culturels de territoire avait conduit la collectivité à soutenir, jusque fin 2016, des projets portés par différents échelons de collectivités (EPCI, groupements d’EPCI, communes, partenariat entre deux communautés de communes…). L’échelon intercommunal est aujourd’hui le dénominateur commun de la politique culturelle et de la politique territoriale. L’objectif est d’encourager l’émergence de projets culturels de territoire à l’échelle du périmètre intercommunal, quand bien même il y a un partage de compétences culturelles entre l’intercommunalité et sa commune siège.

10Par la même, le Département est renforcé dans son rôle de partenaire de proximité des territoires. Son positionnement intermédiaire, entre la nouvelle région aux territoires étendus et les intercommunalités redimensionnées, lui confère également un rôle central pour encourager l’interterritorialité et le développement de coopérations territoriales.

11Si l’échelon intercommunal reste notre priorité, nous avons toutefois adapté le dispositif aux réalités. Par exemple, dans l’est du département, très rural, le PETR [Pôle d’équilibre territorial et rural, ndlr] Cœur des Hauts-de-France mène une politique culturelle très volontariste accompagnée de longue date par le Département. Aussi, avons-nous fait le choix de continuer à financer les groupements d’EPCI positionnés sur des missions d’ingénierie culturelle et de coordination d’actions culturelles visant à mettre en relation et à animer les différents réseaux culturels. Cela peut être tout à fait complémentaire et compatible avec les Projets culturels de territoire portés par les EPCI.

12L’Observatoire – Comment votre département accompagne-t-il désormais les intercommunalités dans leurs ambitions culturelles tout en préservant une cohérence départementale ?

13Laurent Somon – La politique culturelle territoriale du Département de la Somme a effectivement été pensée pour encourager l’ambition culturelle des EPCI qui font notamment le choix d’épauler le Département autour de ses priorités culturelles. Cet accompagnement s’exerce à plusieurs niveaux. Tout d’abord, à travers l’investissement qui permet notamment de financer la construction, la restructuration ou l’aménagement de bibliothèques-médiathèques, d’équipements d’enseignement, de pratique et de diffusion artistiques ou encore de lieux dédiés à la conservation des archives. L’accompagnement départemental peut aller plus loin pour les EPCI qui s’engagent dans l’élaboration d’un projet culturel de territoire sur le périmètre intercommunal selon une démarche de méthodologie de projet, avec l’attribution d’une « bonification culturelle ». En outre, les EPCI qui emploient ou recrutent un coordonnateur culturel, en plus d’avoir élaboré un projet culturel de territoire, peuvent être financés par le Département grâce à un dispositif de soutien aux projets culturels de territoire (en fonctionnement).

14Au-delà de l’aspect financier, le Département propose également un accompagnement en ingénierie pour l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de ces Projets culturels de territoire.

15Enfin, cette démarche s’est également traduite par la mise en place d’un partenariat avec l’Observatoire des politiques culturelles qui a donné lieu à l’organisation, en octobre 2018, d’une journée de rencontres et d’échanges autour des projets culturels de territoire. Cette initiative a été l’occasion d’appréhender la recomposition des coopérations autour des projets culturels de territoire, d’approfondir les clefs de réussite de ces projets et enfin de conforter les conditions du développement de coopérations entre les différents niveaux de collectivité et les acteurs culturels.

16Alain Cadec – Les diagnostics culturels que nous avons menés nous conduisent actuellement à l’élaboration de conventions culturelles de territoire entre le Département et chaque intercommunalité. Elles seront la déclinaison opérationnelle d’une charte de coopération culturelle qui réunira les EPCI, le Département, la Région et l’État, soit un total de 11 acteurs institutionnels.

17L’Observatoire – Et où en est le Département des Côtes d’Armor, à ce jour, dans l’élaboration et la mise en œuvre de sa politique culturelle de coopération avec les EPCI ?

18Thierry Simelière – Nous signerons cette charte de coopération culturelle avant l’été prochain, avec l’ensemble des acteurs institutionnels concernés (État, Région, Département et 8 EPCI), soit un total de 11 signataires. En parallèle, plusieurs séances de travail (3 par intercommunalité) interviendront pour définir et formaliser dans le détail (thématiques, projets, financements, ressources humaines techniques et matérielles) les conventions culturelles de territoire. Les premières signatures pourront ainsi être programmées avant la fin de l’année. Nous suivons le calendrier que nous nous sommes fixés, tout en nous adaptant à celui des intercommunalités.

19L’Observatoire – La démarche de repositionnement du département en matière d’accompagnement des EPCI sur la culture passe-t-elle par un effort financier ou un redéploiement de crédits ? Y a-t-il eu, au cours des dernières années, une hausse/diminution/stagnation de ce budget culturel ?

20Alain Cadec – Comme je vous le disais, le Département a accompagné la démarche des États généraux des politiques culturelles par un effort important pour maintenir un haut niveau de financement en la matière.

21Et je le rappelle, la redéfinition de notre modalité d’intervention aux côtés de nos partenaires locaux a vocation à renouveler l’ambition que le Département entretient pour la Culture et l’accès du plus grand nombre aux spectacles, aux œuvres, aux pratiques artistiques. À l’échelle départementale, notre coordination vise également une répartition équilibrée des financements.

22Laurent Somon – Le Département s’intéresse depuis longtemps à l’aménagement culturel de son territoire. C’est une nécessité pour un territoire caractérisé par une très forte ruralité et par une très forte concentration de son offre culturelle et artistique sur Amiens métropole.

23Nous sommes partis du constat que si plusieurs territoires de la Somme avaient développé depuis de nombreuses années une ambition culturelle, la grande majorité d’entre eux étaient restés « au bord de la route ». Ce constat nous a conduits à réorienter notre action pour encourager la structuration et le développement d’une offre culturelle, à l’échelle de chaque territoire de la Somme. Nous avons mis en place des « leviers incitatifs » : la « bonification culturelle » qui « récompense » en crédits d’investissement les territoires intercommunaux s’engageant dans un projet culturel de territoire, et le fléchage principal de notre aide au fonctionnement sur des postes de coordonnateurs culturels. La plupart des intercommunalités de la Somme se sont engagées dans cette démarche culturelle de territoire et appuient de plus en plus fortement les priorités culturelles du Département.

24Sur l’aspect budgétaire, les financements sont liés à la politique culturelle territoriale et dépendent des projets territoriaux. Aujourd’hui, la politique territoriale représente 35 millions d’euros en investissement sur la période 2017 – 2020, dont 25 millions pour la contractualisation avec les EPCI (dont 2 300 000 € de bonification culturelle au maximum), le soutien au fonctionnement des Projets culturels de territoire est, quant à lui, de 162 500 € pour 2019. Nous avons dû, en 2015, nous engager dans une maîtrise de nos dépenses de fonctionnement. Cette phase transitoire d’assainissement de nos finances était indispensable pour retrouver des capacités d’investissement. Cela nous a notamment conduits à passer d’une logique de « guichet » à une démarche de « projet ».

25Aujourd’hui, le Département est en meilleure santé financière et a retrouvé des marges de manœuvre pour maintenir une politique culturelle ambitieuse. Le budget de la politique culturelle du Département est, pour 2019, de 6 732 000 € (en hausse de 3 % par rapport à 2018) et représente environ 1 % du budget de la collectivité (hors crédits consacrés aux projets d’investissement culturel de la politique territoriale et hors budget annexe du Centre culturel départemental de Saint-Riquier).

26L’Observatoire – Le nouveau positionnement du Département et la nouvelle politique culturelle qui en découle nécessitent-ils des compétences spécifiques et le recrutement de nouveaux profils ?

27Thierry Simelière – Cette démarche des États généraux des politiques culturelles nous a conduits à refaçonner l’organisation de nos services. Cette redéfinition des missions et des compétences des agents s’est adossée à un processus d’accompagnement et de formation. Certains recrutements spécifiques sont intervenus ou interviendront, par exemple dans le cadre du schéma linguistique autour des cultures et langues bretonnes, ou en lien avec le développement du projet sur l’un de nos sites culturels départementaux, la Villa Rohannec’h.

