Notes
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[*]
Doctorant en histoire contemporaine, Université Paris I Panthéon-Sorbonne / IDHES.
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[1]
En application de l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution.
-
[2]
« Travail dominical : l’ouverture des magasins de bricolage autorisée », Le Monde.fr, 10 avril 2014.
-
[3]
« Plaidoyer du patron de la FNAC pour le travail dominical », Le Monde.fr, 17 novembre 2014.
-
[4]
R. Beck, « ‘C’est dimanche qu’il nous faut’. Les mouvements sociaux en faveur du repos dominical et hebdomadaire en France avant 1906 », Le Mouvement social, n° 184, 1998, p. 23-52.
-
[5]
R. Beck, Histoire du dimanche de 1700 à nos jours, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997.
-
[6]
R. Beck, « Esprit et genèse de la loi du 13 juillet 1906 sur le repos hebdomadaire », Histoire, économie et société, n° 3, 2009, p. 5-15.
-
[7]
H.-G. Haupt, « Les petits commerçants et la politique sociale : l’exemple de la loi sur le repos hebdomadaire », Bulletin du Centre d’histoire de la France contemporaine, n° 8, 1987, p. 7-34.
-
[8]
G. Aubin, « La réforme sociale et le repos du dimanche (1881-1906) », Actes du colloque « Construction d’une histoire du droit du travail » organisé par l’Institut régional du travail, Aix-en-Provence, 20-21 septembre 2000, Cahiers de l’Institut régional du travail, n° 9, 2001, p. 115-128 ; P. Barrau, La naissance mouvementée du droit au repos hebdomadaire, Aix-en-Provence, Cahiers n° 4 de l’Institut régional du travail de l’Université d’Aix-Marseille II, 1993 ; D. Perron, Histoire du repos dominical. Un jour pour faire société, Paris, L’Harmattan, 2010.
-
[9]
J. Cushman, « Jamais le dimanche ? Les horaires d’ouverture des magasins en Grande-Bretagne », in A. Chatriot et al., Au nom du consommateur, Paris, La Découverte, 2005, p. 344-360.
-
[10]
Archives Nationales (AN), 19910018/1 et 19910030/1, bureau de la législation et de la réglementation commerciale ; 19910012/3, bureau de l’urbanisme commercial.
-
[11]
La Direction du commerce intérieur et des prix (DCIP) de 1965 à 1974, la Direction du commerce intérieur (DCI) après 1974.
-
[12]
C. Quin, Physionomie et perspectives d’évolution de l’appareil commercial français 1950-1970, Paris, Gauthier-Villars, 1964 ; Id., « L’appareil commercial français en 1960 », Revue Consommation (Publications du CREDOC), n° S3039, 1962, p. 15-50.
-
[13]
J-.B. Jefferys et D. Knee, Le commerce de détail en Europe, Paris, Presses universitaires de France, 1963 ; J.-M. Jeanneney, Les commerces de détail en Europe Occidentale. Essai de comparaison internationale de la productivité des magasins et du travail commercial, Paris, Armand Colin, 1954.
-
[14]
J.-C. Daumas, « L’invention des usines à vendre : Carrefour et la révolution de l’hypermarché », Réseaux, n° 135-136, 2006, p. 59-92 ; Id., « Consommation de masse et grande distribution : une révolution permanente (1957-2005) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 91, 2006, p. 57-76 ; J.-M. Villermet, « Histoire des ‘grandes surfaces’ : méthodes américaines, entrepreneurs européens », Entreprises et Histoire, n° 4, 1993, p. 41-54 ; Id., Naissance de l’hypermarché, Paris, Armand Colin, 1991.
-
[15]
Qui sont parfois appelés « usines à vendre » avant que le terme hypermarché ne soit inventé en 1966.
-
[16]
Chiffres collectés et compilés par l’auteur.
-
[17]
Spécialisées dans le non alimentaire.
-
[18]
Informations de l’auteur collectées dans la revue Libre-Service Actualités.
-
[19]
« Une profession coupée en deux », Les Échos, 21 septembre 1979.
-
[20]
L’article L.221-6 du Code du travail.
-
[21]
L’article L.221-17 du Code du travail.
-
[22]
AN, 19910012/3, note du directeur général pour les directeurs départementaux, 14 août 1970.
-
[23]
Ibid., note sur le repos hebdomadaire du bureau D4 pour le ministre, 12 novembre 1968.
-
[24]
Ibid., lettre du ministre de l’Économie au ministre des Affaires sociales, février 1969. Sur F.-X. Ortoli, voir L. Badel et E. Bussière, François-Xavier Ortoli. L’Europe, quel numéro de téléphone ?, Paris, Descartes & Cie, 2011.
-
[25]
Ibid., note du directeur adjoint, G. Ramel, pour les directeurs départementaux du commerce, 14 août 1970.
-
[26]
Ibid., réponse du ministre de l’Économie et des Finances à la question écrite de G. Roucaute, député, 10 avril 1969.
-
[27]
Ibid., note sur le repos hebdomadaire du bureau D4 pour le ministre, 12 novembre 1968.
-
[28]
J. Rueff et L. Armand, Les obstacles à l’expansion économique, rapport présenté au Premier ministre par le comité institué par le décret n° 59-1284 du 13 novembre 1959, Paris, juillet 1960.
-
[29]
L. Franck, 697 ministres : souvenirs d’un directeur général des prix 1947-1962, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989, p. 162.
-
[30]
Loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat.
-
[31]
Jusqu’en 1959, les questions de commerce sont généralement sous la tutelle d’un grand ministère du Commerce et de l’Industrie. De 1959 à 1962, il ne subsiste qu’un secrétariat d’État au Commerce intérieur dirigé par Joseph Fontanet, puis par François Missoffe. Cette entité disparaît ensuite pendant sept ans, avant d’être recréée en 1969 et confiée à Jean Bailly. Enfin, en 1972, un ministère du Commerce et de l’Artisanat est finalement réinstallé rue de Lille, avec à sa tête Yvon Bourges.
-
[32]
AN, 19910012/3, Conclusions de la commission du commerce intérieur et des services de l’APCCI, 23 novembre 1970.
-
[33]
Journal officiel, question orale de Roger Crespin, député UDR, à Christian Beullac, ministre du Travail (proche de l’UDF), Assemblée nationale, 8 octobre 1976, p. 6488-6489.
-
[34]
Respectivement le 18 mai 1972 devant l’Assemblée nationale lors de la discussion d’un projet de loi relatif à l’assurance vieillesse des artisans et des commerçants et en 1973-1974.
-
[35]
AN, 19910018/1, lettre de Vincent Ansquer au directeur général de la concurrence et des prix, 29 janvier 1975.
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[36]
« Le commerce de l’ameublement. Vifs affrontements sur l’ouverture des magasins le dimanche », Les Échos, août 1975.
-
[37]
S. Effosse, Le crédit à la consommation en France, 1947-1965 : de la stigmatisation à la réglementation, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2014.
-
[38]
« Le commerce de l’ameublement… », Les Échos, art. cité.
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[39]
« Une profession coupée en deux… », Les Échos, art. cité.
-
[40]
« Le commerce de l’ameublement… », Les Échos, art. cité.
-
[41]
Telle que définie dans G. Lavau, G. Grunberg et N. Mayer, L’univers politique des classes moyennes, Paris, Presses de Sciences Po, 1983.
-
[42]
M. David, L’épisode CIDUNATI 1968-1998, Paris, Cahiers de l’Institut supérieur des métiers, 1998 ; S. Berger, « D’une boutique à l’autre : Changes in the Organization of the Traditional Middle Classes from the Fourth to Fifth Republics », Comparative Politics, vol. 10, n° 1, 1977, p. 121-136 ; C. Zalc, « Le petit commerce », in M. Pigenet et D. Tartakowsky (dir.) Histoire des mouvements sociaux en France : de 1814 à nos jours, Paris, La Découverte, 2012, p. 487-497 ; H. Chapman, « Les petits commerçants et l’État de la révolte poujadiste au début de la Ve République », in S. Guillaume et M. Lescure (dir.), Les PME de 1880 à nos jours. Pouvoir, représentation, action, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2008, p. 279-290.
