Notes
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[1]
G. Noiriel, Histoire, théâtre, politique, Marseille, Agone, 2009, p. 49.
-
[2]
Nous excluons de notre propos les créations centrées sur la mise en fiction d’événements réels sous forme de dialogues imaginaires entre les protagonistes, qui se rattachent plus à la tradition théâtrale héritière des tragédies grecques. À noter, pour prendre la mesure de la grande variété de formes dramatiques travaillant avec des scientifiques sur la mise en visibilité des faits sociaux, que certains spectacles, comme Mon cœur de Pauline Bureau, combinent restitutions de sources (minutes du procès du Mediator) et dialogues fictifs.
-
[3]
F. Aït-Touati, Inside, 2016, avec Bruno Latour. On peut se référer à l’entretien réalisé par Hugues Le Tanneur en septembre 2019 pour le site Théâtre contemporain : https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Moving-Earths/ensavoirplus/idcontent/101630.
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[4]
Le collectif DAJA, fondé en 2007 par des enseignants, des travailleurs sociaux, des artistes et des chercheurs, à l’initiative de l’historien Gérard Noiriel, œuvre à la création de spectacles conçus comme des outils de transmission aux « publics populaires » de connaissances en sciences sociales, notamment en histoire sociale (voir www.daja.fr, page d’accueil).
-
[5]
Le site du collectif DAJA expose l’objectif pédagogique et la mission civique des productions : www.daja.fr.
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[6]
G. Mazeau, « Histoire sensible. Une expérience critique entre théâtre et histoire », Écrire l’histoire, n° 15, 2015, p. 255.
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[7]
O. Macchi, « La conviction sur les faits criminels. Analyse de dossiers d’instruction sur des assassinats », thèse de doctorat en sociologie, sous la direction d’Alain Cottereau, Paris, EHESS, 2001.
-
[8]
Expression reprise de H. Frouard, « Soigner grâce à l’histoire », Journal du CNRS, janvier 2016. En ligne : https://lejournal.cnrs.fr/articles/soigner-grace-a-lhistoire.
-
[9]
Voir, par exemple, P.-A. Rosental, « Avant l’amiante, la silicose. Mourir de maladie professionnelle dans la France du XXe siècle », Population et société, n° 437, 2007, p. 1-4.
-
[10]
C. Cavalin, O. Macchi et P.-A. Rosental, « Expositions aux particules inorganiques : comment poser la question ? », in E. Duwez et P. Merklé (dir.), Un panel français, Paris, INED, à paraître ; N. Nathan, C. Cavalin, O. Macchi, R. Abou Taam, D. Valeyre, V. Houdouin, H. Corvol, C. Perisson, A. Tazi, X. Amiot, E. Ralph, A. Houzel, N. Hamami, M. Catinon, A. Deschildre, J. De Blic, A. Clement, M. Vincent et P. Rosental, « Exposome inorganique et sarcoïdose pulmonaire pédiatrique : l’étude PEDIASARC », Revue des maladies respiratoires, vol. 33, n° 1, 2016, p. A136.
-
[11]
Compagnie Si et seulement Si, 36e Dessous. Chronique d’un désastre écologique annoncé, 2016.
-
[12]
Compagnie Si et seulement Si, installation Entre les mailles, Musée de Vauluisant, Troyes, Journées du Patrimoine, 19-20 septembre 2015. Coproduction DRAC Champagne-Ardenne-Musées de Troyes.
-
[13]
O. Macchi et N. Oppenchaim, Adolescents sans logement. Grandir en famille dans une chambre d’hôtel, Paris, Défenseur des droits, 2019 ; Id., « Grandir dans une chambre d’hôtel. Pourquoi l’espace public ne compense-t-il pas l’absence de chez-soi ? », Agora Débats/Jeunesses, n° 83, 2019, p. 111-124 ; Id., « Adolescents : ce que grandir à l’hôtel veut dire », Observatoire des inégalités, 17 décembre 2019. En ligne : https://www.inegalites.fr/Adolescents-ce-que-grandir-a-l-hotel-veut-dire.
-
[14]
O. Macchi, Les sans-abri présents dans le métro parisien. Parcours, usages, interactions, Paris, Observatoire du Samusocial de Paris, 2019 ; Id., « Les sans-abri vieillissants du métro parisien », Rhizome, n° 74, 2019, p. 12-13.
-
[15]
Compagnie Si et seulement Si, Grands/Ensembles, 2019.
-
[16]
O. Neveux, Politiques du spectateur. Les enjeux du théâtre politique aujourd’hui, Paris, La Découverte, 2013, p. 136.
-
[17]
Le scandale a été médiatisé par le journaliste Ramuntxo Garbisu, notamment à travers une vidéo disponible sur Youtube, Dans le port, on nous dit que tout est bon. En ligne : https://youtu.be/9TpuJRVzpTs. Il a récemment publié un ouvrage sur le sujet : R. Garbisu, Sans compter les morts, Bayonne, Yallah Yallah Éditions, 2018. Le site Fetidadour, https://fetidadour.blogspot.com, actualise les informations sur les suites données par l’industriel aux demandes de dépollution, et consigne les arrêtés préfectoraux successifs.
-
[18]
É. Davodeau, Les mauvaises gens. Une histoire de militants, Paris, Delcourt, 2005.
-
[19]
D’où l’importance des débats après les représentations, au cours desquels les spectateurs ont l’occasion de faire état de leurs propres analyses à la croisée des matériaux d’enquête et des analyses de chercheurs réunis sur scène.
-
[20]
Voir infra pour des exemples de présence de chercheurs sur scène.
-
[21]
Page d’accueil du site www.daja.fr.
-
[22]
Lire par exemple la tribune de G. Noiriel, « Il faut un retour à Brecht. Non à une scène ghettoïsée », Le Monde, 10 juillet 2009.
- [23]
-
[24]
Collectif Manifeste Rien, Le massacre des Italiens, 2010. D’après G. Noiriel, Le massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893, Paris, Fayard, 2010.
-
[25]
L. De Cock, M. Larrère et G. Mazeau, L’histoire comme émancipation, Marseille, Agone, 2019.
-
[26]
Cargo Sofia, création 2006 du collectif Rimini Protokoll, mise en scène de Stefan Kaegi.
-
[27]
M. Boudier, Avec Joël Pommerat. Tome II : L’écriture de Ça ira (1). Fin de Louis, Arles, Actes Sud, 2019.
-
[28]
Entretien avec Marion Boudier, mené par Gwénola David le 1er avril 2019, au sujet de la création du spectacle Ça ira (1). Fin de Louis, de J. Pommerat. En ligne : https://soundcloud.com/artcena/rencontre-entretien-avec-marion-boudier-autrice-de-avec-joel-pommerat-ii.
-
[29]
É. Chauvier, Somaland, Paris, Allia, 2012.
-
[30]
L. De Cock, M. Larrère et G. Mazeau, L’histoire comme émancipation, op. cit.
-
[31]
A. Bensa, Après Lévi-Strauss, pour une anthropologie à taille humaine, Paris, Textuel, 2010, p. 36-43.
-
[32]
Dans une approche différente de celle des spectacles-recherches et sans traiter des faits d’enquête, d’autres initiatives contribuent au rapprochement des perspectives entre producteurs et récepteurs des sciences sociales. Le travail de Guillermo Pisani sur Pierre Bourdieu s’appuie sur l’expérience théâtrale de chaque représentation pour amener les spectateurs à prendre une distance critique avec la position de créateur et celle, surplombante, du créateur, et ainsi leur faire partager l’expérience de la pensée bourdieusienne. Voir Compagnie LSDI, C’est bien au moins de savoir ce qui nous détermine à contribuer à notre propre malheur, 2018.
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[33]
1973, création 2010 de la compagnie suisse NUMERO23Prod.
-
[34]
Le fait qu’il soit souvent demandé aux auteurs d’articles scientifiques d’éviter d’utiliser la première personne du singulier est symptomatique du lien traditionnel entre effacement du sujet et scientificité.
-
[35]
H. S. Becker, Comment parler de la société. Artistes, écrivains, chercheurs et représentations sociales, Paris, La Découverte, 2009, p. 217.
-
[36]
I. Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, Paris, Éditions du Seuil, 2012 ; Id., Le corps des autres, Paris, Éditions du Seuil, 2015 ; Id., En camping-car, Paris, Éditions du Seuil, 2018. Il développe les fondements de cette façon d’écrire l’histoire dans L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales (Paris, Éditions du Seuil, 2014).
-
[37]
Une journée d’étude a été consacrée en mai 2009 à ces initiatives : L’usine en pièces : du travail ouvrier au travail théâtral, Journée d’étude organisée par le Groupe Théâtre(s) politique(s) (EA 3458, « Représentation. Recherches théâtrales et cinématographiques », Université Paris Ouest Nanterre La Défense).
-
[38]
O. Neveux, Politiques du spectateur…, op. cit., p. 89.
-
[39]
Suivre les morts, création 2017 de la compagnie Banquet d’avril, mise en scène de Monique Hervouët.
-
[40]
S. Hilgartner, Science on Stage: Expert Advice as Public Drama, Stanford, Stanford University Press, 2000.
1Nombreuses sont les initiatives artistiques qui relèvent aujourd’hui d’expériences à la croisée de la création artistique et des sciences sociales. Dramaturges, historiens et sociologues travaillent de plus en plus régulièrement de concert à la production d’œuvres issues de recherches historiques ou de sciences sociales. Archives, extraits d’entretiens, analyses scientifiques ont largement fait leur entrée sur scène, tissés dans une écriture hybride au service de la description de phénomènes sociaux. Ce regain d’intérêt pour l’histoire et les sciences sociales interroge le métier de chercheur. Celui-ci doit-il s’approprier l’idée brechtienne que « l’homme cultivé doit exercer ses talents à la fois dans le domaine de la science et de l’art [1] » ?
2Parce qu’ils s’adressent à un public différent de celui des lecteurs d’articles ou d’ouvrages scientifiques, les spectacles traitant d’histoire ou de sciences sociales sont souvent envisagés comme des formes de diffusion du savoir. Pourtant, dans la mesure où l’expérience de la représentation théâtrale ne se limite pas à la simple transmission de connaissances établies mais repose sur des modes d’expression singuliers, il semble qu’on assiste plutôt à une transformation des formes et enjeux de l’écriture du social.
3Ayant, depuis une vingtaine d’années, mené des travaux de recherche aboutissant soit à des articles ou rapports, soit à des spectacles ou installations multimédias au sein de la compagnie Si et seulement Si, les enjeux liés aux formes de restitution de la recherche me sont particulièrement sensibles. En m’appuyant sur cette expérience, tout en la resituant dans un paysage plus large de spectacles issus de la collaboration entre artistes et chercheurs, je décrirai les traits spécifiques de ce type d’écriture dramaturgique du social et la façon dont il peut constituer un mode alternatif de présentation de la recherche, qui modifie tant le rapport du public aux travaux d’histoire et de sciences sociales que le rapport du chercheur à son travail, propre à interroger et stimuler l’écriture scientifique [2]. Dans le paysage des productions théâtrales alliant artistes et chercheurs en sciences sociales, la focale sera plus spécifiquement placée sur la mise en scène de l’enquête et du travail de recherche – soit un angle parmi d’autres dans le vaste ensemble des expériences de collaboration entre artistes et chercheurs, dont on peut, globalement, distinguer plusieurs types.
4D’une part, les conférences-spectacles, qui reposent sur des savoirs déjà constitués, ayant fait l’objet d’ouvrages ou d’articles, réinvestis sur scène dans une visée essentiellement pédagogique. La mise en scène s’attache alors à rendre la parole savante plus vivante et proche des spectateurs. Cherchant à inscrire les propos du chercheur au plateau dans les documents sur lesquels ils s’appuient, en créant autour du conférencier un « espace immersif », Frédérique Aït-Touati propose par exemple, dans Inside, un matériau documentaire constitué d’images conçues avec des architectes et des artistes, qui se substituent au classique Powerpoint [3]. Bien que très différentes dans la forme, la majorité des productions théâtrales du collectif DAJA (Des acteurs culturels jusqu’aux chercheurs et aux artistes) relèvent de cette même démarche [4]. Présentées comme des « conférences théâtrales » ou des « conférences gesticulées », ces productions portent à la scène des textes d’historiens, associés à un travail visuel et des passages chantés ou en marionnettes, qui viennent à l’appui du propos développé. Nos ancêtres les migrants reprend ainsi les analyses développées par Gérard Noiriel dans son Histoire populaire de la France, et fait partie d’un ensemble plus vaste de « conférences gesticulées » menées par l’historien lui-même à partir de cet ouvrage. Si les formes de spectacles du collectif DAJA se sont diversifiées, jusqu’à proposer des formes théâtrales plus classiques dans lesquelles le propos de l’historien est mis en fiction, le rôle du passage à la scène reste celui d’une diffusion plus large du savoir historique grâce à la dimension « ludique » apportée par le langage artistique [5].
5D’autre part, dans les spectacles-recherches, le travail d’élaboration du propos s’effectue au plateau, pendant les répétitions, à partir des matériaux documentaires livrés aux comédiens. La collaboration de Guillaume Mazeau et Joël Pommerat pour le spectacle Ça ira (1). Fin de Louis, de la compagnie Louis Brouillard, est exemplaire de cette démarche qui cherche à rejouer l’événement, « saisir l’histoire sur le vif, dans toutes ses complexités, en évitant les partis pris », pour en réinterroger les significations en incitant le spectateur à oublier ce qu’il en sait [6].
6Les spectacles-enquêtes, dont il sera plus largement question dans cet article, relèvent d’un troisième mode. Ils s’attachent à restituer l’enquête en sciences sociales, en associant l’exposition des sources (matériaux d’archives, témoignages, notes de terrain) à la présentation d’éléments d’analyses, à travers les propos de chercheurs (intégrés ou non à l’équipe) et de l’équipe artistique. Ce type de spectacles, montrant l’enquête comme un processus ouvert, intègre le spectateur dans le travail d’analyse sans refermer les problématiques soulevées en un propos bouclé d’avance. Le spectacle Suivre les morts, de la compagnie Banquet d’avril, est ainsi présenté comme une « enquête portée au théâtre », grâce à la participation à la création des deux sociologues, Anne Bossé et Élisabeth Pasquier, ayant mené l’enquête sur le processus de rapatriement des morts dans leur pays d’origine. Dans le même souci de faire participer le public à l’enquête, le collectif allemand Rimini Protokoll invente des dispositifs propres à conduire, parfois littéralement, les spectateurs sur le terrain d’enquête (voir infra à propos de Cargo Sofia).
7Les frontières entre ces types de spectacles sont toutefois labiles, et les productions théâtrales en lien avec la recherche en histoire et sciences sociales se situent souvent dans un continuum entre restitution d’analyses historiques abouties et immersion dans des enquêtes en cours.
8De la collecte des sources à la représentation, comment ces productions théâtrales s’emparent-elles des modes d’écriture de l’histoire sociale et comment les modifient-elles ? Dans les spectacles-enquêtes, la part importante ménagée à la restitution de l’enquête, c’est-à-dire à la fois aux sources et au récit de la recherche en train de se faire, opère un déplacement de la focale sur le terrain du chercheur, à même de faire partager au spectateur l’expérience de l’analyse des situations sociales plutôt que de lui livrer des connaissances ex post. Dès lors, on montrera également que cette mise en visibilité du processus même de la recherche peut aussi modifier le rapport du chercheur à l’écriture du social et l’engager dans des modes pluriels de valorisation.
L’enquête en sciences sociales appliquée au spectacle vivant
9En 1999, alors doctorante en sociologie, j’ai fondé avec le plasticien Daniel Azélie la compagnie Si et seulement Si. Chacune de ses productions, qui réunissent artistes de différentes disciplines et chercheurs en sciences sociales, s’ancre dans une enquête de terrain, qu’elle donne à voir à la lueur des travaux existants sur le sujet.
Des enquêtes à la croisée des démarches scientifique et artistique
10Le lien entre les enquêtes menées pour les spectacles et dans mes travaux académiques est à géométrie variable. Après une thèse de doctorat [7] et jusqu’en 2013, mes travaux ont mobilisé les outils de l’enquête en sciences sociales au service de formes exclusivement artistiques. Ils entretenaient un lien avec les questionnements scientifiques de ma thèse, notamment celui de la capacité d’agir des individus dans un horizon de possibles limités. Depuis 2014 et ma réinscription dans des projets de recherche académique collectifs – équipe Silicosis dans le cadre d’un projet financé par le Conseil européen de la recherche (ERC) ; équipe réunissant historiens et sociologues dans le cadre du projet Eurasemploi (Europe, Chine, Japon) financé par l’Agence nationale de recherche (ANR) ; Observatoire du Samusocial de Paris comme chargée d’études puis responsable du pôle Sciences sociales –, l’élaboration des enquêtes en vue de l’une ou l’autre forme d’écriture donne lieu à des chevauchements plus ou moins importants. Projet artistique et projet académique peuvent être d’emblée conçus ensemble, tout comme ils peuvent faire l’objet d’élaborations communes sans que cela ait été prévu en amont.
11L’enquête que j’ai menée avec Catherine Cavalin dans le cadre du projet Silicosis, consacré à mettre en évidence le rôle des particules inorganiques dans le développement de certaines maladies, consistait à interroger des personnes malades et observer leur environnement résidentiel pour constituer des histoires de vie au prisme des poussières. Ce travail, destiné à nourrir l’ambition de « soigner par les sciences sociales [8] », s’insérait dans l’importante recherche d’histoire sociale menée par Paul-André Rosental sur les conditions de possibilité d’exposition à la silice au XXe siècle, dans un contexte de toxicité connue [9]. Il a donné lieu à plusieurs articles et chapitres d’ouvrages [10]. En lien avec l’une des problématiques traitées dans la recherche, relative aux freins économiques et politiques à la lutte contre les expositions toxiques, j’ai mené une enquête sur l’un des cas connus d’exposition à la silice en milieu industriel : l’usine Fertiladour, dont l’activité a entraîné des cas de silicose, donc des décès causés par une maladie professionnelle, ainsi qu’une pollution radioactive des sols liée à l’utilisation de monazite, terre riche en uranium et en thorium. Une enquête menée dans un cadre académique a donc engendré une autre enquête de nature à enrichir les analyses, à travers la réalisation d’une production théâtrale, 36e Dessous [11]. Partageant une problématique commune, l’enquête, mettant en évidence d’autres thématiques comme celle de la pollution industrielle des sols, a développé un questionnement autonome à la croisée des dimensions multiples du cas enquêté.
12Le projet Eurasemploi, consacré aux formes de précarité des ouvriers en période de croissance économique en Europe et en Asie, a quant à lui intégré dès sa conception, en 2016, la production d’un spectacle en 2021 parmi les modes de valorisation de la recherche. Les enquêtes menées par les chercheurs du projet sur leurs terrains respectifs (divers secteurs industriels dans plusieurs pays) sont donc d’emblée prévues pour alimenter articles scientifiques et spectacle ; ce sont les matériaux collectés par l’ensemble des chercheurs du projet, selon des modalités qui ne diffèrent pas de leurs pratiques usuelles, qui alimenteront l’écriture théâtrale. Pour autant, la circulation entre le champ de l’histoire sociale et celui de l’art n’est pas unidirectionnelle. Mon recrutement dans l’équipe (pour la partie relative aux ouvriers du secteur de la bonneterie auboise) est en effet en partie lié à mes travaux antérieurs sur les conditions de travail des ouvriers de ce secteur, réalisés dans le cadre d’un programme de résidences artistiques en milieu artistique orchestré par les DRAC et présentés sous forme d’installation multimédia [12]. Ces travaux seront également mobilisés pour l’écriture du spectacle, comme ils le sont pour ma contribution à l’ouvrage collectif en cours d’écriture par les chercheurs du projet Eurasemploi.
13Si les matériaux collectés et forgés pour l’écriture artistique et ceux réunis pour l’écriture académique peuvent se combiner sans qu’ils aient tous été collectés au départ pour la même visée – de la même manière qu’on peut, au sein des travaux académiques, intégrer les données d’une enquête extérieure à celle qui nous occupe, dans une analyse croisée –, il arrive aussi qu’écritures artistique et académique n’entretiennent qu’un rapport lointain, qu’elles se situent dans des régions différentes d’une même thématique sans qu’enquêtes ou analyses ne soient directement liées. Dans mon travail sur le mal-logement se distinguent ainsi nettement les productions académiques sur le sans-abrisme, en particulier sur les adolescents hébergés en hôtel social [13] et sur les sans-abri présents dans le métro parisien [14], et la production théâtrale, qui via l’exemple de la rénovation urbaine s’intéresse à la façon dont les pouvoirs publics intègrent ou non la participation citoyenne dans la mise en œuvre des politiques de logement [15]. Il s’agit là de deux terrains différents portant sur deux régions distinctes de la précarité résidentielle contemporaine.
Donner à voir l’enquête de terrain
14Liés à mes travaux académiques selon des modalités et une intensité variables, mes spectacles ont en revanche pour point commun de déployer des problématiques sociales en mettant en scène les enquêtes de terrain ayant permis de les traiter. Archives, extraits d’entretiens, notes de terrain constituent les ingrédients principaux de la partition scénique – tout comme ils nourrissent mes productions plus académiques : articles, rapports ou chapitres d’ouvrages. Dans les deux cas, l’enquête fournit le matériau permettant de répondre à des questions de recherche, d’enrichir les perspectives sur le phénomène étudié pour le restituer dans la complexité des mécanismes sociaux qui la sous-tendent.
15Pour Si c’était à refaire, installation multimédia créée en 2010 autour de la personnalité de l’écrivain et braqueur de banques Abdel Hafed Benotman, l’enquête a pris la forme d’entretiens répétés avec le personnage central. Pour 36e Dessous (Fig. 1), spectacle créé en 2016 et portant sur une affaire de pollution industrielle dans le port de Bayonne, puis Grands/Ensembles (Fig. 2 et 3), création de 2019 consacrée à la démolition programmée de la « Muraille de Chine » (une barre d’immeubles de Clermont-Ferrand), plusieurs missions sur site (le port de Bayonne et le quartier Saint-Jacques à Clermont-Ferrand) ont été organisées pour comprendre, dans un cas comment une contamination des hommes et des sols avait pu se dérouler pendant des décennies sans que l’industriel responsable soit tenu d’apporter réparation ; dans l’autre, la mise en œuvre des politiques publiques et leur adéquation avec les dynamiques locales. En lien avec les entretiens, un travail minutieux d’observation ethnographique a été réalisé, notamment lorsque le phénomène étudié était contemporain de l’enquête, comme pour la rénovation urbaine du quartier Saint-Jacques à Clermont-Ferrand : réunions publiques, circulations et activités dans le quartier sont alors consignées dans le journal de terrain.
36e Dessous. L’enquêtrice (Lucie Boscher) interroge les ouvriers de l’usine Fertiladour
36e Dessous. L’enquêtrice (Lucie Boscher) interroge les ouvriers de l’usine Fertiladour
Grands/Ensembles. Les enquêteurs (Daniel Azélie et Lucie Boscher) s’entretiennent avec l’adjoint au maire chargé de l’urbanisme, au sujet de la démolition de la grande muraille
Grands/Ensembles. Les enquêteurs (Daniel Azélie et Lucie Boscher) s’entretiennent avec l’adjoint au maire chargé de l’urbanisme, au sujet de la démolition de la grande muraille
Grands/Ensembles. Reloger les habitants de la grande muraille ?
Grands/Ensembles. Reloger les habitants de la grande muraille ?
16Ce type d’approche se distingue donc de celle qualifiée par Olivier Neveux de « théâtre de la contre-information », qui consiste à enquêter pour révéler des pans cachés d’un événement, d’une affaire. Plus ancrés dans la factualité, ces spectacles sont l’occasion de revisiter des chaînes d’événements et de dévoiler des faits laissés dans l’ombre au gré de calculs politiques ou économiques, se substituant ainsi « à l’inconsistance ou à la partialité dérobante d’autres vecteurs d’information » [16]. L’affaire mise en scène dans 36e Dessous a été révélée par des lanceurs d’alerte, tant sur les maladies professionnelles contractées par les ouvriers et les décès consécutifs, que sur la contamination du site à l’uranium et au thorium [17]. La question posée par le spectacle n’est pas relative à la réalité des faits, déjà établis, mais à leurs conditions de possibilité. Des entretiens menés auprès des ouvriers et techniciens de l’usine, du contrôleur de sécurité de la CNAM d’Aquitaine, des lanceurs d’alerte et du représentant de l’État chargé de la surveillance des sites industriels polluants ont permis de cerner le problème dans ses multiples dimensions. Les obstacles à la protection des ouvriers au travail, à la mesure des expositions aux particules et à la radioactivité, à la condamnation de l’employeur, y ont été révélés, permettant d’établir comment un problème environnemental aussi important n’a pas trouvé de résolution plus de vingt ans après l’établissement des risques. L’affaire est ainsi restituée dans ses enjeux économiques, politiques et sociaux, qui échappent le plus souvent à la connaissance d’un public non spécialiste. C’est par le récit minutieux des épisodes ayant jalonné l’histoire du site depuis l’implantation de l’usine, la description des conditions de travail, des pratiques professionnelles, des modalités de contrôle de l’État et des autres acteurs de régulation de l’activité industrielle, que les mécanismes de production du risque industriel surgissent. Loin de constituer un renoncement à l’analyse des données, le spectacle parie sur leur multipolarité et leur agencement pour faire ressortir les significations plurielles du phénomène étudié.
17Parce qu’elle adopte une démarche ethnographique qui ressort d’une pratique de recherche en sciences sociales, l’approche privilégiée ici se distingue donc également de celle qui consiste à enquêter sur des faits pour en établir la véracité, apanage du « théâtre d’investigation » mené par exemple par Nicolas Lambert. Celui-ci, au sein de la compagnie Un pas de côté, s’est en effet donné pour mission, notamment dans la trilogie L’A-Démocratie. Bleu, blanc, rouge, d’enquêter sur les actions souterraines de l’État dans les domaines de l’exploitation pétrolière, du nucléaire et de l’armement. Il décrit sa pratique comme une façon de faire du journalisme sur scène, avec la liberté que n’ont plus les principaux organes de presse et dans un but d’éducation populaire. Si la qualité des enquêtes mises en scène en fait de surcroît des sources potentielles très riches pour la sociologie des élites délinquantes, le choix est ici fait de révéler des faits cachés, plus que d’analyser les logiques sociales qui les sous-tendent ou de les mettre en perspective historique : extraits de journaux radiodiffusés, de discours d’hommes politiques, de conversations téléphoniques sur écoute, sont là pour attester les manœuvres souterraines des dirigeants français, sans dialoguer nécessairement avec les analyses d’histoire et de sciences sociales.
18En termes de méthode de recherche, la compagnie Si et seulement Si, comme d’autres compagnies pratiquant ce que nous avons nommé les « spectacles-enquêtes », importe des outils d’enquête et d’analyse issus des sciences sociales au cœur même de l’activité artistique – outils qui se déploient de façon d’ailleurs relativement indépendante de la nature des productions visées, texte académique ou spectacle. Relativement : car si l’enquête n’est pas guidée par les formes de restitution auxquelles elle donnera lieu, celles-ci peuvent néanmoins infléchir l’exécution de terrain. Lorsque le spectacle privilégie la citation audio des sources via la retransmission d’extraits d’entretien, une attention particulière est portée aux façons de s’exprimer, aux circonvolutions du discours, aux tonalités – éléments d’ordinaire peu pris en compte dans les productions académiques, ou en tout cas peu exposés étant donné la nature purement textuelle des modes de restitution classiques de la recherche. Hésitations, propos creux et silences des représentants de l’État chargés de contrôler la sécurité des sites industriels à risque sont donc minutieusement enregistrés pour une restitution théâtrale dans laquelle la communication non verbale a toute sa place et peut déployer son efficacité démonstrative. D’autres approches artistiques permettent de souligner l’importance des formes et du contexte d’énonciation des propos dans la compréhension des enjeux du problème traité. Le travail historique d’Étienne Davodeau, par exemple, qui restitue ses enquêtes sous forme de bandes dessinées, met notamment en évidence la difficulté à être porte-parole de sa propre histoire. Dans Les mauvaises gens, il expose les scènes de doute, la réticence à parler, il multiplie les images muettes, rendant ainsi palpable, par l’image et l’organisation des informations dans la page, la difficile mise en récit à la première personne de l’expérience ouvrière de ses parents [18].
Donner à entendre la parole des chercheurs
19Outre l’enquête de terrain, la démarche consiste plus largement à exposer l’enquête dans sa globalité, c’est-à-dire la façon dont les données de terrain entrent en résonance avec des analyses existantes menées par d’autres chercheurs. La phase de mise en relation des données avec les éléments développés dans la littérature peut être montrée au plateau et s’inscrire dans un processus de réflexion plus collectif [19], en convoquant par exemple sur scène les propos de spécialistes du sujet traité.
20Si la collaboration avec les chercheurs peut prendre des formes différentes selon leur degré d’implication dans l’écriture du spectacle, leurs volonté et capacité à rouvrir l’analyse à partir des données d’enquête sont un élément déterminant de leur intégration à l’objet scénique. Interrogés sur une partie de leurs travaux en relation avec le cas déplié dans le spectacle, ils sont invités à intervenir dans l’enquête en cours. 36e Dessous et Grands/Ensembles associent ainsi entretiens avec les protagonistes des événements et avec des spécialistes des phénomènes sociaux concernés : physiciens, chimistes, ingénieurs pour 36e Dessous ; urbanistes pour Grands/Ensembles ; sociologues dans les deux cas, puisque la compréhension des dynamiques sociales à l’œuvre est en jeu dans l’ensemble des spectacles. À la suite de l’exposé des conditions dans lesquelles l’entreprise Fertiladour a été amenée à broyer des matières silicogènes et radioactives dans une installation industrielle destinée à la fabrication d’engrais, deux sociologues interviennent : Catherine Cavalin, pour montrer comment les conditions et le marché du travail rendent difficile l’usage des protections individuelles ; Sophie Bretesché, pour souligner la rapidité de l’oubli du risque sur les anciens sites nucléaires. Le recours aux propos de spécialistes dans le cadre d’entretiens fournit des clés de lecture des données de terrain. Si pour des raisons pratiques ces chercheuses n’étaient pas présentes physiquement sur scène [20], leurs propos ont été enregistrés et intégrés dans le spectacle ; et ce, non comme des extraits d’entretien dans un documentaire, comme un bloc séparé du récit, mais dans un dialogue avec les acteurs au plateau, qui littéralement s’adressent à la voix enregistrée, et dans une écriture artistique qui rend sensibles les propos et permet d’éprouver physiquement leur portée. Ainsi la salle progressivement envahie de fumée et d’un environnement sonore oppressant met-elle en perspective l’exposé des conditions d’invisibilisation des maladies professionnelles par Catherine Cavalin.
21L’importation des pratiques d’enquête de sciences sociales dans le champ du spectacle vivant s’accompagne donc d’ajustements, qui tendent à rendre moins étanches les frontières entre les deux champs et invitent les chercheurs à mobiliser leur savoir pour la scène et à les présenter au sein d’un dispositif qui réunit acteurs et spectateurs dans une dynamique de réflexion collective. Cette façon de faire se distingue des démarches artistiques qui s’emparent d’un sujet historique à travers l’adaptation d’un ouvrage d’historien, dans lequel l’enquête et l’analyse sont déjà scellées en un texte écrit. Dans ce cas, il est moins question de participer à une enquête en cours, qui interroge collectivement créateurs, acteurs du spectacle et spectateurs, que de transmettre une enquête déjà ficelée. Dès lors, une ligne de partage existe entre chercheurs d’un côté, chargés de produire de la connaissance, et artistes, chargés de faciliter sa diffusion. Telle est la position revendiquée par le collectif DAJA, qui décrit les interventions artistiques dans les conférences gesticulées comme des façons de présenter les aspects du thème représenté « sous des formes susceptibles d’intéresser même celles et ceux qui ne lisent pas de livres [21] ». Au contraire, lorsque le chercheur est sollicité dans le cadre de l’enquête de terrain, voire lorsqu’il intervient sur scène, il est amené à travailler lui-même l’adaptation de son propos, à l’oraliser et le sortir du contexte de l’ouvrage pour l’inscrire dans celui de la pièce.
De l’enquête au plateau : l’écriture scénique des sciences sociales
22Si la démarche d’enquête suivie par l’équipe de Si et seulement Si est proche de celle qui préside à une recherche académique, la façon dont les données d’enquête sont mobilisées dans l’écriture distingue en revanche nettement l’écriture scénique de l’écriture académique. Ces différences contribuent à l’enrichissement mutuel des pratiques et au déplacement des lignes de frontière.
Brouiller les frontières entre ceux qui produisent et reçoivent l’histoire
23Parce qu’elles sont mises en jeu sur le plateau, les données d’enquête ont un statut différent des citations de sources, annexes et verbatim des ouvrages académiques. Joués par des comédiens ou convoqués sur le plateau via la diffusion des enregistrements sonores d’entretiens, les propos tenus par les protagonistes des affaires étudiées sont rendus présents au spectateur, qui peut dès lors faire l’expérience de la confrontation aux sources. Ancrée dans un art de la représentation, cette écriture scénique des sciences sociales fait advenir des situations que le chercheur a pu vivre au cours de son enquête. Elle participe ainsi d’une accessibilité de la recherche, non dans le sens d’une simplification du propos mais dans celui d’une mise en visibilité des processus de travail.
24L’écriture doit donc d’emblée être pensée pour la scène. Dans les expériences de lectures-spectacles tirées d’ouvrages déjà écrits, l’accessibilité résulte de la simple modification du mode de transmission – du livre à la scène – sans engager une écriture proprement scénique. L’oralisation de l’histoire écrite vise à élargir le public et lui faire découvrir des domaines de connaissance auxquels il a peu accès s’il est éloigné des lectures scientifiques. En convoquant au théâtre des travaux d’histoire sociale, Gérard Noiriel entend ainsi renouer avec l’ambition brechtienne de faire travailler ensemble savants et artistes, créer une fable propre à transposer un problème historique en œuvre théâtrale [22]. Par le changement de mode d’expression, l’historien, impliqué depuis des années dans des créations artistiques adaptées de ses travaux, décrit le passage à la scène comme une façon de montrer le sens de l’histoire au lieu de le dire. « Grâce au récit, et grâce à sa mise en scène, on peut ainsi rendre accessible à tous les aspects en apparence les plus abstraits et les plus compliqués de la grande Histoire. Le sens (ou le non-sens) de l’histoire n’a plus besoin d’être dit, il suffit qu’il soit montré [23] », précise-t-il dans le texte de présentation du Massacre des Italiens, du collectif Manifeste Rien [24]. Indépendamment de l’apport de la mise en scène, le récit des faits historiques et sociaux trouve en l’expression théâtrale une occasion privilégiée de s’exposer. Dans Le massacre des Italiens, les archives exhumées par Noiriel, tant sur l’épisode sanglant d’Aigues-Mortes en 1893 que sur les conditions de travail et de vie de la population locale, sont rapportées par la comédienne au plateau. Mais, dans ce cas, le changement du mode d’expression, s’il peut faire œuvre pédagogique et favoriser la démocratisation de l’histoire sociale, ne modifie pas la façon d’écrire l’histoire.
25Au contraire, lorsque la recherche est d’emblée pensée pour la scène, l’écriture peut s’appuyer sur la capacité du théâtre à montrer des actions en cours plus qu’à raconter des épisodes passés. Ce qui permet notamment de transmettre au public l’expérience de l’enquête – aspect le plus souvent présenté avec parcimonie dans les restitutions académiques. Reconvoquer des événements passés et les éprouver dans une expérience collective déplace les frontières des pratiques de recherche en se démarquant d’une répartition des rôles entre savants et profanes, offrant à ceux-ci l’occasion de prendre l’initiative de l’analyse. Ceci implique, comme l’expliquent les auteurs de L’histoire comme émancipation qui réfléchissent aux conditions de félicité des interventions des historiens dans l’espace public, d’être dans un dialogue entre ceux qui produisent l’histoire et ceux qui la reçoivent [25]. Ce dialogue, qui suppose de montrer l’histoire dans sa dynamique de recherche, de partager les sources et de les montrer, peut être instauré au travers d’autres modes de production culturelle que le théâtre, mais celui-ci, lorsqu’il repose sur le récit des enquêtes de sciences sociales et l’accès aux propos des chercheurs, peut constituer l’une des formes privilégiées pour y parvenir.
26Certaines productions vont même jusqu’à conduire les spectateurs au cœur du monde réel pour en observer avec eux une parcelle. Dans Cargo Sofia, du collectif allemand Rimini Protokoll, le public s’installe dans un camion dont les parois sont transparentes pour permettre la vue sur l’extérieur [26]. Conduit par deux routiers bulgares qui commentent le parcours et racontent leur quotidien, le camion sillonne banlieues, zones rurales et zones de transit à la rencontre de groupes de camionneurs et de leurs misérables conditions de vie et de travail. Ce spectacle est emblématique de l’art, propre au collectif, de se tenir hors des lignes de démarcation usuelles : entre spécialiste et novice d’une part, puisque les acteurs, toujours amateurs et présents dans les spectacles pour y tenir leur propre rôle (ici des camionneurs, dans d’autres opus des passionnés de modélisme, des habitants d’une ville, etc.), sont tenus pour « spécialistes », les mieux à même de parler de leur condition ; entre acteur et spectateur d’autre part, le public étant le plus souvent dans les lieux usuels des situations décrites et amené à y participer.
Le journal de terrain comme écriture préalable du spectacle
27D’autres productions, dont celles de Si et seulement Si, s’appuient sur le journal de terrain de l’enquête pour mettre en partage l’expérience du chercheur. Composé sur un mode narratif, il constitue en effet un bon support pour faire entrer les spectateurs dans la dynamique de recherche tout en restant dans une logique de récit, mieux à même de susciter l’intérêt d’un public a priori peu familier avec la démarche de recherche. Sa réécriture pour la scène permet de remplir au moins deux objectifs.
28D’une part, elle ancre l’enquête dans le présent du plateau : dans 36e Dessous, l’actrice mène l’enquête, que le plasticien illustre en direct via la manipulation d’objets divers devant une caméra, et le duo traverse les différentes étapes de l’enquête avec la communauté des spectateurs. En rendant compte des observations in situ, le journal de terrain ouvre une fenêtre sur les interactions entre catégories d’acteurs avant qu’elles soient ressaisies dans un propos qui en décode le fonctionnement. Dans Grands/Ensembles, on assiste ainsi à une réunion publique sur les mémoires des habitants du quartier, terrain d’observation privilégié des nouveaux, ou nouvelles, modes de mises en œuvre des politiques publiques à l’ère de la « concertation » avec les habitants. L’enquête ainsi réeffectuée via le journal de terrain permet de partir des faits et d’en partager l’expérience et l’interprétation avec les spectateurs.
29D’autre part, l’interprétation du journal de terrain fait émerger l’activité de recherche comme expérience humaine ordinaire, avec ses errements, ses doutes, ses échecs et questionnements. Dimension souvent masquée dans les restitutions académiques, le récit de l’enquête inscrit la réflexion dans son cheminement, créant une communauté de pensée entre chercheurs et spectateurs. Appuyée sur le récit de l’enquête, l’écriture théâtrale met sur le devant de la scène, presque littéralement, des éléments clés pour l’analyse : la confrontation aux attentes déçues de l’enquêteur, à ses surprises, en somme à l’écart entre les projections et le terrain, fait part des éléments importants de l’analyse, fournit l’angle à partir duquel aborder les données.
30Cette écriture à même le recueil des données, favorisée par l’usage du journal de terrain, est plus facilement rendue dans le cas d’événements contemporains que lorsque ceux-ci sont passés, empêchant l’accès aux faits en train de se produire. Pourtant, la mise en place de dispositifs d’écriture, tels que celui imaginé par l’équipe artistique de la compagnie Louis Brouillard, en collaboration avec l’historien Guillaume Mazeau pour le spectacle Ça ira (1). Fin de Louis, est à même de « retrouver le passé comme au présent » et de s’inscrire dans la dynamique des faits en train de se produire [27]. En menant une « dramaturgie documentaire de plateau », consistant à fournir aux acteurs des documents d’archives au fil des répétitions, la dramaturge Marion Boudier leur donnait matière à « repartir des faits et des acteurs de la Révolution française », à faire ressurgir une « histoire à hauteur d’homme ». L’improvisation est alors conçue comme une expérimentation pour retrouver l’inventivité et l’imprévu de l’action en cours, « retrouver le passé comme du présent » [28] en suspendant le jugement sur les faits et la connaissance déjà constituée sur eux.
Revivre, sur le mode du questionnement, l’expérience de l’enquête
31Si la scène offre, on l’a vu, un terrain favorable à la présentation des données, des chercheurs en sciences sociales travaillent ce sillon tout en restant dans l’écriture textuelle, en proposant des ouvrages parfois qualifiés d’« autofiction », structurés autour de l’enquête en train de se faire. Dans Somaland, on suit ainsi, comme dans les spectacles de Si et seulement Si, l’enquête de l’anthropologue Éric Chauvier sur un site classé Seveso, comme les scènes successives d’une pièce de théâtre [29]. Entretiens avec des habitants du site, des industriels, des chargés de communication, description des lieux, participation à des réunions publiques sont reproduits, et nombre de précisions de l’auteur sur les attitudes physiques des protagonistes, leurs réactions à ses questions, apparaissent comme les didascalies d’une œuvre qui replace les faits révélés dans l’histoire du positionnement du chercheur vis-à-vis d’eux.
32La proximité entre ces démarches tient au fait de rendre coprésents, sur scène ou par une écriture de type théâtral, les phénomènes observés et l’histoire de leur observation ; de faire partager ces phénomènes dans le présent du plateau (ou de la lecture) sans jamais les séparer de l’enquête, de la perception et de l’activité de l’enquêteur ; d’instaurer ce dialogue, cher aux auteurs de L’histoire comme émancipation, entre historiens et lecteurs/spectateurs [30]. Si certaines chroniques des ouvrages d’Éric Chauvier le placent dans la catégorie littérature, c’est sans doute parce qu’il opère, comme dans les spectacles évoqués ci-dessus, un changement de focale par rapport à l’écriture du monde social en usage dans la recherche. Loin de ne faire apparaître les données de terrain que comme des éléments de preuve à l’appui d’une analyse, et de présenter l’histoire de l’enquête dans un bref passage méthodologique, la façon de mener l’enquête avec les acteurs et d’élucider avec eux les questionnements devient centrale et rejoint une préoccupation majeure de l’anthropologie poststructuraliste, résumée dans l’appel lancé par Alban Bensa de cesser de présenter la collecte des données comme une cueillette de « champignons dans la forêt », « d’inverser la méthode, de partir des acteurs et de la façon d’élucider, avec eux et non pas à distance », les questions de recherche et, partant, de permettre aux lecteurs ou aux spectateurs de « revivre, sur le mode du questionnement, l’expérience de l’enquête » plutôt que d’en « consommer des résultats » [31].
33Revivre sur le mode du questionnement l’expérience de l’enquête est bien ce que les spectacles-recherches proposent au public, dans la volonté de livrer des clés d’analyse plus qu’une analyse close. Il s’agit de rapprocher le public de la recherche, de l’amener à lui pour le mettre en situation d’analyser le réel, de partager avec lui l’expérience de la recherche plus que de l’éduquer ou de lui transmettre des connaissances.
Le rôle du chercheur entre productions scéniques et écriture académique
34En portant la recherche en sciences sociales à la scène, ces spectacles contribuent donc à rendre plus poreuses les frontières entre monde académique et grand public, entre chercheur et lecteur/spectateur [32]. Il faut notamment interroger, dans ce processus d’écriture destiné au spectacle vivant et souhaitant faire œuvre de sciences sociales, le positionnement du chercheur et les façons de rendre compte d’une analyse au plateau.
La place du chercheur
35Comme nous l’avons évoqué, le recours aux travaux d’autres chercheurs nourrit ce travail de théâtre, de même que pour toute recherche académique. Mais les modalités par lesquelles ceux-ci sont sollicités sont susceptibles de modifier les pratiques habituelles du métier. Présent sur scène physiquement ou sous forme vidéo ou audio, le chercheur est en effet conduit à organiser son propos autour d’un terrain d’enquête qui n’est pas le sien, à contribuer à l’éclairage analytique d’un problème donné sans être dans la posture du spécialiste convoqué dans les médias pour « décrypter » une situation et qui aurait le fin mot de l’histoire.
36Dans les spectacles-recherches, le chercheur qui se produit sur scène est sinon l’un des cocréateurs du spectacle, du moins un collaborateur important de l’équipe. Dans Le plus clair de mon temps, création en 2009 de la compagnie sur les usages individuels du temps, le cours du spectacle est à plusieurs reprises suspendu par le philosophe Jean-Paul Curnier, qui l’investit comme matière à penser le réel. C’est donc avec une réflexion en cours d’élaboration, en prise avec ce qui vient de se dérouler sur scène, que le spectateur entre en contact. Dans 1973, Massimo Furlan rejoue l’émission de l’Eurovision de 1973, chantant lui-même chacune des chansons en accomplissant la chorégraphie correspondante [33] ; puis peu à peu, de façon très progressive, l’émission live se transforme en discussion sur l’importance de la chanson de variétés dans la société et la place de la culture populaire dans la mémoire collective. Présenté comme le père de l’artiste venu assister exceptionnellement à une représentation du spectacle, Marc Augé, anthropologue, monte sur scène et nourrit le débat. Si ce débat reste sur le plateau et ne gagne pas la salle, le fait que les propos soient incarnés, assumés à la première personne, tranche avec une façon plus académique de présenter des résultats en effaçant autant que possible la personne du chercheur [34]. En mettant sur le même plan les propos des protagonistes et ceux du chercheur, la dramaturgie du social peut ainsi éviter la tendance de certaines postures académiques, bien décrites par Howard Becker, à faire de la parole du chercheur une « voix d’autorité » qui « vous dit ce que tout cela veut dire, ce que ces gens qui ont répondu aux questions de l’enquête ont dû penser » [35]. Cette manière de concevoir les spectacles rejoint les préoccupations d’historiens qui, au cœur de leur écriture, présentent les résultats de leurs recherches sans masquer la façon dont ceux-ci sont produits, et revendiquent, comme Ivan Jablonka dans plusieurs ouvrages, une écriture à la première personne [36]. Plus qu’une posture, il est question de ramener le propos à l’échelle des interactions humaines présentes – ce qui a souvent pour effet de susciter des débats à l’issue des représentations, les spectateurs se saisissant en pratique du rôle actif que tente de leur donner la production théâtrale.
37Dans ces productions, le chercheur, habitué à observer les activités humaines, se retrouve lui-même observé dans son activité. Sa présence sur scène comporte toutefois le risque d’une posture de professeur ou de conférencier, ne saisissant les faits représentés que comme prétextes au déploiement de sa pensée sans la réinventer à partir des matériaux d’enquête. Le spectacle L’entrée en résistance (2019), présenté comme une démarche de sciences sociales au théâtre, est exemplaire de cette dérive. Christophe Dejours, chercheur psychiatre, spécialiste de la souffrance au travail, interrompt à plusieurs reprises le jeu du comédien qui exprime les difficultés professionnelles d’un forestier soumis à de nouvelles normes de travail par sa hiérarchie. Pourtant, au lieu d’ancrer dans les propos du forestier une réflexion sur les mécanismes sociaux à l’œuvre dans le contexte spécifique des espaces gérés par l’Office national des forêts, le chercheur énonce au fil de la représentation un savoir déjà constitué sur les manifestations cliniques de la souffrance au travail et les attribue aux changements imposés dans l’organisation du travail, sans que la dynamique des configurations sociales émerge du raisonnement.
38À l’inverse, des spectacles restituant des enquêtes sans inciter les chercheurs à les travailler peuvent exposer des situations sociales sans parvenir à mettre en perspective les propos recueillis ou faire émerger les dynamiques sociales dans lesquelles ils s’inscrivent. C’est le cas notamment des spectacles qui invitent à témoigner devant le public, sur le plateau, les protagonistes du sujet qu’ils traitent. Une série de spectacles ont ainsi vu le jour ces vingt dernières années dans l’élan de luttes sociales, notamment contre la fermeture d’usines. 501 blues en 2001, Daewoo en 2004, On n’est pas que des valises en 2017, donnent la parole aux ouvriers et ouvrières des usines Levi’s, Daewoo et Samsonite [37]. Ils reviennent sur leurs années de travail et l’annonce de la fermeture du site. Si le choix de se focaliser sur un type de source pour documenter les faits (la fermeture d’une usine, et plus largement l’effet de la déprise industrielle sur la société) présente l’intérêt majeur de donner la parole à ceux qui ne l’ont que très rarement, il ne cherche pas à restituer le phénomène dans sa multidimensionnalité. La visée de transmission d’une parole et d’une mémoire collective prime sur la description d’un phénomène social. « Donner une légitimité dramaturgique à ceux qui n’en ont pas, […] proposer d’importants déplacements sociaux » a dans ce cas pour contrepartie « la défaillance scientifique de ces formes théâtrales », comme le précise Olivier Neveux dans son analyse des formes contemporaines du théâtre politique [38].
39C’est pourquoi c’est moins la forme de présence du chercheur sur scène qui compte, via une diffusion de ses propos ou son incarnation par des comédiens, que l’ancrage de sa réflexion dans les données d’enquête présentées sur scène. Dans Suivre les morts, déjà évoqué, qui restitue une enquête menée par les sociologues Anne Bossé et Élisabeth Pasquier [39], les propos des spécialistes sont incarnés par les comédiens au plateau. L’ensemble des entretiens consacrés au rapatriement des morts dans le pays d’origine (témoignage des enfants des personnes décédées, des thanatopracteurs, des professionnels du fret aérien…) est tissé avec les développements des deux sociologues dans une narration entièrement énoncée par les comédiens. Absentes du plateau, les deux chercheuses ont pourtant participé activement au processus de création, en écrivant un texte destiné à la scène en lien avec l’équipe artistique de la compagnie Banquet d’avril.
40Par l’implication des chercheurs dans une recherche originale destinée à être représentée, de véritables projets d’histoire sociale peuvent émerger et ajouter à l’objectif de diffusion de la connaissance celui du partage de l’expérience, certes ponctuelle et incomplète, de la recherche en train de se faire. En déplaçant la focale des restitutions de travaux des résultats à l’enquête en cours, ce type de spectacles issus des sciences sociales propose une perspective différente et stimulante sur l’écriture scientifique.
Le chercheur et l’artiste
41Participant au processus de création, le chercheur doit compter avec un langage artistique qui possède sa propre puissance démonstrative. À travers l’interprétation des acteurs et les écritures visuelles et sonores travaillées au plateau, l’écriture théâtrale du social tend à fournir un outil d’analyse grâce auquel le spectateur peut explorer par lui-même les significations complexes du monde social.
42Dans 100 %, de la compagnie Rimini Protokoll, le dispositif scénique, en matérialisant des pourcentages par des groupes de personnes réelles, habitants des villes où la représentation a lieu, propose une figuration alternative aux traditionnels diagrammes en bâtons ou autres camemberts pour présenter des résultats d’enquête. Par la mise en espace et la scénographie, la représentation fait œuvre scientifique, représentant des données chiffrées par la présence d’hommes et de femmes s’étant au préalable présentés au public, chacun dans sa singularité. Sans avoir à l’énoncer, le spectacle travaille la question de l’abstraction du chiffre et des mésinterprétations qu’elle peut causer. Cette forme d’analyse passe par un art de découper les données de terrain, de les faire résonner les unes par rapport aux autres, de les combiner aux extraits du journal de terrain. À la différence de l’écriture académique du social, le propos de l’auteur n’est pas développé comme une trame textuelle organisant et donnant statut et signification aux données d’enquête et les articulant à la littérature sur le sujet. Il se dessine dans les interstices de l’agencement des sources, dans le choix des extraits, l’ordre dans lequel ils sont donnés à entendre. Dans Grands/Ensembles, l’enquête a souligné l’importance du thème de la participation des habitants au projet de rénovation urbaine. Si le sujet est évoqué par la plupart des interlocuteurs rencontrés et fait figure de passage obligé, sa mise en œuvre largement inopérante contraste avec la fréquence de son évocation. L’équipe artistique a choisi de mettre en scène cette ambivalence en jouant d’un découpage serré des passages d’entretiens pour simuler une table ronde sur la participation citoyenne à la rénovation urbaine. De silences en embarras, de confusion en justification, l’échec du dispositif apparaît dans toute son ampleur et sa complexité, et la scène s’achève par le récit d’un atelier de construction de la Grande Muraille de Chine en Lego, auquel les enquêteurs ont assisté lors d’un de leurs séjours à Clermont-Ferrand. C’est à travers la sélection des extraits et leur mise en relation les uns avec les autres, ainsi qu’à travers le choix de faits emblématiques, que le propos se tisse à même les données de terrain.
43Par ce glissement des matériaux de terrain du territoire scientifique au territoire artistique, par cette extraterritorialité que décrit Stephen Hilgartner, l’écriture dramaturgique du social met en tension lectures sensible et scientifique des expériences humaines [40]. Elle incite le chercheur à contribuer à des formes d’argumentation dont la légitimité ne relève pas uniquement des critères à l’œuvre dans l’évaluation académique, car s’appuyant en partie sur la mise en scène et la scénographie.
44En déployant les données scientifiques hors de leur territoire habituel, l’expression théâtrale interroge donc l’écriture des sciences sociales et déplace ses contours vers d’autres modes de représentation du réel.
45Plus qu’à une simple diffusion des résultats des sciences sociales, les spectacles-recherches exposent le travail des chercheurs en modifiant le périmètre habituel de l’écriture du social. S’appuyant sur la dimension présente et expérientielle du plateau, ils mettent l’accent sur la présentation des sources, de l’histoire et des rebondissements de l’enquête. La mise en perspective des données s’opère au travers du montage des séquences, des interventions live ou enregistrées d’analystes, et du dialogue avec les langages artistiques.
46Sans pouvoir prétendre à l’exhaustivité et à la précision des développements textuels de l’histoire et des sciences sociales, ces initiatives, en tirant parti des modes d’expression du spectacle vivant, communiquent les recherches sur un mode processuel, font état du cheminement et des doutes inhérents aux enquêtes, de la dynamique de la recherche, et placent le spectateur en état d’apprenti-analyste. Elles montrent ainsi un potentiel de revisite des modes scientifiques de présentation des données qui incite à engager plus avant les collaborations entre artistes et chercheurs. Bien loin de concevoir le passage à la scène comme un mode de « vulgarisation » ou de « popularisation » des résultats de recherche pour un public qui ne serait pas armé pour lire les publications ou suivre des conférences scientifiques, les spectacles-recherches s’adressent ainsi au public en lui donnant accès aux aspects concrets de production de connaissances sur le social.
Notes
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[1]
G. Noiriel, Histoire, théâtre, politique, Marseille, Agone, 2009, p. 49.
-
[2]
Nous excluons de notre propos les créations centrées sur la mise en fiction d’événements réels sous forme de dialogues imaginaires entre les protagonistes, qui se rattachent plus à la tradition théâtrale héritière des tragédies grecques. À noter, pour prendre la mesure de la grande variété de formes dramatiques travaillant avec des scientifiques sur la mise en visibilité des faits sociaux, que certains spectacles, comme Mon cœur de Pauline Bureau, combinent restitutions de sources (minutes du procès du Mediator) et dialogues fictifs.
-
[3]
F. Aït-Touati, Inside, 2016, avec Bruno Latour. On peut se référer à l’entretien réalisé par Hugues Le Tanneur en septembre 2019 pour le site Théâtre contemporain : https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Moving-Earths/ensavoirplus/idcontent/101630.
