Notes
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[1]
Voir notamment P. Holquist, Making War, Forging Revolution: Russia’s Continuum of Crisis, 1914-1921, Cambridge, Harvard University Press, 2002.
-
[2]
S. Norris, A War of Images: Russian Popular Prints, Wartime Culture, and National Identity, 1812-1945, DeKalb, Northern Illinois University Press, 2006, p. 135.
-
[3]
Voir P. Gatrell, A Whole Empire Walking: Refugees in Russia during World War I, Bloomington, Indiana University Press, 2005, notamment p. 40-47, 60 et 84-86.
-
[4]
D’après les informations recueillies depuis plusieurs décennies sur les enfants-combattants, le nombre total d’enfants ayant servi dans les forces régulières serait d’environ 25 000. En outre, environ 5 000 jeunes ont servi dans la marine, pendant et peu après la Seconde Guerre mondiale. Selon le Belarus v gody Velikoi Otechestvennoi voiny (Minsk, 1994), 30 000 à 33 000 jeunes de moins de 18 ans ont été enregistrés par des formations partisanes, mais de nombreux enfants n’étaient employés qu’occasionnellement et ne figuraient pas dans les listes. L’estimation la plus élevée de 300 000 provient du chef de l’Union interrégionale des jeunes participants à la Grande Guerre patriotique, Aleksander Podobed, bien que la source de telles statistiques ne soit pas clairement établie. Voir A. I. Podobed (dir.), Istoriia partizanskogo dvizheniia v Rossiiskoi federatsii v gody Velikoi Otechestvennoi voiny 1941-1945, Moscou, Eksmo, 2001, p. 89.
-
[5]
Selon les chiffres officiels, 287 453 partisans participèrent au mouvement de résistance soviétique dans les territoires occupés durant la guerre, dont 49 à 60 % furent des jeunes de moins de 25 ans. Voir : Archives nationales russes d’histoire socio-politique (RGASPI) M1/53/279/60 ; K. Slepyan, Stalin’s Guerrillas: Soviet Partisans in World War II, Lawrence, University Press of Kansas, 2006, p. 53 ; A. Kniaz’kov, « Partizanskoe dvizhenie v Velikoi Otechestvennoi voine », in Voenno-Istoricheskii Arkhiv, n° 5, 1995, p. 123 ; A. Hill, The War behind the Eastern Front: The Soviet Partisan Movement in North-West Russia 1941-1944, Londres, Routledge, 2005, p. 152-153. Les sources soviétiques ne sont pas d’accord quant au nombre exact d’enfants d’âge scolaire impliqués dans la guérilla. Voir A. Kniaz’kov, « Partizanskoe dvizhenie… », art. cité, p. 123 ; Narodnoe obrazovanie v SSSR, Moscou, 1957, p. 247 ; V. A. Kumanev, « Shkola-frontu », in M. P. Kim (dir.), Sovetskaia kul’tura v gody Velikoi Otechestvennoi voiny, Moscou, 1976, p. 204 ; A. Hill, The War behind the Eastern Front…, op. cit., p. 173.
-
[6]
Sur la Première Guerre mondiale, voir A. B. Astashov, « Deti idut na voinu: Iz istorii “detskogo voprosa” v Rossii v gody pervoi mirovoi voiny », in G. V. Makarevich (dir.), Kakoreia. Iz istorii detstva v Rossii i drugikh stranakh. Sbornik statei i mater’ialov, Moscou-Tver, Nauchnaia Kniga, 2008, p. 104-105 et 112 ; sur la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers: How Soviet Children Went to War, 1941-45, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 2-3.
-
[7]
A. James et A. Prout (dir.), Constructing and Reconstructing Childhood: Contemporary Issues in the Study of Childhood, Londres, Falmer Press, 1990, p. 10-14.
-
[8]
R. M. Lerner et L. Steinberg (dir.), Handbook of Adolescent Psychology, vol. 1, Hoboken, John Wiley and Sons, 2009 (3e éd.).
-
[9]
Dans la société soviétique des années 1940, la frontière entre l’enfance et l’adolescence semble fluctuer entre 12 et 14 ans. Selon les critères de la distribution de nourriture, un individu âgé de 12 ans perdait son statut d’enfant et recevait habituellement des rations plus réduites, comme un adolescent. En termes économiques, un jeune pouvait entrer sur le marché du travail à l’âge de 14-15 ans, ou dès 12 ans s’il résidait à la campagne ou était le seul soutien de famille. 14-15 ans était aussi le moment où les élèves passaient du primaire au secondaire et étaient susceptibles d’être mobilisés dans les réserves de travail. Dès lors, ils étaient élevés à un rôle plus important au sein de la ligue de la jeunesse. De même, l’âge de la responsabilité pénale avait été ramené à 14 ans depuis la fin des années 1930, sauf pour les crimes graves, pour lesquels l’âge de la minorité prenait fin à 12 ans. Cela dit, les jeunes délinquants bénéficiaient encore de meilleures conditions dans le système pénal et étaient séparés des adultes, du moins en théorie, sinon dans la pratique. Pour une discussion plus nuancée sur les perceptions culturelles et juridiques de l’enfance dans la Russie impériale et en Union soviétique, ainsi que sur l’effacement des frontières culturelles et sociales entre l’enfance et l’âge adulte en temps de guerre, voir, entre autres, K. Kelly, Children’s World: Growing Up in Russia, 1890-1991, New Haven, Yale University Press, 2007 ; J. K. de Graffenried, Sacrificing Childhood: Children and the Soviet State in the Great Patriotic War, Lawrence, University Press of Kansas, 2014 ; O. Kucherenko, Soviet Street Children and the Second World War: Welfare and Social Control under Stalin, Londres, Bloomsbury, 2016.
-
[10]
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des jeunes de 16 ou 17 ans ont pu être parfois recrutés dans l’armée régulière comme volontaires, en violation de la loi de mobilisation. La plupart de ces jeunes se sont retrouvés soit dans des collèges militaires et des cours d’officiers de courte durée, soit dans l’arrière-garde et dans les réserves, ce qui constitue probablement ce que certains anciens combattants appellent patsaniac’i divizii (divisions des gamins) ou detskie sady (jardins d’enfants). Voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 2.
-
[11]
Au cours des deux guerres mondiales, beaucoup de jeunes enfants figuraient aussi au nombre des camp followers.
-
[12]
Pour la Première Guerre mondiale, voir par exemple V. Livitskii, « Besprizornye deti i voina », in Deti i voina: Sbornik statei, Kiev, 1915, p. 14 ; voir d’autres références dans A. J. Cohen, « Flowers of Evil: Mass Media, Child Psychology, and the Struggle for Russia’s Future during the First World War », in J. Marten (dir.), Children and War: A Historical Anthology, New York, New York University Press, 2002, p. 39, et A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo v XX veke: Istoriia, teoriia i praktika issledovaniia, Kazan’, Kazanskii Gosudarstvennyi Universitet, 2007. Pour la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit.
-
[13]
Voir par exemple V. Achvarina et S. Reich, « No Place to Hide: Refugees, Displaced Persons, and the Recruitment of Child Soldiers », International Security, vol. 31, n° 1, 2006, p. 127-164 ; S. Gates et J. C. Andvig, « Recruiting Children for Armed Conflict », Ford Institute for Human Security, 2007 ; en ligne : http://lastradainternational.org/lsidocs/andvig_07_recruiting_0109.pdf ; pour des arguments opposés à cette opinion dominante, voir D. M. Rosen, Child Soldiers in the Western Imagination: From Patriots to Victims, New Brunswick, Rutgers University Press, 2015, notamment le chapitre 6 ; Id., Armies of the Young: Child Soldiers in War and Terrorism, New Brunswick, Rutgers University Press, 2005, p. 6 ; A. Özerdem, S. Podder et E. L. Quitoriano, « Identity, Ideology and Child Soldiering: Community and Youth Participation in Civil Conflict. A Study on the Moro Islamic Liberation Front in Mindanao, Philippines », Civil Wars, vol. 12, n° 3, 2010, p. 304-325.
-
[14]
Pour plus d’informations, voir A. James et A. L. James, Key Concepts in Childhood Studies, Londres, Sage Publications, 2008 ; A. V. Angell et P. G. Avery, « Examining Global Issues in the Elementary Classroom », Social Studies, n° 83, 1992, p. 113-117 ; H. R. Targ, « Children’s Developing Orientations to International Politics », Journal of Peace Research, vol. 7, n° 2, 1970, p. 81-94 ; D. M. Rosen, Armies of the Young…, op. cit., p. 133-134 ; R. Brett et I. Specht, Young Soldiers: Why They Choose to Fight, Londres, Lynne Rienner Publishers, 2004, p. 27 ; E. Cairns, Children and Political Violence, Cambridge, Wiley, 1996, p. 109.
-
[15]
R. Brett et I. Specht, Young Soldiers…, op. cit., p. 58-59 et 129 ; E. Cairns, Children…, op. cit., chap. 4 ; J. Garbarino et al., No Place to be a Child: Growing up in a War Zone, Lexington, Lexington Books, 1991, p. 25-26 ; R. C. Hinqorani, « Child and War », Foreign Affairs Reports, n° 14, 1996, p. 4 ; I. Cohn et G. Goodwin-Gill, Child Soldiers: The Role of Children in Armed Conflicts, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 35 ; H. G. West, « Girls with Guns: Narrating the Experience of War of Frelimo’s “Female Detachment” », in « Youth and the Social Imagination in Africa », 2e partie, Anthropological Quarterly, vol. 73, n° 4, 2000, p. 180-194 ; K. Peters et P. Richards, « “Why We Fight”: Voices of Youth Combatants in Sierra Leone », Africa: Journal of the International African Institute, vol. 68, n° 2, 1998, p. 183-210.
-
[16]
Le Commissariat à la Défense a également créé un certain nombre de corps de cadets pour former les garçons à d’autres professions militaires, mais leurs élèves ont été enrôlés pendant une période beaucoup plus longue, tout comme les garçons des collèges navals de Nakhimov. Plusieurs de leurs étudiants, cependant, avaient pris part au combat avant l’enrôlement, que ce soit dans des forces régulières ou irrégulières. Sur les divers types d’écoles de cadets, fondées sur les traditions prérévolutionnaires, voir O. Kucherenko, « In loco parentis: Junior Cadet Schools in the Soviet Union during the Second World War », in H. Barron et C. Siebrecht (dir.), Parenting and the State in Britain and Europe, c.1870-1950: Raising the Nation, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2017, p. 231-253. Sur les institutions de cadets de la marine qui ont versé leurs anciens directement au service armé pendant la guerre, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., chap. 7.
-
[17]
Pour la discussion générale des lacunes et des avantages de l’utilisation de la mémoire comme un outil méthodologique dans la recherche historique, voir A. Portelli, The Battle of Valle Giulia: Oral History and the Art of Dialogue, Londres, UW Press, 1997 ; A. Confino, « Collective Memory and Cultural History: Problems of Method », American Historical Review, vol. 102, n° 5, 1997, p. 1386-1403 ; S. Crane, « Writing the Individual Back into Collective Memory », American Historical Review, vol. 102, n° 5, 1997, p. 1372-1385 ; K. Klein, « On the Emergence of Memory in Historical Discourse », Representations, n° 69, 2000, p. 127-150.
-
[18]
Sur la guerre totale, voir I. E. Magadeev, « Dinamika totalizatsii voin v istorii XX stoletiia », in A. A. Bogdashkin (dir.), Fenomen mirovykh voin v istorii XX veka: Materialy Vserossiiskoi nauchno-teoreticheskoi konferentsii, Voronezh, VGII, 2017, p. 5-18. Sur la poursuite de la guerre totale menée par le régime soviétique contre ses propres sujets dans l’entre-deux-guerres, H.-H. Nolte, « Stalinism as Total Social War », in R. Chickering et S. Förster (dir.), The Shadows of Total War: Europe, East Asia, and the United States, 1919-1939, Washington-Cambridge, German Historical Institute-Cambridge University Press, 2003, p. 295-311.
-
[19]
S. Norris, A War…, op. cit., p. 139-144.
-
[20]
Sur les organisations de jeunesse dans l’Empire et l’Union soviétique et leurs fondements patriotiques, voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 145-146 ; V. A. Kudinov, Detskoe i molodiozhnoe dvizhenie v Rossii v XX veke, Kostroma, KGU, 2000, p. 11-32 et 46-75 et Id., Iunnaia Rossiia: Istoriia skautskogo dvizheniia v Rossii v XX v., Moscou, ISPP, 2004. Sur la propagande de la Première Guerre mondiale pour les enfants et la militarisation de leurs vies, voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 142-167 et A. J. Cohen, « Flowers of Evil », art. cité. Sur la représentation de l’héroïsme des enfants dans les médias soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale, voir J. K. de Graffenried, Sacrificing Childhood…, op. cit., notamment chapitre 4.
-
[21]
Pour assurer une diffusion maximale de sa propagande visuelle, l’État soviétique a fait en sorte que les cinémas et les théâtres soient parmi les premiers à être restaurés dans les villes récemment libérées, tandis que les préaux d’école, les hôpitaux et même les gares servaient de salles de cinéma temporaires, reprenant la tradition des « cinémas itinérants » de l’époque de la guerre civile. En outre, des ciné-installations mobiles tournaient dans les campagnes. Voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 143.