-
[43]
R. Péron, « La loi Royer, la grande distribution et la ville », in J. Marseille (dir.), La Révolution commerciale. Du “Bon Marché” à l’hypermarché, Paris, Éditions Le Monde, 1997 ; R. Péron, Les boîtes. Les grandes surfaces dans la ville, Nantes, L’Atalante, 2004 ; P. Herbeau, « Entretien avec Jean Royer », Entreprises et Histoire, n° 4, 1993, p. 83-86.
-
[44]
AN, 19910018/1, circulaire n° 008470, 31 juillet 1975.
-
[45]
Ibid.
-
[46]
AN, 19910018/1, schéma de communication de Jacques Barrot (UDF centriste), ministre du Commerce et de l’Artisanat, au Conseil des ministres du 4 juillet 1979, rédigé par Dominique de Gramont.
-
[47]
« Le commerce de l’ameublement… », Les Échos, art. cité.
-
[48]
Ibid.
-
[49]
« Une profession coupée en deux… », Les Échos, art. cité.
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[50]
AN, 19910018/1, lettre du directeur du commerce intérieur, Jean Fries, à la direction générale du travail, 10 mars 1976.
-
[51]
Ibid., réponse de Pierre Cabanes, directeur du travail à Jean Fries, 30 mars 1976.
-
[52]
Ibid., annotation manuscrite de Jean Fries (?) dans la marge de la lettre du directeur du travail reçue le 30 mars 1976.
-
[53]
Ibid., ébauche de lettre du ministre du Commerce au ministre de l’Économie, s. d. [1977].
-
[54]
Ibid., question écrite de Roger Duroure à René Monory, ministre du Commerce, 7 mai 1977.
-
[55]
Ibid., projet de circulaire du ministre du Travail, mars 1978.
-
[56]
« Ouverture des magasins le dimanche : le ministre du Travail veut rappeler les préfets à l’ordre », Ecodis, 23 mai 1978.
-
[57]
AN, 19910018/1, projet de circulaire du ministre du Travail, mars 1978.
-
[58]
« Ouverture des magasins le dimanche… », Ecodis, art. cité.
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[59]
AN, 19910018/1, lettre de Pierre Cabanes, directeur général du Travail, adressée à la DCIP, 19 juin 1978.
-
[60]
Ibid., note de la sous-direction de la DCI pour le directeur du cabinet du ministre du Commerce, 19 mai 1978.
-
[61]
Ibid., note manuscrite de Jean Fries à Jacques Sol-Rolland, sous-directeur de la DCI, 28 juin 1978.
-
[62]
Par exemple, Ibid., lettre du préfet de Gironde, Louis Verger, au ministre du Commerce et de l’Artisanat, 20 novembre 1978.
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[63]
Ibid., note de la sous-direction de la DCI pour le directeur du cabinet du ministre du Commerce, 19 mai 1978.
-
[64]
Ibid., lettre du préfet de la Loire, Georges Badault, au ministre du Commerce et de l’Artisanat, 23 avril 1979.
-
[65]
Journal officiel, question orale de Pascal Clément à Jacques Barrot, ministre du Commerce et de l’Artisanat, Assemblée nationale, 11 avril 1979, p. 2530.
-
[66]
AN, 19910018/1, schéma de communication de Jacques Barrot, ministre du Commerce et de l’Artisanat, rédigé par Dominique de Gramont, Conseil des ministres, 4 juillet 1979.
-
[67]
Ibid.
-
[68]
AN, 19910018/1, note manuscrite de Dominique de Gramont sur le bordereau de transmission du schéma de communication à la DCI, 6 juillet 1979.
-
[69]
« L’ouverture des magasins le dimanche. Une réunion des parties intéressées au ministère du Commerce », Le Monde, 14 septembre 1979.
-
[70]
Voir tableaux 1 et 2 en annexe.
-
[71]
AN, 19910018/1, compte rendu de la réunion entre Maurice Charretier et les représentants des centrales syndicales et des associations nationales de consommateurs, 13 septembre 1979.
-
[72]
Voir M.-E. Chessel, « Catholiques militants et réforme de la consommation en France au XXe siècle. De la Ligue sociale d’acheteurs à l’Union féminine civique et sociale », Le Mouvement social, n° 250, 2015, p. 9-28.
-
[73]
AN, 19910018/1, compte rendu de la réunion entre Maurice Charretier et les représentants des organisations professionnelles du commerce, 13 septembre 1979.
-
[74]
Voir S. Guillaume, « Un syndicalisme des classes moyennes. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 37, 1993, p. 105-114.
-
[75]
Ibid., déclaration de la Fédération commerce-distribution-service de la CGT au ministre du Commerce, 13 septembre 1979.
-
[76]
« Action syndicale contre l’ouverture des magasins le dimanche », Le Figaro, 14 septembre 1979.
-
[77]
Journal officiel, question orale de Gisèle Moreau à Robert Boulin, ministre du Travail, Assemblée nationale, 3 octobre 1979, p. 7721. Cf. H. Bonin, B. Lachaise et C.-L. Robin (dir.), Robert Boulin. Itinéraires d’un gaulliste (Libourne, Paris), Bruxelles, PIE Peter Lang, 2011.
-
[78]
Ina.fr, TF1 Actualités 13h, « Interview de Maurice Charretier : commerces le dimanche », 17 septembre 1979.
-
[79]
Ina.fr, Journal Antenne 2, « Magasins ouverts le dimanche », 12 août 1979.
-
[80]
Ina.fr, Journal télévisé FR3 Nord-Pas-de-Calais, « Ouverture des magasins le dimanche », 3 octobre 1979 ; Journal télévisé FR3 Picardie, « Ouverture des magasins le dimanche : réactions », 12 septembre 1979 ; Journal télévisé FR3 Franche-Comté, « Ouverture des magasins le dimanche à Besançon », 18 septembre 1979.
-
[81]
Entretien avec Jean-Paul Olivier, conseiller technique au cabinet du ministère du Commerce de 1981 à 1984, réalisé le 11 mars 2015, 1 h 58 min.
-
[82]
AN, 19860575/16, fonds du cabinet de Michel Crépeau (radical de gauche), ministre du Commerce et de l’Artisanat en 1983 et 1984, audience Jacques Dermagne, président du Conseil national du commerce (confédération qui rassemble plus de cent fédérations du commerce), notes, dossiers et coupures de presse, 13 avril 1983.
-
[83]
P. Fridenson et B. Reynaud (dir.), La France et le temps de travail (1814-2004), Paris, Odile Jacob, 2004.
-
[84]
Voir notamment N. Eber, Le dilemme du prisonnier, Paris, La Découverte, 2006.
-
[85]
Ph. Moati et L. Pouquet, « L’ouverture des commerces le dimanche : opinions des Français, simulation des effets », Cahier de recherche du Credoc, n° 246, 2008.
1Le projet de loi pour la croissance et l’activité, dit projet de loi Macron, sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité [1] le 17 février 2015, prévoit un assouplissement des règles d’ouverture dominicale des commerces, notamment par un élargissement du nombre annuel de dimanches ouvrables et par la création de zones touristiques internationales. Quelques mois plus tôt, le 10 avril 2014, le Conseil d’État avait également validé l’autorisation donnée aux magasins de bricolage d’ouvrir le dimanche [2]. Ceux-ci font désormais partie des établissements pouvant déroger aux règles du repos dominical. Ils constituent le dernier ajout à une liste de dérogations qui ne cesse de s’allonger depuis les années 1980, dans laquelle figurent déjà les magasins de jardinage depuis 1983 et les magasins d’ameublement depuis 2008, et peut-être bientôt les commerces de biens culturels [3]. Cette actualité illustre bien une question qui, récurrente dans l’agenda politique depuis plus de 45 ans, n’a pas encore trouvé de réponse tranchée et définitive. Le développement de nouvelles formes de distribution et de consommation depuis la fin des années 1960 s’est heurté aux principes du Code du travail, et notamment à la réglementation assurant le repos dominical. Les intérêts contradictoires des consommateurs, des salariés, des grandes sociétés commerciales et des petits commerçants indépendants se chevauchant dans le débat, l’arbitrage politique de ce problème a, dans une période de libéralisation économique, revêtu un poids symbolique relativement fort.
