Notes
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En 2006, l’ENAP a accueilli et formé 3205 élèves en formation initiale, dont 2205 personnels de surveillance, et 3100 stagiaires en formation continue.
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Offices départementaux d’animation culturelle (appelés également ODDAC, IDDAC, ODACC, etc.)
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Convention 2007-2009 signée le 15 décembre 2006
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Les Actes peuvent être commandés sur le site de la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (http://www.ffcb.org/)
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Centre Interdisciplinaire de Recherche Appliquée au Champ Pénitentiaire
Mettre en valeur l’action culturelle en faveur des populations éloignées ou exclues de la culture revient souvent à présenter des actions exemplaires, à mettre l’accent sur les temps de réalisation et de restitution, à dire l’importance de l’intervention d’artistes professionnels, à permettre le partage des « bonnes pratiques ». Ce centrage sur le projet et sur la dimension événementielle peut minorer une composante essentielle de l’action culturelle : l’imprégnation et la place de la culture dans le quotidien. L’activité de l’ENAP en matière de formation mérite donc d’être citée dans ce dossier, dans la mesure où il s’agit de travailler sur les cultures professionnelles des personnels pénitentiaires, à tous les échelons, et par conséquent d’agir sur la conception même que cette administration se fait de son rôle dans la société.
1L’Observatoire – De quand date la réflexion sur le rôle de l’action culturelle à l’École nationale d’administration pénitentiaire ?
2ENAP – Au moment de la délocalisation de l’École, qui était auparavant à Fleury-Mérogis, une réflexion de fond sur le statut de l’École et sur ses missions a été menée. Dès son implantation à Agen, en juin 2000, l’École a été dotée d’une unité culturelle, qui a connu un fort développement, avec le recrutement d’un personnel spécialisé dans l’animation et l’action culturelles. Son action se structure selon plusieurs axes : formation initiale et continue du personnel, programmation artistique et culturelle, ateliers de pratique, pôle de ressources sur l’action culturelle au sein de la médiathèque. Ce service s’appuie sur une tradition déjà ancienne dans notre administration : la convention cadre entre le ministère de la Justice et le ministère de la Culture est une des premières grandes conventions nationales de partenariat dans le domaine culturel cette convention, signée en 1986, prévoyait déjà de s’attacher particulièrement à la formation des personnels. D’autre part, il existe aussi, de longue date, un bureau chargé des questions culturelles à l’Administration pénitentiaire. À l’occasion de sa délocalisation et tout récemment par le biais d’un contrat d’objectifs et de moyens, l’ENAP a pour mission de veiller à la qualité de la formation des personnels pénitentiaires, dont la vocation n’est pas seulement la surveillance ou la garde, mais qui doivent aussi gérer des relations humaines et contribuer à tisser des liens essentiels avec la société civile.
3L’Observatoire – Quel est l’enjeu de l’action culturelle au sein de l’ENAP ?
4ENAP – Établissement public, notre école est unique en France (et très certainement en Europe) : en effet, elle a la caractéristique de former, sur le même site, l’ensemble des catégories de personnels pénitentiaires, en formation initiale comme en formation continue [2]. L’action culturelle peut donc toucher tous les élèves en formation, quels que soient leur grade et leur niveau de responsabilité. Toutes nos formations sont en alternance, certaines formations initiales durent jusqu’à deux ans. Cela permet d’avoir une véritable ambition, non seulement dans la qualité de la formation, mais aussi sur son impact en termes d’évolution de la culture professionnelle de nos personnels. Chaque fois que cela est possible les formations comportent des modules culturels. Une des missions principales du département « animation culturelle, scientifique et sportive » est de travailler à trouver une juste place à la culture dans des cursus professionnalisant fortement centrés sur des exigences d’opérationnalité, avec des responsabilités importantes en matière de sécurité et de réinsertion. Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur la nécessité de faire des métiers de l’exécution des peines, mal connus dans notre société et généralement choisis par défaut, des métiers d’élite, dotés de référentiels de compétences exigeants et assumés par des personnels de haut niveau technique et humain.
