Notes
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Nicolas Memain, Hendrik Sturm, Christine Breton, Dalila Ladjal, Stéphane Brisset, Geoffroy Mathieu, Christophe Galatry, Mathias Poisson.
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Les collectifs d’artistes, d’habitants et d’architectes constructeurs impliqués dans le projet sont : Le Cabanon vertical, Le collectif Etc, Yes We Camp, Collectif SAFI, OPP-GR®2013, Par Ce Passage Infranchi, Le Bureau de l’Envers, La Folie Kilomètre, Les Pas Perdus, Hôtel du Nord.
Sentier de grande randonnée qui parcourt l’aire métropolitaine de Marseille, le GR®2013 a été conçu et tracé avec des « artistes-marcheurs » et dessine une sorte de grand 8 à l’échelle du département des Bouches-du-Rhône. Le Bureau des guides, structure créée en juillet 2014, travaille à poursuivre et à développer l’aventure du GR®2013 tant à partir de son tracé (le sentier) que de ses pratiques (la marche en milieu périurbain, l’exploration artistique, l’arpentage pour une connaissance hybridée et éprouvée des territoires).
1 L’Observatoire – Le GR®2013 a été conçu et tracé par des « artistes-marcheurs », il invite à marcher là où l’on ne randonne pas habituellement (en zone urbaine et périurbaine) mais aussi à adopter une posture d’explorateur, de curieux. Racontez-nous sur quoi repose cette alchimie entre marche et exploration artistique d’un territoire ?
2 Loïc Magnant – En avril dernier, à quelques encablures de la gare d’Aix-TGV, l’artiste promeneur Hendrik Sturm accompagne un groupe d’une trentaine de personnes venues à l’occasion de l’inauguration du nouveau parc départemental de l’Arbois. Nous sommes au cœur du GR®2013, un paysage de chênes kermès, de romarins et de cistes cotonneux typiques de la garrigue provençale connue de tous. Pourtant, Hendrik nous invite à aller plus loin dès les premiers pas de la balade, pour partir à la découverte d’une ville engloutie où 100 000 GI’s américains ont séjourné entre 1945 et 1946, quelques semaines ou quelques mois, avant de retourner aux États-Unis ou de partir au Vietnam. En 2013, lors de la création du GR®2013 une première enquête sur l’Arbois d’Hendrik Sturm avait fait resurgir d’un vallon un premier théâtre américain. Cette fois-ci, nous avions rendez-vous avec toute la ville : ses 4 autres théâtres, la vie du camp retrouvée grâce à des articles de journaux américains de l’époque, une enquête de plusieurs jours sur le terrain, des rencontres inédites et la mémoire de certains participants. Le paysage n’est plus le même à présent et je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil aux fenêtres du TGV à chaque départ de la gare en direction de Lyon ou Paris. Voilà peut-être comment traduire ce que provoque cette alchimie entre marche et exploration artistique du territoire, le regard change par rapport à ce que nous en percevions auparavant. Il s’enrichit d’une histoire qui incarne et métamorphose les lieux.
3 Le GR®2013 est une invitation à aller découvrir le périurbain, les banlieues, les zones industrielles, les centres commerciaux qui composent une grande part du territoire métropolitain autour de Marseille comme des grandes villes de France et d’Europe. Une part du territoire qui reste encore inconnue, peu investie, la plupart du temps désertée, au-delà de ceux qui y habitent ou qui y travaillent, et ne le perçoivent qu’enfermés derrière le pare-brise de leur véhicule. À l’heure des réformes territoriales et des métropoles, ce sont effectivement de grands espaces qui restent à explorer.
Workshop du Bureau des guides avec Hendrik Sturm, le collectif SAFI, le collectif Etc et Nicolas Memain autour du projet d’observatoire du paysage « Le Rocher », mars 2016
Workshop du Bureau des guides avec Hendrik Sturm, le collectif SAFI, le collectif Etc et Nicolas Memain autour du projet d’observatoire du paysage « Le Rocher », mars 2016
4 Sans revenir sur la genèse du GR®2013 (présentée par Vincent Guillon dans ce numéro), la pratique de ce sentier invite à se mettre en dynamique avec son environnement, à aller creuser les liens entre la ville et la nature, l’urbain et l’agricole, les usages passés et ceux à venir… En le faisant le plus simplement du monde… avec ses pieds.