2La genèse de la législation encadrant le travail dominical est bien documentée. L’historien Robert Beck, spécialiste du sujet, a montré l’émergence, sous la IIIe République, de mouvements sociaux en faveur d’un repos hebdomadaire [4]. La révolution industrielle et la diminution des pratiques religieuses avaient en effet contribué à rendre normal le travail le dimanche durant le XIXe siècle [5]. Après quatre ans de débats et d’opposition entre la Chambre des Députés et le Sénat, le vote d’une loi assurant à tous les salariés, de l’industrie et du commerce, un jour chômé de 24 heures consécutif à six jours de travail hebdomadaire aboutit le 13 juillet 1906. Ce congé, selon l’article 2 du texte, doit être pris le dimanche mais, comme l’indique R. Beck, il n’a pas de signification religieuse. Le vote de la loi découle d’un discours hygiéniste vantant les bienfaits d’un repos régulier, et le choix du dimanche se justifie par le respect des habitudes [6]. Intégrée dans le chapitre IV du livre II du Code du travail achevé en 1922, cette législation est renforcée en 1923 par un article autorisant le préfet à édicter des arrêtés d’extension qui prescrivent, après accord avec les syndicats, la fermeture de tous les établissements d’une profession et d’une région.
3La loi de 1906 a été contestée dès sa promulgation. Heinz-Gerhard Haupt a notamment montré l’opposition des petits boutiquiers à cette réforme sociale qu’ils jugeaient défavorable à leurs affaires [7]. De nombreuses études juridiques ont également examiné les problèmes d’application posés par les exceptions et dérogations à ce texte, qui devait être à la fois fonctionnel et consensuel [8]. L’article 2 de la loi de 1906 permet par exemple, « lorsqu’il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tout le personnel d’un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement », d’accorder aux employés le repos un autre jour. Cette disposition est source de difficultés car il s’avère délicat « d’établir » le préjudice potentiel d’une fermeture le dimanche. En outre, il existe des exceptions. Les commerces alimentaires ont le droit de rester ouverts le dimanche matin, et les débits de tabac et les restaurants peuvent offrir le repos hebdomadaire à leurs employés par roulement. Enfin, la loi de 1923, en permettant l’édiction d’arrêtés préfectoraux, engendre des disparités départementales. Les difficultés liées à l’application de ces deux lois s’accentuent avec l’essor de la grande distribution, à partir de la fin des années 1960.
4Les recherches, juridiques ou historiques, sur le travail du dimanche s’intéressent essentiellement aux origines de la législation, et l’histoire récente reste inconnue. La Britannique Joy Cushman, dans un article retraçant l’histoire du repos dominical en Grande-Bretagne, a décrit le passage d’une réglementation croissante dans la première moitié du XXe siècle à une déréglementation progressive à partir des années 1950, aboutissant au vote, en 1994, du Sunday Trading Act [9]. Ce dernier autorise tous les magasins à ouvrir le dimanche. Une logique similaire de déréglementation est en cours en France, et le présent article se propose d’en étudier les origines, en éclairant notamment le rôle joué par la grande distribution naissante, entre 1968 et 1979. C’est durant cette décennie que la question émerge dans ses termes actuels et que les différents protagonistes, étatiques et socio-professionnels, se positionnent. En 1968, le nombre d’entreprises enfreignant les dispositions de 1906 augmente significativement et la question devient une préoccupation politique importante. Onze ans plus tard, en 1979, s’engage un réel débat public, avec des propositions de loi, des manifestations de rue et une couverture médiatique notable, avant que la question ne cesse finalement d’être une priorité politique et économique.
5L’approche adoptée ici est institutionnelle et les principales archives consultées proviennent des instances gouvernementales chargées des questions de commerce intérieur [10]. Pour les services de la Direction du commerce intérieur et des prix (DCIP puis DCI [11]), ainsi que pour les cabinets des ministres du Commerce et de l’Artisanat, l’ouverture dominicale des magasins est, avec les implantations de grandes surfaces et les pratiques commerciales anticoncurrentielles, l’une de leurs trois préoccupations majeures. En outre, depuis sa reconstitution en 1972, le ministère du Commerce, très technique et doté de peu de prérogatives, fonctionne essentiellement comme un relais entre les différentes entités étatiques et les professionnels du commerce. Les papiers de ses administrations offrent donc une vision large de l’évolution récente du problème du repos dominical, et sont complétés par un contrepoint offert par certaines archives du ministère du Travail.
6Cette recherche s’articule autour de trois séries de questions. La première sonde les termes du problème. Que réclament les détracteurs de la législation en place ? Quel est le contexte du débat et quels enjeux économiques et sociaux apparaissent ? La deuxième concerne les protagonistes. Qui sont les acteurs économiques à l’origine de la contestation et quelle est la position des différents professionnels concernés ? La troisième série de questions, enfin, porte sur le jeu des pouvoirs publics. Selon quelles logiques a évolué la politique suivie au cours de la période étudiée ? Constate-t-on d’importantes divergences au sein de l’appareil politique et administratif ?
L’émergence du problème à la fin des années 1960
7En dépit de « l’expérience Leclerc » ou de l’ouverture de quelques supermarchés en libre-service, l’appareil commercial français des années 1950 est pléthorique [12] et peu modernisé par rapport à d’autres pays européens [13]. Le commerce ne se transforme véritablement qu’à la fin des années 1960 avec la diffusion des hypermarchés, format de magasin conçu en 1963 par Carrefour [14]. Ces commerces non spécialisés [15] vendent en libre-service et à prix bas des milliers d’articles à dominante alimentaire et s’étendent sur des surfaces d’au moins 2 500 mètres carrés, généralement en périphérie urbaine. L’essor de ce modèle commercial s’accélère vers 1968 – le nombre d’hypermarchés passe de trois à 72 du 1er janvier 1966 au 1er janvier 1970 [16] – et certains détaillants du commerce spécialisé choisissent alors d’en imiter les principes, notamment dans le secteur de l’ameublement. Ils créent ce que l’on nomme en « jargon marketing » les grandes surfaces spécialisées (GSS) [17]. Leroy-Merlin expérimente pour la première fois le libre-service en 1966 dans le Pas-de-Calais et Conforama ouvre sa première grande surface en banlieue lyonnaise en 1967 [18]. En 1979, les dirigeants de ces nouveaux types de magasins estiment qu’une grande part de leur chiffre d’affaires, 30 % selon certaines sources, pourrait être effectuée le dimanche [19]. Il faut en effet beaucoup de temps aux clients pour acheter dans ces GSS qui sont vastes, offrent des gammes de produits très larges et nécessitent un déplacement en voiture. En outre, l’achat de meubles se fait généralement en famille. Le dimanche constitue donc un jour propice à la fréquentation de ces magasins qui attirent de nombreux clients par leur politique de prix très agressive.
8Un épineux problème, caractérisé par de grandes disparités départementales, se fait alors jour. En vertu de l’article 2 de la loi de 1906 [20], certains préfets autorisent les GSS à ouvrir le dimanche. D’autres préfets, au contraire, en vertu de la loi de 1923 [21], ordonnent par arrêté d’extension la fermeture au public le dimanche de tous les magasins d’ameublement dans l’ensemble d’un département. Enfin, des préfets moins zélés font preuve de tolérance et n’appliquent pas les sanctions en cas d’ouverture illégale. Cette situation disparate est source de mécontentement. Les gérants de grandes surfaces des régions peu libérales critiquent la rigidité de la loi et, à l’inverse, les commerçants traditionnels des départements plus libéraux déplorent la concurrence déloyale des grandes surfaces. La diversité des situations départementales est d’ailleurs assez inopérante, car la clientèle d’un département soumis à une réglementation restrictive peut souvent procéder à ses achats du dimanche dans les départements voisins, où les commerces ne respectent pas le repos dominical [22].
