Couverture de LOBS_046

Article de revue

Que nous faut-il imaginer et expérimenter dans la sphère jeune public en Afrique ?

Pages 60 à 62

Né au Togo, Gustave Akakpo est tout à la fois écrivain, comédien, conteur ou encore plasticien. C’est son écriture, notamment les textes qu’il a écrits pour l’enfance et la jeunesse, qui lui a valu de devenir artiste associé au Tarmac, scène internationale francophone. En juillet 2014, pour sa première programmation de spectacles jeune public dans le cadre du Festival d’Avignon, Olivier Py choisissait la création Seuls les chevaliers tombent dans l’oubli, sur un texte de Gustave Akakpo, mis en scène par Mathieu Roy. La véridique histoire du Petit Chaperon rouge est le prochain projet que Gustave Akakpo accompagnera jusqu’au plateau en 2016.

1L’Observatoire– Aujourd’hui, en Afrique francophone, un enfant peut-il rencontrer un jour un théâtre qui lui soit spécifiquement adressé ?

2Gustave Akakpo – Pour l’enfant africain qui, comme moi, a grandi sur ce continent, il évolue dans un univers où la tradition orale, et donc le conte, a une grande importance. Il croise le conte à divers moments. Dans la sphère familiale comme à l’école. La marionnette aussi est une réalité artistique très forte en Afrique de l’Ouest. Et puis, désormais, les albums de littérature jeunesse se diffusent un peu plus fortement. Mais la forme théâtrale jeune public est très rare, pour ne pas dire inexistante, en Afrique.

3L’Observatoire – Voyez-vous quelques projets émerger en Afrique de l’Ouest ?

4G. A. – Les pays que je connais le mieux sont le Togo le Bénin, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo et le Tchad. Dans ces pays-là, il n’y a pas réellement d’auteurs de théâtre écrivant pour le jeune public et donc pas ou peu de textes africains qui lui soient adressés. Mais les énergies et les talents sont là. Il nous manque une impulsion pour qu’elles puissent s’exprimer et pour qu’en Afrique francophone se développe une création pour le jeune public qui sorte du cadre étriqué de la pédagogie. L’Institut Français a bien donné cette impulsion autour de la littérature pour la jeunesse avec l’association Illustr’Africa. Ce projet a notamment suscité des vocations et des productions nouvelles chez les auteurs africains. Il faudrait en faire de même avec les auteurs de théâtre. Les soutiens à la création manquent, ce qui n’encourage pas les artistes qui ont recours en permanence au système D. Les festivals rencontrent les mêmes difficultés. Le FITEB (Festival international de théâtre du Bénin) est le seul à être véritablement soutenu par l’État.

5L’Observatoire – Comment prend-on néanmoins en considération ce public, dans une Afrique dont la population est jeune ?

6G. A. – S’il n’y a pas de productions spécifiquement pensées à l’adresse des jeunes publics, il faut remarquer que beaucoup de formes que je qualifierai d’hybrides leur sont accessibles. Souvent, en Afrique, on répète le soir. Tout est accessible et il est très fréquent que les enfants assistent aux répétitions le plus simplement du monde, en entrant dans une cour. C’est là que sont joués les spectacles au Burkina Faso. Certaines vocations d’acteurs sont nées comme cela et on peut penser que les enfants ne sont pas tenus éloignés de la culture théâtrale, lorsqu’ils la croisent. Même si le théâtre n’est pas inscrit dans la tradition, je remarque à chaque fois que les enfants ont une vraie écoute pour ce qui se déroule devant eux.

7L’Observatoire – Vous qui vivez la plupart du temps en France, quelles différences majeures notez-vous dans ce premier contact entre un enfant et le théâtre ?

8G. A. – Penser la création en fonction de l’âge de l’enfant n’est pas encore une réalité en Afrique. Là-bas, tout est plus ou moins accessible pour un enfant qui se montre curieux. Ils se font leur propre regard, assimilent les codes du théâtre et reçoivent donc un théâtre adulte. C’est le cas au FESTEF, le Festival du théâtre de la Fraternité au Togo, par exemple. Ce festival se déroule à Assahoun, à 45 km à l’Ouest de Lomé, la capitale du Togo. Il n’y a pas de rejet du théâtre en direction du jeune public, ce sont juste les tentatives qui manquent.