-
[22]
« Iz obzora detskikh knig », Russkaia Shkola, n° 1, 1915, p. 46-47 et n° 9-10, 1915, p. 36-37 ; O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 143-145. Ceci, bien sûr, ne signifie pas que les enfants n’ont pas été informés des horreurs de la guerre par d’autres sources, dans les hôpitaux ou à travers les lettres des soldats. Pour une discussion sur la rédaction de lettres pendant la Première Guerre mondiale, voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 146-152.
-
[23]
S. Norris, A War…, op. cit., p. 144 ; A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 157.
-
[24]
Sur l’intense culture patriotique et le patriotisme public qui en résulte au début de la Première Guerre mondiale, voir H. Jahn, Patriotic Culture in Russia during World War I, Ithaca-Londres, Cornell University Press, 1998 ; sur la critique de l’image de l’enfant combattant dans les médias russes de l’époque, voir A. J. Cohen, « Flowers of Evil… », art. cité, p. 42-43 et A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 155. Pour la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., chap. 4 et J. K. de Graffenried, Sacrificing Childhood…, op. cit.
-
[25]
Cette croyance a eu un effet fortement démoralisant dans les deux conflits. Voir S. Norris, A War…, op. cit., p. 161 ; RGASPI M1/32/23/96ob, M1/23/1423/49 ; E. Seniavskaia, Protivniki Rossii v voinakh XX veka: Evoliutsiia ‘obraza vraga’ v soznanii armii i obshchestva, Moscou, Rosspèn, 2006, p. 76-77.
-
[26]
A. J. Cohen, « Flowers of Evil… », art. cité, p. 39 sq. ; A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 152-157.
-
[27]
Pour une discussion plus nuancée des avantages et des limites de l’entraînement paramilitaire avant la guerre, et d’autres références, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., chap. 3.
-
[28]
Des entretiens avec d’anciens enfants-soldats dont les parents ou les proches ont été réprimés ou ont été victimes de la famine confirment également ce point de vue. Pour une discussion plus détaillée, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 69.
-
[29]
V. V. Brusianin, Voina, zhenshchiny i deti, Moscou, 1917, p. 80-81. Dans le même temps, il convient de noter qu’en général les enfants apprennent en observant le comportement des autres et en l’imitant, s’ils le trouvent attrayant. Voir A. Bandura, Social Learning Theory, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1977 ; M. V. Oleinikova, Vozrastnaia psikhologiia: Konspekt lektsii, Moscou-Saint-Pétersbourg, AST, 2006, p. 19-20.
-
[30]
S. Ellis, The Masks of Anarchy: The Destruction of Liberia and the Religious Dimension of an African Civil War, New York, New York University Press, 2006 [1999], p. 13.
-
[31]
Voir les références de la note 14.
-
[32]
Bien que les enfants en général ne se soient pas désintéressés de la guerre. Sur l’intensité de la culture du patriotisme et ses effets au début de la Première Guerre mondiale, voir H. Jahn, Patriotic Culture in Russia during World War I, Londres, Cornell University Press, 1998 ; sur les perceptions enfantines à la même période, voir A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 104 ; A. J. Cohen, « Flowers of Evil… », art. cité, p. 39 et A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 152-153.
-
[33]
Sur la mortalité masculine pendant la Seconde Guerre mondiale, voir J. K. de Graffenried, Sacrificing Childhood…, op. cit., p. 35 et D. Filtzer, « Starvation Mortality in Soviet Home-front Industrial Regions during World War II », in W. Z. Goldman et D. Filtzer (dir.), Hunger and War: Food Provisioning in the Soviet Union during World War II, Bloomington-Indianapolis, Indiana University Press, 2015, p. 270.
-
[34]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 155. Pour la Grande Guerre, voir A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 105-106.
-
[35]
Par exemple : Do svidaniia, mal’chiki! My ne byli svolochami!, Moscou, Iauza-Eksmo, 2006, p. 39-40 ; S. S. Vilensky et al. (dir.), Deti Gulaga, 1918-1956, Moscou, Rosspèn, 2002, p. 254-255 et 262. Partant pour le front, les « enfants-ennemis » dissimulaient leurs « origines ennemies ».
-
[36]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 153, n. 11.
-
[37]
L’auteur de l’article de 1915 intitulé « Les enfants des rues et la guerre » observe que des enfants autrichiens se sont retrouvés dans les rangs des Russes, appréciant la manière dont ils étaient traités. Voir V. Livitskii, « Besprizornye deti i voina », in Deti i voina: Sbornik statei, Kiev, 1915, p. 14.
-
[38]
D’un autre côté, on trouvait aussi des enfants ayant suivi leur père au front, cherchant à restaurer l’unité de leur famille – ce qui en disait long sur la « crise de la famille ». Voir A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 106-107.
-
[39]
Pendant la Première Guerre mondiale, les convois de la police et de l’armée ont également reçu l’ordre d’appréhender les enfants qui tentaient de rejoindre les forces et de les renvoyer à l’arrière, en veillant à ce qu’ils ne soient pas transférés par le système pénitentiaire. Voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 156. Sur la situation critique des enfants fugitifs, abandonnés et isolés dans les régions récemment libérées, voir les Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF), 9412/1/19/69, 9412/1/4/85 et RGASPI 17/126/19/23.
-
[40]
A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 107.
-
[41]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 179-180. Pour les unités de l’Armée rouge adoptant des animaux domestiques et des enfants comme mascottes et substituts familiaux, voir aussi C. Merridale, Ivan’s War: Inside the Red Army, 1939-45, Londres, Bloomsbury, 2010, p. 353-356. Bien sûr, les mascottes existaient dans d’autres armées à l’époque. Sur les mascottes de l’armée de l’air britannique, voir S. P. Mackenzie, Flying against Fate: Superstition and Allied Aircrews in World War II, Lawrence, University Press of Kansas, 2017. Sur l’histoire vraie d’une improbable mascotte nazie, voir M. Kurzem, The Mascot: The Extraordinary Story of a Jewish Boy and an SS Extermination Squad, Londres, Rider and Co, 2007.
-
[42]
Voir les souvenirs cités dans S. Aleksievich, Poslednie svideteli, Moscou, Palmira, 2004, p. 122, et Id., Nedopisannye stranitsy, Moscou, Press-Solo, 1996, p. 189. Pour d’autres références et témoignages, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 189.
-
[43]
Contrairement à une croyance répandue, l’Armée rouge n’était pas une armée jeune, surtout à la fin des hostilités. Même si le groupe d’âge le plus jeune, né en 1927, qui avait à peine 18 ans à l’époque, a été mobilisé à la fin de 1944, d’après les statistiques de démobilisation, « la plus jeune cohorte de survivants de première ligne était minoritaire », selon le spécialiste de l’Armée rouge M. Edele (Soviet Veterans of World War II: A Popular Movement in an Authoritarian Society, 1941-1991, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 14).
-
[44]
V. I. Movzalevskii (dir.), Deti otechestva, Stavropol’, Iurkit, 2001, p. 13 et 169 ; O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 180-182.
-
[45]
Au lieu de cela, les activités partisanes étaient en grande partie menées par les brigades légères de l’armée, qui traversaient la ligne de front pendant une période prolongée pour faire des ravages sur les positions et les installations ennemies. L’expérience de la Première Guerre mondiale a été étudiée de près par les Soviétiques et adaptée aux réalités de la guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. B. I. Khanin, « K stoletiiu Pervoi Mirovoi voiny (1914-1918 gody): partizanskaia voina », Velikolukskaia Pravda, 4 avril 2014 ; en ligne : http://luki.ru/vpn/news/280568.html.
-
[46]
Sur les attitudes de l’armée allemande et des collaborateurs locaux et les actes de cruauté envers la population civile, en particulier les enfants, dans la Biélorussie occupée, voir N. Terry, « The German Army Group Centre and the Soviet Civilian Population, 1942-1944: Forced Labour, Hunger and Population Displacement on the Eastern Front », thèse de doctorat, King’s College, Londres, 2006, en particulier les pages 107, 127, 129, 134, 141, 176 et 185-256 ; Ch. Gerlach, Kalkulierte Morde: Die deutsche Wirtschafts- und Vernichtungspolitik in Weissrussland, 1941 bis 1944, Hambourg, Hamburger Edition, 2000. Pour des témoignages sur le don de sang, voir par exemple, « Zimnee volshebstvo ». Natsistskaia karatel’naia operatsiia v belorussko-latviiskom pogranich’e, fevral’-mart 1943g.: Dokumenty i Materialy, Moscou, Fonds « Istoricheskaia pamiat », 2013, p. 344 et 348 et « Strashnaia taina detskogo kontslageria », Itogi News, Documentary report, channel NTV, 11 avril 2008. Il y a, cependant, peu de preuves documentaires de cette pratique venant d’Allemagne, voir N. Moine et J. Angell, « Defining “war crimes against humanity” in the Soviet Union », Cahiers du monde russe, vol. 52, n° 2-3, 2011, p. 441-473 ; R. Plavnieks, Nazi Collaborators on Trial during the Cold War: Viktors Arajs and the Latvian Auxiliary Security Police, Londres, Palgrave Macmillan, 2018, p. 96-97.
-
[47]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 208-209.
-
[48]
K. Khromova, Tysiacha synovei, Voronezh, TsChKI, 1990. Sur les évacuations, voir E. White, « The Evacuation of Children from Leningrad during World War II », in M. Parsons (dir.), Children: The Invisible Victims of War. An Interdisciplinary Study, Cambridge, DSM, 2008, p. 107-120 ; O. Kucherenko, Soviet Street Children…, op. cit., p. 40-42.
-
[49]
Sur la manifestation de l’agression chez les enfants du front de la Seconde Guerre mondiale, voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 152.
-
[50]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 186-187 ; A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 108 ; Y. Okunev, « Deti na voine (iz boevykh vpechatlenii) », Russkaia Shkola, n° 5-8, 1917, p. 1-6 ; A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 162.
-
[51]
Voir P. W. Singer, Children at War, Berkeley, University of California Press, 2006, p. 80-81.
-
[52]
Sur l’effet de la « désindividuation », voir P. Piotkowski, « Collective behaviour: Psycho-Social Determinants », in Id., Understanding Problems of Social Pathology, Amsterdam-New York, Rodopi, 2006, p. 134.
-
[53]
Sur une telle propagande pendant la Première Guerre mondiale et son effet sur les enfants, voir S. Norris, A War…, op. cit., p. 139 et 142-143 ; A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 163-164. Pour la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 134-137 et 146-148.
-
[54]
Besprizyvniki. Povesti-vospominaniia, Alma-Ata, Zhasushi, 1990, p. 44 ; V. I. Movzalevskii (dir.), Deti otechestva…, op. cit., p. 247-248. Sur les attitudes des partisans adultes envers la discipline de l’armée, voir A. Werth, Russia at War, 1941-1945, New York, Carroll and Graf Publishers, 1984, p. 725.
-
[55]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 180 ; A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 108.
-
[56]
Pendant la Seconde Guerre mondiale, au moment où l’Armée rouge franchit les frontières soviétiques, le régime commence à faire des efforts pour retirer les enfants-soldats de ses rangs, craignant qu’ils ne sapent l’image de l’armée forte et victorieuse. Les commandants reçoivent l’ordre d’envoyer les mineurs à l’arrière pour être rendus à leurs proches, placés dans des orphelinats, employés ou enrôlés dans des écoles militaires de cadets.
-
[57]
Même si les femmes n’étaient pas officiellement autorisées sur le front pendant la Première Guerre mondiale, il y avait encore des femmes soldats servant dans l’armée impériale.
-
[58]
La création, à la suite de la révolution de février 1917, de bataillons de volontaires féminines avait le même objectif de faire honte aux hommes et de réduire les pénuries d’hommes au front. Voir R. M. Abiniakin, Ofitserskii korpus Dobrovol’cheskoi armii: sotsial’nyi sostav, mirovozzrenie, 1917-1920gg., Orel, Vorobiov, 2005, p. 38-41. Les Soviétiques ont toujours revendiqué le caractère unique de leur effort de guerre, même si seule une poignée de combattantes a reçu des éloges et bénéficié d’une reconnaissance populaire. Pour l’examen de leur expérience militaire et sa résonance sociale et politique plus large pendant et après la guerre, voir R. D. Marwick et E. C. Cardona, Soviet Women on the Frontline in the Second World War, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012 ; A. Krylova, « Stalinist Identity from the Viewpoint of Gender: Rearing a Generation of Professionally Violent Women-Fighters in 1930s Stalinist Russia », Gender and History, vol. 16, n° 3, 2004, p. 626-653 ; Id., Soviet Women in Combat: A History of Violence on the Eastern Front, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
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[59]
Pour d’autres exemples, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 171-172.
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[60]
Pour les témoignages de combattantes, y compris la discussion sur le chauvinisme masculin et les difficultés de la vie sur le terrain, voir S. Aleksievich, The Unwomanly Face of War, Londres, Penguin, 2017.
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[61]
Cité dans Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, p. 163.
