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Téléchargeable à cette adresse : http://www.artfactories.net/Quel-devenir-pour-les-friches.html.
Très dense et très riche en données factuelles comme en apports théoriques eux-mêmes fort variés, l’ouvrage de Philipe Henry fait retour sur de nombreux travaux de recherches qu’il a pu conduire lui-même ou qu’il rapporte ici tout en s’appuyant sur des convictions personnelles fortes qui le conduisent à passer du diagnostic aux préconisations.
1C’est dire si le propos échappe au risque du discours général et convenu sur la crise que connaît la filière du spectacle vivant ou sur les incohérences des politiques publiques en faveur de la création et de la diffusion. Chaque chapitre s’ouvre sur des expériences artistiques concrètes impliquées dans une action culturelle en relation avec des populations et leur territoire de vie.
2En contrepoint, Philippe Henry convoque, avec une grande clarté pédagogique, une connaissance rigoureuse et étendue du champ concerné (données économiques et budgétaires, sociologie des pratiques culturelles, analyse des institutions et des interventions publiques, études les plus récentes sur les compagnies indépendantes ou les nouveaux territoires de l’art, les pratiques musicales des jeunes et les pratiques en amateur, etc.).
3Ce va-et-vient entre études de cas et éclairages théoriques alimente le diagnostic d’une pluralité de changements qui ébranlent le spectacle vivant, à commencer par ceux qui affectent son économie, sa précarité déjà ancienne dans le système marchand et sa plus récente asphyxie financière structurelle, malgré l’augmentation et la diversification des divers dispositifs de soutien économique.
4C’est qu’en effet, le capitalisme lui-même a changé de visage (capitalisme cognitif) ainsi que les équilibres et les tensions entre les champs concurrentiels, les dispositifs de reconnaissance, de valorisation et de notoriété, la sphère des jugements de goûts et des pratiques culturelles, la morphologie des publics réels ou potentiels, etc.
5Face à une telle complexité trop souvent abordée de manière unilatérale, le travail de Philippe Henry engage une série de problématisations qui touchent, pour l’essentiel, aux relations entre l’art et la culture. L’expression culture d’aujourd’hui qui figure dans le titre renvoie, selon l’auteur, à une mutation sans précédent de nos sociétés et des régimes de la construction de soi et du vivre ensemble. Si la filière artistique du spectacle vivant est à reconfigurer de manière audacieuse (encore que cet horizon relève pour partie de l’utopie) ce n’est donc pas seulement en raison de ses difficultés intrinsèques ou du défi, déjà ancien, des industries culturelles. Le mouvement à accomplir pour rendre intelligible ce qui se passe aujourd’hui consiste à rompre avec la « convention d’originalité » qui a longtemps marqué le monde de l’art et autorisé à le considérer comme autonome par rapport à son environnement social et culturel. « L’hypothèse d’un statut d’extériorité sociale de l’art n’est pas tenable. Il n’y a pas là à s’offusquer d’on ne sait quelle instrumentalisation de l’art. Celui-ci est par contre exemplaire, autant que particulièrement pertinent, à propos de l’injonction sociale d’une musique à soi à constamment inventer ». (p. 157) En effet, au rebours de la convention d’originalité, la convention d’identité est déjà à l’œuvre dans le champ du spectacle vivant et « l’autonomie de l’art est désormais à envisager selon une dynamique spécifique d’esthétisation culturelle, un mode d’appréhension de soi, des autres et du monde, un ensemble de pratiques et de façons de faire, par lesquelles notre sensibilité perceptive et émotionnelle est continûment exercée et reconfigurée. » Selon ce mouvement, nous assisterions à l’effacement de la figure de la singularité créatrice, de l’originalité radicale et du sublime absolu au bénéfice d’un « tissage relationnel et interactif avec une diversité, tant interne que contextuelle, d’acteurs et de dispositifs ».
6S’ajoutent fort pertinemment à ce niveau d’analyse sociohistorique des considérations tout aussi incisives sur le devenir économique de la filière autour, en particulier, du Manifeste pour une autre économie de l’art et de la culture, publié par l’UFISC dont l’auteur fut d’ailleurs partie prenante dans le cadre d’une recherche action. C’est ici que Philippe Henry s’engage sur les fins à promouvoir en plaidant pour « une reconfiguration plus mutualiste du spectacle vivant ».
7Les perspectives ainsi ouvertes devraient rassurer ceux qui craignent de voir dans le recours au vocable de mutualisation l’ultime piège tendu par les stratèges de la réduction des politiques publiques. La nouvelle donne du spectacle vivant, repensée de manière exigeante au regard de ses enjeux non seulement artistiques mais aussi culturels, sociaux et politiques ne débouchera pas d’un long fleuve tranquille mais d’une aventure conflictuelle et à l’issue incertaine. Raison de plus pour asseoir les débats et les actions à conduire sur une recherche rigoureuse, ce à quoi cet ouvrage contribue.
8Le même auteur vient également de publier Quel devenir pour les friches culturelles en France ? D’une conception culturelle des pratiques artistiques à des centres artistiques territorialisés [1]. Cette étude enrichit la mise en perspective de ces expériences soucieuses de trouver de nouvelles voies visant à concilier l’idéal d’une expression créative et singulière de chacun et celui, tout aussi nécessaire, d’un vivre en commun plus solidaire et partagé.
Notes
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Téléchargeable à cette adresse : http://www.artfactories.net/Quel-devenir-pour-les-friches.html.