5 Les artistes-marcheurs [1] sont là pour nous secouer, nous aider à sortir de notre carapace, à nous libérer des usages fonctionnels préétablis que nous pouvons avoir avec la ville qui nous entoure, qui nous échappe.
6 Les propositions artistiques de chacun nous aident à ressentir, à donner envie, à nous dire ce qui est beau, à regarder ce que nous ne voyons plus. Comme avec Hendrik Sturm, les artistes nous permettent d’entrer dans l’épaisseur d’un territoire, ce qui l’a construit, façonné, ce qui fait qu’il nous interroge aujourd’hui, à entrer en intimité avec lui.
7 Autour du GR®2013, comme dans les grandes villes et métropoles qui développent ce type de projet, les artistes sont des passeurs indispensables qui nous aident à déjouer nos préjugés, nos ignorances et nous poussent à aller plus loin, par nous-mêmes. La dimension artistique est donc centrale à la création de ce type d’approche, elle ne doit pas être sous-estimée au risque de ne réaliser qu’un chemin. C’est effectivement une question d’alchimie entre artistes, habitants et territoires
Maquette-gabarit du Rocher, un observatoire du paysage en cours de conception pour le parc départemental de l’Arbois. Mars 2016
Maquette-gabarit du Rocher, un observatoire du paysage en cours de conception pour le parc départemental de l’Arbois. Mars 2016
8 L’Observatoire – Le Bureau des guides poursuit la dynamique qui avait été amorcée dans le cadre de Marseille Provence 2013. Comment envisagez-vous de faire évoluer et perdurer cette démarche, passée l’effervescence du moment Capitale culturelle ? Quels sont vos projets ?
9 L. M. – La capitale européenne a donné une visibilité extrême sur le territoire et le GR®2013 a activement participé à cet écho. Pour autant, un an Capitale ne fait que 365 jours tout au plus ! Le projet de GR®2013 a été pensé comme un projet pérenne, c’est la base de notre partenariat avec la Fédération française de randonnée pédestre qui regroupe les clubs de randonnée qui arpentent toujours le sentier. Le GR®2013 a également été pensé comme un projet qui permet d’articuler des formes événementielles comme une capitale européenne, des actions spécifiques… et du processus à moyen et long terme, en profondeur sur le territoire.
10 MP2013 terminée, c’est toute la dimension artistique et culturelle du sentier qui se retrouvait en quelque sorte orpheline et potentiellement fragilisée. C’est sur ce constat qu’est née l’idée de créer un Bureau des guides. Un Bureau spécial, non pas composé de guides de moyenne et haute montagne comme à Chamonix, mais d’artistes et acteurs culturels afin de poursuivre et développer cette dimension centrale au sein du GR®2013.
11 Aujourd’hui, le Bureau des guides contribue à la vie du sentier aux côtés de ses partenaires (Conseil départemental, Fédération française de randonnée, Bouches-du-Rhône Tourisme), et à ses améliorations, son entretien, et développe plus particulièrement ses actions autour de plusieurs axes ou grandes familles de projets.
12 Les expéditions : comment fabriquer une culture commune métropolitaine ? Les balades du Bureau des guides avec des artistes, des habitants ou encore des chercheurs sont l’occasion de construire ensemble des représentations approfondies des territoires partagés. Le recueil de ses cultures trouve différentes formes, centralisées autour du portail numérique [2] que le Bureau des guides anime.
13 Les hospitalités : cet axe s’appuie sur les usages du GR®2013 en itinérance. Quelles infrastructures ou services mettre en place pour accompagner le randonneur en milieu périurbain ? Ce sont là des questions qui nous animent pour penser le développement du GR®2013. Pour cela, le Bureau des guides s’est associé à une série de collectifs d’artistes, cette fois-ci constructeurs [3] tels que Yes We Camp, Etc, SAFI, Cabanon vertical, Bureau de l’envers, etc. comme d’Hôtel du Nord afin de s’appuyer sur les liens avec les habitants et leur capacité d’hospitalité.