9L’Observatoire – Avez-vous identifié d’autres différences ?

10G. A. – En Afrique, le théâtre forum, qui est peu habituel en France mais qui l’est beaucoup plus en Belgique par exemple, permet de s’adresser aux enfants. Mais il ne s’agit pas de création dramatique au sens premier du terme puisque le thème en est souvent le droit des enfants. Au Burkina Faso, Prosper Kompaoré dirige le Festival international de théâtre pour le développement (FITD) et, comme pour le festival Fil bleu au Togo, je note que l’attention au jeune public est aujourd’hui un peu plus marquée. Au Burkina Faso, également, le comédien Alain Hema et sa compagnie, Éclair Théâtre, ont créé un premier festival international pour le jeune public, dans le cadre d’un programme d’échanges culturels dénommé Paroles Croisées - Burkina Faso/Belgique, initié par la Compagnie Théâtre Éclair (Burkina Faso) et le Zététique Théâtre, le Théâtre des Quatre Mains et Une Compagnie (Belgique). La première édition a eu lieu en 2009 avec l’objectif d’ouvrir le champ de la création, de déconstruire les imaginaires un peu trop formatés et de donner un souffle nouveau à cette création en Afrique.

11L’Observatoire – Pensez-vous que ces premières tentatives puissent grandir et donner naissance à une création théâtrale pour le jeune public sur le territoire de l’Afrique francophone ?

12G. A. – Il y a là beaucoup d’envie mais souvent pas assez d’outils ni d’expérience pour donner leur vraie dimension à ces projets. Il n’y a pas de publics en Afrique, mais une vraie curiosité. Le plus souvent, lorsque des artistes vont créer pour le jeune public, ils vont adapter un conte. Ils ne connaissent pas la littérature théâtrale pour le jeune public. Les textes ne parviennent pas jusqu’à eux. Il faudrait nourrir ces auteurs, leur faire découvrir ces écritures et les accompagner dans leurs propres projets lors d’ateliers ou de rencontres avec des auteurs un peu plus confirmés dans l’adresse aux jeunes publics.

13L’Observatoire – Que pourrait-on mettre en place pour accompagner les auteurs et les comédiens dans cette voie ?

14G. A. – Une initiative récente me donne beaucoup d’espoir. Une première école de formation de comédiens a vu le jour au Togo en 2006. Trois ans plus tard, elle fermait déjà ses portes, mais le Studio Théâtre d’Art de Lomé (STAL), qui est une école de théâtre, vient de rouvrir ses portes. Le premier stage d’interprétation s’est déroulé en juillet dernier à la Maison des Artistes à Baguida sous la direction de Jean Lambert-Wild, directeur du Théâtre de L’Union – Centre Dramatique National du Limousin et de L’Académie – École Supérieure Professionnelle de Théâtre du Limousin. Le travail d’interprétation s’appuyait plus particulièrement sur la comédie de Molière, Les Fourberies de Scapin. Le Studio Théâtre d’Art est un lieu de travail et de résidence pour les artistes. C’est dans ce cadre que l’on pourrait faire découvrir les écritures pour le jeune public et l’adresse spécifique sur scène aux artistes togolais.

15L’Observatoire – Que pourrait-on imaginer pour faire découvrir ces écritures contemporaines ?

16G. A. – Pourquoi ne pas organiser des ateliers d’écritures ou des stages d’interprétation autour de textes contemporains pour le jeune public ? Il faudrait pour cela faire circuler une « valise de textes », comme cela existe déjà par ailleurs dans chacun de ces pays d’Afrique de l’Ouest.

17L’Observatoire – La coopération nécessite-t-elle aussi un accueil des artistes africains en Europe, sur des résidences, des ateliers, des créations ?

