Notes
-
[1]
F. Georgi, « L’autogestion, un mythe mobilisateur ? », Fermetures de boîtes… et après ?, Nantes, Éditions du Centre d’histoire du travail, 2007, p. 125-136 ; N. Defaud, La CFDT (1968-1995). De l’autogestion au syndicalisme de proposition, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
-
[2]
Entretien avec François Chérèque, publié dans Syndicalisme Hebdo en novembre 2004. Cette dimension identitaire est également identifiée dans les régions concernées par des projets de centrales. En Loire-Atlantique, un secrétaire de l’Union départementale (UD) expliquait ainsi que « c’est un élément très identifiant de la CFDT […]. C’est assez unificateur dans la maison », cité par X. Nerrière, « Protection de l’environnement et syndicalisme. L’exemple de la CFDT en région nantaise », mémoire de maîtrise de droit, Université de Nantes, 1997, p. 83.
-
[3]
Idem.
-
[4]
Le 6 mars 1974, le gouvernement français annonce un programme de construction de treize réacteurs nucléaires. Fin octobre, ce programme est étendu : le plan Messmer nourrit l’ambition que la production d’électricité française provienne à 75 % de l’énergie atomique avant 1985. Pour cela, la construction de 170 réacteurs est envisagée à travers la métropole jusqu’en 2000. Voir J.-C. Debeir, J.-P. Deléageet D. Hémery, Une histoire de l’énergie, Paris, Flammarion, 2013, p. 380-397 ; S. Topçu, La France nucléaire. L’art de gouverner une technologie contestée, Paris, Éditions du Seuil, 2013, p. 37-58.
-
[5]
CFDT, Pour un socialisme démocratique. Contribution de la CFDT, Paris, Epi, 1971. Sur le contexte, F. Georgi, « L’autogestion : une utopie chrétienne ? », in D. Pelletier et J.-L. Schlegel (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 2012, p. 373-389.
-
[6]
La construction de l’agenda de recherche de cette sociologie du travail a été finement étudiée par H. Hatzfeld, Faire de la politique autrement. Les expériences inachevées des années 1970, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 127-136 ; M. Fontaine, Fin d’un monde ouvrier. Liévin, 1974, Paris, Éditions de l’EHESS, 2014, p. 47-77.
-
[7]
Selon les termes d’A. Touraine, « Réactions antinucléaires ou mouvement antinucléaire », Sociologie et sociétés, vol. 13, n° 1, 1981, p. 117-130 ; A. Touraine, Z. Hegedus, F. Dubet et M. Wiewiorka, La prophétie antinucléaire, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 41 ; A. Touraine, « La CFDT, le mouvement ouvrier et la gauche », in P. Nora (dir.), La CFDT en question, Paris, Gallimard, 1984, p. 226.
-
[8]
F. Georgi, « La CFDT et les associations du “mouvement social” des années 1970 à nos jours », in D. Tartakowsky et F. Tétard (dir.), Syndicats et associations. Concurrence ou complémentarité ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 419-428.
-
[9]
Ainsi d’une référence formulée par R. Mouriaux, Le syndicalisme en France depuis 1945, Paris, La Découverte, 2013, p. 62. Ces conflits sont aussi en exergue des dossiers « Le travail contre nature ? Syndicats et environnement », Mouvements, n° 80, 2014 et M. Descolonges (dir.), « Syndicats et transition écologique », Écologie et Politique, n° 50, 2015. Les travaux d’histoire française de l’énergie se désintéressent de cette question : la brève évocation de l’opposition au nucléaire dans la grande synthèse d’histoire de l’électricité ne mentionne pas la CFDT. Voir M. Dürr, « Le tournant nucléaire d’EDF », in H. Morsel (dir.), Histoire de l’électricité en France, 1946-1987, t. III, Paris, Fayard, 1994, p. 768-776.
-
[10]
Le système énergétique est la « combinaison originale de diverses filières de convertisseurs qui se caractérisent par la mise en œuvre de sources d’énergie déterminées et par leur interdépendance, à l’initiative et sous le contrôles de classes ou de groupes sociaux, lesquels se développent sur la base de ce contrôle » (J.-C. Debeir, J.-P. Deléage et D. Hémery, Une histoire de l’énergie, op. cit., p. 25).
-
[11]
La notion de bloc de développement désigne la façon dont le choix d’un approvisionnement énergétique donné détermine une « chaîne de systèmes de technologies, d’infrastructures, de sources d’énergie et d’institutions », selon A. Kander, P. Warde et P. Malanima, Power to the People. Energy in Europe over the Last Five Centuries, Princeton, Princeton University Press, 2014, p. 8 et 28.
-
[12]
De récents travaux offrent des points de réflexion, sans examiner spécifiquement les ressorts de l’engagement cédétiste : G. Hecht, Le rayonnement de la France. Énergie nucléaire et identité nationale après la Seconde Guerre mondiale, Paris, La Découverte, 2004 ; S. Topçu, La France nucléaire…, op. cit.
-
[13]
Rappelons que, dans le cas de la CFDT comme de la CGT, les salariés de chaque industrie énergétique (charbon, électricité, pétrole) sont membres de fédérations distinctes (jusque dans les années 1990).
-
[14]
Ce positionnement conflictuel de la CFTC face à la CGT était déjà relevé, notamment, par R. Frost, « La technocratie au pouvoir avec le consentement des syndicats. La technique, les syndicats et la direction d’EDF (1946-1968) », Le Mouvement social, n° 130, 1985, p. 81-96.
-
[15]
S. Topçu, « Atome, gloire et désenchantement. Résister à la France atomique avant 1968 », in C. Pessis, S. Topçu et C. Bonneuil (dir.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre, Paris, La Découverte, 2013, p. 191.
-
[16]
M. Zancarini-Fournel, « Changer le monde et changer sa vie », in P. Artières et M. Zancarini-Fournel (dir.), 68. Une histoire collective, Paris, La Découverte, 2008, p. 432.
-
[17]
S. Topçu, « Atome, gloire et désenchantement… », art. cité.
-
[18]
M. Zancarini-Fournel, Le moment 68. Une histoire contestée, Paris, Éditions du Seuil, 2008, p. 12.
-
[19]
S. Béroud, « Sur la pertinence heuristique du concept de champ syndical », in M. Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 337 ; L. Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2012, p. 155 sq.
-
[20]
J.-C. Debeir, J.-P. Deléage et D. Hémery, Une histoire de l’énergie, op. cit., p. 270-283.
-
[21]
Archives de la CFDT (A-CFDT), 8H1462, « La crise de l’énergie et les menaces sur l’emploi », 13 décembre 1973.
-
[22]
Pour une analyse détaillée de cette séquence, R. Bécot, « La justice sociale par une “politique coordonnée de l’énergie”. Le mouvement syndical français et la mutation du système énergétique, 1944-1963 », in C.-F. Mathis et G. Massard-Guilbaud (dir.), Mobiliser et dépenser de l’énergie de l’Antiquité à nos jours, Paris, Presses de la Sorbonne, à paraître en 2018.
-
[23]
Syndicalisme Hebdo, 19 décembre 1959.
-
[24]
A-CFDT, 6H104, « Dilemme énergétique », Bulletin du Secteur économique confédéral, octobre 1959.
-
[25]
A-CFDT, 1F388, « Session de recherches “énergie”, Bierville, 13 au 15 janvier 1964 ».
-
[26]
Dont plusieurs chercheurs participent à la critique du programme nucléaire après 1975.
-
[27]
A-CFDT, 1F388, « Session de recherches “énergie”, Bierville, 13 au 15 janvier 1964 ».
-
[28]
« Recherches sur les problèmes énergétiques », Syndicalisme Hebdo, 27 octobre 1967.
-
[29]
Sur cette « guerre des filières », voir G. Hecht, Le rayonnement de la France…, op. cit., p. 245-297.
-
[30]
Entretien avec Bernard Laponche, 14 février 2012.
-
[31]
J. Pesquet, Des soviets à Saclay, Paris, Maspero, 1968.
-
[32]
Voir S. Topçu, La France nucléaire…, op. cit., p. 64.
-
[33]
Membres de « L’école émancipée », courant de gauche radicale dans la Fédération de l’éducation nationale. Voir F. Hubert, « L’écologie politique dans la Manche de 1972 à 1995 », mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Caen, 2006, p. 15 et L. Requet, « La Basse-Normandie : terre de l’écologie politique ? Du combat des associations environnementales à l’action des partis écologistes (1968-2012) », thèse de doctorat d’histoire, Université de Caen, 2017, p. 81-83.
-
[34]
Le journal Survivre et vivre publie plusieurs articles, en octobre 1972, reproduits dans C. Pessis (dir.), Survivre et vivre. Critique de la science, naissance de l’écologie, Montreuil, L’Échappée, 2014, p. 225-240.
-
[35]
X. Vigna et M. Zancarini-Fournel, « Les rencontres improbables dans les “années 1968” », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 101, 2009, p. 163-177.
-
[36]
Archives de la CGT (A-CGT), 42CFD41, lettre de Robert Mazza (UD-Essonne) à Léon Mauvais, 4 octobre 1968.
-
[37]
A-CFDT, 8H1462, « La crise de l’énergie et les menaces… », art. cité.
-
[38]
Idem.
-
[39]
F. Georgi, « “Le monde change, changeons notre syndicalisme”. La crise vue par la CFDT (1973-1988) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 84, 2004, p. 95.
-
[40]
A-CFDT, 8H1462, « La crise de l’énergie et les menaces… », art. cité.
-
[41]
Idem.
-
[42]
T. Kahle, « Un environnementalisme par la base », Contretemps, 2014 ; en ligne : http://www.contretemps.eu/environnementalisme-par-base.
-
[43]
G. Hecht, Le rayonnement de la France…, op. cit., p. 105-139. Dans l’après-guerre, le syndicalisme chrétien n’était pas moins enthousiaste que les structures de la CGT quant à l’expansion de l’usage civil de l’atome. Voir le texte du président de la CFTC, M. Bouladoux, « L’Euratom, premier pas vers les États-Unis d’Europe ? », Syndicalisme Hebdo, février 1956.
-
[44]
R. Le Guen, « Les problèmes de l’énergie en France », Le Peuple, n° 950, 1974 ; « Politique énergétique : les objectifs de Force ouvrière », FO Hebdo, n° 1378, 1974 ; « Résolution sur les problèmes économiques du congrès confédéral », FO Hebdo, n° 1510, 1977.
-
[45]
S. Topçu, « Nucléaire : de la mobilisation des “savants” aux contre-expertises associatives », Nature Science Société, n° 14, 2006, p. 249-256.
-
[46]
A-CFDT, 8H1472, secteur ASCV, « Exposé des motifs pour une prise de position CFDT sur l’implantation des centrales nucléaires », automne 1974.
-
[47]
T. Kernalegenn, Histoire de l’écologie en Bretagne, Rennes, Goater, 2014, p. 43 ; Id., Luttes écologistes dans le Finistère, 1967-1981, Fouesnant, Yoran Embaner, 2006, p. 62-70.
-
[48]
G. Simon, Plogoff. L’apprentissage de la mobilisation sociale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 69 ; V. Porhel, Ouvriers bretons. Conflits d’usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 223-274.
-
[49]
Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (AD-I&V), 111J130, Union régionale Bretagne, « Première note de réflexion sur l’énergie nucléaire », 21 janvier 1975.
-
[50]
Idem.
-
[51]
F. Jarrige, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte, 2014, p. 278-285.
-
[52]
A-CFDT, 8H1472, « La CFDT prend position contre le programme électronucléaire du gouvernement », 4 avril 1975.
-
[53]
« L’ensemble du secteur de l’énergie doit être placé sous responsabilité publique », idem.
-
[54]
Idem.
-
[55]
A-CFDT, 8H1480, Bernard Laponche, « Énergie nucléaire et croissance capitaliste », s.d. [début 1975].
-
[56]
Cette revendication préfigure la future Agence française de la maîtrise de l’énergie (AFME), fondée par le gouvernement socialiste en 1982 et à la tête de laquelle sont placés d’anciens dirigeants cédétistes. A-CFDT, 8H1472, « La CFDT prend position contre le programme électronucléaire », 4 avril 1975.
-
[57]
A-CFDT, 8H1480, Bernard Laponche, « Énergie nucléaire et croissance… », art. cité.
-
[58]
Idem.
-
[59]
Cette mobilisation n’empêchera pas « l’effacement des traces du travail réel de ces travailleurs » constaté par A. Thébaud-Mony, L’industrie nucléaire. Sous-traitance et servitude, Paris, EDK-Inserm, 2000.
-
[60]
A-CFDT, 8H1480, Bernard Laponche, « Énergie nucléaire et croissance… », art. cité.
-
[61]
Cet ouvrage est : SNPEA-CFDT, L’électronucléaire en France, Paris, Éditions du Seuil, 1975. Voir N. Defaud, La CFDT (1968-1995)…, op. cit., p. 236 ; S. Topçu, La France nucléaire…, op. cit., p. 74 ; G. Simon, Plogoff…, op. cit., p. 69.
-
[62]
Entretien avec Bernard Laponche, 14 février 2012.
-
[63]
S. Topçu, La France nucléaire…, op. cit., p. 86.
-
[64]
Déclaration des CLIN, 6 décembre 1975, cité par T. Kernalegenn, Luttes écologistes…, op. cit., p. 69.
-
[65]
Ce principe est affirmé dès les premières pages de l’ouvrage du SNPEA : « dans une démocratie bien comprise, les organismes chargés de la recherche, du développement, de la production et de l’exploitation des ressources énergétiques devraient également être au service de la collectivité en l’informant pour lui permettre de faire des choix : ces choix sont bien une responsabilité politique et ne relèvent pas des seuls techniciens », SNPEA-CFDT, L’électronucléaire en France, op. cit., p. 10.
-
[66]
AD-I&V, 111J130, « L’Union régionale CFDT s’oppose à l’implantation d’une centrale nucléaire en Bretagne », 9 septembre 1975.
-
[67]
Un document reprenant cette analyse est publié en mars 1976. A-CFDT, 8H1473, SNPEA, « L’usine de La Hague. Situation industrielle, sécurité, conditions de travail », mars 1976.
-
[68]
M. Ghis Malfilatre, « La Hague, grands soirs et petits matins. Lorsque les salariés de l’atome dénonçaient leurs conditions de travail et le nucléaire », Z. Revue itinérante d’enquête et de critique sociale, n° 9, 2015, p. 206-208.
-
[69]
P. Rosanvallon, « Le socialisme et l’idéologie industrielle », CFDT Aujourd’hui, n° 13, 1975, p. 29-42.
-
[70]
AD-I&V, 111J130, note du Secteur économique, « Actions contre l’exécution du programme électronucléaire », Nouvelles CFDT, n° 31/76, 17 septembre 1976.
-
[71]
J.-C. Debeir, J.-P. Deléage et D. Hémery, Une histoire de l’énergie, op. cit., p. 402-405.
-
[72]
A-CFDT, 8H1473, document préparatoire à la conférence de presse, « Non à l’aventure ! La CFDT demande la suspension des décisions gouvernementales », 15 mars 1976.
-
[73]
A-CFDT, 8H1473, notes manuscrites, « Conférence de presse du 16 mars 1976 ».
-
[74]
Pierre Rosanvallon définit cette notion en estimant que c’est lorsque « les utopies des uns se superposent avec les calculs des autres que des possibles s’ouvrent parfois » : P. Rosanvallon, Le modèle politique français. La société contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p. 425.
-
[75]
L. Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, op. cit., p. 38.
-
[76]
Ibid., p. 38-39.
-
[77]
Par exemple, une réunion rassemble des représentants cédétistes avec des associations écologistes (CRIN et CLIN de Porsmoguer, Erdeven, Pays bigouden), organisations de la gauche indépendantiste bretonne (Skol Emsav, Bretagne révolutionnaire), partis de gauche radicale (Parti socialiste unifié et Ligue communiste révolutionnaire), associations familiales (Confédération syndicale du cadre de vie et Confédération syndicale des familles). AD-I&V, 111J130, compte rendu de la réunion de Brest, 16 octobre 1976.
-
[78]
X. Nerrière, « Protection de l’environnement… », op. cit., p. 72.
-
[79]
A-CFDT, 8H1473, « Non à l’aventure !… », art. cité.
-
[80]
Collectif d’enquête, Aujourd’hui Malville, demain la France, Claix, La Pensée Sauvage, 1978, p. 8.
-
[81]
AD-I&V, 111J130, note du Secteur économique, « Actions contre l’exécution du programme électronucléaire », Nouvelles CFDT, n° 31/76, 17 septembre 1976.
-
[82]
Ces deux implantations avaient déjà connu des grèves longues sur les conditions de travail en 1975 : A-CFDT, 8H1462, SNPEA-CFDT, communiqués des 4, 15, 28 avril et 9 mai 1975 ; AD-I&V, 111J130, note confédérale, 17 novembre 1976.
-
[83]
AD-I&V, 111J130, note confédérale, 17 novembre 1976 ; L. Requet, « La Basse-Normandie… », op. cit., p. 92.
-
[84]
A-CFDT, 8H1473, lettre préparatoire au CN des 15-16 janvier 1977, en date du 22 décembre 1976.
-
[85]
L. Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, op. cit., p. 34.
-
[86]
« Malville : des Assises pour un second souffle », La Gueule ouverte, n° 138, 1976, p. 20.
-
[87]
« La CFDT n’est pas antinucléaire », La Gueule ouverte, n° 133, 1976 ; « L’atome face au public », La Gueule ouverte, n° 134, 1976.
-
[88]
Nous soulignons. A-CFDT, 8H1473, lettre préparatoire au CN des 15-16 janvier 1977, en date du 22 décembre 1976. La même formulation se retrouve dans Nouvelles CFDT, 17 septembre 1976.
-
[89]
X. Vigna, L’insubordination ouvrière dans les usines. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 261-266.
-
[90]
N. Defaud, La CFDT (1968-1995)…, op. cit., p. 43-45.
-
[91]
« Le pétrole, l’atome et les travailleurs », Solidarité ouvrière, n° 34, 1974 ; « Le mouvement antinucléaire en RFA », Solidarité ouvrière, n° 67, 1977 ; « De la bataille de Malville à l’écologie parlementaire », Solidarité ouvrière, n° 73, 1977.
-
[92]
V. Porhel, « Creys-Malville contre Plogoff : les nouveaux visages de la lutte antinucléaire », in P. Artières et M. Zancarini-Fournel (dir.), 68. Une histoire collective, op. cit., p. 710-717.
-
[93]
A-CFDT, 8H1473, groupe confédéral énergie, réunion du 6 juillet 1977.
-
[94]
AD-I&V, 111J130, lettre de J. Rio (Secteur luttes écologiques du PSU), 16 juillet 1977.
-
[95]
A-CFDT, 8H1473, groupe confédéral énergie, réunion du 6 juillet 1977.
-
[96]
Idem.
-
[97]
Archives départementales du Rhône, 173J22, notes manuscrites, bureau de l’UD-CFDT Rhône, 12 juillet 1977.
-
[98]
F. Georgi, « “Le monde change”… », art. cité, p. 96-97.
-
[99]
A-CFDT, 8H1473, rencontre CFDT sur l’énergie et le type de développement, 15-16 décembre 1977.
-
[100]
A. Évrard, Contre vents et marées. Politiques des énergies renouvelables en Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 81-107.
-
[101]
M. Fulla, Les socialistes français et l’économie (1944-1981). Une histoire économique du politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2016, p. 375.
-
[102]
L. Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, op. cit., p. 72.
-
[103]
Ibid., p. 38.
-
[104]
Il n’est pas anodin de relever la tonalité iconoclaste adoptée par Edmond Maire, lorsque la critique du programme nucléaire permet d’affirmer la démarcation entre son organisation et la CGT : CFDT (dir.), Les dégâts du progrès, Paris, Éditions du Seuil, 1977, « Préface », p. 7-8.
-
[105]
M. Ghis Malfilatre, « La CGT face au problème de la sous-traitance nucléaire à EDF. Le cas de la mobilisation de Chinon (1987-1997) », Sociologie du travail, vol. 59, n° 1, 2017, en ligne.
-
[106]
S. Béroud, Les robins des bois de l’énergie, Paris, Le Cherche Midi, 2005.
1En novembre 2004, François Chérèque, alors secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), est invité à commenter des affiches retraçant l’histoire du syndicat qu’il dirigeait. Alors que l’autogestion a été un mythe mobilisateur pour cette organisation au cours des années 1968 [1], les images évoquant cette thématique sont présentées comme le témoignage d’une « époque révolue ». Par contre, les écriteaux marquant l’opposition cédétiste au tout-nucléaire sont fièrement assumés : « comme quoi, la CFDT garde une permanence dans ses revendications depuis 1979. Que les choses soient claires : nous ne sommes pas contre le nucléaire civil, pas plus hier qu’aujourd’hui. Mais il faut aller vers une diversification de nos sources d’énergie [2] ». Reléguer la démarche autogestionnaire dans une lointaine « réalité des années 1970 [3] » pour mieux éclairer la mobilisation contre le tout-nucléaire peut surprendre, dans la mesure où ces deux thèmes s’articulaient dans la réflexion cédétiste. Ainsi, lorsque le Bureau national de la CFDT prend position contre le plan d’équipement nucléaire décidé par le gouvernement Messmer [4], cette décision est justifiée par un argumentaire anticapitaliste qui s’inscrit pleinement dans l’ossature idéologique de l’organisation : le socialisme démocratique [5].
2Il est paradoxal que l’historiographie méconnaisse les ressorts de l’engagement cédétiste dans l’opposition au plan Messmer, tant cet investissement suscita la fascination de plusieurs générations de chercheurs en sciences sociales. Dès sa création en 1964, à l’initiative d’une majorité d’anciens militants de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la CFDT attire le regard d’une sociologie du travail qui perçoit l’organisation comme l’expression d’une « nouvelle classe ouvrière [6] ». Ces syndicalistes sont donc d’emblée sous le regard de sociologues soucieux de disséquer des voix distinctes parmi la polyphonie des « réactions antinucléaires », tout en érigeant fiévreusement la CFDT en « opérateur politique des mouvements sociaux [7] ».
3La position confédérale est ensuite analysée comme le produit d’échanges avec un « mouvement social [8] » aux contours incertains, écologiste ou antinucléaire, dont les motifs revendicatifs seraient élaborés hors du fonctionnement ordinaire de la démocratie syndicale. Cette position est également considérée comme l’une des rares sources de l’intérêt syndical pour la question environnementale [9]. En réduisant l’intervention cédétiste à une réaction contre une décision gouvernementale, ces approches masquent une histoire longue de la réflexion syndicale sur la mutation du système énergétique [10], sur les transformations du travail dans ces filières industrielles et sur les « blocs de développement [11] » résultant de ces choix. L’examen des archives – confédérales, fédérales, départementales – permet d’éclairer ce faisceau de facteurs qui rendent intelligible la position cédétiste face au développement de l’atome [12].
4La mobilisation cédétiste est triplement improbable : elle repose sur la rencontre de salariés de filières industrielles distinctes [13] ; ses revendications se distinguent de celles des autres organisations syndicales de l’énergie, Force ouvrière (FO) et Confédération générale du travail (CGT), celle-ci étant largement majoritaire dans les entreprises nationalisées [14] ; et, enfin, elle se fonde sur l’implication de salariés qui doivent penser leur intervention dans une entreprise qui reste un symbole d’une identité nationale française. Cette dimension identitaire explique, en partie, l’hétérogénéité et la difficile structuration des contestations de l’atome dans l’après-guerre [15]. Par la suite, combattre l’atome, voire mettre en doute la pertinence de son usage, pouvait apparaître « comme une attaque contre la nation [16] ».
5Jusque tard dans les années 1970, le positionnement cédétiste n’est jamais pleinement stabilisé. Il s’enrichit de l’accumulation de réflexions menées par les fédérations professionnelles des secteurs de l’énergie, lesquelles fondent leur expression sur les savoirs et savoir-faire des salariés qu’elles représentent. Ce positionnement s’enrichit aussi des relations nouées par des militants et des structures cédétistes (et non par la CFDT dans son ensemble) avec différents acteurs contestataires – scientifiques, écologistes, etc. –, dont la rencontre a été cruciale dans la formation d’un mouvement antinucléaire d’ampleur nationale. Au regard de l’historiographie des mouvements sociaux, cet effort de structuration constitue un tournant. En effet, dès l’après-guerre, les contestations de l’atome étaient demeurées fort hétérogènes [17]. Les premières manifestations antinucléaires des années 1970 restaient des actions territoriales : malgré l’écho que donne la presse écologiste aux mobilisations de Fessenheim ou du Bugey, celles-ci ne sont pas à l’origine du développement d’un réseau national pérenne. Cet effort d’organisation à l’échelle nationale intervient uniquement dans la foulée de l’annonce du plan Messmer, au cours de l’année 1974, que l’historiographie présente comme la « charnière grinçante [18] » avec la conflictualité des années 1968, c’est-à-dire le moment où l’horizon d’attente des mouvements sociaux se transforme sous l’effet de la crise économique.
6Dans ce contexte, faire un retour sur les archives syndicales permet d’illustrer les conditions de l’intersection entre le « champ syndical » et « l’espace des mouvements sociaux [19] ». Plus spécifiquement, cette rencontre éphémère des structures cédétistes avec les courants antinucléaires éclaire les rouages d’un recentrage précoce, puisque l’émergence d’un discours confédéral visant à rompre cette alliance intervient bien en amont du congrès confédéral de 1979. Toutefois, observer la formation d’une action syndicale face au plan électro-nucléaire éclaire surtout les conditions dans lesquelles une organisation de salariés s’érige en acteur d’une transformation industrielle (la mutation du système énergétique), en agissant pour que cette métamorphose soit plus conforme à son orientation idéologique. Le positionnement cédétiste se comprend ainsi en relation avec l’évolution du système énergétique français dans l’après-guerre. En effet, avant même la formation d’une mobilisation portant spécifiquement sur la question nucléaire, ce sont les structures ordinaires de la démocratie syndicale qui sont à la manœuvre pour faire entendre les préoccupations des salariés face aux conséquences sociales et environnementales des choix opérés dans ce domaine. Bien que la CFDT joue un rôle crucial dans la contestation du plan Messmer, la situation de ses militants et de ses structures devient inconfortable : si ces derniers entendent se démarquer des courants antinucléaires, ils refusent de se désinvestir d’une cause qu’ils ont contribué à imposer dans la société française.
Critique syndicale de la mutation du système énergétique : une mobilisation improbable
7À l’automne 1973, la société française est traversée par la crainte de conséquences sociales liées à un renchérissement du coût du pétrole [20]. L’hypothèse d’un recours à l’atome est ainsi évoquée pour pallier d’éventuelles pénuries. Le Secteur économique de la CFDT convoque une conférence de presse afin d’énoncer les positions confédérales quant aux menaces sur l’emploi et de publiciser ses propositions sur le sujet. Il réfute d’emblée le caractère « pétrolier » de cette crise et affirme la nécessité de raisonner sur l’ensemble des combustibles, considérant qu’il « ne faut plus parler de firmes pétrolières mais de firmes énergétiques. Il suffit d’examiner la part croissante que les firmes du cartel détiennent dans les mines de charbon, dans les gisements de schiste et de sables bitumineux, et dans les gisements d’uranium [21] ». Alors que l’action syndicale dans ces secteurs est fragmentée en fonction des filières industrielles depuis l’après-guerre, la CFTC puis la CFDT s’étaient dotées de structures originales pour tenir compte de cette évolution.
8Une première inflexion était intervenue dans le contexte de l’application du Plan d’adaptation des houillères (1960), prévoyant de réduire les capacités d’extraction charbonnière en France et de supprimer des emplois de mineurs [22]. Ces mesures sont à l’origine d’une forte mobilisation des organisations de salariés, puis de l’élaboration de nouvelles stratégies d’action syndicale dans les secteurs de l’énergie. Majoritaires dans les entreprises nationalisées (Électricité de France et Charbonnages de France), les fédérations CGT des différents secteurs de l’énergie se coordonnent peu : elles agissent prioritairement dans leurs entreprises. Minoritaire dans les Charbonnages comme à l’EDF, la CFTC dispose en revanche d’une meilleure implantation dans le secteur pétrolier, et devient la première organisation dans certaines raffineries. Dressant le constat de leur situation minoritaire dans le secteur de l’énergie, les fédérations de la CFTC (puis de la CFDT) esquissent une stratégie d’action syndicale concertée – parfois pilotée par les instances confédérales, parfois nourrie par l’initiative des fédérations. Dès l’hiver 1959, la CFTC marque son hostilité au plan Jeanneney en affirmant l’impossibilité « d’assaini[r] les charbonnages sans une politique coordonnée de l’énergie [23] ». L’expression se fonde alors sur l’analyse d’un « groupe d’études confédéral des problèmes énergétiques [24] », actif au sein de la confédération chrétienne dès ces années. Dès lors, les cédétistes n’ont de cesse d’affiner cette réflexion sur l’ensemble des combustibles, en nourrissant les échanges entre les fédérations syndicales concernées.
9Du 13 au 15 janvier 1964, une réunion sur la politique énergétique est organisée à l’initiative du Secteur économique. La démarche confédérale se veut incitative, en vue de structurer une dynamique commune à des fédérations dont l’action restait fragmentée. Cette rencontre offre ainsi l’opportunité d’un échange inédit entre des mineurs (Fédération des mineurs), des salariés d’EDF-GDF (Fédération Gaz-Électricité) et des entreprises pétrolières (membres de la Fédération unifiée de la chimie) [25]. La première journée s’organise autour d’exposés de commissaires au Plan, ainsi que d’un scientifique de l’Institut d’économie de l’énergie de Grenoble [26]. La dernière journée nourrit l’ambition de « dégager les principaux aspects d’une “politique commune” [27] » au sein des structures cédétistes. L’expérience est renouvelée lors d’une rencontre où des syndicalistes de chaque filière industrielle envisagent la création d’un secteur interfédéral dédié [28], préfigurant la future commission confédérale de l’énergie. Il est toutefois à souligner que cette initiative est portée par des syndicalistes représentant leurs organisations dans des institutions publiques telles que le Conseil économique et social (Joseph Charuau), les dirigeants des fédérations syndicales des industries en question ainsi que René Bonéty, animateur du Secteur économique confédéral. Les militants investis au sein des sections syndicales locales semblent alors peu concernés.
10Une seconde inflexion intervient à la suite de la « guerre des filières » dans l’industrie nucléaire. Le 13 novembre 1969, le Conseil interministériel décide que la construction d’un réacteur à Fessenheim reprendra le modèle à eau pressurisée de l’entreprise Westinghouse, au détriment du prototype graphite-gaz développé par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) [29]. Contestée par les organisations syndicales, cette décision provoque 3 600 licenciements dans les années suivantes. Un ingénieur syndiqué à Saclay (Essonne) explique que cette crise marque un tournant car :
[elle] a décloisonné le syndicat et elle a mis sur le tapis la question des conditions de travail, la question de qu’est-ce que c’est que ces filières… Parce que les gens de La Hague, on ne les connaissait pas. Eux faisaient du retraitement, puis moi je faisais mes petits calculs dans mon coin. J’ai même fait ma thèse sur le plutonium, sans m’interroger sur les risques du plutonium [30].
12Peu nombreux, ces ingénieurs ont connu l’expérience des « soviets de Saclay [31] » en mai-juin 1968, pendant laquelle ils obtiennent une extension significative des droits syndicaux dans l’implantation francilienne du CEA. Dans la foulée, certains de ces ingénieurs prennent des responsabilités au sein de la CFDT. Leur réflexion sur les conditions du travail nucléaire s’accompagne d’une ouverture vers des mouvements extérieurs au monde ouvrier. Ils ne rencontrent pas d’emblée un mouvement antinucléaire dont la structuration reste balbutiante et qui recouvre des réalités distinctes : sa composition sociale et ses orientations idéologiques diffèrent selon les régions. Les premières manifestations antinucléaires – à Fessenheim en avril 1971 et au Bugey au mois de juillet suivant – sont plutôt des actions locales initiées par des riverains, des militants régionalistes, voire des enseignants ou le journaliste Pierre Fournier dans l’Ain [32]. Si le répertoire d’action de ces initiatives locales est étranger aux références du mouvement ouvrier, la situation est bien différente dans la Manche où un Comité contre la pollution atomique de La Hague est fondé par des syndicalistes enseignants dès 1971 [33]. En avril 1972, une conférence de presse organisée par la CFDT Saclay ouvre un scandale médiatique sur les effets sanitaires de la radioactivité : le mathématicien Alexandre Grothendieck révèle l’existence d’un stockage dangereux de 200 fûts de déchets radioactifs par le CEA [34]. Ce sont d’abord des groupes ou des militants souvent isolés, ou marginalisés, que les cédétistes rencontrent et avec lesquels ils débutent une relation aussi féconde que conflictuelle. L’éphémère investissement dans ces rencontres improbables [35] singularise l’action cédétiste, par comparaison avec le choix de la direction de la CGT d’assurer un bornage du champ syndical – en surveillant les échanges entre ses militants et ceux qu’elle verse dans la catégorie extensive des « gauchistes [36] ».
13Lorsque les membres du Secteur économique de la CFDT présentent leurs analyses sur la crise de l’énergie, en décembre 1973, ils bénéficient non seulement des réflexions menées auparavant par les structures confédérées, mais ils s’appuient aussi sur les caractéristiques propres au projet cédétiste. En énonçant que les gouvernements français successifs auraient orchestré la liquidation des houillères et l’addiction française au pétrole, ils soulignent que le choix d’une source d’énergie détermine les formes du développement économique et social :
le type de croissance, le choix des objets de consommation, de l’organisation sociale de la production et de la consommation ne sont pas indépendants des choix du pétrole […]. Les modes d’utilisation de l’énergie sont révélateurs du type de développement choisi, mais plus fondamentalement le choix de l’énergie dominante conditionne des formes spécifiques d’utilisation de l’énergie et des modes particuliers de consommation. Le choix du pétrole comme énergie dominante a entraîné la nécessité de placer ses dérivés dans de nombreux secteurs […]. Sur cette base s’est établi un pouvoir exorbitant de ses capitaux. C’est un véritable projet de société qu’elles ont impulsé, jouant un rôle central dans la définition du mode de développement choisi [37].
15Ce choix est perçu à l’aune de ses effets sur les conditions de vie des classes populaires, et notamment de l’emploi, puisque l’usage de dérivés pétroliers provoque la liquidation des métiers du charbon (« dans l’euphorie de la croissance, on sacrifie allègrement des mineurs »). Plus généralement, les convertisseurs énergétiques mobilisés sont considérés comme déterminants dans l’évolution du mode de vie puisque le recours aux hydrocarbures contribue par exemple à l’individualisation des transports. Enfin, les cédétistes refusent de faire de la croissance un indicateur valable du bien-être d’une société, soulignant que « quand Paris est embouteillé, le PIB progresse grâce à la consommation d’essence ! », avant d’interpeller : « le taux de croissance ne mesure-t-il pas le progrès de l’anti-progrès ? [38] ».
16La réponse cédétiste à la crise passe « par la lutte contre les firmes capitalistes avec pour objectif la construction d’un ordre social différent [39] ». Favorable à l’exploitation accrue du charbon et de l’hydraulique, la CFDT invite à « contrôler le développement du nucléaire [pour] ne pas répéter les mêmes erreurs qu’avec le pétrole ». Non seulement les menaces sanitaires liées aux conditions de travail justifieraient d’éviter le recours à l’atome, mais la confédération se prononce surtout pour une complémentarité des approvisionnements afin d’éviter la dépendance à un seul combustible. Voulant orienter la consommation énergétique selon les besoins sociaux, sans incitation étatique ni privée, les syndicalistes prônent une « propriété sociale des moyens de production et de distribution du secteur [40] ». Ces choix sont définis comme des leviers pour assurer la transformation du modèle économique, contribuant à transformer des filières industrielles pour les rendre plus économes en matières premières. Cette transformation du système énergétique serait l’occasion de repenser le travail :
on peut s’interroger sur la nature des emplois créés. N’est-on pas dans un cercle vicieux insensé : obligé de consommer et de gaspiller pour travailler ? Doit-on continuer à fabriquer des choses inutiles, nuisibles ou de mauvaise qualité ? La prospérité apparente repose en fait sur la transformation de plus en plus rapide de montagnes de camelotes en montagnes de détritus […]. Dans une situation de crise, le capitalisme […] va tenter de se réorganiser sur le dos des travailleurs. Mais il ne pourra pas régler les problèmes essentiels, modifier sur le fond le développement actuel [41].
18Cette analyse repose sur l’effort du Secteur économique confédéral, mais elle se nourrit surtout de la réflexion du groupe chargé de penser la mutation du système énergétique. Né dans le contexte des deux crises sociales qui marquent ces entreprises au cours des années 1960 (crise charbonnière et guerre des filières au CEA), ce groupe irrigue la réflexion confédérale et lui permet de se distinguer dans le champ syndical. En effet, ses propositions sont présentées comme un moteur pour le projet confédéral : planification de l’économie et réorientation de la production selon des critères d’utilité sociale, de viabilité écologique, et de socialisation (et non nationalisation) du secteur énergétique. La démarche est improbable parce qu’elle repose sur la rencontre de syndicalistes aux compétences complémentaires, dont les opportunités d’échanges étaient auparavant rares. De plus, si la fragmentation du syndicalisme dans le secteur énergétique n’est pas une particularité française [42], la France présente une relative singularité en ce qu’il existe un discours étatique – longtemps construit avec et relayé par les organisations syndicales – érigeant les entreprises nationalisées et les techniques mobilisées en symboles d’une certaine identité nationale [43]. La mobilisation cédétiste est donc aussi improbable parce qu’elle conteste cette équivalence entre une firme, une infrastructure et une identité nationale. Ce faisant, les cédétistes se démarquent plus nettement de la CGT et de la CGT-FO.
La démocratie syndicale à l’épreuve du programme nucléaire (1974-1976)
19En mars et octobre 1974, le gouvernement français annonce un vaste programme de construction de centrales nucléaires. La CGT, FO et la CFDT protestent toutes contre une décision imposant le recours à une technique « américaine » et instaurant une dépendance à un combustible importé plutôt que de diversifier le mix énergétique [44]. Toutefois, seule la CFDT prolonge sa critique par une opposition ferme au plan Messmer. Elle s’impose ainsi comme l’école de formation des militants contestant l’usage de l’atome [45]. L’implication cédétiste dans cette mobilisation est pourtant débattue et organisée dans le cadre du fonctionnement ordinaire de la démocratie syndicale. En effet, les premiers éléments d’une critique syndicale sont présentés à la presse, le 10 octobre 1974, par les fédérations professionnelles les plus concernées (Fédération Gaz-Électricité, Fédération des mineurs et Syndicat national des personnels de l’énergie atomique), après six mois de réflexions internes. La contestation du programme nucléaire se cristallise sur l’absence de concertation démocratique préalable, la carence d’informations sur les risques sanitaires et écologiques, ainsi que sur la faiblesse des données relatives aux anticipations de consommation. La CFDT diffuse rapidement un document à l’ensemble des structures confédérées : ce texte résume les informations offertes par les fédérations précitées, tout en invitant toutes les organisations membres de la CFDT à élaborer leur propre position [46].
20Les Unions régionales, dont les territoires sont directement concernés par les rumeurs d’implantations de centrales, s’impliquent rapidement. Au début de 1975, sept d’entre elles ont déjà entrepris une première réflexion sur le programme électro-nucléaire : toutes marquent une défiance face à cette décision, sans jamais prôner un refus de l’atome. Dans le cas breton, où sont formés les premiers Comités locaux d’information sur le nucléaire (CLIN) et le Comité régional (CRIN) à Erdeven (Morbihan) dès novembre 1974 [47], la participation des syndicalistes à ces initiatives est rapide et durable [48]. Dès janvier 1975, l’Union régionale diffuse un document pointant les risques économiques et écologiques des constructions. Elle souligne l’absence d’études fiables quant aux besoins prévisibles en matière de consommation et affirme son refus de passer d’une addiction à l’autre, d’un système polarisé par le pétrole à une dépendance à l’atome. Considérant que le recours au nucléaire est « sans doute inéluctable pendant un certain temps », elle conditionne cette option à la nécessité de « raccourcir le plus possible la période pendant laquelle on utilisera cette forme d’énergie et, pour cela, consentir un effort de recherche important en faveur d’énergie comportant moins de risques [49] ». Cette note introduit aussi des thématiques nouvelles face aux positions confédérales : elle marque une préoccupation pour les inégalités dans l’accès aux ressources, rappelant que l’extraction de ces matières se déroule dans les pays du Sud et que l’accès à l’énergie reste limité pour les classes populaires dans les pays du Nord. Ce texte affirme que ces inégalités ne sauraient être résorbées par des choix techniques, ni par des entreprises privées ou publiques, dès lors que « toutes les modifications et innovations du système capitaliste se situent en effet dans une logique implacable, celle du profit comme moteur de développement [50] ». Les syndicalistes bretons suggèrent que des mesures de décentralisation permettraient de limiter la dépendance aux énergies les plus dispendieuses. Cette démarche rappelle les énoncés en faveur des « technologies douces », c’est-à-dire celles dont la maîtrise est assurée à l’échelle d’un territoire par des communautés locales plutôt que des entités étatiques centralisées [51].
21En synthétisant les positions exprimées par les fédérations professionnelles et les structures interprofessionnelles territoriales, le Bureau national s’exprime pour « l’annulation des décisions prises par le gouvernement en mars 1974 et la suspension de nouveaux investissements ». La déclaration condamne l’absence de concertation démocratique sur ce programme électro-nucléaire, rappelle son attachement aux « ressources nationales » et s’indigne de l’abandon de la filière graphite-gaz qui aurait « compromis l’indépendance énergétique de la France ». Cette stratégie serait organisée au détriment de la recherche de ressources énergétiques décentralisées, adaptées aux besoins des territoires et pourvoyeuses d’emplois. Enfin, la sécurité des salariés et des populations serait également en péril, puisque cette stratégie n’apporterait pas de réponse quant à la gestion des déchets radioactifs. Les cédétistes s’inquiètent du retraitement du combustible, considérant que les « firmes tentent de faire de la France un champ d’expérimentation […] du traitement des déchets : le risque est grand de voir l’accumulation de déchets radioactifs de toute provenance alors que les techniques de sécurité ne sont pas au point [52] ».
22Au-delà des propositions convenues (demande d’une information transparente, débat démocratique sur la politique énergétique, recherche sur les renouvelables, usage des énergies « nationales », relance charbonnière, refus d’une privatisation [53]), certaines mesures reflètent plus particulièrement l’engagement cédétiste en faveur d’un autre type de développement et témoignent d’un projet syndical enrichi de l’implication de ses militants dans différents mouvements sociaux. La position cédétiste s’ancre initialement dans la volonté de mieux évaluer les besoins en énergie. D’une part, la confédération affirme que le choix du pétrole depuis les années 1960 a conduit à une situation de dépendance et qu’il conviendrait de remédier à cette erreur par une diversification du mix énergétique, plutôt que par un investissement dans le seul secteur nucléaire. Alors que le recours à ces énergies impose l’extraction de pétrole et d’uranium dans des pays du Sud, elle appelle à « l’organisation de nouveaux rapports de coopération avec les pays producteurs de matières premières, remettant en cause le colonialisme technologique et économique des firmes multinationales [54] ». D’autre part, elle conteste la pertinence d’encourager une dépense énergétique lorsque celle-ci mène à produire des biens superflus. Elle propose au contraire d’associer les salariés à la définition des besoins, dans le cadre d’une planification démocratique de l’économie qui permettrait d’élaborer des modes de consommation collectifs et plus économes. Bernard Laponche, l’un des principaux animateurs de la réflexion, écrit ainsi que « l’accélération de l’utilisation de l’énergie nucléaire que l’on veut nous imposer, outre les risques qu’elle présente, s’inscrit sans la modifier dans la marche d’une civilisation industrielle qui ne sait plus mesurer le progrès qu’en pourcentages et accroissements quantitatifs [55] ».
23Trois propositions inédites sont formulées. La confédération appelle d’abord à élaborer une réforme fiscale pour intégrer un prélèvement sur la consommation d’énergie. Tout en réduisant les inégalités, cette mesure permettrait de constituer un fonds pour réorienter la politique énergétique. Ensuite, elle suggère la fondation d’une Agence nationale de l’énergie, « chargée de coordonner les efforts, d’animer et de financer les recherches [56] ». Enfin, son communiqué s’oppose au travail intérimaire dans les centrales nucléaires. Les conditions de travail seraient ainsi :
aggravée[s] par l’absence de services de protection contre les radiations indépendants de l’exploitant dans les centrales et l’utilisation croissante de travailleurs intérimaires, non formés, ignorant les risques et non contrôlés sur l’ensemble de leur vie professionnelle, surtout pour des tâches d’intervention où l’on risque d’être irradié. L’utilisation de cette main-d’œuvre vulnérable se retrouve aussi bien dans les centrales qu’à l’usine de traitement de combustibles irradiés (La Hague) où le travail se fait déjà dans une atmosphère de risques permanents [57].
25Pour les cédétistes, les deux extrémités de la chaîne de production se caractérisent par un travail dangereux : tant pour les mineurs d’uranium que pour les ouvriers chargés du traitement du combustible irradié [58]. L’apparente modernité de la technologie masque la persistance d’un travail ouvrier exposé aux risques [59]. Les syndicalistes affirment dès lors qu’ils auraient une double responsabilité dans ce débat. L’articulation de leurs revendications professionnelles (améliorer leurs conditions de travail et « poser la question de la finalité de leur travail ») et de leurs compétences devrait les conduire à assurer « une information auprès des autres travailleurs et de la population [60] ». Ces militants élaborent un matériel permettant de diffuser les savoirs sur l’atome. Dès l’automne 1975, le Syndicat national des personnels de l’énergie atomique (SNPEA-CFDT) publie un ouvrage qui s’impose comme une source d’information majeure et dont la diffusion dépasserait les 80 000 exemplaires [61]. Selon d’anciens responsables cédétistes :
Tous les gens du CEA, même les dirigeants, avaient le bouquin puisqu’il n’y avait rien d’autre. Ils considéraient que la CFDT prenait des positions qu’ils n’approuvaient pas, mais ils considéraient qu’on avait quand même des compétences […]. L’administrateur général du CEA nous avait envoyé une lettre pour nous féliciter de la qualité de ce travail, tout en étant en désaccord avec nos conclusions. Nos conclusions étaient de dire que c’était dangereux et qu’il fallait faire attention, alors que lui considérait que c’était formidable, mais il reconnaissait que le bouquin avait été très utile et très bien. Il y avait une espèce d’ambiguïté [62].
27L’ouvrage contribue à la crédibilité de l’opposition au programme nucléaire, bien que la direction du CEA conteste progressivement le contenu du livre. En février 1975, des ingénieurs syndiqués signent l’« Appel de scientifiques à propos du programme nucléaire français » (dit l’Appel des 400) et participent à la fondation du Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN), en novembre 1975. Par la suite, le GSIEN et la CFDT assurent « un rôle central de contre-pouvoir scientifique dans la lutte contre le programme électronucléaire, tout en refusant le rôle de contre-expert [63] ». La volonté de diffuser ces connaissances s’inscrit dans le sillage de mobilisations locales : les CLIN en Bretagne, par exemple, adoptent une déclaration déniant l’existence d’un domaine réservé aux scientifiques [64]. En partageant ce principe de non-délégation [65], les cédétistes prennent langue avec les associations écologistes et certains partis politiques. Ces coalitions s’accordent parfois sur la promotion d’alternatives, par exemple en faveur du « développement maximum des ressources énergétiques régionales et nationales et des énergies de substitution [66] ». Elles animent localement l’opposition au programme nucléaire, par exemple en assurant la projection du film Condamnés à réussir, réalisé par les ouvriers et ingénieurs du SNPEA. Non seulement le documentaire s’appuie sur une analyse syndicale minutieuse des conditions de travail dans l’usine de retraitement de déchets radioactifs de La Hague [67], mais sa réalisation renforce les liens entre ouvriers et ingénieurs [68].
28L’originalité cédétiste consiste à étendre le périmètre de la démocratie syndicale vers des revendications pensées au-delà d’une filière industrielle. La critique du programme nucléaire s’articule aux propositions visant à définir un développement économique plus égalitaire et respectueux des équilibres écologiques. Cette démarche se double de l’ambition de nourrir le projet cédétiste en faveur d’un socialisme démocratique. Dans la revue théorique de l’organisation, Pierre Rosanvallon écrit que « la centralisation trop grande de certaines technologies fait en effet courir des risques au niveau écologique ou au niveau du fonctionnement démocratique d’une société. C’est un des enjeux du débat actuel sur les centrales nucléaires ». Dès lors, il invite à « pouss[er] à fond la critique du capitalisme et de l’idéologie industrielle qui est plus large [afin que] la perspective autogestionnaire se donne véritablement les moyens de penser scientifiquement le socialisme de demain [69] ».
29Considérant que leur position présente « le mérite d’avoir été élaborée à partir de l’expérience syndicale, en tenant compte des préoccupations de tous les travailleurs et des débats des fédérations concernées », les dirigeants confédéraux affirment désormais que la mobilisation devrait être « prise en charge de manière collective par toutes les organisations CFDT sur la base de [leurs] positions [70] ». En s’affirmant comme une position élaborée selon des préoccupations proprement syndicales, la CFDT répond tacitement aux assertions de la CGT et de FO qui disqualifiaient la contestation de l’atome comme une lutte non syndicale. Et, en se présentant comme la seule organisation de salariés assumant cette position, elle affirme sa singularité dans un champ syndical concurrentiel. Elle proclame aussi sa légitimité face aux mobilisations extérieures au salariat, dans un contexte où les cédétistes doivent peu à peu se confronter à un mouvement antinucléaire en voie de structuration nationale et dont la parole met en cause le cadrage syndical de cette mobilisation.
Une mobilisation inconfortable (1976-1977)
30À l’orée de 1976, deux annonces confortent le développement de la filière nucléaire. D’une part, un décret du 26 décembre 1975 autorise le CEA à créer une filiale pour assurer les activités relatives au cycle des matières nucléaires. La Cogema devient bientôt l’unique entreprise au monde à traiter tout le cycle du combustible [71]. D’autre part, le gouvernement indique sa volonté de bâtir un surgénérateur afin de produire du plutonium. La CFDT s’estime confortée dans ses analyses : « de décision en décision, on arrive à ce que nous craignions : une situation irréversible. Pour rentabiliser les investissements engagés, il faut absolument conserver un rythme de commandes annuelles de centrales ; pour diminuer leur coût de fonctionnement, on se lance dans le retraitement mais comme celui-ci à son tour n’apparaît positif que si on utilise le plutonium, on aborde sans délais l’ère des surgénérateurs [72] ». L’investissement dans le nucléaire est dénoncé comme un « choix dangereux, productiviste et policier [73] », mais il marquerait surtout l’instauration d’un phénomène de dépendance qui rend difficile la bifurcation vers d’autres énergies. Dans ce contexte, la zone d’intersection entre l’espace des mouvements sociaux et le champ syndical s’étend. Alors que des organisations extrasyndicales prônent plus aisément une opposition à l’atome, leurs militants peuvent interpréter la position cédétiste comme un soutien à la cause antinucléaire. Dès lors, les instances confédérales marquent un malaise face à ce qui constitue le paroxysme d’une « équivoque productive [74] ». Un conflit de définition s’engage dans la mesure où « toute cause est un espace de lutte entre organisations en compétition pour l’imposition de leur définition des enjeux prioritaires du moment et des moyens à mettre en œuvre pour les atteindre [75] ». Deux foyers de conflits contribuent ainsi à transformer les conditions de l’engagement cédétiste face au programme nucléaire.
31En premier lieu, les mobilisations contre l’implantation de centrales se multiplient. Contrairement aux initiatives morcelées des années précédentes, un réseau s’organise. Sa structuration reste tributaire des ressources financières ou logistiques que les militants peuvent lever [76], et, dans ce domaine, ils profitent amplement du soutien des structures cédétistes. Au fil des mois, ces rassemblements permettent au mouvement antinucléaire d’affirmer son autonomie. En Bretagne, les rassemblements à Erdeven, puis à Plogoff, sont discutés par la CFDT avec des associations écologistes, des partis de gauche radicale ou des syndicats paysans [77]. En Loire-Atlantique, l’Union départementale CFDT participe à l’opposition à la construction de la centrale du Pellerin [78]. Le principal lieu de conflit porte sur le projet de surgénérateur à Malville, conduisant la confédération à envisager l’organisation d’un « vaste rassemblement [79] ». Mais lorsque, le 3 juillet 1976, une manifestation réunit finalement une dizaine de milliers de personnes à l’appel de différentes organisations (dont des structures territoriales de la CFDT), celle-ci ne dispose pas du soutien de la confédération [80]. Quelques semaines plus tard, cette dernière diffuse une note alertant les militants sur les « risques à rallier des actions plus ou moins “spontanées” dont les objectifs et les moyens sont mal définis [81] », avant d’inviter les structures syndicales à ne s’engager que dans les initiatives qui s’appuieraient sur les positions cédétistes.
32Le second foyer de conflit est ouvert par les ouvriers des sites de production du CEA. Craignant que la création d’une filiale menace leurs emplois et leurs conditions de travail, les salariés de La Hague déclenchent une grève le 16 septembre 1976. Ils sont rejoints par les salariés du centre de Marcoule à partir du 25 octobre [82]. Alors que les grévistes lancent un appel à l’organisation d’assises du nucléaire à La Hague, une dizaine de milliers de personnes se réunissent dans la Manche les 27 et 28 novembre [83]. Tout en révélant les désaccords entre syndicalistes et écologistes, ce forum esquisse des propositions partagées en faveur des énergies renouvelables. En dressant le bilan de leur grève, les syndicalistes estiment qu’un dialogue s’est établi avec les courants d’une gauche écologiste :
cela s’est vu à travers leur presse, leur soutien financier constant (1 000 à 1 500 francs par jour), leur présence nombreuse aux Assises. Il s’est établi sur ce plan un contact extrêmement intéressant et assez unique entre les travailleurs en lutte – avec toutes leurs contraintes – et les écologistes antinucléaires, avec leur projet souvent ultra-minoritaire [84].
34Cet événement s’impose comme un moment constitutif de l’identité du mouvement d’opposition au « tout-nucléaire » à l’échelle nationale. Pour les cédétistes comme pour les militants écologistes, la notion d’assises se pare d’une vertu démocratique qui répondrait symétriquement à l’opacité des décisions concernant le programme d’équipement nucléaire français. Cette ouverture serait également une condition pour consolider la dynamique d’un mouvement d’opposition au plan Messmer, en facilitant la rencontre de groupes sociaux (ouvriers, écologistes, scientifiques) dont les motivations pouvaient être distinctes. La notion d’assises participe à la construction d’un argumentaire légitimant le mouvement protestataire au nom de son caractère présumé démocratique, cet argument étant partagé par l’ensemble des opposants à l’expansion du nucléaire civil. Pour ces deux raisons, l’événement de Cherbourg engendre un flot de discussions qui contribuent à l’élaboration d’une « autoréférence de l’espace des mouvements sociaux [85] ». La coordination des comités Malville reprend ainsi la notion en envisageant, pendant un temps, d’organiser des « Assises contre Superphénix [86] ». Paradoxalement, la circulation de cette notion n’empêche nullement que la rencontre de Cherbourg éclaire l’existence d’un écart entre la position cédétiste et celle des militants écologistes. Ces derniers soulignent que les salariés de La Hague appellent aux « assises “du” nucléaire, pas “anti” nucléaire », puis réfutent l’illusion d’une CFDT antinucléaire [87].
35Cette clarification est aussi menée au sein de l’organisation syndicale, principalement par des militants impliqués dans la Commission confédérale de l’énergie et dans le Secteur économique. Dès l’été 1976, les expressions confédérales reprennent le leitmotiv selon lequel les échanges avec les écologistes devraient être menés « sur la base des positions de la CFDT (qui ne sont pas antinucléaires) [88] ». Cette communication prend son sens dans un contexte marqué par un recentrage précoce de la confédération [89]. Ce processus reste souvent présenté comme un retour de la CFDT vers ce que la direction confédérale désigne comme le « cœur » de sa mission syndicale, à la suite du congrès confédéral de 1979. En essentialisant ce que devrait être cette fonction, le discours d’organisation masque les choix politiques qui mènent à ce « recentrage » et qui confinent l’action syndicale dans le périmètre de la relation salariale, directe ou différée. Ce discours participe aussi de la marginalisation de conceptions alternatives de l’action syndicale car le recentrage s’accompagne d’un travail de stigmatisation de ceux que les dirigeants confédéraux désignent comme « gauchistes », en leur déniant la qualité de militants syndicaux [90]. Ces assertions illustrent la pression à laquelle sont exposés – bien qu’ils ne soient jamais nommés – les militants multipositionnés dans l’organisation syndicale et dans les réseaux de la gauche radicale ou écologiste. Par exemple, le réseau de l’Alliance syndicaliste rassemblait des militants se revendiquant du syndicalisme révolutionnaire, indépendamment de leur affiliation syndicale ; ce réseau rassemblait surtout des syndicalistes de la CFDT, mais aussi de la CGT et de FO. Au cours de l’année 1977, leurs publications soulignent fréquemment les pressions auxquelles sont exposés les militants CFDT multipositionnés qui entendent porter une parole syndicale dans les luttes antinucléaires [91].
36Ces derniers inquiètent la direction confédérale cédétiste. Ils appellent notamment à la participation aux « comités Malville », en vue d’organiser un rassemblement sur le site de cette future centrale pendant l’été 1977 [92]. Cette initiative ravive une anxiété, et un vif débat. Bien que des syndicalistes prennent part à ces initiatives, les structures hésitent à appuyer des actions dont la dynamique paraît incontrôlable. Le 6 juillet 1977, le groupe confédéral énergie est convoqué pour définir une position commune face au rassemblement prévu à Malville le 31 juillet. La réunion se déroule en présence de représentants de quatorze Unions régionales concernées par des implantations nucléaires. Alors que les précédentes réunions de cette commission étaient animées par Michel Rolant (Secteur économique), Jacques Moreau (Secteur politique) s’invite pour la première fois dans ce conciliabule [93]. Actant le caractère politique de l’événement, les participants affirment leur défiance face aux comités Malville, malgré des nuances selon les départements. Le 13 juillet, Michel Rolant indique que la confédération ne participera pas à la manifestation du 31 juillet, mais soutient l’appel de l’Union régionale CFDT à se rassembler la veille dans la ville limitrophe de Morestel. Le malaise est perceptible jusque dans les régions : malgré leurs liens étroits, les cédétistes bretons laissent sans réponse l’apostrophe du Parti socialiste unifié (PSU) proposant d’anticiper « ce qui risque de se passer cet été à Malville [94] ».
37Plus qu’une réaction à cette manifestation, l’initiative confédérale marque une volonté d’expliciter les bornes du champ syndical, en retraçant une ligne de démarcation entre ce qui relève de l’action syndicale et ce qui devrait rester dans l’espace des mouvements sociaux. Le compte rendu diffusé auprès des structures confédérées invite à dissiper « le flottement quant à l’interprétation de la politique confédérale […]. Dans la mesure où, jusqu’à maintenant, c’est une frange de militants de la CFDT – proche des écologistes – qui s’occupait de ces problèmes, l’interprétation dominante était nettement antinucléaire [95] ». La spécificité de la démarche syndicale est réaffirmée, visant à lier la transformation des conditions de travail à la défense d’un autre modèle économique. Pour mettre fin à l’équivoque, il est également acté de « former des formateurs » afin de restreindre l’éventail des interprétations possibles des positions confédérales. En affirmant finalement que les mobilisations relatives au système énergétique constitueraient une spécificité de la démarche cédétiste, ces dirigeants syndicaux marquent leur refus de voir leur organisation se laisser déposséder d’un « terrain de lutte qu’elle a contribué à créer [96] ». À leurs yeux, l’opposition au programme nucléaire s’est imposée comme un marqueur identitaire.
38Ce récit confédéral est parfois reçu avec circonspection localement. Dans un cahier de notes de réunions, une membre du bureau de l’Union départementale CFDT du Rhône réfute implicitement la mise au point confédérale, considérant qu’il existe « une différence d’interprétation des positions » et soulevant la possibilité de nouer des alliances inhabituelles dans la lutte contre le plan Messmer : « nos alliances peuvent-elles être différentes, sur ce terrain-là, des autres alliances traditionnelles [?] ». Elle conclut en marquant une certaine défiance face au refus confédéral de se joindre à la manifestation de Malville : « nous sommes contre le fait de rester seulement entre nous à un meeting CFDT à Morestel [97] ».
39L’inflexion de la position cédétiste n’est donc pas la conséquence de la manifestation dramatique de Malville puisqu’elle la précède. Elle procède plutôt d’un conflit au sein de la direction confédérale, où les mêmes acteurs semblent rejouer le conflit d’analyse de la « crise économique [98] ». Paradoxalement, alors que les responsables du Secteur économique tendaient à décrire la question nucléaire comme un front secondaire d’action syndicale à l’heure de la récession, ils sont soucieux de maintenir une intervention sur une question qui paraît devenir bien encombrante aux yeux des responsables du Secteur politique. Si les Unions régionales poursuivent leur investissement dans des conflits, les responsables confédéraux renforcent désormais leur réflexion sur les politiques alternatives à l’atome. L’organisation d’un colloque sur « l’énergie et le type de développement [99] » inaugure l’ère des contre-propositions et préfigure les « Plans alter » visant des productions plus décentralisées [100]. La compétence acquise par les cédétistes sera également mobilisée par le Parti socialiste, dont les propositions restaient faibles « faute d’une expertise qualifiée sur le sujet [101] ».
40L’opposition cédétiste au plan d’équipement nucléaire s’inscrit d’abord dans la continuité d’une réflexion syndicale sur les mutations du système énergétique. Alors que les conflits sociaux marquent les industries charbonnières et que les paysages se transforment sous l’effet de l’expansion des usages du pétrole dans la société française, les structures de la CFTC (puis de la CFDT) se dotent d’un répertoire d’action novateur dans le champ syndical. Dès 1959, un groupe de réflexion offre la possibilité à des salariés de secteurs distincts d’élaborer un programme commun. Cette démarche les conduit à proposer des stratégies industrielles originales qui sont en conformité avec la matrice idéologique de la confédération. Cette capacité à lier des salariés de différentes industries, puis à penser un développement de ces filières s’inscrivant dans la perspective cédétiste du socialisme autogestionnaire, mène la CFDT à se démarquer des pratiques syndicales majoritaires dans ces industries.
41La critique du programme nucléaire bénéficie également des « vagues contestataires [102] » qui marquent l’histoire sociale du CEA en mai-juin 1968 et au début de la décennie suivante. La réflexion sur les conditions de travail dans l’industrie atomique est favorisée par le décloisonnement social des années 1968, facilitant la rencontre entre ingénieurs et ouvriers. Ces échanges nourrissent l’analyse produite par les structures interprofessionnelles CFDT après l’annonce du plan Messmer. Peu à peu, pourtant, des acteurs extrasyndicaux participent à cette contestation avec « leur définition des enjeux prioritaires [103] », en se démarquant des formes protestataires adoptées par la confédération. Dès lors, aux yeux des dirigeants cédétistes, cette mobilisation devient inconfortable parce que l’investissement des militants se fonde sur des aspirations différentes et, parfois, contradictoires.
42La mobilisation inconfortable se définit alors au travers d’une série de désajustements entre différentes composantes protestataires. En premier lieu, l’autonomisation progressive de la cause antinucléaire conduit à la mise à distance du cadrage syndical de la mobilisation. Alors que l’écart paraissait initialement ténu entre l’approche cédétiste et la cause antinucléaire, il s’affirme entre 1975 et 1977. Cette autonomisation contraint les dirigeants cédétistes à retracer une ligne entre les attributions propres au champ syndical et ce qui peut s’exprimer dans l’espace des mouvements sociaux. En deuxième lieu, une disjonction croissante intervient entre la démarche syndicale qui caractérisait les initiatives cédétistes au début de la décennie, laissant une forte autonomie aux structures interprofessionnelles locales pour se lier à des mouvements sociaux dont les préoccupations s’émancipaient de l’aménagement de la condition salariale, et le recentrage progressif de la confédération qui restreint drastiquement l’autonomie des structures syndicales locales. Enfin, la position cédétiste s’était formulée autour d’énoncés labiles, dont les militants pouvaient se saisir afin de formuler leurs propres interprétations. Un désajustement se produit ainsi entre les aspirations militantes et la position énoncée par les structures. Toutefois, à l’instar de l’autogestion, mais de manière plus durable, l’opposition au tout-nucléaire constitue un référent identitaire que tous les cédétistes revendiquent [104]. En dépit des désaccords entre dirigeants confédéraux, ces derniers parviennent à élaborer une position commune : la position confédérale officielle reste favorable à un usage proportionné du nucléaire comme source d’approvisionnement énergétique en France. Autrement dit, l’opposition au « tout-nucléaire » ne signifiait nullement l’opposition totale au nucléaire, ce motif s’inscrivant dans la continuité de l’engagement cédétiste. Contre l’énergie atomique pensée comme la quintessence d’une identité nationale jacobine et centralisatrice, l’engagement contre le tout-nucléaire devient le vecteur d’une identité cédétiste décentralisatrice.
43Il serait hâtif de conclure que la CFDT prophétisait une société écologique post-carbone. En son sein, une position antinucléaire favorable aux énergies renouvelables cohabite avec un discours affirmant une priorité à la réalisation de « l’indépendance énergétique nationale », dans lequel le refus du tout-nucléaire s’accompagne de la défense d’un charbon « national ». Cette phase de mobilisation produit toutefois des effets durables dans le monde syndical. D’une part, les désaccords internes participent à la désaffection pour la CFDT de syndicalistes qui étaient aussi militants antinucléaires. Ces derniers inclinent plus volontiers à nouer des relations avec les courants écologistes, mais ils sont surtout porteurs d’une conception du syndicalisme dans laquelle l’action interprofessionnelle est déterminante. Or, ces militants vivent le recentrage comme un confinement dans l’entreprise et diagnostiquent un appauvrissement consécutif du rôle syndical. Alors que certains quittent l’action syndicale pour prendre des responsabilités dans l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (fondée en 1982), d’autres renforcent les rangs d’organisations syndicales dont le répertoire d’action leur paraît mieux incarner une volonté de favoriser l’interaction entre le syndicalisme et les mouvements sociaux, voire plus en adéquation avec une conception du syndicalisme où celui-ci serait porteur d’un projet de transformation sociale. D’autre part, malgré sa position pronucléaire réaffirmée, la CGT est interpellée par l’écho des mobilisations cédétistes. À partir de la fin des années 1980, la santé des salariés sous-traitants préoccupe certains secteurs du syndicat [105]. De plus, au début du siècle, un tournant se produit lorsque les électriciens cégétistes se tournent vers « l’opinion publique » et envisagent d’agir avec les usagers [106], alors que leur répertoire d’action avait été longtemps replié sur leur filière industrielle. Toutefois, ce n’est qu’au lendemain de la catastrophe de Fukushima qu’une organisation syndicale interprofessionnelle française (l’Union syndicale Solidaires) se positionne pour la « sortie du nucléaire », lors de son congrès de 2011, à la suite d’un long processus de réflexion avec les fédérations concernées (Sud-énergie pour le secteur de l’électricité) et dont l’histoire reste à écrire.
44Toutefois, dans le contexte français, la question nucléaire reste un sujet structurant des oppositions au sein du champ syndical. Ce caractère clivant éclaire, en partie, les raisons pour lesquelles les organisations syndicales françaises peinent encore à déployer une réflexion soutenue sur les conditions de la « sortie des énergies fossiles » – par-delà le cas de la seule industrie nucléaire. L’histoire des organisations syndicales met pourtant en valeur les ressources spécifiques dont elles disposent pour penser les enjeux sociaux et écologiques de la mutation du système énergétique, et pour imposer leurs préoccupations dans ce domaine.
Notes
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[1]
F. Georgi, « L’autogestion, un mythe mobilisateur ? », Fermetures de boîtes… et après ?, Nantes, Éditions du Centre d’histoire du travail, 2007, p. 125-136 ; N. Defaud, La CFDT (1968-1995). De l’autogestion au syndicalisme de proposition, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
-
[2]
Entretien avec François Chérèque, publié dans Syndicalisme Hebdo en novembre 2004. Cette dimension identitaire est également identifiée dans les régions concernées par des projets de centrales. En Loire-Atlantique, un secrétaire de l’Union départementale (UD) expliquait ainsi que « c’est un élément très identifiant de la CFDT […]. C’est assez unificateur dans la maison », cité par X. Nerrière, « Protection de l’environnement et syndicalisme. L’exemple de la CFDT en région nantaise », mémoire de maîtrise de droit, Université de Nantes, 1997, p. 83.
-
[3]
Idem.
-
[4]
Le 6 mars 1974, le gouvernement français annonce un programme de construction de treize réacteurs nucléaires. Fin octobre, ce programme est étendu : le plan Messmer nourrit l’ambition que la production d’électricité française provienne à 75 % de l’énergie atomique avant 1985. Pour cela, la construction de 170 réacteurs est envisagée à travers la métropole jusqu’en 2000. Voir J.-C. Debeir, J.-P. Deléageet D. Hémery, Une histoire de l’énergie, Paris, Flammarion, 2013, p. 380-397 ; S. Topçu, La France nucléaire. L’art de gouverner une technologie contestée, Paris, Éditions du Seuil, 2013, p. 37-58.
-
[5]
CFDT, Pour un socialisme démocratique. Contribution de la CFDT, Paris, Epi, 1971. Sur le contexte, F. Georgi, « L’autogestion : une utopie chrétienne ? », in D. Pelletier et J.-L. Schlegel (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 2012, p. 373-389.
-
[6]
La construction de l’agenda de recherche de cette sociologie du travail a été finement étudiée par H. Hatzfeld, Faire de la politique autrement. Les expériences inachevées des années 1970, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 127-136 ; M. Fontaine, Fin d’un monde ouvrier. Liévin, 1974, Paris, Éditions de l’EHESS, 2014, p. 47-77.
-
[7]
Selon les termes d’A. Touraine, « Réactions antinucléaires ou mouvement antinucléaire », Sociologie et sociétés, vol. 13, n° 1, 1981, p. 117-130 ; A. Touraine, Z. Hegedus, F. Dubet et M. Wiewiorka, La prophétie antinucléaire, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 41 ; A. Touraine, « La CFDT, le mouvement ouvrier et la gauche », in P. Nora (dir.), La CFDT en question, Paris, Gallimard, 1984, p. 226.
-
[8]
F. Georgi, « La CFDT et les associations du “mouvement social” des années 1970 à nos jours », in D. Tartakowsky et F. Tétard (dir.), Syndicats et associations. Concurrence ou complémentarité ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 419-428.
-
[9]
Ainsi d’une référence formulée par R. Mouriaux, Le syndicalisme en France depuis 1945, Paris, La Découverte, 2013, p. 62. Ces conflits sont aussi en exergue des dossiers « Le travail contre nature ? Syndicats et environnement », Mouvements, n° 80, 2014 et M. Descolonges (dir.), « Syndicats et transition écologique », Écologie et Politique, n° 50, 2015. Les travaux d’histoire française de l’énergie se désintéressent de cette question : la brève évocation de l’opposition au nucléaire dans la grande synthèse d’histoire de l’électricité ne mentionne pas la CFDT. Voir M. Dürr, « Le tournant nucléaire d’EDF », in H. Morsel (dir.), Histoire de l’électricité en France, 1946-1987, t. III, Paris, Fayard, 1994, p. 768-776.
-
[10]
Le système énergétique est la « combinaison originale de diverses filières de convertisseurs qui se caractérisent par la mise en œuvre de sources d’énergie déterminées et par leur interdépendance, à l’initiative et sous le contrôles de classes ou de groupes sociaux, lesquels se développent sur la base de ce contrôle » (J.-C. Debeir, J.-P. Deléage et D. Hémery, Une histoire de l’énergie, op. cit., p. 25).
-
[11]
La notion de bloc de développement désigne la façon dont le choix d’un approvisionnement énergétique donné détermine une « chaîne de systèmes de technologies, d’infrastructures, de sources d’énergie et d’institutions », selon A. Kander, P. Warde et P. Malanima, Power to the People. Energy in Europe over the Last Five Centuries, Princeton, Princeton University Press, 2014, p. 8 et 28.
-
[12]
De récents travaux offrent des points de réflexion, sans examiner spécifiquement les ressorts de l’engagement cédétiste : G. Hecht, Le rayonnement de la France. Énergie nucléaire et identité nationale après la Seconde Guerre mondiale, Paris, La Découverte, 2004 ; S. Topçu, La France nucléaire…, op. cit.
-
[13]
Rappelons que, dans le cas de la CFDT comme de la CGT, les salariés de chaque industrie énergétique (charbon, électricité, pétrole) sont membres de fédérations distinctes (jusque dans les années 1990).
-
[14]
Ce positionnement conflictuel de la CFTC face à la CGT était déjà relevé, notamment, par R. Frost, « La technocratie au pouvoir avec le consentement des syndicats. La technique, les syndicats et la direction d’EDF (1946-1968) », Le Mouvement social, n° 130, 1985, p. 81-96.
-
[15]
S. Topçu, « Atome, gloire et désenchantement. Résister à la France atomique avant 1968 », in C. Pessis, S. Topçu et C. Bonneuil (dir.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre, Paris, La Découverte, 2013, p. 191.
-
[16]
M. Zancarini-Fournel, « Changer le monde et changer sa vie », in P. Artières et M. Zancarini-Fournel (dir.), 68. Une histoire collective, Paris, La Découverte, 2008, p. 432.
-
[17]
S. Topçu, « Atome, gloire et désenchantement… », art. cité.
-
[18]
M. Zancarini-Fournel, Le moment 68. Une histoire contestée, Paris, Éditions du Seuil, 2008, p. 12.
-
[19]
S. Béroud, « Sur la pertinence heuristique du concept de champ syndical », in M. Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 337 ; L. Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2012, p. 155 sq.
-
[20]
J.-C. Debeir, J.-P. Deléage et D. Hémery, Une histoire de l’énergie, op. cit., p. 270-283.
-
[21]
Archives de la CFDT (A-CFDT), 8H1462, « La crise de l’énergie et les menaces sur l’emploi », 13 décembre 1973.
-
[22]
Pour une analyse détaillée de cette séquence, R. Bécot, « La justice sociale par une “politique coordonnée de l’énergie”. Le mouvement syndical français et la mutation du système énergétique, 1944-1963 », in C.-F. Mathis et G. Massard-Guilbaud (dir.), Mobiliser et dépenser de l’énergie de l’Antiquité à nos jours, Paris, Presses de la Sorbonne, à paraître en 2018.
-
[23]
Syndicalisme Hebdo, 19 décembre 1959.
-
[24]
A-CFDT, 6H104, « Dilemme énergétique », Bulletin du Secteur économique confédéral, octobre 1959.
-
[25]
A-CFDT, 1F388, « Session de recherches “énergie”, Bierville, 13 au 15 janvier 1964 ».
-
[26]
Dont plusieurs chercheurs participent à la critique du programme nucléaire après 1975.
-
[27]
A-CFDT, 1F388, « Session de recherches “énergie”, Bierville, 13 au 15 janvier 1964 ».
-
[28]
« Recherches sur les problèmes énergétiques », Syndicalisme Hebdo, 27 octobre 1967.
-
[29]
Sur cette « guerre des filières », voir G. Hecht, Le rayonnement de la France…, op. cit., p. 245-297.
-
[30]
Entretien avec Bernard Laponche, 14 février 2012.
-
[31]
J. Pesquet, Des soviets à Saclay, Paris, Maspero, 1968.
-
[32]
Voir S. Topçu, La France nucléaire…, op. cit., p. 64.
-
[33]
Membres de « L’école émancipée », courant de gauche radicale dans la Fédération de l’éducation nationale. Voir F. Hubert, « L’écologie politique dans la Manche de 1972 à 1995 », mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Caen, 2006, p. 15 et L. Requet, « La Basse-Normandie : terre de l’écologie politique ? Du combat des associations environnementales à l’action des partis écologistes (1968-2012) », thèse de doctorat d’histoire, Université de Caen, 2017, p. 81-83.
-
[34]
Le journal Survivre et vivre publie plusieurs articles, en octobre 1972, reproduits dans C. Pessis (dir.), Survivre et vivre. Critique de la science, naissance de l’écologie, Montreuil, L’Échappée, 2014, p. 225-240.
-
[35]
X. Vigna et M. Zancarini-Fournel, « Les rencontres improbables dans les “années 1968” », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 101, 2009, p. 163-177.
-
[36]
Archives de la CGT (A-CGT), 42CFD41, lettre de Robert Mazza (UD-Essonne) à Léon Mauvais, 4 octobre 1968.
-
[37]
A-CFDT, 8H1462, « La crise de l’énergie et les menaces… », art. cité.
-
[38]
Idem.
-
[39]
F. Georgi, « “Le monde change, changeons notre syndicalisme”. La crise vue par la CFDT (1973-1988) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 84, 2004, p. 95.
-
[40]
A-CFDT, 8H1462, « La crise de l’énergie et les menaces… », art. cité.
-
[41]
Idem.
-
[42]
T. Kahle, « Un environnementalisme par la base », Contretemps, 2014 ; en ligne : http://www.contretemps.eu/environnementalisme-par-base.
-
[43]
G. Hecht, Le rayonnement de la France…, op. cit., p. 105-139. Dans l’après-guerre, le syndicalisme chrétien n’était pas moins enthousiaste que les structures de la CGT quant à l’expansion de l’usage civil de l’atome. Voir le texte du président de la CFTC, M. Bouladoux, « L’Euratom, premier pas vers les États-Unis d’Europe ? », Syndicalisme Hebdo, février 1956.
-
[44]
R. Le Guen, « Les problèmes de l’énergie en France », Le Peuple, n° 950, 1974 ; « Politique énergétique : les objectifs de Force ouvrière », FO Hebdo, n° 1378, 1974 ; « Résolution sur les problèmes économiques du congrès confédéral », FO Hebdo, n° 1510, 1977.
-
[45]
S. Topçu, « Nucléaire : de la mobilisation des “savants” aux contre-expertises associatives », Nature Science Société, n° 14, 2006, p. 249-256.
-
[46]
A-CFDT, 8H1472, secteur ASCV, « Exposé des motifs pour une prise de position CFDT sur l’implantation des centrales nucléaires », automne 1974.
-
[47]
T. Kernalegenn, Histoire de l’écologie en Bretagne, Rennes, Goater, 2014, p. 43 ; Id., Luttes écologistes dans le Finistère, 1967-1981, Fouesnant, Yoran Embaner, 2006, p. 62-70.
-
[48]
G. Simon, Plogoff. L’apprentissage de la mobilisation sociale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 69 ; V. Porhel, Ouvriers bretons. Conflits d’usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 223-274.
-
[49]
Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (AD-I&V), 111J130, Union régionale Bretagne, « Première note de réflexion sur l’énergie nucléaire », 21 janvier 1975.
-
[50]
Idem.
-
[51]
F. Jarrige, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte, 2014, p. 278-285.
-
[52]
A-CFDT, 8H1472, « La CFDT prend position contre le programme électronucléaire du gouvernement », 4 avril 1975.
-
[53]
« L’ensemble du secteur de l’énergie doit être placé sous responsabilité publique », idem.
-
[54]
Idem.
-
[55]
A-CFDT, 8H1480, Bernard Laponche, « Énergie nucléaire et croissance capitaliste », s.d. [début 1975].
-
[56]
Cette revendication préfigure la future Agence française de la maîtrise de l’énergie (AFME), fondée par le gouvernement socialiste en 1982 et à la tête de laquelle sont placés d’anciens dirigeants cédétistes. A-CFDT, 8H1472, « La CFDT prend position contre le programme électronucléaire », 4 avril 1975.
-
[57]
A-CFDT, 8H1480, Bernard Laponche, « Énergie nucléaire et croissance… », art. cité.
-
[58]
Idem.
-
[59]
Cette mobilisation n’empêchera pas « l’effacement des traces du travail réel de ces travailleurs » constaté par A. Thébaud-Mony, L’industrie nucléaire. Sous-traitance et servitude, Paris, EDK-Inserm, 2000.
-
[60]
A-CFDT, 8H1480, Bernard Laponche, « Énergie nucléaire et croissance… », art. cité.
-
[61]
Cet ouvrage est : SNPEA-CFDT, L’électronucléaire en France, Paris, Éditions du Seuil, 1975. Voir N. Defaud, La CFDT (1968-1995)…, op. cit., p. 236 ; S. Topçu, La France nucléaire…, op. cit., p. 74 ; G. Simon, Plogoff…, op. cit., p. 69.
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[62]
Entretien avec Bernard Laponche, 14 février 2012.
-
[63]
S. Topçu, La France nucléaire…, op. cit., p. 86.
-
[64]
Déclaration des CLIN, 6 décembre 1975, cité par T. Kernalegenn, Luttes écologistes…, op. cit., p. 69.
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[65]
Ce principe est affirmé dès les premières pages de l’ouvrage du SNPEA : « dans une démocratie bien comprise, les organismes chargés de la recherche, du développement, de la production et de l’exploitation des ressources énergétiques devraient également être au service de la collectivité en l’informant pour lui permettre de faire des choix : ces choix sont bien une responsabilité politique et ne relèvent pas des seuls techniciens », SNPEA-CFDT, L’électronucléaire en France, op. cit., p. 10.
-
[66]
AD-I&V, 111J130, « L’Union régionale CFDT s’oppose à l’implantation d’une centrale nucléaire en Bretagne », 9 septembre 1975.
-
[67]
Un document reprenant cette analyse est publié en mars 1976. A-CFDT, 8H1473, SNPEA, « L’usine de La Hague. Situation industrielle, sécurité, conditions de travail », mars 1976.
-
[68]
M. Ghis Malfilatre, « La Hague, grands soirs et petits matins. Lorsque les salariés de l’atome dénonçaient leurs conditions de travail et le nucléaire », Z. Revue itinérante d’enquête et de critique sociale, n° 9, 2015, p. 206-208.
-
[69]
P. Rosanvallon, « Le socialisme et l’idéologie industrielle », CFDT Aujourd’hui, n° 13, 1975, p. 29-42.
-
[70]
AD-I&V, 111J130, note du Secteur économique, « Actions contre l’exécution du programme électronucléaire », Nouvelles CFDT, n° 31/76, 17 septembre 1976.
-
[71]
J.-C. Debeir, J.-P. Deléage et D. Hémery, Une histoire de l’énergie, op. cit., p. 402-405.
-
[72]
A-CFDT, 8H1473, document préparatoire à la conférence de presse, « Non à l’aventure ! La CFDT demande la suspension des décisions gouvernementales », 15 mars 1976.
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[73]
A-CFDT, 8H1473, notes manuscrites, « Conférence de presse du 16 mars 1976 ».
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[74]
Pierre Rosanvallon définit cette notion en estimant que c’est lorsque « les utopies des uns se superposent avec les calculs des autres que des possibles s’ouvrent parfois » : P. Rosanvallon, Le modèle politique français. La société contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p. 425.
-
[75]
L. Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, op. cit., p. 38.
-
[76]
Ibid., p. 38-39.
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[77]
Par exemple, une réunion rassemble des représentants cédétistes avec des associations écologistes (CRIN et CLIN de Porsmoguer, Erdeven, Pays bigouden), organisations de la gauche indépendantiste bretonne (Skol Emsav, Bretagne révolutionnaire), partis de gauche radicale (Parti socialiste unifié et Ligue communiste révolutionnaire), associations familiales (Confédération syndicale du cadre de vie et Confédération syndicale des familles). AD-I&V, 111J130, compte rendu de la réunion de Brest, 16 octobre 1976.
-
[78]
X. Nerrière, « Protection de l’environnement… », op. cit., p. 72.
-
[79]
A-CFDT, 8H1473, « Non à l’aventure !… », art. cité.
-
[80]
Collectif d’enquête, Aujourd’hui Malville, demain la France, Claix, La Pensée Sauvage, 1978, p. 8.
-
[81]
AD-I&V, 111J130, note du Secteur économique, « Actions contre l’exécution du programme électronucléaire », Nouvelles CFDT, n° 31/76, 17 septembre 1976.
-
[82]
Ces deux implantations avaient déjà connu des grèves longues sur les conditions de travail en 1975 : A-CFDT, 8H1462, SNPEA-CFDT, communiqués des 4, 15, 28 avril et 9 mai 1975 ; AD-I&V, 111J130, note confédérale, 17 novembre 1976.
-
[83]
AD-I&V, 111J130, note confédérale, 17 novembre 1976 ; L. Requet, « La Basse-Normandie… », op. cit., p. 92.
-
[84]
A-CFDT, 8H1473, lettre préparatoire au CN des 15-16 janvier 1977, en date du 22 décembre 1976.
-
[85]
L. Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, op. cit., p. 34.
-
[86]
« Malville : des Assises pour un second souffle », La Gueule ouverte, n° 138, 1976, p. 20.
-
[87]
« La CFDT n’est pas antinucléaire », La Gueule ouverte, n° 133, 1976 ; « L’atome face au public », La Gueule ouverte, n° 134, 1976.
-
[88]
Nous soulignons. A-CFDT, 8H1473, lettre préparatoire au CN des 15-16 janvier 1977, en date du 22 décembre 1976. La même formulation se retrouve dans Nouvelles CFDT, 17 septembre 1976.
-
[89]
X. Vigna, L’insubordination ouvrière dans les usines. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 261-266.
-
[90]
N. Defaud, La CFDT (1968-1995)…, op. cit., p. 43-45.
-
[91]
« Le pétrole, l’atome et les travailleurs », Solidarité ouvrière, n° 34, 1974 ; « Le mouvement antinucléaire en RFA », Solidarité ouvrière, n° 67, 1977 ; « De la bataille de Malville à l’écologie parlementaire », Solidarité ouvrière, n° 73, 1977.
-
[92]
V. Porhel, « Creys-Malville contre Plogoff : les nouveaux visages de la lutte antinucléaire », in P. Artières et M. Zancarini-Fournel (dir.), 68. Une histoire collective, op. cit., p. 710-717.
-
[93]
A-CFDT, 8H1473, groupe confédéral énergie, réunion du 6 juillet 1977.
-
[94]
AD-I&V, 111J130, lettre de J. Rio (Secteur luttes écologiques du PSU), 16 juillet 1977.
-
[95]
A-CFDT, 8H1473, groupe confédéral énergie, réunion du 6 juillet 1977.
-
[96]
Idem.
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[97]
Archives départementales du Rhône, 173J22, notes manuscrites, bureau de l’UD-CFDT Rhône, 12 juillet 1977.
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[98]
F. Georgi, « “Le monde change”… », art. cité, p. 96-97.
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[99]
A-CFDT, 8H1473, rencontre CFDT sur l’énergie et le type de développement, 15-16 décembre 1977.
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[100]
A. Évrard, Contre vents et marées. Politiques des énergies renouvelables en Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 81-107.
-
[101]
M. Fulla, Les socialistes français et l’économie (1944-1981). Une histoire économique du politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2016, p. 375.
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[102]
L. Mathieu, L’espace des mouvements sociaux, op. cit., p. 72.
-
[103]
Ibid., p. 38.
-
[104]
Il n’est pas anodin de relever la tonalité iconoclaste adoptée par Edmond Maire, lorsque la critique du programme nucléaire permet d’affirmer la démarcation entre son organisation et la CGT : CFDT (dir.), Les dégâts du progrès, Paris, Éditions du Seuil, 1977, « Préface », p. 7-8.
-
[105]
M. Ghis Malfilatre, « La CGT face au problème de la sous-traitance nucléaire à EDF. Le cas de la mobilisation de Chinon (1987-1997) », Sociologie du travail, vol. 59, n° 1, 2017, en ligne.
-
[106]
S. Béroud, Les robins des bois de l’énergie, Paris, Le Cherche Midi, 2005.