9La première mention du problème retrouvée dans les papiers du ministère des Finances est formulée par le bureau de l’urbanisme commercial du service commerce de la DCIP en novembre 1968. L’administration centrale en est avisée à la fois par le biais des préfets qui demandent des précisions quant à la conduite à adopter et par les rapports des directeurs départementaux du commerce qui se plaignent du zèle de certains directeurs du travail. Face à cette nouvelle question, la rue de Rivoli et son administration estiment que les préfets seraient assez disposés à donner satisfaction aux nouvelles grandes surfaces qui ouvrent le dimanche. Pour eux, les directeurs du travail et certains préfets détournent de leur objectif les dispositions du Code du travail et limitent une saine concurrence, à seule fin de contenter les « réactions malthusiennes » des commerçants traditionnels [23]. En février 1969, François-Xavier Ortoli (UDR), ministre de l’Économie, écrit au ministre des Affaires sociales, Maurice Schumann, pour lui faire part de sa désapprobation de « l’obligation indifférenciée de fermeture du dimanche [qui] […] lorsqu’elle est édictée sans motif social impérieux, entraverait l’activité de commerces intéressants sur le plan économique ». La lettre conclut en demandant que les préfets et les directeurs départementaux du travail prennent dès lors en considération l’intérêt des consommateurs et l’incidence économique de mesures restrictives avant d’édicter des arrêtés d’extension puis de dresser des procès-verbaux. Ils les invitent pour cela à collaborer avec les directeurs du commerce intérieur et des prix [24]. Si certains préfets et directeurs du travail ont jusque-là appliqué les règles du Code du travail avec rigueur, Maurice Schumann affiche quant à lui une plus grande souplesse. Dans une réponse à la lettre de son homologue en date du 11 avril 1969, le ministre des Affaires sociales affirme avoir donné des instructions conformes aux demandes de la rue de Rivoli et, selon la DCIP, certains arrêtés préfectoraux ont ainsi pu être annulés, et les autres ont été au moins connus de l’administration centrale [25].
10Pour les collaborateurs du ministère de l’Économie et pour les administrateurs de la DCIP, la volonté de déréglementer se justifie par « un élargissement de la concurrence » et par « une meilleure satisfaction des besoins des consommateurs » [26]. Le caractère pratique pour les familles des ouvertures dominicales et la pression à la baisse sur les prix, grâce aux faibles marges bénéficiaires pratiquées par les GSS, composent l’argumentaire principal. Un autre aspect concerne aussi la circulation routière, car la répartition des ouvertures des magasins sur toute la semaine permettrait de réduire les embouteillages [27]. À cette époque, notamment depuis le rapport Rueff-Armand [28] de 1959, les pouvoirs publics cherchent à tout prix à moderniser l’appareil commercial, afin de ne pas gaspiller les gains de productivité de l’industrie dans un système de distribution coûteux et défaillant. Une politique de laissez-faire est inaugurée par la circulaire Fontanet du 31 mars 1960, relative à l’interdiction des pratiques commerciales restreignant la concurrence : elle interdit aux fabricants de refuser la vente aux distributeurs, même si ceux-ci « bradent » la marchandise [29]. La rédaction de cette circulaire a été fortement inspirée par Édouard Leclerc. Cette politique interdisant le refus de vente est poursuivie durant plus d’une décennie et ne s’interrompt qu’avec la loi Royer de 1973 [30]. De 1960 à 1972, le ministère du Commerce et de l’Artisanat n’existe d’ailleurs plus [31]. La déréglementation des jours et des heures travaillés s’inscrit donc dans une stratégie d’encouragement au développement d’une grande distribution moderne.
11En 1970, la question de l’ouverture des magasins le dimanche est bien posée mais le débat n’a pas encore pris d’ampleur. On note par exemple la rédaction d’un rapport par la commission du commerce intérieur et des services de l’Assemblée permanente des chambres de commerce et d’industrie (APCCI) [32] qui illustre l’actualité du sujet, mais on ne recense par ailleurs aucune question orale à l’Assemblée nationale, ni aucune proposition de loi relative au travail dominical entre 1968 et 1976 [33]. En outre, malgré l’organisation au nouveau ministère du Commerce de tables rondes avec les professionnels, et en dépit de quelques déclarations d’intention de Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre de l’Économie et des Finances, ou de Jean Royer, ministre du Commerce et de l’Artisanat [34], la situation n’évolue guère entre 1970 et 1975. Les débats politiques sur le sujet sont absents par exemple lors de l’élection présidentielle de 1974, et si la position du ministère des Finances est claire, celle du ministère des Affaires sociales l’est beaucoup moins.
Le travail de pression de la Fédération nationale de l’ameublement à partir de 1975
12Parallèlement, jusqu’en 1975, les revendications professionnelles se multiplient et le problème du repos dominical devient alors, selon Vincent Ansquer, ministre (gaulliste) du Commerce, l’un des « plus fréquemment évoqués par les organisations professionnelles du commerce » [35]. Les divergences entre acteurs économiques ne se cristallisent cependant que lorsque la Fédération nationale du négoce de l’ameublement (FNA) déclare son opposition à toute déréglementation et commence un travail de pression en ce sens auprès des pouvoirs publics.
13La FNA est alors le principal groupement français de détaillants en meubles par le nombre d’adhérents. En 1975, elle en revendique 2 800, dont la plupart sont de taille assez modeste [36]. Outre son importance économique, elle jouit également d’un poids historique. Elle est par exemple à l’origine, grâce à l’initiative de son ancien président Robert Sarkis, de la création de la Sofinco en 1950, le deuxième organisme financier spécialisé dans le crédit à la consommation [37]. À son congrès de Montpellier en 1973, la FNA opte pour une position de neutralité sur la question du repos dominical, et arrive ainsi à fédérer un ensemble très composite de négociants en meubles, de la petite entreprise familiale aux GSS. En mars 1975, à l’issue de son congrès de Strasbourg, elle change complètement de position et conteste dès lors l’ouverture des magasins le dimanche [38]. Elle s’assure à cette occasion de l’appui des confédérations ouvrières, mais surtout du Syndicat général de l’ameublement et de la décoration (SGAD) qui regroupe les vieilles maisons du meuble bien implantées nationalement, comme Lévitan, Barbès ou Crozatier. La FNA et le SGAD ont en commun d’avoir ouvert des magasins dans les nouveaux centres commerciaux qui sont fermés le dimanche. Ils souhaitent donc limiter la concurrence des GSS, de Conforama, de Roche-Bobois ou de Leroy-Merlin qui restent ouverts le dimanche. Publiquement, la FNA avance deux arguments motivant son refus d’une déréglementation : la fermeture le dimanche n’est pas en soi préjudiciable au public et l’opposition déclarée des syndicats justifie à elle seule la cessation de toute activité dominicale [39].
14Dans le même temps, au printemps 1975, l’agitation des petits détaillants indépendants s’intensifie. La concurrence induite par l’ouverture dominicale des GSS affecte en effet les commerçants n’employant pas ou peu de salariés, car ils ne peuvent guère procéder à un roulement de leur effectif sur la semaine et doivent alors travailler tous les jours afin de maintenir leur chiffre d’affaires. Quelques commerçants passent à l’action directe. On relève des scènes de violence contre Conforama, essentiellement dans les départements du Gard et de l’Hérault [40]. Or, en 1975, le mécontentement de la classe moyenne indépendante [41], les petits commerçants et les artisans, commençait juste à s’apaiser. Depuis 1969, la Confédération intersyndicale de défense et union nationale d’action des travailleurs indépendants (CIDUNATI), emmenée par le jeune Gérard Nicoud, avait mobilisé les petits commerçants contre les injustices fiscales et sociales, dans un contexte de déclin provoqué par le développement rapide de la grande distribution [42]. En 1973, sous la présidence de Georges Pompidou, le gouvernement décidait d’infléchir sa politique de modernisation de l’économie et Jean Royer, ministre du Commerce, portait une loi d’orientation du commerce et de l’artisanat devant le Parlement. Ce texte, en entérinant un système d’autorisations administratives préalables à l’obtention d’un permis de construire pour les grandes surfaces commerciales [43], contribua à freiner le développement de la grande distribution et envoya un message de soutien au commerce traditionnel.
15Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le nouveau positionnement de la FNA en mars 1975 et la crainte d’une nouvelle ébullition du monde du commerce poussent le gouvernement Chirac à réagir. Le 31 juillet 1975, la circulaire n° 8470, signée conjointement par Vincent Ansquer et Michel Durafour, ministre centriste du Travail, stipule que l’harmonisation nationale des conditions de fermeture hebdomadaire des magasins de détail de meubles ne peut résider, compte tenu des dispositions du Code du travail, que dans le strict respect de la fermeture dominicale de tous les magasins d’ameublement [44]. La circulaire n’octroie pas de marges de manœuvre aux nouvelles formes de distribution et n’apporte pas de nouveautés dans l’application de la loi. Le gouvernement justifie cette décision par la nouvelle position de la FNA, en estimant que les organisations professionnelles sont dans leur ensemble opposées à l’ouverture du dimanche et par le fait qu’une réglementation banalisant le dimanche léserait les plus petits et ne profiterait qu’aux grandes entreprises. La circulaire rappelle, il est vrai, que les consommateurs plébiscitent généralement l’ouverture le dimanche pour son caractère pratique, mais elle insiste par ailleurs sur les solutions alternatives qui permettent aux familles d’effectuer leurs achats : les samedis ou les nocturnes. Enfin, à l’argument du caractère pratique pour les consommateurs, elle oppose le cas de l’Alsace-Moselle. Dans ces départements de l’Est où la fermeture est strictement respectée, les consommateurs arrivent à satisfaire leurs besoins sans encombre et les entreprises du meuble ne connaissent pas de situation difficile, au contraire. Afin de faire appliquer la fermeture et harmoniser la situation, la circulaire enjoint aux préfets de recenser les dérogations individuelles ainsi que les accords intervenus entre les syndicats d’employeurs et de travailleurs, et de consulter régulièrement ces derniers. Les hauts fonctionnaires doivent également veiller au scrupuleux respect des dispositions légales et réglementaires et appliquer les sanctions prévues en cas de non-respect de la loi [45].
La « guerre du meuble »
16Cette circulaire donne gain de cause aux opposants à l’ouverture dominicale des magasins en faisant prévaloir les vues du ministère du Travail. Elle a toutefois pour effet de renforcer la cohésion des partisans d’une déréglementation et déclenche une « guerre du meuble » [46]. Jusqu’en 1975, les nouvelles entreprises de la distribution moderne, comme Conforama, Roche-Bobois ou Mobilier de France, dépendent du Syndicat des groupements d’achats du meuble, le SYNGAM. Ce dernier, rallié à la FNA en 1973 lorsqu’elle optait pour la neutralité sur la question du repos dominical, s’en sépare aussitôt quand, en mars 1975, elle change sa position. Toutefois, n’étant qu’un syndicat de groupements de sociétés et non de commerçants, il n’est guère autorisé à participer aux consultations professionnelles prescrites par la nouvelle circulaire. Afin de disposer d’un organe de pression politique, les anciens adhérents du SYNGAM décident donc, en août 1975, de créer le Syndicat national du commerce moderne de l’équipement de la maison, le SYNCOMEM [47]. Ce dernier entreprend tout de suite des démarches auprès des ministres intéressés, avant même sa première assemblée du 22 décembre 1975, et il sait peser politiquement par son importance économique. En 1975, les 252 adhérents du SYNCOMEM emploient en effet 16 000 personnes dans 520 établissements, affichent un chiffre d’affaires de sept milliards de francs [48] et dynamisent l’industrie française du meuble par leurs commandes importantes et programmées. Dans sa lutte pour une déréglementation, le SYNCOMEM écarte l’argument social et assure que l’ouverture se fait en complet accord avec les salariés des entreprises qui y trouvent leur compte. Pour lui, le débat autour de la question confond le droit social et les problèmes de concurrence [49].
17Les revendications du SYNCOMEM trouvent facilement écho au ministère du Commerce qui relaie leurs doléances pour essayer de faire fléchir le ministère du Travail. Ainsi, le 10 mars 1976, à la suite d’une demande du syndicat, Jean Fries, le directeur général du commerce intérieur, écrit, au nom du ministre, à la direction générale du travail pour demander s’il serait envisageable d’ajouter les entreprises de vente au détail de meubles à la liste des dérogations prescrites par l’article L.221-9 du Code du travail. En application de ce texte, les magasins pourraient donner le repos hebdomadaire à leurs employés par roulement [50]. Dans sa réponse du 30 mars, Pierre Cabanes, maître des requêtes au Conseil d’État, directeur du travail, refuse catégoriquement une telle possibilité, arguant que la vente de meubles n’est en rien une activité économique indispensable et que la fermeture des magasins le dimanche ne s’avère pas préjudiciable pour le public. Il s’appuie également sur la position de la FNA pour asseoir son refus, en rappelant qu’une telle dérogation mécontenterait toute une partie de la profession. Le ton de la lettre du directeur du travail, où affleurent l’agacement et le sarcasme, illustre bien l’opposition à toute déréglementation de l’administration ministérielle de la rue de Grenelle.
« Les activités pour lesquelles l’article susvisé du Code du travail prévoit une dérogation permanente à l’obligation du repos dominical sont celles dont l’interruption causerait une perturbation considérable dans la vie sociale, ou, tout au moins, un préjudice sensible au public. Or, on ne peut valablement soutenir que la vente de meubles fait partie des activités dont le maintien permanent est en tout temps et tous lieux indispensable.
Il ne vous échappera pas, en outre, que, si la mesure proposée répond, pour des raisons que vous n’ignorez pas, aux préoccupations du SYNCOMEM, elle serait certainement très mal accueillie par les autres organisations professionnelles » [51].
19« Il fallait s’y attendre. Je ne sais pas si le cabinet est au courant » [52]. Voilà ce qui est annoté, certainement par Jean Fries, dans la marge de la réponse de Pierre Cabanes, montrant d’une part l’attitude désabusée de la DCI qui essaie, sans trop d’espoir, de faire évoluer des dispositions législatives qu’elle n’approuve pas, et sous-entendant d’autre part que la direction du travail, vigoureusement opposée à une déréglementation du repos dominical, tient une position plus arrêtée que celle du cabinet de son ministère.
20Vincent Ansquer a signé la circulaire de juillet 1975 contraint par la conjoncture politique, et le ministère du Commerce et son administration cherchent des moyens pour assouplir la législation. Dans une ébauche de lettre au ministre de l’Économie et des Finances, trois solutions légales éventuelles sont évoquées [53]. La première serait d’inciter les préfets à accorder libéralement les dérogations demandées. Elle permettrait de ne pas modifier la loi et de respecter la législation du travail, mais elle ne changerait guère la situation et serait très compliquée car elle nécessiterait la consultation des municipalités, des chambres de commerce et d’industrie (CCI) et des organisations professionnelles. Une autre solution consisterait à élargir la liste des activités pour lesquelles le repos hebdomadaire peut être donné par roulement. Celle-ci non plus n’est pas vraiment envisageable car le ministre du Travail l’estime contraire à l’esprit du Code du travail. La troisième possibilité légale serait de modifier en profondeur la loi de 1906. Cette dernière mesure s’avère encore moins réalisable étant donné l’étendue des problèmes politiques qu’elle engendrerait. Elle n’est pourtant pas écartée malgré son caractère extrême, et cela montre bien les aspirations très libérales des services du ministère du Commerce, selon lesquels cette dernière solution pourrait être envisagée si elle apparaissait réellement nécessaire à la satisfaction des besoins des consommateurs et à l’amélioration des conditions de la concurrence. D’autres modalités qui éviteraient de toucher directement aux dispositions des lois de 1906 et 1923 sont aussi imaginées. On évoque ainsi l’assouplissement des règles applicables à l’amplitude journalière d’ouverture des magasins pour pouvoir favoriser les nocturnes, ou encore l’ouverture limitée au dimanche matin.