18G. A. – Les auteurs comme les acteurs africains doivent effectivement pouvoir venir en Europe pour explorer ce qui s’y fait et rencontrer d’autres professionnels, partager des recherches et des réflexions communes. À Villepinte, la compagnie Issue de secours et son théâtre de la Ferme Godier joue ce rôle. Elle a mis en place le dispositif Passerelle qui fait suite aux résidences déjà organisées par la compagnie à Villepinte. La première étape de cette aventure a lieu à l’automne à Lomé, au Togo. J’en suis, avec les auteurs Marc-Antoine Cyr (Québec), Marcelle Dubois (Québec), Ramsès Alfa (Togo) et la compagnie de théâtre togolaise Louxor.

19L’Observatoire – Commet avez-vous travaillé ensemble ?

20G. A. – Deux pièces ont été écrites par des duos d’auteurs. Elles sont montées pour la première fois au Togo : Je reviendrai de nuit te parler dans les herbes de Marc-Antoine Cyr et moi-même, et Danse sur la ligne de Ramsès Alfa et Marcelle Dubois. Pierre Vincent, le directeur artistique de la compagnie, en fera une mise en scène. Autour de cela, nous avons aussi imaginé des interventions dans les établissements scolaires, des ateliers d’écriture, de jeu et de mise en scène. Le projet se poursuivra ensuite avec la diffusion des deux pièces ainsi créées à la Ferme Godier, à Villepinte, puis au Théâtre des Écuries, à Montréal (Québec).

21L’Observatoire – Avec ces espaces de travail partagés, et en associant des artistes africains à des projets internationaux, parvient-on aussi à changer le regard que portent les Occidentaux sur la création contemporaine africaine ? Et réciproquement.

22G. A. – Oui, cela y contribue fortement. Avec l’association Postures, Lansman Éditeur/Emile & Cie et le Tarmac - Scène internationale francophone, Issue de Secours organise aussi le prix « inédits d’Afrique et Outremer », un prix lycéen de littérature dramatique francophone. Il consacre des textes inédits d’auteurs francophones hors Métropole. Cette année, l’auteur guinéen Hakim Bah en est le lauréat, avec son texte Mirage. Il sera accueilli, lors de la saison 2015-2016, pour une résidence de six semaines à la Ferme Godier. La reconnaissance, ce qu’elle déclenche en opportunité de travail et de confrontation aux autres, est essentielle pour un auteur.