14 Une école de guides : le principe est de pouvoir élargir les pratiques de la marche entre ville et nature, à l’image du GR®2013. Les artistes sont ici les passeurs de leurs sensibilités, de leurs approches des paysages.
Identité visuelle du Bureau des guides du GR2013
Identité visuelle du Bureau des guides du GR2013
15 L’Observatoire – Peut-on dire que c’est une forme de « tourisme de travers » ou de tourisme décalé qui s’invente avec le GR®2013 ?
16 L. M. – « L’été dernier, j’ai voulu partir en voyage, avec la question du “où partir ?”, est venu le constat que je ne connaissais pas les environs de là où j’habite… et j’ai donc décidé de faire le GR®2013. Ça a été une des plus belles expériences que j’ai pu faire. » C’est à peu près les premiers retours qu’Abigaël Lordon, artiste du collectif La Folie Kilomètre à Marseille, m’a fait à son retour. Elle venait de parcourir en continue l’intégralité du GR®2013 en juillet-août 2014.
17 L’idée qui se joue est qu’il n’est plus nécessaire de partir loin pour faire du tourisme. C’est avant toute chose une invitation à avoir un changement de regard, de posture sur son propre environnement, une sorte de forme extrême d’un tourisme d’expérience. Il se joue en sortant de chez soi, en montant dans un bus pour partir au bout de sa ville, en faire le tour, la traverser, déjouer les idées reçues, les regards et les à priori sur des paysages assez peu connus.
18 C’est également un tourisme de la rencontre que nous souhaitons développer. Le GR®2013 invite à rencontrer son propre territoire. L’enjeu se trouve aussi dans la rencontre de ceux qui l’habitent qui peuvent nous accueillir, nous le raconter.
19 Donc, plutôt qu’un « tourisme de travers », je dirais que c’est un tourisme de traverses qui permet de relier toute une série de territoires jusqu’à présents écartés des grands sites touristiques. Les communes de Vitrolles, Marignane ou encore Port-de-Bouc, par exemple, en ont bien compris l’intérêt et se sont beaucoup investies autour du GR®2013.
20 L’Observatoire – Les habitants ont très tôt été impliqués dans ce projet, notamment à travers l’hospitalité habitante développée par Hôtel du Nord. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette démarche d’hospitalité que vous comptez poursuivre ?
21 L. M. – En 2013, dans l’exercice de la capitale européenne, le GR® a permis de mettre en scène un territoire, dans ses réalités, ses contradictions, ses richesses visibles ou cachées. Aujourd’hui, l’hospitalité permet de prendre le tracé sous un autre angle, celui de la rencontre de ceux qui habitent le GR® et qui potentiellement peuvent nous y accueillir, nous le faire découvrir.
22 Il y a trois ans, nous n’avions aucun recul sur les usages d’un tel sentier. Tout le volet du topoguide concernant la pratique du sentier en itinérance a été fait très vite, sans prendre le temps de réflexion nécessaire. Aujourd’hui, nous avons des retours de personnes qui ont pratiqué le GR® sur plusieurs jours. Les retours sont nombreux concernant la richesse nouvelle en termes d’expérience, de rencontres, mais il nous a souvent été rapporté que ce n’est pas si simple de dormir, trouver à manger ou à boire dans certains endroits.
23 Les artistes constructeurs sont associés pour inventer des formes de refuges, des signalétiques, des observatoires du périurbain… Un autre enjeu majeur est de révéler les capacités d’hospitalité existantes du territoire. Il s’agit de professionnels du tourisme (hôtels, restaurants, campings, etc.) mais aussi d’habitants qui peuvent potentiellement accueillir les randonneurs dans une chambre d’hôte, dans leur jardin… tout comme faire découvrir au randonneur l’endroit où ils habitent.
24 Grâce aux hospitalités, nous entendons développer toutes formes d’aménagements propices à accompagner le randonneur sur le GR®2013, dans cet esprit d’explorateur. Associer les habitants à ce travail est une manière de rester ancré, de ne pas parachuter des projets qui pourraient paraître hors-sol. C’est également une manière de rendre complices ceux qui nous accueillent, à révéler ce qui fait bien commun. Pour parler de patrimoine, d’urbanité, la parole de celui qui habite là est tout aussi riche que celle d’un expert, d’un aménageur ou d’une personnalité politique.
25 L’Observatoire – Ce sentier de 365 km qui parcourt l’aire métropolitaine me fait penser au projet Running Fence des plasticiens Christo et Jeanne-Claude qui avaient dû négocier, auprès de propriétaires fonciers, la présence de leur installation sur un territoire côtier du nord de la Californie, parcelle après parcelle, pour obtenir le droit de faire sillonner cette œuvre éphémère sans autre justification que sa beauté… Comment les collectivités se positionnent-elles vis-à-vis d’un tel parcours qui traverse les frontières communales et intercommunales ? Est-ce un projet fédérateur ou fait-il l’objet de divisions ?
26 L. M. – En avril 2015, en fin d’après-midi au bar Chez Noël, le buffet de la gare de Saint-Victoret, le préfet à la métropole Laurent Théry discute avec le maire de Saint-Victoret, un opposant au projet à l’époque. C’est la fin d’une des marches organisées par le Bureau des guides pour faire découvrir le territoire métropolitain aux grandes équipes d’urbanistes recrutées par la mission de préfiguration à la métropole (SEURA, Devillers et associés, LIN). Le GR®2013 est leur première immersion, première rencontre avec des élus (sur le terrain), des experts (sur le terrain également) et des habitants (chez eux). Cette rencontre paraissait des plus compliquées auparavant, elle semble peut-être couler un peu plus de source après une journée de marche comme celle-là.
27 Le GR®2013 s’est monté dans le cadre de la Capitale européenne de la culture où toutes les communes, comme beaucoup d’opérateurs culturels et autres, souhaitaient participer et « en être ». C’est cette machinerie globale qui a permis la réalisation d’un tel projet en un temps aussi record (pour mémoire, il faut entre 5 et 10 ans pour réaliser un GR®. Ici nous avons mis un an et demi pour le concrétiser). Sans cela, les négociations se seraient sûrement perdues. Entrer dans le patrimoine privé des communes ressemble parfois à Manon des sources. Rien n’est dit et tout se bloque, se complexifie. La question de trouver des temporalités, des rythmiques, reste importante. Nous travaillons sur 2017, capitale européenne du sport pour développer des pratiques du GR®2013 en itinérance, une manière plus sportive de l’arpenter sur plusieurs jours. Les artistes avec qui nous travaillons nous accompagnent sur les formes que nous devrons imaginer pour cela avec les communes et les institutions du territoire.
28 Le GR®2013 est un lien symbolique qui unit les différentes communes au territoire qui se trouve être également celui de la nouvelle métropole. De la même manière que le sentier permet à celui qui marche dessus, en un lieu donné, d’être relié au grand territoire qui l’entoure, les communes perçoivent l’intérêt qu’elles ont de parler d’elles-mêmes aux autres communes, aux autres territoires et ce, au-delà de ce qui les unie ou les distingue. C’est une manière de se saisir des grands sujets métropolitains. Dans ce sens le GR®2013 contribue à creuser les questions qui unissent les grandes métropoles à la nature, à capitaliser sur ces patrimoines complexes à percevoir, aux manières de vivre avec. Les parcourir avec ses pieds reste une manière simple, humble et efficace pour les penser demain.
La folie kilomètre ou l’extravagance du territoire
Notes
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[1]
Nicolas Memain, Hendrik Sturm, Christine Breton, Dalila Ladjal, Stéphane Brisset, Geoffroy Mathieu, Christophe Galatry, Mathias Poisson.
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[3]
Les collectifs d’artistes, d’habitants et d’architectes constructeurs impliqués dans le projet sont : Le Cabanon vertical, Le collectif Etc, Yes We Camp, Collectif SAFI, OPP-GR®2013, Par Ce Passage Infranchi, Le Bureau de l’Envers, La Folie Kilomètre, Les Pas Perdus, Hôtel du Nord.