21Les volontés de déréglementation des ministères du Commerce et des Finances, ainsi que l’antagonisme croissant avec le ministère du Travail, ne transparaissent cependant guère dans l’espace public. Pour preuve, en mai 1977, René Monory (UDF), ministre du Commerce, répond à une question écrite du député Roger Duroure (PS), qui l’interroge sur l’incohérence de la réglementation en matière de fermeture le dimanche, en affirmant la détermination du gouvernement à faire respecter un acquis social majeur. Il rappelle également les strictes dispositions de la circulaire du 31 juillet 1975.
« La circulaire du 31 juillet 1975 a prescrit aux préfets de recenser les dérogations accordées et, si les organismes intéressés, notamment les organisations professionnelles, ne sont pas favorables à leur maintien, de les retirer […]
[…] aucun n’a le droit de faire travailler ses salariés [le dimanche].
Il s’agit là de dispositions fort anciennes du droit du travail, puisque l’une remonte à 1906 et l’autre à 1923. Elles ont le caractère de droits acquis aux salariés et le Gouvernement a manifesté à plusieurs reprises son intention d’en faire assurer le respect. » [54]
23Dans les années 1975-1976, malgré les apparences d’un gouvernement soudé autour de la défense, dans une même lutte, du petit commerce et des salariés, la guerre du meuble divise autant au sein de l’appareil d’État que chez les commerçants.
Encore une circulaire ?
24Une enquête menée en 1977 par le ministère du Travail montre que sur environ 1 600 commerces d’ameublement en France, près de 400 restent ouverts le dimanche. Sur 95 départements, l’enquête ne signale que deux départements pour lesquels les magasins ont obtenu régulièrement une dérogation à l’obligation du repos dominical, mais 21 où les établissements bénéficient d’une tolérance de fait. En outre, dans une trentaine de départements, malgré de nombreux procès-verbaux, les contrevenants persistent et ne respectent pas la législation. Au contraire, 49 disposent d’un arrêté d’extension prescrivant la fermeture de tous les établissements. Les disparités départementales subsistent donc et l’uniformisation de la réglementation voulue par la circulaire du 31 juillet 1975 est restée lettre morte. Le ministère du Travail, à l’incitation de la direction des relations du travail, veut durcir le dispositif et élabore, au printemps 1978, un nouveau projet de circulaire [55]. D’après l’hebdomadaire Ecodis, le fort lobbying de la FNA ne serait pas étranger à cette initiative [56].
25Le ministère du Travail souhaite remplacer les dispositions des circulaires d’application des lois de 1906 et de 1923 par un texte plus strict sur les dérogations, les exceptions et les sanctions [57]. Il entend soumettre les demandes de dérogation à un examen plus rigoureux. La simple affirmation que la fermeture du dimanche porte préjudice au public ne serait plus suffisante et nécessiterait des preuves par un examen des recettes, de la représentativité des demandeurs et de l’intérêt du public. Le texte rappelle en outre la durée limitée de ces dérogations et insiste sur l’application des sanctions. Il envisage une augmentation des peines en cas de récidive et demande la collaboration des officiers de police judiciaire. Le ton de ce projet de réglementation est très sévère. Le ministre du Travail, Christian Beullac, désire donner un sérieux tour de vis à l’ouverture du dimanche [58].
26Le projet est envoyé le 10 avril 1978 au ministère du Commerce pour obtenir ses remarques et ses suggestions. Le texte doit en effet porter la signature des deux départements ministériels, car ceux-ci représentent les deux interlocuteurs privilégiés des préfets et des différents acteurs socio-économiques sur la question. Fin juin 1978, Pierre Cabanes relance la DCI et son ministère qui n’ont toujours pas fait connaître leurs positions [59]. Ces derniers n’approuvent en effet guère le nouveau projet qui porterait un coup aux nouvelles formes de distribution, incarnées essentiellement par les entreprises groupées au sein du SYNCOMEM, qui ont fondé leur succès financier sur la dérogation ou au moins la tolérance [60]. Les désaccords entre les deux ministères ont raison de la circulaire et le premier ministre (Raymond Barre), par stratégie politique, préfère ne pas arbitrer et laisser le problème en latence [61].
27Pourtant la situation semble se détériorer. Plusieurs préfets s’adressent aux deux ministères concernés et leur demandent de donner de nouvelles directives plus précises sur la conduite à tenir [62]. Les préfets reçoivent à la fois les demandes du petit commerce et des succursalistes et les plaintes du SYNCOMEM, et n’arrivent pas à résoudre le conflit par la concertation du fait d’une opposition très marquée entre les différents représentants professionnels et syndicaux. En outre, ils font face aux injonctions contradictoires des deux ministères. Enfin, la redondance de procédure engendrée par la multiplication des arrêtés d’extension édictés par les préfets tend à occulter les autres dispositions de la loi et à laisser croire qu’en l’absence d’arrêtés d’extension, l’ouverture le dimanche est tolérée [63]. Le problème semble insoluble car, comme l’écrit le préfet de Loire dans une lettre au ministre du Commerce, toute décision de l’administration préfectorale, qu’elle « soit favorable ou hostile à la fermeture obligatoire, mécontente une partie de la profession. Il en résulte une agitation quasi permanente des commerçants qui veulent, par des manifestations de force, faire prévaloir leur point de vue respectif » [64].
1979, vers une déréglementation lente
28En 1979, le débat politique s’intensifie fortement. Le ministre du Travail, Robert Boulin (gaulliste), commande à la Cour des Comptes un rapport sur le thème « Temps de travail, temps de loisir ». Le 11 avril 1979, un député de l’Union pour la démocratie française, Pascal Clément (UDF-PR), dénonce, dans une question orale au ministre du Commerce, Jacques Barrot (UDF-centriste), une législation inadéquate qui pénalise les commerces ruraux. Le ministre centriste reste très nuancé dans sa réponse, mais ne semble pas exclure une déréglementation en affirmant « l’attachement du gouvernement à la liberté » [65]. Le 28 juin, Jean-Pierre Pierre-Bloch, député UDF de Paris et ancien conseiller technique de Michel Durafour au ministère du Travail, dépose, au nom d’un groupe de parlementaires, une proposition de loi tendant à aménager les modalités du repos hebdomadaire du dimanche dans un sens très libéral. Le 4 juillet 1979, le sujet est finalement discuté en Conseil des ministres. Jacques Barrot y présente les différentes manières de remédier aux problèmes d’application du repos dominical, en cherchant à « satisfaire au mieux les besoins des consommateurs ». Il retient comme solution intermédiaire l’autorisation d’ouverture le dimanche matin, l’assouplissement des règles d’ouverture dans les zones touristiques et la facilitation des nocturnes [66]. Pour le ministre, « [cette solution] relève d’une approche libérale des rapports sociaux et de la marche de l’économie, sans brusquer autoritairement l’évolution des mentalités » [67]. Ces conclusions sont approuvées par le Conseil des ministres qui charge alors le ministère du Commerce de consulter les diverses organisations concernées [68]. Ce même jour intervient un léger remaniement ministériel et Jacques Barrot laisse sa place à Maurice Charretier, un autre élu UDF qui, publiquement, se déclare « favorable à une modification de la loi de 1906 » [69].