Nova Villa et le Rwanda : la culture comme levier de reconstruction

Nova Villa est une association culturelle et d’éducation populaire qui développe un projet jeune public, de la crèche au lycée et de la petite enfance à l’adolescence, à Reims, avec l’accueil de spectacles d’auteurs, d’artistes, notamment sur des thèmes forts de société. Le projet est ouvert sur l’Europe et sur le monde, dans une volonté politique forte de proposer aux familles rémoises la rencontre avec d’autres cultures mais aussi de partager les découvertes artistiques de l’association.
Cette ouverture sur le monde s’illustre notamment par le partenariat de plus de quinze ans que Nova Villa a noué avec le Québec, ou encore avec le Mexique, programmé pour la deuxième fois cette année. En 2015, pour les deux festivals, Reims Scènes d’Europe (organisé pour le collectif de 7 structures culturelles rémoises) et Méli’môme (festival propre à Nova Villa), ce sont 10 spectacles de 8 pays différents qui ont été accueillis pour une première en France. Une porte s’est également ouverte sur l’Afrique avec la programmation d’un spectacle de la compagnie de danse zimbabwéenne IYASA et l’invitation faite à l’artiste rwandaise Carole Karemera.
La rencontre avec Carole Karemera s’est faite à l’occasion du festival Hellwach à Hamm (Allemagne) où elle présentait Ma petite colline, un spectacle sur l’histoire mouvementée du Rwanda qui célèbre la vie, le respect mutuel, la diversité culturelle du pays. Carole Karemera  vit à Kigali au Rwanda. Née en Belgique en 1975, de parents Rwandais, elle a fait ses études au Conservatoire Royal de Musique à Mons, première femme noire d’Afrique subsaharienne intégrant cet établissement. De là va naître une carrière dans le cinéma, le théâtre avec des incursions du côté de la danse et de la musique. En 2015, elle est de l’aventure de la création théâtrale de Peter Brook, Battlefield, aux Bouffes du Nord à Paris. Les événements sanglants au Rwanda vont changer sa vie. Le génocide a duré 100 jours avec 1 million de morts : « Être Rwandaise sans avoir mis les pieds au Rwanda jusqu’à l’âge de 18 ans, explique-t-elle, c’est une identité avec laquelle j’ai toujours été obligée de composer : la richesse des voix dans le chant traditionnel rwandais, la rigueur de l’artiste, ses valeurs, la conscience de soi… Un tremplin vers d’autres cultures croisées à Bruxelles. Je ne pensais pas rentrer. Mais, avec le génocide, le Rwanda est devenu mien. Autant la culture rwandaise me donnait des repères par rapport à ce que je voulais être et me permettait de grandir artistiquement en Belgique, autant, d’un coup, 1994 m’a rappelé mes racines. Un appel profond. »
En 2005, Carole Karemera décide de s’installer dans son pays d’origine. Elle s’investit alors, dans des projets culturels, axés sur l’ouverture, l’écoute de l’autre et l’accès à la culture pour tous en créant Ishyo Arts Centre, un centre culturel au Rwanda, au cœur de Kigali, une plateforme d’artistes, de passionnés d’art, de professionnels de la culture…
Lors de son premier séjour, en février, à Reims scènes d’Europe 2015, Nova Villa a souhaité s’impliquer dans sa démarche citoyenne et culturelle et l’a invitée, dans un second temps, au festival Méli’môme pendant une semaine, fin mars 2015. Elle a vu et découvert de nombreux spectacles français et européens (Grèce, Pologne, Allemagne, Norvège, France, etc.), rencontrant aussi ces artistes et professionnels du théâtre jeune public. Elle a été impressionnée par la qualité et la diversité des propositions artistiques. Inspirée par le travail réalisé à Reims, Carole Karemera veut créer de nouvelles habitudes avec le milieu scolaire et mettre en place des projets d’éducation artistique. Une question la préoccupe: « Que faire avec les enfants aujourd’hui ? Faut-il parler ou non du génocide ? Comment l’art peut-il répondre à cette question ? L’Histoire les rattrape… » Des créations pour le jeune public vont voir le jour au Rwanda. L’idée d’échanges d’artistes, de formation, de rencontres avec Nova Villa fait son chemin.
Fin 2015, Nova Villa se rendra à Kigali pour suivre le festival d’Ishyo Arts Centre et y découvrir des spectacles du Rwanda, de la République Démocratique du Congo, du Burundi, afin de voir également comment l’art re-nourrit cette jeune génération et parle de l’Histoire… Ce séjour au Rwanda participera à la fondation de ce partenariat entre Reims et le Rwanda. Nova Villa va s’engager dans le projet de création Ma Maison, une recherche sur les génocides qui ont eu lieu en Europe, entre 1933 et 1945, et au Rwanda, voici 20 ans. Le spectacle racontera l’histoire de deux maisons (l’une à Kigali, l’autre à Hamm), des gens qui y ont vécu, des choses qui ont disparu… Trois comédiens d’Helios Theater et trois d’Ishyo Arts Centre, deux musiciens et un auteur feront partie de ce projet. Ce spectacle, créé en Allemagne à l’automne 2016, sera accueilli pour l’édition 2017 de Méli’môme.
Nova Villa porte un intérêt pour les thèmes de société que sont l’exil, les conflits, la mémoire… Nourrir la réflexion, donner des doses d’humanité, être en empathie avec l’autre, s’ouvrir à d’autres cultures, faire réfléchir, connaître l’histoire contemporaine, comprendre le monde sont autant de pistes qui guident ce projet.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions