L’IETM – Réseau international des arts du spectacle – se réunit à Ljubljana, en Slovénie, du 15 au 18 mai pour discuter, entre eux et avec des experts invités, d’un large éventail de questions sur le statut de l’art dans les sociétés contemporaines.
1Les discussions touchent à 4 questions majeures :
- les stratégies d’action/travail dans les années 60, 80 et 2000 ;
- communautés, scènes, cercles, réseaux et autres modèles de coopération et d’amitié, des années 60 à aujourd’hui ;
- l’artiste comme exemple à suivre dans les économies néolibérales ;
- les frontières de l’expression artistique dans les sociétés néolibérales ;
2Voici 11 thèses qui pourraient donner forme à certaines des discussions.
301. Pourquoi sommes-nous toujours déjà déçus par le politique dans l’art ? Tâchons de répondre frontalement : dans les conditions du capitalisme néolibéral (ou, si vous préférez, dans les conditions de la “fin de l’histoire” de Fukuyama), tout se fait absorber, tout est marchandisé (à condition d’être vendable) et tout effet subversif potentiel est neutralisé. Alors, si nous pensons à l’expression politique ou activiste dans l’art, nous devrions d’abord définir l’éventail d’effets d’une certaine expression « artiviste ». Considérons-nous une expression artistique « réussie » lorsqu’elle a un impact direct sur la réalité, lorsqu’elle génère des changements dans la réalité politique et sociale ?
402. Cette question est devenue extrêmement pertinente et largement débattue dans le champ de l’art visuel après la Documenta X et nombre d’expositions organisées de façon semblable, qui exposaient le plus souvent de la documentation dans laquelle l’artiste collectait et montait des informations sur un problème politique ou social. Le dilemme fondamental est comment ces informations, qui sont d’un large intérêt, pénètrent-elles l’arène publique ?
5Quels sont les effets des informations collectées ?
6La plupart des questions mises en forme dans les expositions n’ont à peu près aucun impact sur le contexte social ou politique élargi. En ce sens, le système de l’art devient de plus en plus un système de contrôle : c’est par définition un lieu de stratégies critiques et subversives et en tant que tel protégé et marginalisé. Il fonctionne de façon similaire aux politiques dissidents du bon vieux communisme : les dissidents étaient autorisés à parler et à voyager pour être sous contrôle.
703. Nous devons ici rouvrir le vieux débat de la place et du rôle/fonction de l’art dans la société. Ma position est ici très claire : l’art n’a pas de fonction dans la société. L’éthique de l’art est exactement basée sur le fait de ne pas avoir de but ou de rôle explicite. L’art est le champ de l’activité humaine qui évite la fonctionnalisation et la systémisation et en tant que tel il ne peut jamais réussir. La seule chose politique que l’art fasse est une constante reconfiguration de ses propres conditions – ou, pour le tourner plus poétiquement, l’art répète la liberté. [1] Essayer, résister, échouer, développer, négocier, subvertir, improviser, s’éclipser, transpercer, se perdre, entamer, découvrir… L’art ne change pas les choses, il génère les conditions pour voir (et faire) les choses différemment. S’il intervient dans un régime dominant de perception, il est politique et il est contemporain.
804. Mais quel besoin avons-nous d’être politique (dans l’art) ? Pourquoi n’apprécierions-nous pas simplement l’imagination et la créativité ? Pourquoi n’offririons-nous pas aux gens quelque chose de sublime, relaxant et beau à la fin d’une dure journée de travail ?
905. Pourquoi devrions-nous aborder la question de la liberté au sein de nos sociétés néo-libérales ? La question de la liberté est-elle toujours pertinente après tous les mouvements de libération du XXe siècle, après la chute du Mur de Berlin, après la marche mondiale de la démocratie, enfin et surtout après l’abnégation postmoderne de la pensée utopiste ?
1006. Nous proposons une compréhension de la liberté en tant que processus. La liberté n’est pas un état. Il s’agit d’un ensemble dynamique de relations au sein des sociétés. Les sociétés démocratiques se sont fondées sur la protection de divers droits, dont le droit de la libre circulation des personnes, le droit à la liberté de religion, d’expression scientifique et artistique. Ces droits sont incontestables et garantis aux citoyens par les régimes démocratiques. Mais la liberté en tant qu’ensemble de relations dans ces sociétés sera continuellement réinventée. Au cœur même de la liberté se trouve la constante remise en question de ses frontières. Au cours de son évolution, l’Art a été particulièrement sensible sur ce point. La liberté est constamment répétée : elle est inventée, réinventée, expérimentée, abandonnée, formée, formatée, reformatée, améliorée, confrontée… Tout ce que nous pouvons dire sur le processus de répétition vaut également pour la liberté.
1107. L’Art est considéré comme étant l’un des derniers domaines, ou subdivision, de la liberté d’expression dans les sociétés néo-libérales. Tous les autres secteurs ont été lourdement régulés, principalement par la logique capitaliste ainsi que par la protection de la libre circulation des capitaux. Les espaces publics sont de plus en plus privatisés : les problèmes rencontrés par les lieux publics sont toujours plus liés à l’idée de capital. Il en va de même pour les mass médias et la recherche scientifique, qui sont tous soumis aux intérêts de leurs propriétaires.
1208. Comment l’Art peut donc s’opérer dans une sphère toujours plus restreinte de la liberté d’expression ? Formons-nous la seule opposition de notre époque ? Comment est-ce que nous percevons, conditionnons, répétons, mettons en scène et communiquons la liberté ? Je m’oppose évidemment au réalisme capitaliste – l’art qui traite de questions d’un point de vue politiquement correct. Il compte habituellement sur un effet conscience/ cathartique. Le premier effet secondaire de ce point de vue est la division : nous contre l’autre. Le second effet secondaire de ce point de vue est que l’on n’atteint pas l’autre. On continue à convaincre des convaincus. C’est en relation à la guerre qu’apparaît la défaillance criante de l’art. Je ne parviens pas à penser à quelque projet artistique actuel qui ait été en faveur de la guerre dans l’histoire récente. Chaque artiste est contre la guerre. Le meilleur de l’art actuel rend le système nerveux. L’art est politique lorsqu’il expose « la vérité » de son objet.
1309. La question de la liberté est aussi culturellement et géopolitiquement conditionnée. Entendons-nous la liberté de la même manière hors de l’Occident ? La démocratie occidentale est-elle l’ultime modèle d’une société libre ou bien le moins pire des modèles existants ? « La liberté en répétition » est-elle un concept issu des « jeunes démocraties » ? Si dans le néolibéralisme développé on ne peut être artiste contemporain à moins d’être occupé à une « critique du système », comment peut-on être critique dans des conditions où il n’y a pas de système (de l’art) ?
1410. Enfin et surtout, à quel point la liberté artistique est-elle conditionnée par la sécurité et les règlements liés ? Les règlements de sécurité incendie, la législation sur les espaces publics non fumeurs ou la protection des droits des animaux sont-elles des atteintes à la liberté artistique ? Par le diktat de la mobilité qui influence fortement la standardisation des modes de production et dicte des modèles mentaux pragmatiques pour artistes (« performances valises ») ?
1511. Vous aurez déjà deviné ce que sera la 11e thèse : les artistes ont seulement interprété le monde de manières différentes ; la question est de continuer à le faire, de manières (encore plus) différentes. [2]