Notes
-
[1]
Cf. l’article de Christelle Blouët dans ce numéro qui fait le point sur les avancées de l’Agenda 21 de la culture en France.
-
[2]
Cf. à ce propos Bruno Colin, Arthur Gauthier (dir.), Pour une autre économie de l’art et de la culture, Érès, 2008 ; Francine Labadie, François Rouet (coord.), Travail artistique et économie de la création, DEPS, MCC, 2008.
« Le développement culturel n’est plus désormais pour les sociétés et pour les individus un luxe dont ils pourraient se passer, l’ornement de l’abondance : il est lié aux conditions mêmes du développement général. »
1Un modèle culturel en panne, une ambiance morose, un secteur culturel toujours plus précarisé, une crise globale qui atteint toutes les économies, privées, publiques, mondiales, nationales, locales : faut-il se contenter de faire le dos rond, laisser passer les difficultés en évaluant les dégâts après coup ou réagir contre la fatalité, redoubler d’imagination, de créativité, d’intelligence collective et, forcément de volonté politique ?
2Paradoxalement, mais somme toute très logiquement, c’est au moment où les problèmes s’accumulent dans les politiques culturelles, que de nouvelles pistes de réflexion et d’action – qui s’inspirent, parfois sans le savoir, d’anciennes idées laissées de côté – se révèlent ou s’approfondissent. La crise ne doit pas servir de prétexte au renoncement, mais au contraire, nous inciter à considérer ses enjeux civilisationnels, et donc la nécessité de s’appuyer sur la culture comme élément de développement durable.
3Toutes les grandes idées contiennent des mirages. Mais elles peuvent aussi s’avérer d’excellents stimulants de l’action. Le tout est de ne pas les considérer de manière exclusive. Aucun paradigme culturel n’indique plus à lui tout seul la ligne à suivre. La notion de développement durable est une de ces grandes idées. Formellement, elle apparaît dans le débat international en 1987, dans le rapport « Brundtland » – Notre avenir à tous – de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Elle a donc déjà une histoire. On a pu lui faire, entre temps, un procès en sémantique. D’un côté son interprétation malthusienne a été dénoncée, de l’autre les usages rusés que les pays développés ont envisagé pour priver le reste du monde d’un développement plus équitable. Informés de ces risques, on peut aussi tenter d’en tirer le meilleur parti. C’est ce que tentent un nombre croissant d’acteurs culturels.
4La culture s’est invitée relativement tard dans cette perspective. Cependant, dès les années 1960, un économiste, John Kenneth Galbraith avertissait ses contemporains : « les besoins du système industriel devront toujours céder le pas aux soins que réclament les choses de l’intelligence et de l’esprit ». De fait, la culture apparaît pour la première fois à partir de 2002, lors du forum de Porto Alegre comme « 4e pilier de développement ». En mai 2004, le forum des Autorités locales de Barcelone s’approprie l’idée. C’est alors que naît l’Agenda 21 de la culture, document de référence destiné à l’ensemble des pouvoirs locaux et désormais promu par Cités et gouvernements locaux unies. C’était hier à peine et les avancées en la matière, notamment en France sont encore timides [1]. Des acteurs culturels, des institutions, des festivals, des collectivités territoriales organisent leur action autour de la recherche d’une interaction entre projet artistique et culturel et développement durable. Ce qu’il y a d’intéressant à constater, c’est à quel point cette idée permet de réintroduire du jeu dans les politiques culturelles et même de revisiter leurs bases de fond en comble.
5À travers ce débat plusieurs lignes de travail sont esquissées : sortir la culture de l’entre-soi, rechercher les croisements avec d’autres enjeux, viser la participation du plus grand nombre à une vie culturelle choisie et donc riche de diversité, accorder un rôle crucial à l’éducation artistique et culturelle, soigner le développement des villes, veiller à la qualité du vivre ensemble, faire une place plus conséquente à la recherche et à l’évaluation, donner tout son sens au principe d’autonomie des acteurs et des pouvoirs locaux, reconnaître le rôle de l’économie dans la culture, donc des industries culturelles et de tous les autres types d’acteurs, avec ce qu’il faut de régulation pour préserver une offre variée, respectueuse de toutes les cultures et des droits qui s’y rattachent. Autour de ce dernier « point économique », comment ne pas remarquer la coïncidence – mais ce n’est pas non plus un hasard – de cette réflexion avec celle engagée en France autour d’un nouveau modèle de développement culturel, cette « autre économie de l’art et de la culture » qui cherche à s’affirmer à l’écart du tout marchand ou du tout étatique [2].
6Mais le développement durable appliqué à la culture soulève encore bien d’autres questions. Celle de la fracture numérique notamment n’est pas qu’un problème à l’échelle mondiale mais aussi au plan local. L’accès à Internet concerne aujourd’hui 50 % des Français, un pourcentage similaire d’Européens et une extrême minorité dans les pays défavorisés. Or, la maîtrise des outils d’information et de communication est impérative pour construire un chemin maîtrisé dans la société de la connaissance, donc dans l’avenir.
7Autre sujet sensible, celui de la rémunération du travail artistique. On relèvera ici que la notion de rémunération équitable est issue de la Déclaration universelle des droits de l’homme et que la convention de Rome adoptée en 1961 en applique le principe aux œuvres de l’esprit. Aujourd’hui, le bouleversement de l’univers numérique chamboule un système qui ne parvient plus à retrouver des règles consensuelles. Comment alors tenir compte des usages sociaux tout en garantissant aux artistes dont les œuvres sont exploitées, de vivre de leur travail ? L’équation est redoutable. Elle est autant d’ordre philosophique qu’économique ou juridique. Et les réponses actuelles sont inévitablement provisoires.
8Autour de ces nouveaux enjeux, il reste aussi à sortir de la grande panne institutionnelle dans laquelle les politiques culturelles sont engluées. L’Europe n’est pas exempte de responsabilités car elle avance à pas encore trop comptés sur le sujet. Qui peut dire aujourd’hui sur quel socle culturel commun elle se construit ? Comment laisser croire que nous nous ouvrons au monde si dans le même temps la porte se ferme à des artistes régulièrement invités par les institutions artistiques mais qui ont la mauvaise grâce de venir de trop loin ?
9Oui, vraiment élaborer ce nouveau contrat, que nous appelons ici régulièrement de nos vœux, pour les politiques culturelles ne serait pas un luxe. Quelques principes doivent être alors respectés si l’on veut reconstruire des règles stables et durables. Évaluer l’existant, de manière contradictoire s’il le faut, pour sortir de l’impasse actuelle afin de comprendre la réalité d’aujourd’hui et être mieux à même d’assumer de nouvelles situations ; redéfinir les rôles de chaque collectivité, de l’État aux communes en les clarifiant ; associer et responsabiliser les acteurs de terrain dans ce chantier ; replacer la notion de contrat au cœur des relations entre institutions d’une part et avec les professionnels de l’autre ; expérimenter avant de légiférer définitivement. Voici quelques conditions également nécessaires pour faire avancer la cause d’un développement culturel durable dont la ligne d’horizon est tracée en pointillé par des démarches pionnières qui demandent à être élargies.
Notes
-
[1]
Cf. l’article de Christelle Blouët dans ce numéro qui fait le point sur les avancées de l’Agenda 21 de la culture en France.
-
[2]
Cf. à ce propos Bruno Colin, Arthur Gauthier (dir.), Pour une autre économie de l’art et de la culture, Érès, 2008 ; Francine Labadie, François Rouet (coord.), Travail artistique et économie de la création, DEPS, MCC, 2008.