29En septembre 1979, une table ronde réunissant les représentants des syndicats de travailleurs, des associations de consommateurs et des organisations professionnelles est donc organisée pour recueillir les différents points de vue sur la question [70]. Toutes les centrales syndicales, sans exception, sont opposées à l’ouverture le dimanche [71]. Parmi les associations de consommateurs, l’opposition est plus modérée. L’Association des nouveaux consommateurs prône un libéralisme complet, tandis que l’Union fédérale des consommateurs souhaite un changement de la réglementation et une évolution des ouvertures progressive et par secteur. En revanche les associations familiales, comme l’Union nationale des associations familiales et ses unions départementales ou la Fédération des familles de France, sont contre l’ouverture des grandes surfaces le dimanche, mais entendent laisser au petit commerce toute sa liberté [72].
30La grande majorité des organisations professionnelles du commerce s’opposent à l’ouverture du dimanche ou, tout au moins, souhaitent conserver le régime en place et l’accompagner de dérogations [73]. Cette opposition dépasse de nombreux clivages et rassemble des organisations qui, d’habitude, s’affrontent. Ainsi, parmi les défenseurs du repos dominical figurent le commerce associé ou organisé (par exemple, le Conseil national du commerce, la Fédération nationale des commerces multiples) et le petit commerce indépendant (CIDUNATI). Certains, comme la Fédération nationale des syndicats des commerçants non sédentaires, sont contre l’ouverture des grandes surfaces, mais défendent la liberté des marchés et du petit commerce. En outre, les organisations veulent, dans l’ensemble, une amélioration du système des dérogations, que ce soit par leur suppression, leur aménagement ou leur harmonisation à l’échelle nationale. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises est, de manière assez surprenante, très nuancée, souhaitant laisser à l’appréciation des grands secteurs professionnels la question du repos dominical [74]. Enfin, la seule organisation affichant de manière inflexible son choix d’une fermeture n’importe quel jour de la semaine est, bien entendu, le SYNCOMEM.
31Malgré la tonalité générale défavorable au travail dominical qui ressort de cette consultation, ces initiatives ministérielle et parlementaire nourrissent les craintes des syndicats et des partis politiques d’opposition, notamment le Parti communiste. En sortant de la table ronde, la Confédération générale du travail (CGT), dont la fédération commerce-distribution-service a déjà envoyé au ministre du Commerce une déclaration d’opposition à toute remise en cause du repos dominical [75], appelle à une grande manifestation. Organisée conjointement avec la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Force ouvrière (FO), elle rassemble plusieurs milliers de personnes à Paris le 21 septembre 1979 [76]. Le 3 octobre, Gisèle Moreau, député communiste, invective Robert Boulin sur les décisions prises en Conseil des ministres le 4 juillet, et l’accuse de vouloir remettre en cause le droit au repos hebdomadaire. Robert Boulin s’avère effectivement bien moins catégorique que ses prédécesseurs sur la question et ne ferme pas la porte à une possible modification législative d’orientation libérale [77].
32En 1979, bien qu’aucun projet de loi ou de circulaire ne soit en préparation, l’éventualité d’une déréglementation n’est plus dissimulée. Le ministre du Commerce affiche clairement son libéralisme sur la question et la position du ministre du Travail semble bien plus souple que dans les années précédentes. L’intérêt des consommateurs est lui aussi plus qu’auparavant mis en valeur, car il constitue le seul facteur médian du débat pouvant légitimer une remise en cause de la loi de 1906. Cette stratégie est d’autant plus justifiée qu’elle s’inscrit dans une politique générale de défense des consommateurs, incarnée par la création en 1976 d’un secrétariat d’État à la Consommation, confiée à Christiane Scrivener, et concrétisée notamment par une loi sur la protection et l’information des consommateurs. La première consultation des associations de consommateurs sur la question de l’ouverture dominicale intervient ainsi à la table ronde de septembre 1979. Enfin, l’année 1979 marque surtout l’émergence du problème du repos dominical dans le débat public. Doté désormais d’une place importante dans l’agenda politique et syndical, le sujet bénéficie d’un traitement médiatique croissant et tend à devenir une question de société. Maurice Charretier intervient sur la chaîne télévisée TF1 [78], les éditions nationales [79] ou régionales [80] des journaux télévisés abordent le problème et la presse écrite multiplie les articles.
33Dans les années 1980 toutefois, la question disparaît quasiment du débat public et des bureaux des ministères. On ne retrouve pour ces années aucun rapport de la DCI, le problème n’occupe plus les conseillers du ministère du Commerce [81] et les revendications professionnelles se taisent, au moins pendant le premier septennat de François Mitterrand. Le fait que la gauche soit au pouvoir peut certainement expliquer cette relégation du problème. Les organisations professionnelles ne croient pas à une révision possible du Code du travail dans une logique libérale et leurs doléances se concentrent notamment sur la réglementation des prix [82]. Le débat ne ressurgit qu’en 1992, sous le second mandat du président Mitterrand, lorsque Martine Aubry, ministre socialiste du Travail, reprécise par un décret les dispositions législatives et élargit la liste des exceptions, en intégrant notamment les Champs-Élysées et les boutiques d’aéroport, pour répondre aux demandes de l’économie touristique. Puis, en 2007, lors de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy se saisit à nouveau de la question et, sous son mandat, les magasins de meubles obtiennent finalement satisfaction en figurant désormais sur la liste des établissements autorisés à déroger à la règle, 39 ans après leurs premières revendications. Aujourd’hui, en 2015, le projet de loi Macron précise la lente et graduelle déréglementation en cours depuis trois décennies, motivée tantôt par des aspirations libérales, tantôt par des décisions fonctionnelles et pragmatiques. Cependant, ce dernier projet de loi, bien qu’il propose un élargissement du nombre annuel de dimanches ouvrables, n’apporte pas de réponse tranchée au débat et les mécontentements liés aux disparités départementales ou sectorielles pourraient perdurer.
34La législation encadrant le repos hebdomadaire dans les entreprises commerciales a connu de fortes difficultés d’application, et les multiples exceptions et dérogations qu’elle comporte créent des situations compliquées pour lesquelles l’arbitrage décisif du préfet n’est pas toujours aisé. Cela entraîne en outre une situation nationale hétérogène qui préoccupe les pouvoirs publics.
35Dresser une chronologie et identifier les acteurs économiques à l’origine de la controverse – en particulier, SYNCOMEM et FNA –, permet d’éclairer les mécanismes du traitement politique et administratif de la question, dans ses dimensions pratiques autant que symboliques. En premier lieu figure le constat, toujours récurrent, de la réticence du pouvoir politique à trancher dans un sens ou dans l’autre, celui-ci préférant ménager la colère des petits commerçants confrontés à leur déclin, les revendications syndicales des travailleurs, l’exigence des consommateurs, et la pression de distributeurs de plus en plus puissants. L’arbitrage politique qui en résulte oblige à s’en remettre à des solutions réglementaires au coup par coup, opportunistes et toujours dans la demi-mesure. On observe bien cette stratégie politique, et certainement électorale, lorsqu’en 1975 la nouvelle position de la FNA est instrumentalisée afin de légitimer l’édiction d’une circulaire restrictive visant l’apaisement du petit commerce et, accessoirement, des syndicats ; de même lorsque, quelques années plus tard, les pouvoirs publics tentent à l’inverse de répondre aux pressions du SYNCOMEM en invoquant l’intérêt des consommateurs. Deuxièmement, cette approche politique confère aux préfets un rôle décisif. En diffusant des circulaires, le gouvernement leur délègue la gestion du problème et laisse les problèmes se régler au niveau local afin d’éviter, le plus longtemps possible, de prendre une décision unique, tranchée et applicable partout. Troisièmement, le caractère peu partisan du problème de l’ouverture dominicale des magasins a été mis en évidence. Si une partie au moins des membres de l’UDF soutient une déréglementation et si le Parti communiste s’y oppose fermement, les autres partis ne semblent pas se positionner clairement. Enfin, on a pu apprécier le poids symbolique de la question qui réunit d’un même côté les destins, souvent contradictoires, de deux groupes opposés politiquement, celui des salariés et celui des petits commerçants. Défense des acquis sociaux et protection de la boutique se confondent dans une lutte contre les aspirations de la grande distribution puisant sa légitimité dans le désir imputé aux consommateurs. Dans ce paradigme d’opposition des intérêts des travailleurs et des consommateurs, la lente déréglementation du repos dominical qui se fait par à-coups depuis plus de trois décennies semble montrer la graduelle précellence de la consommation sur le travail.