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[62]
Sur la déficience des communications, voir A. Werth, Russia at War…, op. cit., p. 138 ; R. W. Thurston, « Cauldrons of Loyalty and Betrayal: Soviet Soldiers’ Behaviour, 1941 and 1945 », in Id. et B. Bonwetsch (dir.), The People’s War: Responses to World War II in the Soviet Union, Urbana, University of Illinois Press, 2000, p. 238. Sur la bataille de Stalingrad et l’utilisation d’enfants messagers, dans les deux camps, voir A. Beevor, Stalingrad, Londres, Penguin, 1998, p. 130 et 177.
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[63]
A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 108.
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[64]
I. K. Belik et E. V. Shumilova, « Pri popytke rebait otkazat’sia nemetskie offitsery ugrozhali rasstrelom », Istoricheskii Arkhiv, n° 2, 2005, p. 166-174 ; Id., « Nemetskaia razvedka iavliaetsia dovol’no sil’nym protivnikom », Istoricheskii Arkhiv, n° 5, 2000, p. 35-56 ; S. G. Chuev, « Razvedyvatel’nye i diversionnye shkoly abvera », Voenno-Istoricheskii Arkhiv, vol. 9, n° 33, 2002, p. 94-118 ; N. V. Gubernatorov, « Smersh’ protiv ‘Bussarda » (Reportazh iz arkhiva tainoi voiny), Moscou, Kuchkovo Pole, 2005. Voir aussi RGASPI 69/1/748/58 ; Organy Gosudarstvennoi Bezopasnosti SSSR v Velikoi Otechestvennoi voine, vol. 1, n° 2, Moscou, Kniga i Biznes, 1992, p. 557-558 , vol. 2, n° 2, Moscou, Rus’, 2000, p. 18 , vol. 3, n° 1, Moscou, Rus’, 2003, p. 17, 29, 142-145, 150, 185, 238, 253, 255, 527-528 ; A. T. Zhadobin et al. (dir.), « Ognennaia duga »: Kurskaia bitva glazami Lubianki, Moscou, MUK, 2003, p. 183-187 et 254-245. Sur le recrutement des organisations de jeunesse pro-nazies locales, voir A. Kovalenia, Pragermanskiia saiuzy moladzi na Belarusi. 1941-1944. Vytoki, Struktura. Dzeinast, Minsk, BGPU, 1999, p. 78 ; O. Kucherenko, « Mezhdu molotom I nakoval’nei: bor’ba za molodoe pokolenie na okkupirovannykh territorriakh Sovetskogo Soiuza », in « Kinder des Krieges/Deti Voiny », Deutsches Historisches Institut Bulletin, Moscou, n° 3, 2009, p. 80-89.
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[65]
A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 109-110.
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[66]
I. K. Belik et E. V. Shumilova, « Pri popytke… », art. cité, p. 168-172 ; Id., « Nemetskaia razvedka… », art. cité, p. 44. Sur les espions enfants et leurs motivations pendant la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 175-176 et 214-218 ; sur les mobiles des enfants espionnant pour les Allemands pendant la Première Guerre mondiale, voir A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 110-111.
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[67]
Par exemple, voir J. Fürst, « Heroes, Lovers, Victims. Partisan Girls During the Great Patriotic War », Minerva. Quarterly Report on Women and the Military, vol. 18, n° 3-4, 2000, p. 38-75. Voir aussi la critique d’une pratique partisane consistant à ne pas mener d’enquêtes approfondies dans RGASPI 69/1/704/52.
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[68]
Voir « Diversiia-liubimyi krest’ianami vid », Rodina, n° 4, 2005, p. 18 ; M. Jones, Leningrad: State of Siege, Londres, John Murray, 2009, p. 77.
-
[69]
B. Shepherd, War in the Wild East: The German Army and Soviet Partisans, Cambridge, Harvard University Press, 2004, p. 125 ; J. Dunstan, Soviet Schooling in the Second World War, New York, St. Martin’s Press, 1997, p. 147 ; Organy, vol. 3, n° 1, p. 586.
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[70]
Sur le partisan soviétique dépeint par la propagande en « glorieux boy-scout » qui vivait dans la forêt une existence merveilleuse, voir A. Werth, Russia at War…, op. cit., p. 711 ; sur la réalité de la vie dans la forêt, voir K. Slepyan, Stalin’s Guerrillas…, op. cit., p. 60-76 ; S. Aleksievich, The Unwomanly Face of War, op. cit., p. 201.
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[71]
Sur les ioungas, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., chap. 7. Sur le corps des cadets, y compris les écoles navales de cadets, Id., « In Loco Parentis… », art. cité. Pour une discussion générale sur les enfants des rues en URSS au cours de la Seconde Guerre mondiale, Id., Soviet Street Children…, op. cit.
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[72]
Voir l’étude en psychogériatrie menée sur d’anciens enfants soldats allemands pendant la Seconde Guerre mondiale : P. Kuwert et al., « Trauma and Post-Traumatic Stress Symptoms in Former German Child Soldiers of World War II », International Psychogeriatrics, vol. 20, n° 5, 2008, p. 1014-1018.
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[73]
Marshal Ivan Bagramian, cité dans V. Karavaev (dir.), Medal’ za boi, Medal’ za trud, Moscou, Molodaia Gvardiia, 1975, p. 240.
1L’invasion de l’Union soviétique par les puissances de l’Axe à l’été 1941 a permis la formation d’une petite armée de jeunes soldats qui ont participé aux hostilités sur le « front de l’Est ». Pour certains, ce passage a été bref, tandis que d’autres ont servi jusqu’au dernier jour du conflit, quand bien même ils n’étaient pas formellement mobilisés du fait de leur jeune âge et n’étaient pas officiellement autorisés à aller au front, à moins qu’ils n’aient entre-temps atteint leur majorité. Ils ont servi dans les formations régulières de l’armée de terre, dans la marine et dans les forces paramilitaires des territoires occupés par l’Armée rouge. Les raisons pour lesquelles ces jeunes gens, enfants compris, ont rejoint le front varient, ainsi que les moyens d’y arriver et les manières d’être utilisés, au combat ou autrement.
2L’utilisation des jeunes par les militaires n’est alors pas une nouveauté en contexte russe : un nombre non négligeable d’enfants et d’adolescents avaient participé aux hostilités durant le premier conflit mondial et la guerre civile qui suivit la paix signée le 3 mars 1918 entre la Russie des Soviets et les empires centraux. Même si de nombreux historiens considèrent que ces deux derniers conflits se chevauchent dans un « continuum de violence [1] » de presque une décennie, ce texte se consacrera plus spécifiquement à la Première Guerre mondiale en ce qu’elle affecte la jeunesse d’une manière jusqu’alors inédite et que son histoire s’efface souvent derrière celles de la révolution russe et de la guerre civile [2]. La Grande Guerre laisse également entrevoir quelques-unes des difficultés auxquelles l’État soviétique sera confronté vingt ans plus tard : l’éclatement de la famille, le vagabondage des mineurs, les craintes relatives au contrôle et à la régulation du comportement des jeunes [3]. Des similitudes existent ainsi entre les deux guerres mondiales, du moins en ce qui concerne les jeunes soldats, même si le déroulement des conflits, leur géographie, leur conduite et leurs héritages diffèrent. La nouveauté de l’analyse consistera ainsi à faire un parallèle entre les deux conflits, en soulignant néanmoins le nombre plus élevé de « jeunes » qui ont participé aux hostilités au cours de la « Grande Guerre patriotique » (1941-1945).
3Dans un cas comme dans l’autre, leur nombre exact reste inconnu. Les estimations varient et demeurent incertaines du fait de la pauvreté des archives, ces jeunes n’étant pas comptés comme militaires mais comme civils. Au cours de la Première Guerre mondiale, entre 1 000 et 2 500 « enfants » auraient rejoint volontairement le front, en plus des innombrables jeunes venant des zones de combat. Durant la Seconde Guerre mondiale, entre 60 000 et 100 000 enfants et adolescents auraient servi dans l’armée, la marine et les brigades de partisans dans les territoires occupés par la Wehrmacht [4]. En effet, le mouvement de résistance dans les zones occupées de l’Union soviétique était en grande partie constitué de jeunes gens, dont 10 à 16 % étaient en âge scolaire [5]. Des filles ont participé aux combats, mais l’écrasante majorité des jeunes combattants a été masculine, issus de milieux sociaux et de groupes ethno-nationaux variés. Selon les rares sources disponibles, un peu moins des deux tiers étaient d’origine paysanne et la plupart appartenaient à des nationalités slaves, ce qui reflète à peu près la composition globale de l’Armée rouge et la géographie du conflit [6]. La plupart d’entre eux étaient âgés de 15 ans ou plus jeunes.
4Cela soulève la question de savoir ce que recouvre la notion de « jeune combattant ». L’enfance comme l’adolescence sont des catégories culturelles et sociales construites, aux frontières floues, qu’il s’agisse de celles qui séparent l’enfance de l’adolescence ou l’adolescence de l’âge adulte [7]. Ainsi, bien que les psychologues du développement et les médecins reconnaissent la distinction biologique et comportementale entre enfants et adolescents [8], l’adolescence demeure perçue dans de nombreuses sociétés comme faisant partie de « l’enfance sociale », car les « jeunes » adolescents (de 10 à 15 ans) sont généralement mineurs aux yeux de la loi, des services de protection de l’enfance et du recrutement militaire, comme ce fut le cas dans le dernier Empire russe et l’Union soviétique [9], où l’âge légal du recrutement était respectivement de 20-21 ans et 18-19 ans [10].
5Les « jeunes » ne jouissaient généralement pas du même statut dans l’armée que les adultes, quand bien même ils pouvaient être considérés comme des adultes dans le monde du travail et dans la vie publique. La loi internationale actuelle considère que 18 ans est la limite en deçà de laquelle tout combattant doit être qualifié d’« enfant-soldat ». C’est pourquoi les lignes qui suivent pourront utiliser le terme d’« enfants-soldats », même si la plupart des jeunes en question sont plutôt de « jeunes adolescents [11] ». Certes, l’adolescence a ses propres idiosyncrasies psychologiques et comportementales (indépendance, impulsivité, curiosité, conscience de soi sociale, désir de louange et d’acceptation par ses pairs) et ces caractéristiques d’âge ont probablement contribué à la décision de certains de s’enrôler, tout comme d’autres ont été amenés en première ligne par des traumatismes personnels, des liens familiaux ou des instincts de survie. Quelques indices signalent aussi que dans les deux guerres mondiales, un nombre important d’enfants-soldats auraient été poussés à s’engager par des impulsions patriotiques [12]. Aussi, si certains jeunes ont pu être contraints de travailler, en particulier dans les territoires occupés, les enfants-soldats semblent majoritairement présents dans l’armée et la résistance de manière volontaire.
6Cette affirmation va à l’encontre d’une tendance générale à considérer tous les enfants-soldats, quel que soit leur âge, comme des victimes forcées de participer aux luttes, qu’il s’agisse des guerres mondiales ou d’autres conflits [13]. Au contraire, tous ces jeunes combattants ne sont pas enrôlés de force et beaucoup refusent de se percevoir comme des victimes. L’autonomie morale et décisionnelle des enfants est à considérer [14] et nombre d’entre eux participent volontairement aux activités politiques et aux conflits armés [15]. Lors des conflits mondiaux, il n’y eut d’ailleurs aucun appel explicite au volontariat des enfants, à l’exception du Commissariat soviétique de la marine qui créa des écoles de cadets pour former des spécialistes, où arrivèrent de nombreux volontaires une fois leurs diplômes passés [16]. En fait, comme le montrera cet article, à l’exception des formations irrégulières agissant dans les territoires occupés durant la Seconde Guerre mondiale, les états-majors – impérial et soviétique – ne voient pas les enfants-soldats comme des combattants désirables et essaient plutôt d’éloigner ces jeunes du champ de bataille. Cela n’exclut pas les encouragements plus ou moins subtils émanant des machines de propagande des deux régimes, qui ont pu inciter à l’action des jeunes gens impressionnables.
7Cet article appelle donc à la complexification du problème des enfants-soldats au cours des deux guerres mondiales. Plutôt que d’être vus uniquement sous l’angle de la victimisation et de la souffrance, cette expérience peut aussi se voir sous celui de la résilience, voire de la fierté, à partir du moment où ces jeunes pouvaient s’employer utilement dans l’armée. Cette utilité leur aurait ainsi permis de donner un sens nouveau à leur comportement. Cet article traitera donc des « pourquoi » et des « comment » de la participation des jeunes aux hostilités, y compris le conditionnement idéologique, souvent négligé, ainsi que l’utilisation de ces volontaires. Il s’appuiera notamment sur l’étude approfondie menée par l’auteure sur les enfants-soldats soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale, fondée sur des récits recueillis auprès de ces combattants et étayés par les archives [17]. Si les lacunes de ces sources sont bien connues, elles demeurent des outils inestimables pour saisir des symboles et des attitudes socialement partagés ainsi que pour évaluer l’impact de la culture et de l’idéologie sur l’esprit humain. Cet article ne se veut pas seulement une première étude concise du phénomène de l’enfant-soldat en Russie dans les deux guerres mondiales, mais aussi une enquête sur la relation de l’État avec ses jeunes citoyens.
