Notes
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[1]
Voir à ce sujet, l’intervention de Michael Bourgatte, Docteur en science de la communication, lors de la formation : « l’éducation numérique fait sa révolution numérique ». http://data.acrira.org/CR.formation.AcrirA.nov2012.pdf
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[2]
Selon la sociologue Laurence Allard : « images en numérique : vers un nouveau rapport aux images », lettre d’info Passeurs d’images n°136 du 28 juin 2013 : www.passeursdimages.fr
Le Web 2.0 a changé l’accès à la culture, à la connaissance, mais a surtout profondément modifié les pratiques. Il est désormais possible d’accéder aux outils de création et de diffusion, de réaliser un film (amateur ou non), de le diffuser, d’avoir des spectateurs (en salle ou en ligne), d’échanger des images, d’accéder à des plateformes de réappropriation, de travailler avec des logiciels libres et de faire que l’image soit plus qu’un plaisir de spectateur.
1La grande majorité des acteurs du domaine de l’éducation à l’image estiment que le numérique n’est qu’un nouvel outil, pas plus. L’apprentissage prendra donc toujours en compte le fait qu’il s’agit bien de donner du sens aux images construites par tout un chacun. Néanmoins, les défis à relever sont extrêmement nombreux pour tous les acteurs de l’éducation à l’image : prendre conscience des évolutions, s’adapter aux nouvelles pratiques des jeunes, suivre les évolutions technologiques, s’engager dans les différentes dynamiques participatives, réétudier les différents critères de visionnage des images, réduire la fracture entre ceux qui maîtrisent et ceux qui refusent (ou qui ont abandonné), construire une pédagogie adaptée, accompagner les pratiques, former des encadrants, repenser les enjeux et les objectifs de l’apprentissage de l’image.
Des images partout
2Le concept d’éducation à l’image est très jeune et peu clair. Sans doute faut-il le remplacer par celui d’« éducation aux images » qui inclurait toutes les images, du cinéma à la télévision, de la vidéo surveillance au téléphone portable, des jeux vidéo aux programmes informatiques ? Il semble en tout cas nécessaire de ne plus le restreindre à l’éducation au cinéma. Ce qui est en jeu relève désormais d’une question de société, car l’image est omniprésente et incontrôlable. Au-delà de la nécessaire définition des concepts, l’urgence de mettre en place un système d’apprentissage des images se vérifie chaque jour un peu plus avec l’arrivée prochaine de nouveaux tuyaux ou de nouveaux outils que personne n’est capable d’anticiper. Depuis quelques années, nous avons franchi un pas important : quiconque peut, potentiellement, aux quatre coins de la planète, maîtriser la construction et le transfert d’images. Certains ont la capacité de les décoder, d’autres ne font que les absorber et les regardent avec fascination, dégoût, amusement ou sérieux.
3Il est bien difficile de déterminer l’origine de l’apparition de la terminologie « éducation à l’image », mais c’est sans aucun doute à partir de l’éducation artistique et de l’analyse filmique que se développe, dans les années 80, une réflexion autour du cinéma qui va s’étendre à tous les types d’images animées. Dans un milieu (incluant l’audiovisuel et, désormais, le monde numérique) où le pouvoir est avant tout financier ou politique et, suite au développement sans précédent des canaux de diffusion des images, un autre regard sur toutes les images devenait nécessaire. À partir des années 2000 et en reprenant la dynamique des mouvements d’action culturelle et/ ou d’éducation populaire, deux éléments s’imposent : l’éducation à l’image doit concerner la totalité de la population et la pédagogie de l’image animée doit évoluer sans séparer l’apprentissage du « voir » de celui du « faire ».
Vrai/faux
4Nous sommes depuis longtemps passés de « l’image fixée » (le film, l’émission, avec un début et une fin) à « l’image provisoire » en diffusion immédiate (celle que l’on ne garde pas, que l’on peut trafiquer à souhait, que l’on envoie par mail ou par portable) et qui disparaît aussi vite qu’elle a été créée. Cet état de fait va modifier la propension à « vérifier la réalité » de ces images, que ce soit dans un registre journalistique, dans une démarche créatrice ou autre. Depuis la création des images animées, les propositions artistiques ont traversé l’histoire et ont été fixées dans le temps et l’espace. Avec les nouvelles manières de faire, nous ne maîtrisons ni l’origine, ni le lieu, ni l’espace, ni la pérennité de ces images. Les modes de représentation (objectifs, langues, enjeux) et le langage des images (tournage, réalisation, montage) restent les seuls éléments qui nous permettent de décoder ce que nous regardons et, par conséquent, ce que nous construisons. L’accord tacite entre créateur et spectateur, qui définit qu’un film est bien un objet fictionnel, est toujours d’actualité et l’analyse cinématographique reste pertinente mais elle trouve ses limites dans l’analyse des « œuvres figées ». Qu’en est-il aujourd’hui ? Pour en percevoir le sens, comment décortiquer toutes ces créations filmiques (ou les autres, liées à l’événementiel) qui ne sont plus définitives et que l’on peut consulter de façon parcellaire ? Sans perception de l’œuvre dans sa totalité et sans indication sur la source, comment faire la distinction entre fiction et réalité ? Ce n’est ni la création d’un monde virtuel, ni la réalité de ce monde qui pose question mais la compréhension pure et simple de la véracité de notre monde réel.
Développer un regard critique
5Envisager une véritable politique d’éducation aux images passe en premier lieu par une prise de conscience de cette réalité par tous les acteurs concernés. Elle est nécessaire avant même de construire des programmes ou des méthodes d’enseignement. Au-delà de l’acte de création, percevoir le réel devient de plus en plus complexe. Les générations futures devront affronter cette contradiction qui oppose « le vrai » celui que l’on voit, et « le faux », celui que l’on peut construire avec les images et qui ressemble tellement à la réalité. La manipulation avec les images est devenu un art. Maîtrisées ou non, volontairement manipulatrices ou non, les images produites s’accompagnent de stratégies qui consistent avant tout à faire passer un message qui s’assimile plus dans certains cas à de la communication (si ce n’est de la propagande) qu’au souhait d’apporter à l’homme de véritables éléments de connaissance ou un simple moment de plaisir. L’apprentissage passe par la capacité à développer un regard critique et par la compréhension de la construction des images, par une connaissance des « mots et de la grammaire » de l’image. Il faut pouvoir mettre en perspective toutes les images reçues car elles influencent nos manières de vivre, nos points de vue politiques ou autres et les relations humaines et sociétales dans leur ensemble.
Une dynamique multiple
6Face à l’« Hyper offre » (selon Pierre-Jean Benghozi), « il faut surtout créer des portails d’information et d’agrégation », car l’accès à la connaissance prend d’autres chemins que l’enseignement scolaire. De leur côté, les acteurs de l’éducation à l’image ont la nécessité de se recentrer sur l’art et la création car ces deux notions restent les fers de lance de l’innovation, éléments indispensables de l’évolution humaine.
7La dynamique des dispositifs d’éducation à l’image, la volonté des collectivités locales, les processus de décentralisation, l’accès aux nouvelles technologies et les nouveaux usages ont profondément fait évoluer le paysage. Dans le « monde de l’éducation à l’image », il existe désormais un très fort maillage du territoire avec de nombreuses structures, d’origine et de domaine très divers : salles de cinéma, productions audiovisuelles, télés locales, écoles d’art, espaces publics numériques, médiathèques, associations, relais d’éducation populaire, services municipaux, etc., etc. Elles ont acquis une véritable compétence professionnelle en plus de vingt ans d’existence et s’obligent à suivre l’évolution des pratiques, des jeunes en particulier.
8Elles constatent depuis longtemps que la demande est extrêmement forte, totalement justifiée, argumentée, mais surtout qualitative. Elle provient de toutes les couches de la société, de toutes conditions sociales, de tous types de lieux et de tous les coins du monde. Elle est multiple et les propositions sont foisonnantes, de tous les domaines artistiques ou sociaux et de tous types de structures culturelles ou sociales. Depuis plusieurs années, le dispositif Passeurs d’images ne peut plus répondre à la demande. Il en est de même pour les dispositifs en temps scolaire. Les opérateurs sont obligés de choisir entre partager les moyens ou sortir des dispositifs des partenaires pour que d’autres puissent y avoir droit. Cette situation est un frein considérable et entraîne une stagnation, si ce n’est une régression. Il nous faudrait pourtant envisager les choses différemment en bousculant les schémas classiques de l’éducation artistique. La dynamique est désormais territoriale et ne peut plus s’envisager dans une politique unilatérale qui lamine les aspérités et les envies des partenaires locaux qui ne se reconnaissent plus dans des directives trop éloignées de leurs pratiques, de leurs préoccupations et de leurs réalités. Accompagner ces dynamiques locales reste, sans doute aucun, la seule piste pertinente. Face à ce constat, le rôle des collectivités territoriales devrait être primordial et les enjeux dépasser largement leurs seuls territoires.
Atelier Pocket Films avec Passeurs d’images (ECLA), intervenant : Benoît Labourdette. Participants : jeunes de 11-17 ans (aire des gens du voyage). Libourne (Aquitaine), octobre 2011
Atelier Pocket Films avec Passeurs d’images (ECLA), intervenant : Benoît Labourdette. Participants : jeunes de 11-17 ans (aire des gens du voyage). Libourne (Aquitaine), octobre 2011
Des pratiques et des hommes
9Pour déployer cette nouvelle dynamique, trois axes fondamentaux restent toujours d’actualité : voir, faire, réfléchir. La connaissance et la confrontation avec les œuvres et les artistes sont indispensables. L’analyse cinématographique est un formidable outil de décryptage des images et ouvre à la compréhension de notre monde. Avec les nouvelles pratiques, cet apprentissage de la construction des images est indispensable. Les jeunes doivent maîtriser les mécanismes de compréhension des images qu’ils manipulent pour qu’ils apprennent à devenir des citoyens en diffusant les images dans les règles et dans le respect de l’humain, pour qu’ils sachent se jouer des images avec plaisir, sans en être dépendants. Faire de la création, c’est s’approprier un langage, définir pourquoi et pour qui on filme. Pour cela, il n’y a pas d’autres pistes que les ateliers de pratique artistique, encadrés par des professionnels. Mais l’atelier n’est pas seulement un « objet d’éducation », c’est aussi un espace social où se côtoient des personnes différentes, où se construit une histoire. C’est un moment de vie avec un avant, un pendant et un après. Ce sont les raisons pour lesquelles il est nécessaire que deux professionnels se partagent l’encadrement de ces pratiques, un créateur et un relais local.
10Pas d’éducation à l’image sans artistes créateurs, cinéastes/réalisateurs ou plasticiens. Qui mieux que l’artiste peut transmettre sa passion pour l’art et expliciter sa démarche propre ? Il est important de garder une place centrale aux artistes et aux créateurs, de quelque domaine que ce soit. Nous devons désormais percevoir que les vidéastes, les geeks et autres informaticiens, créent des images extraordinaires, à partir des jeux vidéo ou d’images de synthèse, etc. Il ne peut pas y avoir, d’un côté, l’éducation artistique à l’image et, de l’autre, la culture ou la politique numérique. Actuellement, les créateurs s’investissent dans ces deux domaines sans se préoccuper des cases institutionnelles.
11Ceci étant, la majorité des professionnels qui interviennent sur les ateliers de pratique artistique sont des intermittents du spectacle et de l’audiovisuel. Les faire sortir de la précarité dans laquelle ils vivent, régler de manière claire leurs places dans les processus de construction des projets et pérenniser la question de la prise en charge dans leur statut des activités d’éducation à l’image sont indispensables. Mal les payer ou ne pas prendre en compte leurs difficultés tuerait toute politique d’éducation artistique.
12L’artiste ne peut être présent que ponctuellement sur les projets. L’accompagnateur (enseignant, éducateur, animateur, bénévole ou autre) est la personne qui va imaginer le projet, le monter structurellement et financièrement, qui pourra gérer l’amont et l’aval. C’est ce couple qui va faire que le projet soit cohérent. Chacun avec sa compétence. Il ne faut pas se tromper, chacun doit rester dans son rôle et cette complémentarité devient une véritable force.
13Qu’ils soient artistes ou relais de publics, il est nécessaire d’envisager des systèmes de sensibilisation à la pratique de l’éducation artistique et aux montages de projets. Ce sont les partenaires de terrain qui montent les projets artistiques. Il faut donc qu’ils apprennent à les construire, avec des artistes ou des structures culturelles, avec les collectivités et tous les partenaires financiers. C’est avec ce type de formation/sensibilisation que l’évolution qualitative pourra se faire. Dans certains cas, il est nécessaire d’envisager des formations plus pointues, mais cela ne peut pas être la seule solution. On peut raisonnablement imaginer qu’il est impossible de former tous ces relais à tous les arts. En formant à l’accompagnement des projets d’éducation artistique et d’éducation à l’image, les relais pourront s’engager dans de nouveaux processus de construction afin que leur projet ne soit pas un « one shot », mais permette un travail sur le long terme. Il faut un partenariat, des financements pérennes, clairement définis et suffisants pour payer les intervenants professionnels. Un programme basé exclusivement sur des soutiens a minima, projet par projet, est voué à l’échec ou à un éternel recommencement.
Du plaisir
14En utilisant un médium apprécié de tous, il s’agit bien, à travers les ateliers de pratique artistique, de favoriser l’expression des jeunes et des citoyens. Ce sont les participants qui doivent définir les thèmes, les manières de faire, manipuler les outils et réaliser. Il faut mettre les publics au centre des processus décisionnels. Avec l’arrivée du numérique, des réseaux sociaux et autres manières de faire, les populations et les jeunes en particulier, s’investissent à fond dans ce type de proposition et maîtrisent les outils. Il faut travailler dans une optique d’innovation artistique et culturelle en utilisant leurs connaissances et leurs compétences pour développer du sens et de la compréhension des images créées.
15Les jeunes de la génération Y (Digital natives) n’ont que très peu d’états d’âme vis-à-vis de ces questions d’organisation de l’éducation à l’image. Ils pratiquent, largement, très largement. Selon Médiamétrie (avril 2013), les 15-24 ans visionnent 170 vidéos par mois pour une durée de plus de neuf heures. Que ce soit des films, des « images à écouter », des cartes postales ou des « images mise en scène de soi » [1], ils s’approprient les contenus, baignent dans l’échange, l’interactivité, se créent une nouvelle cinéphilie et s’ouvrent à toutes sortes de nouveautés : Web documentaires, annotations, DIY/ Do It Yourself (Recut/Retrailer ou machinimas), détournements, MashUp, films suédés, Serious game… [2] Ils se sont emparés de nouveaux espaces d’expression. Nous nous devons de leur proposer des univers narratifs dans lesquels ils pourraient jouer un rôle en agissant en interactivité (avec, par exemple, la mise en place d’ARG, Alternative Reality Games, jeux en réalité alternée).
Atelier « MashUp Cooker », intervenant : Romuald Beugnon ; participants : jeunes de Thiron-Gardais (Centre). Rencontres Passeurs d’images au WIP-Villette à Paris, 15 décembre 2012
Atelier « MashUp Cooker », intervenant : Romuald Beugnon ; participants : jeunes de Thiron-Gardais (Centre). Rencontres Passeurs d’images au WIP-Villette à Paris, 15 décembre 2012
16La technique est importante mais, plus encore, ce que l’on en fait et le plaisir que l’on peut apporter à ceux qui pratiquent. Il faut permettre le développement de la pratique et de l’appropriation. Pour autant, l’objectif doit rester de favoriser les processus de construction et non de « faire des films ».
17Si, au milieu des nombreuses propositions, certains films sont des chefs d’œuvre, tant mieux. La diffusion de toutes les images n’est plus un objectif, c’est une réalité. L’enjeu de l’atelier d’éducation à l’image doit être avant tout un véritable temps d’échange et d’apprentissage et le beau souvenir d’un projet collectif abouti.
18L’éducation artistique à l’image est pourvoyeuse de spectateurs, de dynamique de recherche et d’innovation, de qualification préprofessionnelle, de découverte de nouveaux talents de construction de la personnalité et de plaisir pour les participants.
19Les jeunes sont bien évidemment la priorité pour construire une dynamique d’éducation à l’image. Ils sont l’avenir et en première ligne sur les réseaux sociaux. Engager, en direction des jeunes, une politique d’éducation artistique participe pleinement de la construction nécessaire des individus. Il ne faut cependant pas négliger de s’intéresser à tous les publics, de différents milieux sociaux, dans le temps scolaire ou non.
20L’apprentissage de l’image ne relève plus exclusivement d’un seul domaine, d’une seule catégorie de personne ou d’un seul ministère. C’est toute la complexité que doivent affronter ceux qui s’intéressent à ces pratiques d’éducation artistique. Depuis les années Malraux ou Lang, la société s’est emparée de la connaissance, de l’art et de la culture. Les projets sont multiples, diversifiés, présents sur tout le territoire et l’éducation à l’image est en première ligne. La dynamique participative, la mise à disposition des outils, le foisonnement créatif et l’implication de tous obligent à faire évoluer les méthodes pédagogiques et les positions de ceux qui engagent des politiques culturelles, comme celles des participants.
21Tout ceci peut bien évidemment effrayer les tenants du « conservatisme artistique » qui pensent que la nouveauté est forcément moins intéressante que ce qui aurait déjà fait ses preuves. Dans le domaine de l’éducation à l’image, impossible de rester en arrière. Toutes les pratiques de visionnage, comme toutes celles de construction des images, sont encore d’actualité. Il faut juste nous pencher avec intelligence et ouverture sur un monde que nous ne maîtrisons pas, sur des pratiques que nous ne comprenons pas obligatoirement et sur des projets artistiques qui seront, sans doute aucun, les outils du rêve et de l’imagination des générations futures.
Notes
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[1]
Voir à ce sujet, l’intervention de Michael Bourgatte, Docteur en science de la communication, lors de la formation : « l’éducation numérique fait sa révolution numérique ». http://data.acrira.org/CR.formation.AcrirA.nov2012.pdf
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[2]
Selon la sociologue Laurence Allard : « images en numérique : vers un nouveau rapport aux images », lettre d’info Passeurs d’images n°136 du 28 juin 2013 : www.passeursdimages.fr