5L’action culturelle, ainsi positionnée, permet de s’adresser simultanément à une grande diversité de métiers au sein de l’administration pénitentiaire qui comporte cinq grandes filières : personnels de direction, de surveillance, d’insertion et de probation, administratifs, techniques. C’est la filière des personnels de surveillance, de fait la plus importante et la plus en contact avec les personnes détenues qui retient toute notre attention. C’est pour nous un défi de pouvoir aider ces professionnels, au rapport parfois distant à la culture, à saisir tout le bénéfice de l’action culturelle en matière d’intégration, d’immersion et d’ouverture sociale.
6L’Observatoire – Êtes-vous chargés de la formation des emplois-jeunes recrutés comme auxiliaires ou assistants culturels ?
7ENAP – L’ENAP n’a pas été chargée du suivi de la formation de ces emplois-jeunes. Le recrutement de ces personnels a été essentiellement local, et ils se sont plutôt formés auprès des ODAC [3] et autres organismes départementaux spécialisés dans la culture. À l’ENAP, nous avons recruté un emploi-jeune « assistant culturel », dont l’emploi a été depuis pérennisé.
8L’Observatoire – Quelles sont les activités de ce qui apparaît comme un pôle ressources « action culturelle en prison » au sein de l’ENAP ?
9ENAP – La programmation artistique et culturelle est l’activité la plus visible et par définition la plus spectaculaire, c’est elle qui rythme les moments forts pour un établissement comme le nôtre. Mais notre mission est aussi de tirer vers le haut un certain nombre de pratiques culturelles, de procurer une ouverture sur l’ensemble des domaines artistiques et de fournir les ressources à ceux qui en ont besoin. Malgré les difficultés, nous essayons d’aller au cœur du cursus de formation, notamment pour les personnels de surveillance. Nous agissons aussi bien sur le plan des activités artistiques et culturelles que sur celui de la gestion de projet, tout en respectant une diversité indispensable : tous les élèves n’ont pas vocation à concevoir et à réaliser une action culturelle.
10Nous accompagnons les projets culturels que nous proposons ou que les élèves proposent, soit dans le cadre de la formation, soit en extrascolaire : comment monte-t-on un projet, comment trouve-t-on un partenaire culturel, et surtout quel est l’impact d’un projet culturel dans leur environnement personnel et professionnel. Un guide méthodologique a été créé pour soutenir ces démarches. Il ne s’agit donc pas d’activité de loisir se réduisant à de la consommation d’événementiel, nous insistons beaucoup sur l’amont et l’aval des temps culturels et sur les effets qu’ils produisent.
11Pour répondre à la diversité des besoins des élèves et des personnels en formation continue, les résidences d’artistes sont un dispositif bien adapté. Elles permettent de développer rencontres et projets, avec une variété de types d’interventions. Certains viennent spontanément aux activités programmées dans le cadre de la résidence, pour d’autres il faut du temps, et c’est ce qu’apporte la résidence. Lors de la résidence du photographe Christophe Goussard, les personnels de surveillance se sont passionnés pour l’évolution de leur image pendant la formation grâce à la médiation de l’art photographique.
12Nous sommes en train de créer un centre de ressources culturelles en combinant les savoir-faire de l’unité d’animation et ceux de la médiathèque de l’ENAP. Il est essentiel de collecter des données sur l’action culturelle en milieu pénitentiaire, que ce soit l’activité de nos partenaires, de nos intervenants ainsi qu’une documentation de référence sur l’évolution des politiques en la matière. Ces ressources sont indispensables parce qu’elles servent de base à la pédagogie pratiquée à l’École : on ne peut pas se contenter de faire venir des artistes qui témoignent de leur activité. Nous recevons de plus en plus de demandes de personnes qui cherchent des conseils pour monter un projet en milieu pénitentiaire, pour trouver un partenaire, un lieu où développer un projet. Nous n’avions pas prévu de jouer ce rôle, et nous devons, avec l’aide de l’Administration pénitentiaire, réunir les ressources nécessaires : en particulier, disposer d’un exemplaire de toutes les productions réalisées dans les établissements pénitentiaires français et, pourquoi pas, un jour européens.