Les raisons et les voies de l’engagement
8La première moitié du XXe siècle a été l’ère de la guerre totale en Russie, qui se caractérise par des mobilisations de masse, des armées de masse et des morts de masse [18]. C’est aussi celle de la participation massive des jeunes à l’activisme politique et à la violence qu’elle peut engendrer. Pour plusieurs générations de jeunes de la fin de l’Empire russe, et plus tard de l’Union soviétique, la guerre – ou ses préparatifs – est devenue une expérience quotidienne. Dans les deux guerres mondiales, des techniques de propagande très similaires ont été employées pour promouvoir les valeurs patriotiques, provoquer l’indignation contre un ennemi intrinsèquement barbare et amener les citoyens à défendre leur nation [19]. Les enfants sont concernés comme les autres : de l’école aux organisations de jeunesse, en passant par les médias, tous les agents de socialisation encouragent le sacrifice de soi dans l’intérêt de l’effort de guerre [20].
9La propagande visuelle, comme le cinéma (pendant la Seconde Guerre mondiale [21]), le théâtre, les conférences publiques et l’imprimé, ont joué un rôle particulièrement important dans une société multinationale où les niveaux d’éducation demeurent très inégaux. Des slogans laconiques sont utilisés, combinant humour et drame pour un effet émotionnel assuré. Les premières phases de la guerre ont été particulièrement propices à ce déferlement de productions culturelles, notamment une littérature pour enfants présentant les combats de manière romanesque, évitant toute description de la véritable guerre et de ses effets sur les militaires [22]. Exploitant la fascination que peut exercer la guerre sur les enfants, aidant à en structurer les représentations glorieuses, la culture populaire n’insiste guère sur la possibilité de la mort, réservée aux civils et aux soldats ennemis, généralement présentés comme faibles et facilement éliminables, même par les femmes et les enfants [23]. Le militantisme des enfants a été particulièrement souligné et leur héroïsme au front célébré par la culture populaire, au point de commencer à inquiéter les adultes [24]. Cette manière de montrer la guerre comme un événement excitant et presque sans risque présentait un sérieux inconvénient : elle créait la fausse attente d’une victoire facile [25] et a pu inspirer des milliers de volontaires de guerre des deux sexes en quête d’aventure et de gloire éternelle. Ainsi, à l’automne 1914, les journaux ont commencé à rendre compte des fugues quotidiennes vers le front de garçons et de filles de 10 à 15 ans. Des enquêtes effectuées auprès de 94 enfants âgés de 6 à 13 ans à l’automne 1914 ont montré que 40,5 % des garçons et 33 % des filles voulaient partir à la guerre ; le pourcentage de filles souhaitant se consacrer à une profession médicale a également augmenté à mesure que la guerre avançait [26].
10En ce qui concerne le cas soviétique, les jeunes volontaires ont eu plusieurs années d’accoutumance au conflit par le biais de la propagande de guerre en temps de paix, d’un entraînement militaire et des jeux de guerre, organisés dans les écoles initiant les enfants aux rudiments militaires et encouragés par les milieux liés à la Défense [27]. Stimulés par un système de valeurs qui subordonnait la reconnaissance sociale à la contribution de chacun à l’effort commun, et voulant être pris au sérieux, ces jeunes voyaient la guerre comme un devoir. Dans leurs témoignages, les anciens enfants combattants attribuent souvent leur ardeur à servir au front à l’atmosphère idéologique qui a façonné leurs attitudes et leurs perceptions de la guerre. Conditionnés par leur milieu politique et culturel, la plupart d’entre eux deviennent des participants conscients et consentants à la vie militaire. Chaque expérience est évidemment influencée par des expériences individuelles. Toutefois, quand les jeunes gens donnent des explications idéologiques à leur engagement, cet environnement culturel est présenté comme ayant clairement prédéterminé cette expérience [28].
11La profondeur du patriotisme des jeunes volontaires peut sans doute être questionnée, comme cela a déjà été le cas dès 1917 par des observateurs contemporains qui l’appelaient « patriotisme imitatif » ou « patriotisme-jouet [29] ». Cependant, comme l’a bien noté Stephen Ellis, « ce que les gens croient être le motif de leur conduite est au moins aussi important que la séquence effective des événements [30] ». Les croyances incitent à agir, de sorte que la force motrice des idées ne doit en rien être sous-estimée, non plus que l’autonomie décisionnelle [31].
12Un autre signe de la manière dont le volontarisme juvénile a été socialement et idéologiquement médiatisé et sanctionné se voit à la diminution progressive, après 1915, du nombre de jeunes désireux de s’enrôler, en corrélation directe avec l’affaiblissement du sentiment patriotique sur le front intérieur de l’Empire tsariste [32]. Dans l’Union soviétique de la Seconde Guerre mondiale, où aucune ressource matérielle ou humaine n’a été épargnée pour maintenir haute la flamme du patriotisme, il augmente au contraire, alors que la guerre s’éternise. Même pendant les mois les plus sombres de 1942, les autorités continuaient de recevoir des pétitions de jeunes volontaires, tandis que les commandants d’unité voyaient des jeunes gens se proposer pour toutes sortes de travaux au sein de l’armée, espérant seulement être au contact des soldats. Bien sûr, d’autres facteurs de motivation entrent en jeu.
13Ces motifs sont très semblables dans les deux guerres mondiales. Certains enfants sont partis au front, soit parce qu’ils trouvaient leur travail dans l’industrie ingrat et insignifiant, soit parce qu’ils se sentaient écrasés par leur nouveau rôle dans les sociétés en guerre. Les garçons, en particulier, cherchaient à échapper à la routine du quotidien ou à se libérer d’un environnement essentiellement féminin : les taux de mortalité très élevés chez les hommes par rapport aux femmes ont en effet contribué à la féminisation rapide de la vie familiale et du lieu de travail [33]. Dans de telles circonstances, la socialisation des garçons pouvait devenir problématique et certains semblent avoir commencé à éprouver une certaine anxiété quant à leur identité. Sans père ou autre parent masculin autour d’eux, les garçons recherchaient une compagnie masculine hors de la maison : certains se tournaient vers le crime, tandis que d’autres rejoignaient l’armée. Le frisson de l’aventure et la compagnie masculine qu’ils trouvaient au front ont ainsi pu exercer un puissant attrait sur ces jeunes gens qui, selon les mots de l’un d’eux, « voulaient juste tirer quelques coups de feu, voir la guerre, participer [34] ».
14Les enfants étaient également poussés vers la ligne de front par la faim, l’abandon ou la recherche d’un parent survivant. La désintégration des familles, l’affaiblissement des réseaux de soutien social, le déplacement forcé, ainsi que le sentiment d’insécurité, voire de revanche, amènent les jeunes à chercher aide et protection auprès des soldats. Pendant la Seconde Guerre mondiale, s’ajoutent à ces raisons celles qui motivent un certain nombre de jeunes voulant échapper à leur passé criminel ou souhaitant racheter leur honneur, comme ce fut le cas d’individus condamnés à tort ou convaincus d’être les enfants d’« ennemis du peuple [35] ».
15Les optimistes grimpaient dans les trains qui transportaient les troupes vers le front, rejoignaient les unités militaires locales ou embarquaient sur les navires de guerre. Dans bien des cas, les forces armées acceptaient ces enfants non accompagnés pour les protéger contre les mauvais traitements et la faim. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ces enfants étaient souvent « adoptés » par leurs unités comme pupilles de l’armée (vospitanniki), parfois appelés affectueusement « fils/filles du régiment » (des appellations qui leur restent et se répandent dans la culture du souvenir d’après-guerre). Selon les données incomplètes recueillies à partir de 1944, à peu près 30 % de ces « pupilles » étaient dans l’infanterie, 20 % dans les forces aériennes, 20 % dans les unités mécanisées, 20 % dans les administrations et les hôpitaux, 5 % dans l’artillerie et 5 % dans les unités blindées [36]. Pendant la guerre, « l’adoption d’un enfant » devient peu à peu une tradition tacite. Une division ou un régiment pouvait se vanter de compter dans ses rangs plusieurs vospitanniki appartenant à une même fratrie ou originaires du même village ou de la même ville. Lorsque l’Armée rouge se déploya au-delà des frontières soviétiques, des enfants polonais, bulgares, yougoslaves, voire allemands, furent recueillis comme vospitanniki et parfois adoptés légalement par des officiers soviétiques. Nombre de ces enfants étaient des orphelins venus sur le front pour échapper à d’autres menaces, ou ont été récupérés par des soldats après l’incendie de leur village ou la perte de leurs parents au cours des évacuations ; d’autres encore prétendaient être orphelins, pariant sur le fait que les soldats manifesteraient davantage de compassion envers la détresse d’un enfant livré à lui-même.
16On voit la même chose au cours de la Première Guerre mondiale (y compris pour des enfants d’origine étrangère [37]), ce qui a incité Alexandre Astashov à suggérer que la répudiation de leurs parents par ces enfants reflétait la « crise de la famille » qui frappait l’Empire russe au début du XXe siècle [38]. Pour légitime que soit cette analyse, il convient de souligner que les jeunes volontaires des années 1940 ont également utilisé à leur profit le « scénario de l’orphelin », alors que l’institution familiale était solide dans l’Union soviétique de leur enfance (même si la guerre a entraîné une nouvelle « crise de la famille »). Plusieurs anciens enfants-soldats de la Seconde Guerre mondiale ayant prétendu être orphelins ont ensuite affirmé que dire la vérité n’aurait fait que compliquer les choses et donner aux militaires une raison de les renvoyer chez eux. Pour éviter la surveillance de la police et de l’armée qui avaient ordre d’empêcher les enfants d’atteindre le front, ils se mêlaient aux flots de jeunes gens affluant dans les régions récemment libérées à la recherche de parents et de nourriture, se cachaient sous les voitures ou demandaient à des soldats de l’avant de les dissimuler, inventant diverses histoires de privation et de solitude [39].
17En tout cas, cette stratégie semble avoir fonctionné, puisqu’au cours des deux guerres mondiales, les soldats ont souvent volontiers aidé ces jeunes désemparés. Malgré des instructions strictes, ils ont permis aux enfants de monter dans les trains en partance pour le front, les ont nourris et cachés, voire ont poussé leurs officiers à « adopter » ces enfants trouvés. Lors de la Première Guerre mondiale, des parents accusèrent les soldats d’avoir incité leurs enfants à se porter volontaires, à les avoir traités comme des jouets pour les abandonner ensuite [40]. Des situations similaires ont certainement eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, à l’instar de cet ancien enfant-soldat à qui des militaires ont fait la promesse de l’accompagner (mais il n’a pas été abandonné après) et d’un autre qui, après avoir été soudoyé par des bonbons, a été recruté par les soldats d’une autre unité, à la recherche d’une mascotte régimentaire ou peut-être d’un substitut aux enfants ou aux frères et sœurs laissés derrière eux [41].
18D’anciens enfants-soldats se souviennent de l’accueil chaleureux qu’ils ont reçu de la part de compagnons d’armes plus âgés et insistent sur le fait que les militaires les percevaient comme leurs propres enfants et sollicitaient à cette fin leur compagnie. Certains se sont comportés en véritables « mères poules » envers leurs jeunes troupiers : ils les ont guidés, protégés, voire ont organisé pour eux une scolarisation rudimentaire [42]. Des liens quasi familiaux se sont ainsi créés entre les soldats et les vospitanniki. Les enfants, en particulier les orphelins, ont pu transmettre leur affection à des soldats qu’ils considéraient comme des membres de leur famille. Certains voyaient leurs officiers ou mentors comme des « pères du front », même si ces derniers n’étaient plus âgés que de quelques années. Un garçon de 14 ans, par exemple, appelle son commandant âgé de 24 ans batia (papa) tandis qu’un lieutenant adolescent de 19 ans apparaît à son pupille de 13 ans comme une figure paternelle [43]. « Un commandant avait plus d’autorité qu’un directeur d’école et était plus proche de nous que nos propres mères », affirme un ancien enfant-soldat. Ces liens expliquaient le fait que ces jeunes gens étaient prêts à risquer leur vie pour protéger ou sauver leurs mentors [44].
19Des fidélités naissaient d’expériences communes et de risques partagés. Dans les deux guerres, tous les soldats vivaient dans des tranchées perpétuellement humides, mangeaient de la nourriture moisie, souffraient à cause du grésil et du gel, se livraient à de longues marches, subissaient des tirs d’obus, sans parler du fait qu’ils portaient les mêmes vêtements sales et infestés de poux des jours durant. La vie était également des plus difficiles pour les jeunes membres du mouvement de résistance dans les vastes territoires occupés par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, même si leur existence, avant de rejoindre les partisans, était sans doute encore plus précaire, voire encourait des périls mortels dans le cas des juifs.
20Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les enfants ont rejoint les partisans par différentes voies. Le mouvement insurrectionnel n’existait pas lors du conflit précédent, parce que le contrôle du territoire par l’ennemi allemand demeurait limité et que ce dernier ne pratiquait pas de politiques raciale et d’exploitation meurtrières, comme les mèneront les nazis, ce qui fera grossir la résistance à l’occupation [45]. Les enfants des territoires occupés, que les Allemands considéraient comme racialement impurs, ont été particulièrement touchés par le nouvel ordre : dénués de valeur, ils apparaissaient surtout comme le noyau potentiel d’une résistance future. Leur vie comme leur mort laissant indifférent, ils figuraient au mieux au nombre des dommages collatéraux, au pire comme des cibles, à l’instar des jeunes juifs ou des enfants des partisans actifs. Comme les adultes, les jeunes pouvaient être battus, pendus à la moindre offense. Les occupants forçaient les enfants à nettoyer les champs de mines, à tester la toxicité de l’eau de puits ou à servir de boucliers humains pendant les raids anti-partisans. Les rumeurs abondent d’enfants errants devant donner leur sang, ce qui entraînait couramment la mort [46]. Les adolescentes risquaient sans cesse d’être violées ou envoyées comme esclaves sexuelles dans les bordels de campagne. Des enfants d’à peine 10 ans étaient enrôlés de force comme main-d’œuvre et expédiés en Allemagne comme Ostarbeiter. Aussi, ceux qui échappaient à ce recrutement préféraient trouver refuge auprès des partisans. Dans les régions où ces recrutements étaient les plus durs, le nombre d’adolescents au sein des unités de partisans fut plus élevé. Enfin, même si la décision des enfants de se joindre au combat était très certainement influencée par leurs expériences personnelles, le rôle de la propagande soviétique ne fut pas négligeable. Quoique à une échelle réduite comparée à l’arrière soviétique, le débauchage de la jeunesse derrière les lignes ennemies fut également impressionnant [47].
21Se trouver en compagnie des partisans n’était pas toujours intentionnel. Certains jeunes se retrouvaient avec eux parce qu’ils avaient été séparés de leur famille pendant les actions de contre-insurrection ou les opérations de déportation, au cours desquelles beaucoup d’enfants étaient abandonnés par leurs parents ou leurs tuteurs. Ils pouvaient rencontrer des partisans en vagabondant dans la forêt après avoir fui un bombardement aérien ou s’être échappés des ghettos. Quand la guerre éclata, de nombreux jeunes se trouvaient dans des camps d’été ou avaient été évacués vers l’ouest et le sud-ouest des grandes villes. La vitesse de l’avancée allemande laissa beaucoup d’enfants derrière la ligne de front, où certains périrent et d’autres rejoignirent au hasard les bases des partisans [48].
22Toutes les expériences de la vie sur le champ de bataille ou dans les territoires occupés ont certainement eu un effet traumatisant sur le corps et la psyché des enfants. Tous expérimentaient probablement leur première bataille en tremblant de terreur et de dégoût, puis la peur s’atténuait et se transformait en « habitude ». Face aux réalités de la guerre, le mécanisme d’autodéfense des enfants a parfois transformé la peur en agressivité [49]. Lors des deux guerres mondiales, on rapporte comment, insensibilisés à la souffrance, nombre de jeunes volontaires montraient bien peu d’empathie envers leurs congénères et encore moins envers l’ennemi, au point de choquer certains adultes. Au cours de la Première Guerre mondiale, des officiers se sont plaints du fait que, parfois, des jeunes volontaires dépouillaient les corps des soldats ennemis et torturaient avec enthousiasme les blessés. De même, au cours du second conflit mondial, les vospitanniki de l’Armée rouge, comme les jeunes partisans, ont fait preuve d’un comportement jugé violent [50]. Des spécialistes se sont demandé si la propension des enfants à dévaluer la vie humaine ne pouvait pas venir de l’immaturité physique de leur cerveau [51]. Cela n’explique que partiellement le problème. Les réactions des enfants étaient souvent guidées par leurs propres expériences et émotions, mais aussi par l’attitude des soldats adultes, qui soit empêchaient, soit permettaient une conduite violente. Faisant partie d’un groupe, les enfants ont probablement connu la « désindividuation » et ont commencé à imiter un comportement collectif en éprouvant une crainte limitée des conséquences de leurs actions déviantes à partir du moment où celles-ci devenaient la norme [52]. L’effet d’une propagande qui déshumanise l’ennemi et réclame sa destruction immédiate a sans aucun doute joué un rôle [53].
23L’effet de la vie militaire était particulièrement prononcé chez les jeunes partisans de la Seconde Guerre mondiale. La dureté de la vie dans les bois en amena certains à développer une identité spécifique et une perception particulière de l’affrontement. Les enfants qui avaient expérimenté le combat des deux côtés du front constataient une différence notable entre la vie relativement sûre et organisée dans l’armée et la réalité risquée et désordonnée des unités irrégulières. Cela contribuait généralement au fait que les enfants s’habituaient de manière progressive à la routine plus ennuyeuse et réglementée de l’armée. Certains orphelins qui avaient passé du temps dans les rues avant de rejoindre les forces étaient également prêts à se conformer aux règles de l’armée [54]. Quelques-uns n’arrivaient pas à faire face mais, pour les autres, il était hors de question de quitter la ligne de front, et on constate la même chose dans les deux conflits. S’ils étaient hospitalisés, ils demandaient à être renvoyés dans leurs unités, se mettant en colère quand des officiers recruteurs peu (ou trop) compatissants essayaient de les renvoyer à l’arrière. Certains devaient ruser pour rejoindre à nouveau le front. Quelques-uns n’écrivaient même pas à leurs familles, à la fois par honte d’être partis mais aussi de peur que leurs mères ne révèlent leurs véritables identités à leurs chefs [55], surtout après tout ce qu’ils avaient fait pour rester dans les rangs.
24Rien ne garantissait un accueil favorable au sein de l’armée. C’était aux chefs de décider s’ils autorisaient les enfants à s’intégrer au sein des troupes. On sait que de nombreux officiers et des observateurs civils au cours des deux guerres s’employèrent à décourager la participation des enfants aux hostilités, estimant par ailleurs nocive la diffusion par la culture populaire de l’image de l’enfant combattant. Cependant, les pertes subies parmi les adultes, surtout durant la Seconde Guerre mondiale, faisaient que les enfants pouvaient être employés à des tâches auxiliaires, comme sentinelles, mais aussi dans les communications, les services médicaux, voire le divertissement. Beaucoup furent autorisés à aller au combat, surtout quand leurs unités étaient menacées d’encerclement ou affrontaient l’ennemi immédiatement après l’arrivée des enfants, ce qui permettait leur intégration rapide. Si les chefs trouvaient des emplois pour les enfants, le haut commandement n’interférait généralement pas, fermant provisoirement les yeux sur leur présence sur le champ de bataille [56]. Les considérations éthiques étaient alors assujetties au but supérieur de la poursuite de la victoire.
Comment servir ? Les différents emplois des jeunes combattants
25Les enfants pensaient souvent pouvoir apporter une contribution essentielle à la victoire commune. Ils apprenaient cependant très vite qu’ils devaient manifester certaines compétences pour être utiles en milieu militaire. Ceux qui montraient des aptitudes pour les langues étrangères, ou avaient une connaissance technique particulière, voire une certaine maîtrise des armes, parvenaient plus facilement à persuader les chefs de les laisser rester. De ce point de vue, les filles avaient souvent de meilleures chances d’être acceptées [57]. Avant de s’engager, elles s’efforçaient d’acquérir des compétences – un savoir-faire médical, la maîtrise des techniques de transmission par radio (pour la période 1941-1945) ou du tir de précision – qui les rendraient indispensables. Le problème des jeunes filles au front était de faire face à plusieurs défis : remplir leurs devoirs et surmonter les préjugés masculins.
26La participation des femmes à la Première Guerre mondiale demeure limitée par rapport au contingent de plus d’un million de femmes et de jeunes filles ayant servi dans les forces armées soviétiques à partir de 1941. Dans les deux conflits, les femmes ont néanmoins joué un rôle important, d’abord comme médecins, auxiliaires, tireuses d’élite et, plus tard, conductrices de chars, pilotes, employées de la marine. Le recrutement de volontaires féminines (notamment par la conscription dans les forces médicales pendant la Seconde Guerre mondiale) a été accueilli avec inquiétude dans les rangs masculins, reflet d’un « chauvinisme » masculin et de l’humiliation que pouvaient ressentir les hommes face à cette concurrence [58]. La perception de la féminité demeure des plus traditionnelles au sein d’une armée qui, de l’homme de troupe à l’officier, estime que la femme n’a rien à faire au combat. Refusant la condescendance masculine et voulant attirer l’attention de leurs camarades combattants, certaines jeunes filles et femmes ont demandé à être envoyées en mission dangereuse ; parmi elles, des mineures. Ainsi, durant la Seconde Guerre mondiale, une adolescente de 15 ans a requis d’effectuer des soins dans la ligne de tir pour empêcher les autres soldats de l’appeler « petite pionnière ». Après le refus du commandant d’un bataillon d’infanterie de marine de la « porter dans nos poches », une autre jeune fille de 17 ans (déjà ancienne combattante blessée) s’est adressée au haut commandement pour être nommée infirmière du bataillon. Elle a servi à ce titre jusqu’à la fin de la guerre et a évacué nombre de ses camarades du champ de bataille, « dans ses poches », comme les survivants en ont plaisanté plus tard [59].
27En plus d’avoir à faire face à des préjugés masculins et à être confrontées à des problèmes d’hygiène spécifiques, les femmes volontaires dans les deux guerres mondiales ont parfois dû aussi éviter l’attention non désirée de leurs camarades [60]. L’exploitation sexuelle est l’une des principales questions dans le débat contemporain sur les enfants-soldats. Quand il s’agit de volontaires mineurs des deux sexes dans les guerres mondiales, il est impossible de déterminer l’ampleur de ces abus. La question de la violence sexuelle au sein de l’Armée rouge demeure taboue, mais le problème a été soulevé pendant la Première Guerre mondiale. Des observateurs ont exprimé leur indignation face au traitement réservé aux filles dans les zones de combat, qui en a laissé plus d’une psychologiquement et physiquement traumatisées, qu’elles soient victimes ou spectatrices. Ainsi, un soldat a décrit une jeune lavandière qui faisait la lessive pour les soldats cantonnés dans son village : « C’était une gentille fille très anxieuse. Peu importe que vous lui parliez avec bonté, elle hurlait de peur panique [61]. » Il est aussi probable que ceux des enfants-soldats qui disposaient d’un gardien veillant sur eux et d’une arme pour se protéger étaient beaucoup plus difficiles à attaquer, ce qui, naturellement, n’en supprime pas la possibilité.
28Pour la majorité des soldats, la présence des enfants au front restituait un semblant de normalité dans un univers de brutalité. Elle n’aidait pas seulement les hommes à tenir, mais nourrissait aussi leur motivation pour combattre, leur rappelant leur propre famille laissée à l’arrière. Les enfants furent décorés devant les troupes et leurs actes applaudis par les journaux militaires. Les officiers chargés de la propagande politique considéraient ces « enfants-affiches » comme une véritable bénédiction. Selon les mots d’un commandant, « la simple vue d’un enfant a dispensé nombre de commissaires d’explications inutiles relatives au devoir d’un soldat ». Des médecins signalèrent aussi qu’un aide-soignant enfant avait un effet apaisant sur les blessés, à qui il redonnait de l’espoir.
29C’est surtout au cours de la Seconde Guerre mondiale que l’assistance des enfants fut indispensable, afin de libérer les adultes pour le combat mais aussi de pallier partiellement les graves insuffisances touchant les communications et la collecte du renseignement. L’Armée rouge souffrait d’un système de communications médiocre, la radio étant généralement indisponible et de nombreux officiers ne sachant pas s’en servir. La plupart des unités utilisaient pour communiquer des courriers ou un câble fragile. Ce dernier cassait souvent et devait être réparé. Les enfants étaient donc fréquemment utilisés pour ces missions à haut risque : ainsi, à Stalingrad, l’espérance de vie d’un messager était plus courte que celle d’un soldat en première ligne [62]. On trouve des cas semblables durant la Première Guerre mondiale [63].
30Le renseignement est un autre domaine où les jeunes ont pu être employés. Les enfants espions, choisis parmi les populations locales, ont été perçus comme des menaces de part et d’autre de la ligne de front au cours des deux conflits. Sur instruction de leurs chefs, ils se faufilaient derrière les lignes ennemies pour recueillir des informations sur le nombre d’hommes, de machines de guerre et d’armes, ainsi que sur leurs positions.
31L’adversaire a également utilisé des enfants locaux dans des tâches similaires. On prétend qu’au cours du second conflit mondial, l’Abwehr a créé un certain nombre d’écoles d’entraînement des enfants soviétiques aux missions de reconnaissance et de diversion. Ils étaient recrutés parmi les orphelins, les mineurs délinquants, les victimes du régime soviétique ainsi que les membres des organisations profascistes, établies avec des succès variables dans les territoires occupés. On comptait aussi les adolescents ramassés lors des opérations de contre-insurrection. Les stratégies de recrutement allaient de la menace et de la torture, incluant des exécutions réelles ou simulées, à l’incitation financière et idéologique, comme persuader les recrues qu’en travaillant pour les Allemands ils aidaient en fait leur pays à se libérer des communistes. Après avoir traversé les lignes ennemies, certains se rendaient d’eux-mêmes ; d’autres effectuaient plusieurs opérations à l’intérieur des lignes soviétiques, causant des dégâts sur les lignes de transport. Certains recueillaient ces informations en jouant le rôle de vospitanniki [64]. Le problème des enfants espions de leurs propres troupes fut considéré comme suffisamment grave au cours de la Première Guerre mondiale pour qu’en 1917 le commandement militaire ordonnât une vérification systématique des volontaires enfants ; certains chefs exigèrent même d’éloigner du théâtre des opérations tous les mineurs, à l’exception de ceux qui avaient gagné la confiance absolue de leurs officiers [65]. De même, les officiers soviétiques et les chefs partisans furent mis en garde, dès septembre 1941, contre les enfants utilisés par l’ennemi. Il était recommandé aux chefs de détenir et d’interroger les enfants appréhendés dans les environs de leurs unités. D’anciens enfants-soldats qui servirent dans l’Armée rouge comme pupilles authentiques mentionnent de longues conversations avec un officier politique ou de section spéciale avant d’être acceptés dans les rangs, mais ils ne se souviennent que d’officiers qui cherchaient à dissuader les adolescents de rejoindre les forces armées [66]. Inversement, les chefs partisans ordonnaient souvent l’exécution des enfants soupçonnés d’espionnage, sans établir au préalable leur culpabilité [67].
32Au-delà des missions de reconnaissance, les jeunes partisans ont aussi été employés dans les communications, la fabrication d’armes de fortune, le ravitaillement. Ils faisaient le guet pendant les opérations de minage et aidaient les adultes à échapper aux patrouilles et aux postes de garde ennemis. Les enfants autochtones étaient indispensables comme guides, en particulier dans les opérations de guérilla. La plupart des chefs des groupes de partisans n’employaient pas de bon cœur des enfants à des fins militaires, même s’ils faisaient finalement avec tous ceux dont ils disposaient. Souvent, la survie du groupe a dépendu du sacrifice de ses jeunes membres. Leur capacité à passer inaperçus ainsi que, s’ils étaient assez âgés, leur grande connaissance du contexte local, leur curiosité naturelle et leur bonne mémoire faisaient des enfants des recrues « très appropriées » aux yeux des dirigeants du mouvement partisan soviétique. Ces derniers ont suggéré aux chefs locaux d’employer les adolescents aux opérations de sabotage et de reconnaissance [68]. Quand ils étaient capturés, les enfants partisans étaient en général sévèrement punis. Quiconque était suspecté d’aider les insurgés ou d’effectuer des missions de reconnaissance pour eux devait être exécuté, à l’exception des enfants de moins de 10 ans qui encouraient une punition. Certains chefs, néanmoins, dérogeaient aux consignes pour inclure un interrogatoire avant l’exécution, qui comportait presque toujours l’usage de la torture [69]. Par conséquent, les enfants soviétiques qui se trouvaient derrière les lignes ennemies étaient fortement encouragés à participer aux hostilités, même si leur admission au sein des forces irrégulières restait encore une affaire relevant de l’appréciation personnelle des chefs partisans [70].
33Alors que la plupart des jeunes combattants ne pouvaient être considérés comme des combattants professionnels, il a pu y avoir au cours de la Seconde Guerre mondiale un groupe de jeunes spécialement entraînés au combat, prêtant serment d’allégeance militaire et placés sous la discipline de l’armée : en 1942, en raison de l’insuffisance d’adultes valides, mais aussi du fait de nombreuses pétitions émanant de volontaires mineurs, la marine soviétique a réintroduit le grade naval le plus bas de junga (cadet de la mer), créé par Pierre le Grand, puis aboli après la révolution. Les garçons âgés de 12 à 17 ans étaient autorisés à intégrer des écoles préparatoires spéciales et à suivre des cours spécifiques établis sous le patronage des dépôts navals et des Détachements de formation à Léningrad, à Arkhangelsk, sur les îles Solovetsky, ainsi qu’en Extrême-Orient et dans plusieurs ports de la mer Noire. Ces enfants pouvaient suivre une formation directement sur des navires de guerre et des bâtiments de charge. Parmi eux se trouvaient d’anciens enfants-soldats et des partisans envoyés depuis les zones de combat qui refusaient de rester à l’arrière. Les ordres stipulaient que le recrutement devrait être effectué « uniquement sur la base du volontariat » et « avec le consentement parental », tandis que les commandants des navires et les officiers politiques étaient responsables du bien-être et de la formation des futurs spécialistes navals. De 1942 à 1945, ces écoles formèrent près de 5 000 spécialistes pour la marine et la flotte marchande. Après avoir suivi un entraînement physique et professionnel rigoureux pendant huit à douze mois, les jungas étaient envoyés comme dubliory (doubles) sur les navires de guerre et les vaisseaux marchands. En plus de leurs obligations habituelles, ces garçons étaient aussi souvent employés à des postes de combat, en particulier sur les petits navires, dont certains étaient presque entièrement tenus par des jungas. Quelques diplômés se débrouillèrent pour devenir sous-mariniers, malgré l’interdiction officielle, et certains préférèrent rejoindre les fusiliers marins sur terre. Envoyés dans diverses flottes et flottilles, la plupart des garçons servirent sur des croiseurs, des destroyers, des patrouilleurs et des dragueurs de mines, à la fois en Europe et en Extrême-Orient, pendant la guerre et longtemps après aussi ; le tiers de l’ensemble des diplômés ne rentrera jamais à terre vivant.
34En offrant une formation spécialisée aux jeunes volontaires, le gouvernement et la marine cherchaient une nouvelle manière d’associer les enfants aux hostilités et, éventuellement, d’aider des jeunes dans des situations difficiles. En plaçant derrière des bureaux d’écolier des enfants excessivement enthousiastes, les autorités les gardaient temporairement éloignés du danger, tout en satisfaisant leur désir de contribuer à l’effort de guerre. D’autre part, en retirant des rues ces enfants, ces écoles en sauvèrent beaucoup de la famine, du vagabondage et de la délinquance, tout en leur donnant une perspective de carrière [71].
35Les spécialistes soutiennent depuis longtemps que lorsque les enfants se sentent autonomisés et responsabilisés en période de crise, ils supportent mieux le stress. De plus, quand ils peuvent donner une signification idéologique à leur situation, cela les protège contre les effets traumatiques de la guerre, surtout lorsque cette perception est confortée par leur communauté et l’autorité d’endoctrinement. Quelles que soient les raisons qui ont propulsé les enfants, soldats et partisans, dans la vie militaire (et pour certains c’était effectivement une question de vie ou de mort), ceux-ci ont largement réagi non comme des victimes mais comme des participants actifs et volontaires. L’usage que les commandants ont pu faire d’eux n’a fait que le confirmer. Le soutien et l’attitude positive des camarades de combat, ainsi que la capacité à se défendre avec des armes, comparés à la situation impuissante des enfants civils, ont donné un élan supplémentaire à la résilience des enfants-soldats [72].
36Si on dénie à un enfant toute autonomie de décision, on pourrait considérer que les jeunes gens dans les forces régulières furent victimes d’exploitation. Cet avis, cependant, est lourd de jugements de valeur et, en outre, trop général, empêchant de rendre compte d’une quelconque initiative individuelle de la part des soldats mineurs. Il pourrait de même sembler que la décision d’autoriser la présence des enfants sur le front fut motivée par des raisons pragmatiques, et par là immorales, surtout à la lumière de la promotion active des figures héroïques enfantines que l’État relaya dans les foyers. Toutefois, dès le début des deux guerres mondiales, la présence de très jeunes gens sur le terrain fut un phénomène répandu mais spontané, que l’État fut incapable de contrôler, abandonnant le problème de la gestion de ces adolescents aux responsables militaires. Ces derniers, du moins initialement, agirent par pitié et firent de leur mieux pour « déguiser ces garçons en soldats et les laisser jouer à la guerre [73] », jusqu’au jour où certains d’entre eux prouvèrent leur utilité, et les considérations éthiques furent alors assujetties à la victoire militaire. Une chose est sûre, quoi qu’il en soit : quand des jeunes décident de partir à la guerre, ils disent définitivement adieu à leur enfance.
Notes
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[1]
Voir notamment P. Holquist, Making War, Forging Revolution: Russia’s Continuum of Crisis, 1914-1921, Cambridge, Harvard University Press, 2002.
-
[2]
S. Norris, A War of Images: Russian Popular Prints, Wartime Culture, and National Identity, 1812-1945, DeKalb, Northern Illinois University Press, 2006, p. 135.
-
[3]
Voir P. Gatrell, A Whole Empire Walking: Refugees in Russia during World War I, Bloomington, Indiana University Press, 2005, notamment p. 40-47, 60 et 84-86.
-
[4]
D’après les informations recueillies depuis plusieurs décennies sur les enfants-combattants, le nombre total d’enfants ayant servi dans les forces régulières serait d’environ 25 000. En outre, environ 5 000 jeunes ont servi dans la marine, pendant et peu après la Seconde Guerre mondiale. Selon le Belarus v gody Velikoi Otechestvennoi voiny (Minsk, 1994), 30 000 à 33 000 jeunes de moins de 18 ans ont été enregistrés par des formations partisanes, mais de nombreux enfants n’étaient employés qu’occasionnellement et ne figuraient pas dans les listes. L’estimation la plus élevée de 300 000 provient du chef de l’Union interrégionale des jeunes participants à la Grande Guerre patriotique, Aleksander Podobed, bien que la source de telles statistiques ne soit pas clairement établie. Voir A. I. Podobed (dir.), Istoriia partizanskogo dvizheniia v Rossiiskoi federatsii v gody Velikoi Otechestvennoi voiny 1941-1945, Moscou, Eksmo, 2001, p. 89.
-
[5]
Selon les chiffres officiels, 287 453 partisans participèrent au mouvement de résistance soviétique dans les territoires occupés durant la guerre, dont 49 à 60 % furent des jeunes de moins de 25 ans. Voir : Archives nationales russes d’histoire socio-politique (RGASPI) M1/53/279/60 ; K. Slepyan, Stalin’s Guerrillas: Soviet Partisans in World War II, Lawrence, University Press of Kansas, 2006, p. 53 ; A. Kniaz’kov, « Partizanskoe dvizhenie v Velikoi Otechestvennoi voine », in Voenno-Istoricheskii Arkhiv, n° 5, 1995, p. 123 ; A. Hill, The War behind the Eastern Front: The Soviet Partisan Movement in North-West Russia 1941-1944, Londres, Routledge, 2005, p. 152-153. Les sources soviétiques ne sont pas d’accord quant au nombre exact d’enfants d’âge scolaire impliqués dans la guérilla. Voir A. Kniaz’kov, « Partizanskoe dvizhenie… », art. cité, p. 123 ; Narodnoe obrazovanie v SSSR, Moscou, 1957, p. 247 ; V. A. Kumanev, « Shkola-frontu », in M. P. Kim (dir.), Sovetskaia kul’tura v gody Velikoi Otechestvennoi voiny, Moscou, 1976, p. 204 ; A. Hill, The War behind the Eastern Front…, op. cit., p. 173.
-
[6]
Sur la Première Guerre mondiale, voir A. B. Astashov, « Deti idut na voinu: Iz istorii “detskogo voprosa” v Rossii v gody pervoi mirovoi voiny », in G. V. Makarevich (dir.), Kakoreia. Iz istorii detstva v Rossii i drugikh stranakh. Sbornik statei i mater’ialov, Moscou-Tver, Nauchnaia Kniga, 2008, p. 104-105 et 112 ; sur la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers: How Soviet Children Went to War, 1941-45, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 2-3.
-
[7]
A. James et A. Prout (dir.), Constructing and Reconstructing Childhood: Contemporary Issues in the Study of Childhood, Londres, Falmer Press, 1990, p. 10-14.
-
[8]
R. M. Lerner et L. Steinberg (dir.), Handbook of Adolescent Psychology, vol. 1, Hoboken, John Wiley and Sons, 2009 (3e éd.).
-
[9]
Dans la société soviétique des années 1940, la frontière entre l’enfance et l’adolescence semble fluctuer entre 12 et 14 ans. Selon les critères de la distribution de nourriture, un individu âgé de 12 ans perdait son statut d’enfant et recevait habituellement des rations plus réduites, comme un adolescent. En termes économiques, un jeune pouvait entrer sur le marché du travail à l’âge de 14-15 ans, ou dès 12 ans s’il résidait à la campagne ou était le seul soutien de famille. 14-15 ans était aussi le moment où les élèves passaient du primaire au secondaire et étaient susceptibles d’être mobilisés dans les réserves de travail. Dès lors, ils étaient élevés à un rôle plus important au sein de la ligue de la jeunesse. De même, l’âge de la responsabilité pénale avait été ramené à 14 ans depuis la fin des années 1930, sauf pour les crimes graves, pour lesquels l’âge de la minorité prenait fin à 12 ans. Cela dit, les jeunes délinquants bénéficiaient encore de meilleures conditions dans le système pénal et étaient séparés des adultes, du moins en théorie, sinon dans la pratique. Pour une discussion plus nuancée sur les perceptions culturelles et juridiques de l’enfance dans la Russie impériale et en Union soviétique, ainsi que sur l’effacement des frontières culturelles et sociales entre l’enfance et l’âge adulte en temps de guerre, voir, entre autres, K. Kelly, Children’s World: Growing Up in Russia, 1890-1991, New Haven, Yale University Press, 2007 ; J. K. de Graffenried, Sacrificing Childhood: Children and the Soviet State in the Great Patriotic War, Lawrence, University Press of Kansas, 2014 ; O. Kucherenko, Soviet Street Children and the Second World War: Welfare and Social Control under Stalin, Londres, Bloomsbury, 2016.
-
[10]
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des jeunes de 16 ou 17 ans ont pu être parfois recrutés dans l’armée régulière comme volontaires, en violation de la loi de mobilisation. La plupart de ces jeunes se sont retrouvés soit dans des collèges militaires et des cours d’officiers de courte durée, soit dans l’arrière-garde et dans les réserves, ce qui constitue probablement ce que certains anciens combattants appellent patsaniac’i divizii (divisions des gamins) ou detskie sady (jardins d’enfants). Voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 2.
-
[11]
Au cours des deux guerres mondiales, beaucoup de jeunes enfants figuraient aussi au nombre des camp followers.
-
[12]
Pour la Première Guerre mondiale, voir par exemple V. Livitskii, « Besprizornye deti i voina », in Deti i voina: Sbornik statei, Kiev, 1915, p. 14 ; voir d’autres références dans A. J. Cohen, « Flowers of Evil: Mass Media, Child Psychology, and the Struggle for Russia’s Future during the First World War », in J. Marten (dir.), Children and War: A Historical Anthology, New York, New York University Press, 2002, p. 39, et A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo v XX veke: Istoriia, teoriia i praktika issledovaniia, Kazan’, Kazanskii Gosudarstvennyi Universitet, 2007. Pour la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit.
-
[13]
Voir par exemple V. Achvarina et S. Reich, « No Place to Hide: Refugees, Displaced Persons, and the Recruitment of Child Soldiers », International Security, vol. 31, n° 1, 2006, p. 127-164 ; S. Gates et J. C. Andvig, « Recruiting Children for Armed Conflict », Ford Institute for Human Security, 2007 ; en ligne : http://lastradainternational.org/lsidocs/andvig_07_recruiting_0109.pdf ; pour des arguments opposés à cette opinion dominante, voir D. M. Rosen, Child Soldiers in the Western Imagination: From Patriots to Victims, New Brunswick, Rutgers University Press, 2015, notamment le chapitre 6 ; Id., Armies of the Young: Child Soldiers in War and Terrorism, New Brunswick, Rutgers University Press, 2005, p. 6 ; A. Özerdem, S. Podder et E. L. Quitoriano, « Identity, Ideology and Child Soldiering: Community and Youth Participation in Civil Conflict. A Study on the Moro Islamic Liberation Front in Mindanao, Philippines », Civil Wars, vol. 12, n° 3, 2010, p. 304-325.
-
[14]
Pour plus d’informations, voir A. James et A. L. James, Key Concepts in Childhood Studies, Londres, Sage Publications, 2008 ; A. V. Angell et P. G. Avery, « Examining Global Issues in the Elementary Classroom », Social Studies, n° 83, 1992, p. 113-117 ; H. R. Targ, « Children’s Developing Orientations to International Politics », Journal of Peace Research, vol. 7, n° 2, 1970, p. 81-94 ; D. M. Rosen, Armies of the Young…, op. cit., p. 133-134 ; R. Brett et I. Specht, Young Soldiers: Why They Choose to Fight, Londres, Lynne Rienner Publishers, 2004, p. 27 ; E. Cairns, Children and Political Violence, Cambridge, Wiley, 1996, p. 109.
-
[15]
R. Brett et I. Specht, Young Soldiers…, op. cit., p. 58-59 et 129 ; E. Cairns, Children…, op. cit., chap. 4 ; J. Garbarino et al., No Place to be a Child: Growing up in a War Zone, Lexington, Lexington Books, 1991, p. 25-26 ; R. C. Hinqorani, « Child and War », Foreign Affairs Reports, n° 14, 1996, p. 4 ; I. Cohn et G. Goodwin-Gill, Child Soldiers: The Role of Children in Armed Conflicts, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 35 ; H. G. West, « Girls with Guns: Narrating the Experience of War of Frelimo’s “Female Detachment” », in « Youth and the Social Imagination in Africa », 2e partie, Anthropological Quarterly, vol. 73, n° 4, 2000, p. 180-194 ; K. Peters et P. Richards, « “Why We Fight”: Voices of Youth Combatants in Sierra Leone », Africa: Journal of the International African Institute, vol. 68, n° 2, 1998, p. 183-210.
-
[16]
Le Commissariat à la Défense a également créé un certain nombre de corps de cadets pour former les garçons à d’autres professions militaires, mais leurs élèves ont été enrôlés pendant une période beaucoup plus longue, tout comme les garçons des collèges navals de Nakhimov. Plusieurs de leurs étudiants, cependant, avaient pris part au combat avant l’enrôlement, que ce soit dans des forces régulières ou irrégulières. Sur les divers types d’écoles de cadets, fondées sur les traditions prérévolutionnaires, voir O. Kucherenko, « In loco parentis: Junior Cadet Schools in the Soviet Union during the Second World War », in H. Barron et C. Siebrecht (dir.), Parenting and the State in Britain and Europe, c.1870-1950: Raising the Nation, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2017, p. 231-253. Sur les institutions de cadets de la marine qui ont versé leurs anciens directement au service armé pendant la guerre, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., chap. 7.
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[17]
Pour la discussion générale des lacunes et des avantages de l’utilisation de la mémoire comme un outil méthodologique dans la recherche historique, voir A. Portelli, The Battle of Valle Giulia: Oral History and the Art of Dialogue, Londres, UW Press, 1997 ; A. Confino, « Collective Memory and Cultural History: Problems of Method », American Historical Review, vol. 102, n° 5, 1997, p. 1386-1403 ; S. Crane, « Writing the Individual Back into Collective Memory », American Historical Review, vol. 102, n° 5, 1997, p. 1372-1385 ; K. Klein, « On the Emergence of Memory in Historical Discourse », Representations, n° 69, 2000, p. 127-150.
-
[18]
Sur la guerre totale, voir I. E. Magadeev, « Dinamika totalizatsii voin v istorii XX stoletiia », in A. A. Bogdashkin (dir.), Fenomen mirovykh voin v istorii XX veka: Materialy Vserossiiskoi nauchno-teoreticheskoi konferentsii, Voronezh, VGII, 2017, p. 5-18. Sur la poursuite de la guerre totale menée par le régime soviétique contre ses propres sujets dans l’entre-deux-guerres, H.-H. Nolte, « Stalinism as Total Social War », in R. Chickering et S. Förster (dir.), The Shadows of Total War: Europe, East Asia, and the United States, 1919-1939, Washington-Cambridge, German Historical Institute-Cambridge University Press, 2003, p. 295-311.
-
[19]
S. Norris, A War…, op. cit., p. 139-144.
-
[20]
Sur les organisations de jeunesse dans l’Empire et l’Union soviétique et leurs fondements patriotiques, voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 145-146 ; V. A. Kudinov, Detskoe i molodiozhnoe dvizhenie v Rossii v XX veke, Kostroma, KGU, 2000, p. 11-32 et 46-75 et Id., Iunnaia Rossiia: Istoriia skautskogo dvizheniia v Rossii v XX v., Moscou, ISPP, 2004. Sur la propagande de la Première Guerre mondiale pour les enfants et la militarisation de leurs vies, voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 142-167 et A. J. Cohen, « Flowers of Evil », art. cité. Sur la représentation de l’héroïsme des enfants dans les médias soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale, voir J. K. de Graffenried, Sacrificing Childhood…, op. cit., notamment chapitre 4.
-
[21]
Pour assurer une diffusion maximale de sa propagande visuelle, l’État soviétique a fait en sorte que les cinémas et les théâtres soient parmi les premiers à être restaurés dans les villes récemment libérées, tandis que les préaux d’école, les hôpitaux et même les gares servaient de salles de cinéma temporaires, reprenant la tradition des « cinémas itinérants » de l’époque de la guerre civile. En outre, des ciné-installations mobiles tournaient dans les campagnes. Voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 143.
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[22]
« Iz obzora detskikh knig », Russkaia Shkola, n° 1, 1915, p. 46-47 et n° 9-10, 1915, p. 36-37 ; O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 143-145. Ceci, bien sûr, ne signifie pas que les enfants n’ont pas été informés des horreurs de la guerre par d’autres sources, dans les hôpitaux ou à travers les lettres des soldats. Pour une discussion sur la rédaction de lettres pendant la Première Guerre mondiale, voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 146-152.
-
[23]
S. Norris, A War…, op. cit., p. 144 ; A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 157.
-
[24]
Sur l’intense culture patriotique et le patriotisme public qui en résulte au début de la Première Guerre mondiale, voir H. Jahn, Patriotic Culture in Russia during World War I, Ithaca-Londres, Cornell University Press, 1998 ; sur la critique de l’image de l’enfant combattant dans les médias russes de l’époque, voir A. J. Cohen, « Flowers of Evil… », art. cité, p. 42-43 et A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 155. Pour la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., chap. 4 et J. K. de Graffenried, Sacrificing Childhood…, op. cit.
-
[25]
Cette croyance a eu un effet fortement démoralisant dans les deux conflits. Voir S. Norris, A War…, op. cit., p. 161 ; RGASPI M1/32/23/96ob, M1/23/1423/49 ; E. Seniavskaia, Protivniki Rossii v voinakh XX veka: Evoliutsiia ‘obraza vraga’ v soznanii armii i obshchestva, Moscou, Rosspèn, 2006, p. 76-77.
-
[26]
A. J. Cohen, « Flowers of Evil… », art. cité, p. 39 sq. ; A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 152-157.
-
[27]
Pour une discussion plus nuancée des avantages et des limites de l’entraînement paramilitaire avant la guerre, et d’autres références, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., chap. 3.
-
[28]
Des entretiens avec d’anciens enfants-soldats dont les parents ou les proches ont été réprimés ou ont été victimes de la famine confirment également ce point de vue. Pour une discussion plus détaillée, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 69.
-
[29]
V. V. Brusianin, Voina, zhenshchiny i deti, Moscou, 1917, p. 80-81. Dans le même temps, il convient de noter qu’en général les enfants apprennent en observant le comportement des autres et en l’imitant, s’ils le trouvent attrayant. Voir A. Bandura, Social Learning Theory, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1977 ; M. V. Oleinikova, Vozrastnaia psikhologiia: Konspekt lektsii, Moscou-Saint-Pétersbourg, AST, 2006, p. 19-20.
-
[30]
S. Ellis, The Masks of Anarchy: The Destruction of Liberia and the Religious Dimension of an African Civil War, New York, New York University Press, 2006 [1999], p. 13.
-
[31]
Voir les références de la note 14.
-
[32]
Bien que les enfants en général ne se soient pas désintéressés de la guerre. Sur l’intensité de la culture du patriotisme et ses effets au début de la Première Guerre mondiale, voir H. Jahn, Patriotic Culture in Russia during World War I, Londres, Cornell University Press, 1998 ; sur les perceptions enfantines à la même période, voir A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 104 ; A. J. Cohen, « Flowers of Evil… », art. cité, p. 39 et A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 152-153.
-
[33]
Sur la mortalité masculine pendant la Seconde Guerre mondiale, voir J. K. de Graffenried, Sacrificing Childhood…, op. cit., p. 35 et D. Filtzer, « Starvation Mortality in Soviet Home-front Industrial Regions during World War II », in W. Z. Goldman et D. Filtzer (dir.), Hunger and War: Food Provisioning in the Soviet Union during World War II, Bloomington-Indianapolis, Indiana University Press, 2015, p. 270.
-
[34]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 155. Pour la Grande Guerre, voir A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 105-106.
-
[35]
Par exemple : Do svidaniia, mal’chiki! My ne byli svolochami!, Moscou, Iauza-Eksmo, 2006, p. 39-40 ; S. S. Vilensky et al. (dir.), Deti Gulaga, 1918-1956, Moscou, Rosspèn, 2002, p. 254-255 et 262. Partant pour le front, les « enfants-ennemis » dissimulaient leurs « origines ennemies ».
-
[36]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 153, n. 11.
-
[37]
L’auteur de l’article de 1915 intitulé « Les enfants des rues et la guerre » observe que des enfants autrichiens se sont retrouvés dans les rangs des Russes, appréciant la manière dont ils étaient traités. Voir V. Livitskii, « Besprizornye deti i voina », in Deti i voina: Sbornik statei, Kiev, 1915, p. 14.
-
[38]
D’un autre côté, on trouvait aussi des enfants ayant suivi leur père au front, cherchant à restaurer l’unité de leur famille – ce qui en disait long sur la « crise de la famille ». Voir A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 106-107.
-
[39]
Pendant la Première Guerre mondiale, les convois de la police et de l’armée ont également reçu l’ordre d’appréhender les enfants qui tentaient de rejoindre les forces et de les renvoyer à l’arrière, en veillant à ce qu’ils ne soient pas transférés par le système pénitentiaire. Voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 156. Sur la situation critique des enfants fugitifs, abandonnés et isolés dans les régions récemment libérées, voir les Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF), 9412/1/19/69, 9412/1/4/85 et RGASPI 17/126/19/23.
-
[40]
A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 107.