28Laurent Somon – La politique culturelle territoriale est pilotée et coordonnée par le chef de service du développement culturel qui travaille en forte transversalité avec d’autres directions. Pour ce qui est des coordonnateurs culturels, ils sont une sorte de développeurs locaux dans le domaine de la culture. Leur fonction consiste à assembler et coordonner différents acteurs. Ils font aussi l’interface avec le conseil départemental et sa direction culturelle, en particulier sur la lecture publique et la prise en compte des publics éloignés de la culture.

29Nous cherchons aussi à inscrire notre démarche dans une dynamique de réseau bénéfique en termes d’échanges de pratiques professionnelles.

30L’Observatoire – Dans les Côtes d’Armor, vous préconisez une ouverture des politiques culturelles à d’autres secteurs d’intervention publique (intersectorialité). Pourquoi ? Comment mettre en œuvre une telle démarche ?

31Thierry Simelière – Cette transversalité des politiques culturelles, au sein de notre collectivité et avec nos partenaires, est une composante majeure de l’esprit des États généraux des politiques culturelles. Les résidences d’artistes sont directement liées à nos politiques éducatives, pour lesquelles le Département a également mené un travail de contractualisation par l’action de la vice-présidente Brigitte Balay-Mizrahi. Notre objectif est de favoriser les passerelles et voir nos partenaires échanger, collaborer. Nous travaillons également au croisement des politiques sociales et culturelles pour permettre, concrètement, un meilleur accès à la culture et aux artistes pour les publics qui en sont éloignés (géographiquement, socialement, financièrement).

32L’an passé, nous avons redéfini les règles pour l’attribution du prix littéraire Louis-Guilloux. Désormais, outre le caractère citoyen du jury, formé de lecteurs issus des bibliothèques du département, le lauréat (élu par ce jury) est invité à revenir à plusieurs reprises en Côtes d’Armor pour une série d’événements : ateliers, rencontres scolaires et publiques, spectacles… C’est ainsi que, récemment, des centaines de collégiens ont pu travailler avec Marc Alexandre Oho Bambe. Cela illustre la manière dont on peut démultiplier les projets, avec nos partenaires, et rendre possible des actions que je trouve remarquables.

33L’Observatoire – Et la charte de coopération culturelle interterritoriale a-t-elle été signée par tous les acteurs concernés (Département, DRAC, Région, EPCI) ? Ou bien en est-on encore au stade de la discussion préalable ?

34Thierry Simelière – Nous poursuivons actuellement la troisième séquence des États généraux des politiques culturelles (EGPC). On parle d’acte III, pour lequel l’Observatoire des politiques culturelles nous accompagne, en particulier sur l’animation du comité de pilotage et du comité technique de la charte de coopération culturelle. Aujourd’hui, nous réfléchissons ensemble au suivi territorial, à la mise en place de formations-actions thématiques, ou de conférences de culture générale. Ces dernières sont mises en œuvre par la direction générale dans l’hémicycle. L’une d’entre elles portera sur les droits culturels et sera assurée par l’Observatoire des politiques culturelles, notre structure accompagnatrice des États généraux des politiques culturelles. Autrement dit, ce volet culture générale intègre le projet global EGPC Acte III en 2019.

35L’Observatoire – Dans la Somme, vous avez mis en place une bonification culturelle en complément de la part fixe attribuée à chaque EPCI. Pouvez-vous nous en préciser l’esprit et le mécanisme ?

36Laurent Somon – La bonification culturelle est l’un des leviers incitatifs. Elle vient abonder la part fixe de crédits d’investissement réservée pour chaque EPCI, dès lors que le territoire élabore un projet culturel de territoire répondant aux priorités du Département (le livre et la lecture, les enseignements artistiques ou les archives, et la prise en compte de la structuration et de la professionnalisation de l’offre culturelle). La bonification culturelle vient s’ajouter à la part fixe et peut être utilisée pour financer les projets d’investissement. Comme je l’indiquais, la bonification culturelle représente 2 300 000 € supplémentaires mobilisables pour financer des projets d’investissement. L’incitation semble fonctionner, puisque 13 EPCI sur 16 ont indiqué souhaiter la solliciter.

37Le Département est particulièrement vigilant à la qualité d’élaboration de ces projets. La bonification culturelle a été mise en place pour être un réel outil de structuration, de professionnalisation, d’aménagement et de développement culturel.

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