13Il faut enfin évoquer les nombreux partenariats locaux que nous avons engagés avec des structures culturelles de proximité : le théâtre d’Agen, le musée, l’école de musique, etc. La programmation culturelle de l’ENAP ne doit pas détourner les élèves et stagiaires de l’offre « publique », bien au contraire, il est très important que l’ENAP évite de créer un public intra muros et incite ses personnels et ses élèves à fréquenter les lieux culturels sur le territoire où est implantée l’École. Inversement, nous essayons de créer une circulation en direction de l’École, car il est essentiel d’intégrer celle-ci dans la ville d’Agen et dans le département du Lot-et-Garonne : nous nous inscrivons dans un tissu local, et les habitants peuvent bénéficier eux aussi de l’offre culturelle de notre établissement.
14L’Observatoire – Quels sont les points forts de l’engagement de l’ENAP pour la formation et la sensibilisation des personnels ?
15ENAP – La convention d’objectifs qui vient d’être signée avec le ministère de la Culture [4] prend acte de la forte mobilisation des acteurs des milieux pénitentiaires lors de la rencontre nationale « Culture en prison » organisée à Valence les 25 et 26 avril 2005 [5]. Elle rappelle l’importance de la culture dans l’objectif de réinsertion des personnes placées sous main de justice. Au-delà de la distraction, il s’agit d’ouvrir sur les problématiques du monde contemporain. À ce titre, le développement de la lecture, l’ouverture sur différentes formes de cinéma, sont aussi importants que l’activité de création théâtrale, musicale, chorégraphique.
16En matière de formation, notre conviction est qu’il faut développer la différence entre la réalité du terrain et l’École. Le temps de la formation n’est pas le temps de la réalité professionnelle. La formation a précisément pour but d’améliorer les pratiques professionnelles et d’anticiper sur les évolutions des métiers et du secteur. Ce secteur a trop longtemps tenu sur lui-même un discours misérabiliste. S’occuper des détenus, ce n’est pas s’inscrire dans une logique du don, dans le droit fil des anciennes sociétés de bienfaisance du XVIIIe siècle. On ne règle pas des problèmes graves de société avec des bouts de ficelle. Nous sommes à un carrefour stratégique : le secteur pénitentiaire a évolué, il faut donner aux personnels des outils pour s’adapter et toujours mieux remplir leurs difficiles missions.
17Parmi les résidences organisées par l’ENAP, nous souhaiterions citer plus particulièrement celle de Christophe Goussard, photographe, André Minvielle, chanteur et « scatteur » gascon, Pépito Matéo, conteur, auteur et metteur en scène (voir encadré). Le monde de la prison a une image négative dans la société civile, mais plus nous travaillons avec le secteur culturel, plus nous constatons que cette image évolue par la communication et les échanges. Les artistes, les partenaires culturels ont de moins en moins d’appréhension à travailler avec nous, ainsi que dans le cadre de la prison. Au cours des résidences, il y a des rencontres, des débats, et cela est formateur pour tout le monde, y compris pour les artistes. Ils découvrent qu’il existe une dynamique de l’Administration pénitentiaire bien éloignée du sens commun véhiculé.
18L’Observatoire – Avez-vous des outils d’évaluation de votre activité culturelle ?
19ENAP – Nous utilisons, en interne, un certain nombre d’outils de mesure à chaud de l’intérêt pour les élèves de nos activités culturelles. Nous savons que pour disposer dans ce domaine d’éléments dépassant le simple ressenti il faut investir dans des procédures beaucoup plus ambitieuses d’évaluation différée. L’ENAP s’y investit depuis peu dans les domaines de la formation en général et nous espérons pouvoir prochainement en tirer profit. L’ENAP a la chance de disposer d’un département de recherche, le CIRAP [6], ce qui est là aussi unique parmi les écoles de la fonction publique. Huit chercheurs ont été engagés à temps plein pour travailler sur nos terrains professionnels. Ils sont recrutés sur une base pluridisciplinaire (philosophie, sociologie, santé publique, criminologie, etc.) afin de développer des axes d’études différenciés et complémentaires. Contrairement à l’activité sportive en prison, l’activité culturelle n’a pas encore fait l’objet de programmes de recherche, ce serait souhaitable pour produire, au-delà de nos bilans, de la connaissance sur les pratiques et les effets des projets culturels dans cet univers.
Bilan de la résidence Parloir de Pépito Matéo à l’ENAP, octobre 2005 / mars 2006
En décembre, j’ai pu travailler librement en résidence sur deux volets : à la fois en achevant mon travail d’écriture avec des essais de bouts d’interprétation « portes ouvertes » dans une salle mise à ma disposition. Et, d’autre part, en animant des ateliers de paroles en soirée. Ces ateliers proposaient dans un premier temps des exercices de mise en jeu et d’expression (corps, voix, jeux de langage et petites narrations) ainsi qu’une préparation, à partir du vécu des stagiaires en prison, d’un récit personnel mis en fiction « imaginaire » selon des contraintes de composition. Dans un deuxième temps, cela a permis à chacun de structurer, d’écrire et de raconter devant les autres le récit mis en bouche et en jeu. Une réflexion récapitulative à clos ce travail.
Ces deux temps ont été pour moi forts d’enseignement : à la fois par une « concentration » de thèmes autour de mon sujet de recherche (avec un accès aux différents documents de la médiathèque), d’échanges continus sur mon propos, et par la perspective du regard des stagiaires sur leur propre milieu. J’ai pu m’enrichir de deux points de vue, extérieur et intérieur, sur la détention, et sur la question de l’angle de vision des choses et l’écart entre réalité et imaginaire.
Le mois de février à été pour moi l’occasion d’essayer de mettre en espace les grands mouvements du spectacle presque écrit et de soumettre au chantier critique les options de jeu, devant un public « averti ».
La dernière rencontre, dans le cadre du « printemps inattendu », s’est effectuée par la représentation du spectacle Parloir dans sa forme finale (mise en scène, lumières et sonorisation) ce qui a donné lieu à une rencontre informelle à la fin dans le hall de l’amphithéâtre. La réception du spectacle par le public, composé d’élèves et de personnes extérieures, m’a beaucoup ému. J’ai senti une écoute très concernée, quand bien même ma position était imaginaire bien que s’inspirant de la réalité. J’ai pu mesurer l’émotion suscitée par le sujet (qui m’apparaît vraiment d’actualité), comment la fiction renvoie à la lecture du réel et inversement comment l’expérience vécue peut être acceptée dans une relation spectaculaire… ce qui m’intéresse au plus haut point dans mon travail ! Pour un artiste formateur, comme moi, cette résidence a été riche en rencontre et en échanges multiples, avec les meneurs du projet, qui m’ont renvoyé la balle et épaulé tout au long de cette recherche, mais aussi avec les élèves que j’ai pu côtoyer au cours des ateliers et chantiers que j’ai pu mener. Pour moi ces confrontations sont importantes car elles obligent à décloisonner nos « domaines respectifs » et à créer des passerelles entre des recherches a priori éloignées : l’art ne doit pas être déconnecté de la réalité : il s’en empare et y renvoie !
L’artiste a besoin de se remettre en question régulièrement. J’espère que ma présence aura suscité des regards différents sur la notion d’acteur au travail, comme mon regard a été modifié sur l’institution pénitentiaire. Je dirai, pour conclure, que de même qu’il ne faut pas laisser la prison aux seuls « spécialistes » mais faire que tous soient concernés, il est de même nécessaire de ne pas laisser seuls les artistes avec leur imaginaire…
Protocole d’accord interministériel culture et justice
Le protocole d’accord de 1990 présentait la région ou le département comme « le niveau le plus pertinent où peuvent se conclure, chaque année, des conventions programmes entre les services extérieurs des deux ministères ». Il affirmait une exigence de professionnalisation des interventions culturelles et la nécessité d’articuler dans une programmation les différentes propositions culturelles les unes par rapport aux autres selon leurs modes et leurs secteurs d’intervention. Ainsi, les missions régionales ont pour objectif la mise en place de politiques partenariales contractualisées entre les collectivités territoriales et les établissements pénitentiaires. Ce dispositif est aujourd’hui déployé dans 17 régions.
Notes
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En 2006, l’ENAP a accueilli et formé 3205 élèves en formation initiale, dont 2205 personnels de surveillance, et 3100 stagiaires en formation continue.
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[3]
Offices départementaux d’animation culturelle (appelés également ODDAC, IDDAC, ODACC, etc.)
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[4]
Convention 2007-2009 signée le 15 décembre 2006
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Les Actes peuvent être commandés sur le site de la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (http://www.ffcb.org/)
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[6]
Centre Interdisciplinaire de Recherche Appliquée au Champ Pénitentiaire