-
[41]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 179-180. Pour les unités de l’Armée rouge adoptant des animaux domestiques et des enfants comme mascottes et substituts familiaux, voir aussi C. Merridale, Ivan’s War: Inside the Red Army, 1939-45, Londres, Bloomsbury, 2010, p. 353-356. Bien sûr, les mascottes existaient dans d’autres armées à l’époque. Sur les mascottes de l’armée de l’air britannique, voir S. P. Mackenzie, Flying against Fate: Superstition and Allied Aircrews in World War II, Lawrence, University Press of Kansas, 2017. Sur l’histoire vraie d’une improbable mascotte nazie, voir M. Kurzem, The Mascot: The Extraordinary Story of a Jewish Boy and an SS Extermination Squad, Londres, Rider and Co, 2007.
-
[42]
Voir les souvenirs cités dans S. Aleksievich, Poslednie svideteli, Moscou, Palmira, 2004, p. 122, et Id., Nedopisannye stranitsy, Moscou, Press-Solo, 1996, p. 189. Pour d’autres références et témoignages, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 189.
-
[43]
Contrairement à une croyance répandue, l’Armée rouge n’était pas une armée jeune, surtout à la fin des hostilités. Même si le groupe d’âge le plus jeune, né en 1927, qui avait à peine 18 ans à l’époque, a été mobilisé à la fin de 1944, d’après les statistiques de démobilisation, « la plus jeune cohorte de survivants de première ligne était minoritaire », selon le spécialiste de l’Armée rouge M. Edele (Soviet Veterans of World War II: A Popular Movement in an Authoritarian Society, 1941-1991, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 14).
-
[44]
V. I. Movzalevskii (dir.), Deti otechestva, Stavropol’, Iurkit, 2001, p. 13 et 169 ; O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 180-182.
-
[45]
Au lieu de cela, les activités partisanes étaient en grande partie menées par les brigades légères de l’armée, qui traversaient la ligne de front pendant une période prolongée pour faire des ravages sur les positions et les installations ennemies. L’expérience de la Première Guerre mondiale a été étudiée de près par les Soviétiques et adaptée aux réalités de la guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. B. I. Khanin, « K stoletiiu Pervoi Mirovoi voiny (1914-1918 gody): partizanskaia voina », Velikolukskaia Pravda, 4 avril 2014 ; en ligne : http://luki.ru/vpn/news/280568.html.
-
[46]
Sur les attitudes de l’armée allemande et des collaborateurs locaux et les actes de cruauté envers la population civile, en particulier les enfants, dans la Biélorussie occupée, voir N. Terry, « The German Army Group Centre and the Soviet Civilian Population, 1942-1944: Forced Labour, Hunger and Population Displacement on the Eastern Front », thèse de doctorat, King’s College, Londres, 2006, en particulier les pages 107, 127, 129, 134, 141, 176 et 185-256 ; Ch. Gerlach, Kalkulierte Morde: Die deutsche Wirtschafts- und Vernichtungspolitik in Weissrussland, 1941 bis 1944, Hambourg, Hamburger Edition, 2000. Pour des témoignages sur le don de sang, voir par exemple, « Zimnee volshebstvo ». Natsistskaia karatel’naia operatsiia v belorussko-latviiskom pogranich’e, fevral’-mart 1943g.: Dokumenty i Materialy, Moscou, Fonds « Istoricheskaia pamiat », 2013, p. 344 et 348 et « Strashnaia taina detskogo kontslageria », Itogi News, Documentary report, channel NTV, 11 avril 2008. Il y a, cependant, peu de preuves documentaires de cette pratique venant d’Allemagne, voir N. Moine et J. Angell, « Defining “war crimes against humanity” in the Soviet Union », Cahiers du monde russe, vol. 52, n° 2-3, 2011, p. 441-473 ; R. Plavnieks, Nazi Collaborators on Trial during the Cold War: Viktors Arajs and the Latvian Auxiliary Security Police, Londres, Palgrave Macmillan, 2018, p. 96-97.
-
[47]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 208-209.
-
[48]
K. Khromova, Tysiacha synovei, Voronezh, TsChKI, 1990. Sur les évacuations, voir E. White, « The Evacuation of Children from Leningrad during World War II », in M. Parsons (dir.), Children: The Invisible Victims of War. An Interdisciplinary Study, Cambridge, DSM, 2008, p. 107-120 ; O. Kucherenko, Soviet Street Children…, op. cit., p. 40-42.
-
[49]
Sur la manifestation de l’agression chez les enfants du front de la Seconde Guerre mondiale, voir A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 152.
-
[50]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 186-187 ; A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 108 ; Y. Okunev, « Deti na voine (iz boevykh vpechatlenii) », Russkaia Shkola, n° 5-8, 1917, p. 1-6 ; A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 162.
-
[51]
Voir P. W. Singer, Children at War, Berkeley, University of California Press, 2006, p. 80-81.
-
[52]
Sur l’effet de la « désindividuation », voir P. Piotkowski, « Collective behaviour: Psycho-Social Determinants », in Id., Understanding Problems of Social Pathology, Amsterdam-New York, Rodopi, 2006, p. 134.
-
[53]
Sur une telle propagande pendant la Première Guerre mondiale et son effet sur les enfants, voir S. Norris, A War…, op. cit., p. 139 et 142-143 ; A. Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, op. cit., p. 163-164. Pour la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 134-137 et 146-148.
-
[54]
Besprizyvniki. Povesti-vospominaniia, Alma-Ata, Zhasushi, 1990, p. 44 ; V. I. Movzalevskii (dir.), Deti otechestva…, op. cit., p. 247-248. Sur les attitudes des partisans adultes envers la discipline de l’armée, voir A. Werth, Russia at War, 1941-1945, New York, Carroll and Graf Publishers, 1984, p. 725.
-
[55]
O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 180 ; A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 108.
-
[56]
Pendant la Seconde Guerre mondiale, au moment où l’Armée rouge franchit les frontières soviétiques, le régime commence à faire des efforts pour retirer les enfants-soldats de ses rangs, craignant qu’ils ne sapent l’image de l’armée forte et victorieuse. Les commandants reçoivent l’ordre d’envoyer les mineurs à l’arrière pour être rendus à leurs proches, placés dans des orphelinats, employés ou enrôlés dans des écoles militaires de cadets.
-
[57]
Même si les femmes n’étaient pas officiellement autorisées sur le front pendant la Première Guerre mondiale, il y avait encore des femmes soldats servant dans l’armée impériale.
-
[58]
La création, à la suite de la révolution de février 1917, de bataillons de volontaires féminines avait le même objectif de faire honte aux hommes et de réduire les pénuries d’hommes au front. Voir R. M. Abiniakin, Ofitserskii korpus Dobrovol’cheskoi armii: sotsial’nyi sostav, mirovozzrenie, 1917-1920gg., Orel, Vorobiov, 2005, p. 38-41. Les Soviétiques ont toujours revendiqué le caractère unique de leur effort de guerre, même si seule une poignée de combattantes a reçu des éloges et bénéficié d’une reconnaissance populaire. Pour l’examen de leur expérience militaire et sa résonance sociale et politique plus large pendant et après la guerre, voir R. D. Marwick et E. C. Cardona, Soviet Women on the Frontline in the Second World War, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012 ; A. Krylova, « Stalinist Identity from the Viewpoint of Gender: Rearing a Generation of Professionally Violent Women-Fighters in 1930s Stalinist Russia », Gender and History, vol. 16, n° 3, 2004, p. 626-653 ; Id., Soviet Women in Combat: A History of Violence on the Eastern Front, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
-
[59]
Pour d’autres exemples, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 171-172.
-
[60]
Pour les témoignages de combattantes, y compris la discussion sur le chauvinisme masculin et les difficultés de la vie sur le terrain, voir S. Aleksievich, The Unwomanly Face of War, Londres, Penguin, 2017.
-
[61]
Cité dans Sal’nikova, Rossiiskoe detstvo…, p. 163.
-
[62]
Sur la déficience des communications, voir A. Werth, Russia at War…, op. cit., p. 138 ; R. W. Thurston, « Cauldrons of Loyalty and Betrayal: Soviet Soldiers’ Behaviour, 1941 and 1945 », in Id. et B. Bonwetsch (dir.), The People’s War: Responses to World War II in the Soviet Union, Urbana, University of Illinois Press, 2000, p. 238. Sur la bataille de Stalingrad et l’utilisation d’enfants messagers, dans les deux camps, voir A. Beevor, Stalingrad, Londres, Penguin, 1998, p. 130 et 177.
-
[63]
A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 108.
-
[64]
I. K. Belik et E. V. Shumilova, « Pri popytke rebait otkazat’sia nemetskie offitsery ugrozhali rasstrelom », Istoricheskii Arkhiv, n° 2, 2005, p. 166-174 ; Id., « Nemetskaia razvedka iavliaetsia dovol’no sil’nym protivnikom », Istoricheskii Arkhiv, n° 5, 2000, p. 35-56 ; S. G. Chuev, « Razvedyvatel’nye i diversionnye shkoly abvera », Voenno-Istoricheskii Arkhiv, vol. 9, n° 33, 2002, p. 94-118 ; N. V. Gubernatorov, « Smersh’ protiv ‘Bussarda » (Reportazh iz arkhiva tainoi voiny), Moscou, Kuchkovo Pole, 2005. Voir aussi RGASPI 69/1/748/58 ; Organy Gosudarstvennoi Bezopasnosti SSSR v Velikoi Otechestvennoi voine, vol. 1, n° 2, Moscou, Kniga i Biznes, 1992, p. 557-558 , vol. 2, n° 2, Moscou, Rus’, 2000, p. 18 , vol. 3, n° 1, Moscou, Rus’, 2003, p. 17, 29, 142-145, 150, 185, 238, 253, 255, 527-528 ; A. T. Zhadobin et al. (dir.), « Ognennaia duga »: Kurskaia bitva glazami Lubianki, Moscou, MUK, 2003, p. 183-187 et 254-245. Sur le recrutement des organisations de jeunesse pro-nazies locales, voir A. Kovalenia, Pragermanskiia saiuzy moladzi na Belarusi. 1941-1944. Vytoki, Struktura. Dzeinast, Minsk, BGPU, 1999, p. 78 ; O. Kucherenko, « Mezhdu molotom I nakoval’nei: bor’ba za molodoe pokolenie na okkupirovannykh territorriakh Sovetskogo Soiuza », in « Kinder des Krieges/Deti Voiny », Deutsches Historisches Institut Bulletin, Moscou, n° 3, 2009, p. 80-89.
-
[65]
A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 109-110.
-
[66]
I. K. Belik et E. V. Shumilova, « Pri popytke… », art. cité, p. 168-172 ; Id., « Nemetskaia razvedka… », art. cité, p. 44. Sur les espions enfants et leurs motivations pendant la Seconde Guerre mondiale, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., p. 175-176 et 214-218 ; sur les mobiles des enfants espionnant pour les Allemands pendant la Première Guerre mondiale, voir A. Astashov, « Deti… », art. cité, p. 110-111.
-
[67]
Par exemple, voir J. Fürst, « Heroes, Lovers, Victims. Partisan Girls During the Great Patriotic War », Minerva. Quarterly Report on Women and the Military, vol. 18, n° 3-4, 2000, p. 38-75. Voir aussi la critique d’une pratique partisane consistant à ne pas mener d’enquêtes approfondies dans RGASPI 69/1/704/52.
-
[68]
Voir « Diversiia-liubimyi krest’ianami vid », Rodina, n° 4, 2005, p. 18 ; M. Jones, Leningrad: State of Siege, Londres, John Murray, 2009, p. 77.
-
[69]
B. Shepherd, War in the Wild East: The German Army and Soviet Partisans, Cambridge, Harvard University Press, 2004, p. 125 ; J. Dunstan, Soviet Schooling in the Second World War, New York, St. Martin’s Press, 1997, p. 147 ; Organy, vol. 3, n° 1, p. 586.
-
[70]
Sur le partisan soviétique dépeint par la propagande en « glorieux boy-scout » qui vivait dans la forêt une existence merveilleuse, voir A. Werth, Russia at War…, op. cit., p. 711 ; sur la réalité de la vie dans la forêt, voir K. Slepyan, Stalin’s Guerrillas…, op. cit., p. 60-76 ; S. Aleksievich, The Unwomanly Face of War, op. cit., p. 201.
-
[71]
Sur les ioungas, voir O. Kucherenko, Little Soldiers…, op. cit., chap. 7. Sur le corps des cadets, y compris les écoles navales de cadets, Id., « In Loco Parentis… », art. cité. Pour une discussion générale sur les enfants des rues en URSS au cours de la Seconde Guerre mondiale, Id., Soviet Street Children…, op. cit.
-
[72]
Voir l’étude en psychogériatrie menée sur d’anciens enfants soldats allemands pendant la Seconde Guerre mondiale : P. Kuwert et al., « Trauma and Post-Traumatic Stress Symptoms in Former German Child Soldiers of World War II », International Psychogeriatrics, vol. 20, n° 5, 2008, p. 1014-1018.
-
[73]
Marshal Ivan Bagramian, cité dans V. Karavaev (dir.), Medal’ za boi, Medal’ za trud, Moscou, Molodaia Gvardiia, 1975, p. 240.