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[4]
Le collectif DAJA, fondé en 2007 par des enseignants, des travailleurs sociaux, des artistes et des chercheurs, à l’initiative de l’historien Gérard Noiriel, œuvre à la création de spectacles conçus comme des outils de transmission aux « publics populaires » de connaissances en sciences sociales, notamment en histoire sociale (voir www.daja.fr, page d’accueil).
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[5]
Le site du collectif DAJA expose l’objectif pédagogique et la mission civique des productions : www.daja.fr.
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[6]
G. Mazeau, « Histoire sensible. Une expérience critique entre théâtre et histoire », Écrire l’histoire, n° 15, 2015, p. 255.
-
[7]
O. Macchi, « La conviction sur les faits criminels. Analyse de dossiers d’instruction sur des assassinats », thèse de doctorat en sociologie, sous la direction d’Alain Cottereau, Paris, EHESS, 2001.
-
[8]
Expression reprise de H. Frouard, « Soigner grâce à l’histoire », Journal du CNRS, janvier 2016. En ligne : https://lejournal.cnrs.fr/articles/soigner-grace-a-lhistoire.
-
[9]
Voir, par exemple, P.-A. Rosental, « Avant l’amiante, la silicose. Mourir de maladie professionnelle dans la France du XXe siècle », Population et société, n° 437, 2007, p. 1-4.
-
[10]
C. Cavalin, O. Macchi et P.-A. Rosental, « Expositions aux particules inorganiques : comment poser la question ? », in E. Duwez et P. Merklé (dir.), Un panel français, Paris, INED, à paraître ; N. Nathan, C. Cavalin, O. Macchi, R. Abou Taam, D. Valeyre, V. Houdouin, H. Corvol, C. Perisson, A. Tazi, X. Amiot, E. Ralph, A. Houzel, N. Hamami, M. Catinon, A. Deschildre, J. De Blic, A. Clement, M. Vincent et P. Rosental, « Exposome inorganique et sarcoïdose pulmonaire pédiatrique : l’étude PEDIASARC », Revue des maladies respiratoires, vol. 33, n° 1, 2016, p. A136.
-
[11]
Compagnie Si et seulement Si, 36e Dessous. Chronique d’un désastre écologique annoncé, 2016.
-
[12]
Compagnie Si et seulement Si, installation Entre les mailles, Musée de Vauluisant, Troyes, Journées du Patrimoine, 19-20 septembre 2015. Coproduction DRAC Champagne-Ardenne-Musées de Troyes.
-
[13]
O. Macchi et N. Oppenchaim, Adolescents sans logement. Grandir en famille dans une chambre d’hôtel, Paris, Défenseur des droits, 2019 ; Id., « Grandir dans une chambre d’hôtel. Pourquoi l’espace public ne compense-t-il pas l’absence de chez-soi ? », Agora Débats/Jeunesses, n° 83, 2019, p. 111-124 ; Id., « Adolescents : ce que grandir à l’hôtel veut dire », Observatoire des inégalités, 17 décembre 2019. En ligne : https://www.inegalites.fr/Adolescents-ce-que-grandir-a-l-hotel-veut-dire.
-
[14]
O. Macchi, Les sans-abri présents dans le métro parisien. Parcours, usages, interactions, Paris, Observatoire du Samusocial de Paris, 2019 ; Id., « Les sans-abri vieillissants du métro parisien », Rhizome, n° 74, 2019, p. 12-13.
-
[15]
Compagnie Si et seulement Si, Grands/Ensembles, 2019.
-
[16]
O. Neveux, Politiques du spectateur. Les enjeux du théâtre politique aujourd’hui, Paris, La Découverte, 2013, p. 136.
-
[17]
Le scandale a été médiatisé par le journaliste Ramuntxo Garbisu, notamment à travers une vidéo disponible sur Youtube, Dans le port, on nous dit que tout est bon. En ligne : https://youtu.be/9TpuJRVzpTs. Il a récemment publié un ouvrage sur le sujet : R. Garbisu, Sans compter les morts, Bayonne, Yallah Yallah Éditions, 2018. Le site Fetidadour, https://fetidadour.blogspot.com, actualise les informations sur les suites données par l’industriel aux demandes de dépollution, et consigne les arrêtés préfectoraux successifs.
-
[18]
É. Davodeau, Les mauvaises gens. Une histoire de militants, Paris, Delcourt, 2005.
-
[19]
D’où l’importance des débats après les représentations, au cours desquels les spectateurs ont l’occasion de faire état de leurs propres analyses à la croisée des matériaux d’enquête et des analyses de chercheurs réunis sur scène.
-
[20]
Voir infra pour des exemples de présence de chercheurs sur scène.
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[21]
Page d’accueil du site www.daja.fr.
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[22]
Lire par exemple la tribune de G. Noiriel, « Il faut un retour à Brecht. Non à une scène ghettoïsée », Le Monde, 10 juillet 2009.
- [23]
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[24]
Collectif Manifeste Rien, Le massacre des Italiens, 2010. D’après G. Noiriel, Le massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893, Paris, Fayard, 2010.
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[25]
L. De Cock, M. Larrère et G. Mazeau, L’histoire comme émancipation, Marseille, Agone, 2019.
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[26]
Cargo Sofia, création 2006 du collectif Rimini Protokoll, mise en scène de Stefan Kaegi.
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[27]
M. Boudier, Avec Joël Pommerat. Tome II : L’écriture de Ça ira (1). Fin de Louis, Arles, Actes Sud, 2019.
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[28]
Entretien avec Marion Boudier, mené par Gwénola David le 1er avril 2019, au sujet de la création du spectacle Ça ira (1). Fin de Louis, de J. Pommerat. En ligne : https://soundcloud.com/artcena/rencontre-entretien-avec-marion-boudier-autrice-de-avec-joel-pommerat-ii.
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[29]
É. Chauvier, Somaland, Paris, Allia, 2012.
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[30]
L. De Cock, M. Larrère et G. Mazeau, L’histoire comme émancipation, op. cit.
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[31]
A. Bensa, Après Lévi-Strauss, pour une anthropologie à taille humaine, Paris, Textuel, 2010, p. 36-43.
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[32]
Dans une approche différente de celle des spectacles-recherches et sans traiter des faits d’enquête, d’autres initiatives contribuent au rapprochement des perspectives entre producteurs et récepteurs des sciences sociales. Le travail de Guillermo Pisani sur Pierre Bourdieu s’appuie sur l’expérience théâtrale de chaque représentation pour amener les spectateurs à prendre une distance critique avec la position de créateur et celle, surplombante, du créateur, et ainsi leur faire partager l’expérience de la pensée bourdieusienne. Voir Compagnie LSDI, C’est bien au moins de savoir ce qui nous détermine à contribuer à notre propre malheur, 2018.
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[33]
1973, création 2010 de la compagnie suisse NUMERO23Prod.
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[34]
Le fait qu’il soit souvent demandé aux auteurs d’articles scientifiques d’éviter d’utiliser la première personne du singulier est symptomatique du lien traditionnel entre effacement du sujet et scientificité.
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[35]
H. S. Becker, Comment parler de la société. Artistes, écrivains, chercheurs et représentations sociales, Paris, La Découverte, 2009, p. 217.
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[36]
I. Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, Paris, Éditions du Seuil, 2012 ; Id., Le corps des autres, Paris, Éditions du Seuil, 2015 ; Id., En camping-car, Paris, Éditions du Seuil, 2018. Il développe les fondements de cette façon d’écrire l’histoire dans L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales (Paris, Éditions du Seuil, 2014).
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[37]
Une journée d’étude a été consacrée en mai 2009 à ces initiatives : L’usine en pièces : du travail ouvrier au travail théâtral, Journée d’étude organisée par le Groupe Théâtre(s) politique(s) (EA 3458, « Représentation. Recherches théâtrales et cinématographiques », Université Paris Ouest Nanterre La Défense).
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[38]
O. Neveux, Politiques du spectateur…, op. cit., p. 89.
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[39]
Suivre les morts, création 2017 de la compagnie Banquet d’avril, mise en scène de Monique Hervouët.
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[40]
S. Hilgartner, Science on Stage: Expert Advice as Public Drama, Stanford, Stanford University Press, 2000.