36Cet article a proposé un exemple d’une tendance progressive de subordination des logiques sociales aux principes d’une économie libérale, dans laquelle le repos dominical est un élément des objectifs de performance et de rationalité économique [83]. Pourtant, si l’intérêt des consommateurs est évident, celui des entreprises l’est beaucoup moins lorsque l’on considère l’ouverture dominicale des grandes surfaces comme un dilemme du prisonnier [84]. La fermeture complète avantage tout le monde si elle est strictement respectée, mais dans tous les autres cas, les magasins doivent essayer d’ouvrir le plus possible afin de gagner, ou de ne pas perdre, de parts de marché sur leurs concurrents. En effet, si absolument tous les magasins d’un secteur ouvraient le dimanche, le seul effet positif pour les entreprises, qu’apporterait une très légère augmentation globale de la consommation totale des ménages [85], serait annulé par les frais engendrés par un jour supplémentaire d’ouverture. Une loi ne souffrant aucune exception, à défaut de satisfaire les consommateurs, devrait alors être bénéfique à toutes les entreprises. En revanche, une loi comportant des dérogations et des exceptions encourage les entreprises à tenter d’ouvrir plus souvent que leurs concurrents.
La position des syndicats de travailleurs et des associations de consommateurs à l’issue de la table ronde du 13 septembre 1979 au ministère du Commerce
La position des syndicats de travailleurs et des associations de consommateurs à l’issue de la table ronde du 13 septembre 1979 au ministère du Commerce
La position des organisations professionnelles à l’issue de la table ronde du 13 septembre 1979 au ministère du Commerce
La position des organisations professionnelles à l’issue de la table ronde du 13 septembre 1979 au ministère du Commerce
Notes
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[*]
Doctorant en histoire contemporaine, Université Paris I Panthéon-Sorbonne / IDHES.
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[1]
En application de l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution.
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[2]
« Travail dominical : l’ouverture des magasins de bricolage autorisée », Le Monde.fr, 10 avril 2014.
-
[3]
« Plaidoyer du patron de la FNAC pour le travail dominical », Le Monde.fr, 17 novembre 2014.
-
[4]
R. Beck, « ‘C’est dimanche qu’il nous faut’. Les mouvements sociaux en faveur du repos dominical et hebdomadaire en France avant 1906 », Le Mouvement social, n° 184, 1998, p. 23-52.
-
[5]
R. Beck, Histoire du dimanche de 1700 à nos jours, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997.
-
[6]
R. Beck, « Esprit et genèse de la loi du 13 juillet 1906 sur le repos hebdomadaire », Histoire, économie et société, n° 3, 2009, p. 5-15.
-
[7]
H.-G. Haupt, « Les petits commerçants et la politique sociale : l’exemple de la loi sur le repos hebdomadaire », Bulletin du Centre d’histoire de la France contemporaine, n° 8, 1987, p. 7-34.
-
[8]
G. Aubin, « La réforme sociale et le repos du dimanche (1881-1906) », Actes du colloque « Construction d’une histoire du droit du travail » organisé par l’Institut régional du travail, Aix-en-Provence, 20-21 septembre 2000, Cahiers de l’Institut régional du travail, n° 9, 2001, p. 115-128 ; P. Barrau, La naissance mouvementée du droit au repos hebdomadaire, Aix-en-Provence, Cahiers n° 4 de l’Institut régional du travail de l’Université d’Aix-Marseille II, 1993 ; D. Perron, Histoire du repos dominical. Un jour pour faire société, Paris, L’Harmattan, 2010.
-
[9]
J. Cushman, « Jamais le dimanche ? Les horaires d’ouverture des magasins en Grande-Bretagne », in A. Chatriot et al., Au nom du consommateur, Paris, La Découverte, 2005, p. 344-360.
-
[10]
Archives Nationales (AN), 19910018/1 et 19910030/1, bureau de la législation et de la réglementation commerciale ; 19910012/3, bureau de l’urbanisme commercial.
-
[11]
La Direction du commerce intérieur et des prix (DCIP) de 1965 à 1974, la Direction du commerce intérieur (DCI) après 1974.
-
[12]
C. Quin, Physionomie et perspectives d’évolution de l’appareil commercial français 1950-1970, Paris, Gauthier-Villars, 1964 ; Id., « L’appareil commercial français en 1960 », Revue Consommation (Publications du CREDOC), n° S3039, 1962, p. 15-50.
-
[13]
J-.B. Jefferys et D. Knee, Le commerce de détail en Europe, Paris, Presses universitaires de France, 1963 ; J.-M. Jeanneney, Les commerces de détail en Europe Occidentale. Essai de comparaison internationale de la productivité des magasins et du travail commercial, Paris, Armand Colin, 1954.
-
[14]
J.-C. Daumas, « L’invention des usines à vendre : Carrefour et la révolution de l’hypermarché », Réseaux, n° 135-136, 2006, p. 59-92 ; Id., « Consommation de masse et grande distribution : une révolution permanente (1957-2005) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 91, 2006, p. 57-76 ; J.-M. Villermet, « Histoire des ‘grandes surfaces’ : méthodes américaines, entrepreneurs européens », Entreprises et Histoire, n° 4, 1993, p. 41-54 ; Id., Naissance de l’hypermarché, Paris, Armand Colin, 1991.
-
[15]
Qui sont parfois appelés « usines à vendre » avant que le terme hypermarché ne soit inventé en 1966.
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[16]
Chiffres collectés et compilés par l’auteur.
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[17]
Spécialisées dans le non alimentaire.
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[18]
Informations de l’auteur collectées dans la revue Libre-Service Actualités.
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[19]
« Une profession coupée en deux », Les Échos, 21 septembre 1979.
-
[20]
L’article L.221-6 du Code du travail.
-
[21]
L’article L.221-17 du Code du travail.
-
[22]
AN, 19910012/3, note du directeur général pour les directeurs départementaux, 14 août 1970.
-
[23]
Ibid., note sur le repos hebdomadaire du bureau D4 pour le ministre, 12 novembre 1968.
-
[24]
Ibid., lettre du ministre de l’Économie au ministre des Affaires sociales, février 1969. Sur F.-X. Ortoli, voir L. Badel et E. Bussière, François-Xavier Ortoli. L’Europe, quel numéro de téléphone ?, Paris, Descartes & Cie, 2011.
-
[25]
Ibid., note du directeur adjoint, G. Ramel, pour les directeurs départementaux du commerce, 14 août 1970.
-
[26]
Ibid., réponse du ministre de l’Économie et des Finances à la question écrite de G. Roucaute, député, 10 avril 1969.
-
[27]
Ibid., note sur le repos hebdomadaire du bureau D4 pour le ministre, 12 novembre 1968.
-
[28]
J. Rueff et L. Armand, Les obstacles à l’expansion économique, rapport présenté au Premier ministre par le comité institué par le décret n° 59-1284 du 13 novembre 1959, Paris, juillet 1960.
-
[29]
L. Franck, 697 ministres : souvenirs d’un directeur général des prix 1947-1962, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1989, p. 162.
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[30]
Loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat.
-
[31]
Jusqu’en 1959, les questions de commerce sont généralement sous la tutelle d’un grand ministère du Commerce et de l’Industrie. De 1959 à 1962, il ne subsiste qu’un secrétariat d’État au Commerce intérieur dirigé par Joseph Fontanet, puis par François Missoffe. Cette entité disparaît ensuite pendant sept ans, avant d’être recréée en 1969 et confiée à Jean Bailly. Enfin, en 1972, un ministère du Commerce et de l’Artisanat est finalement réinstallé rue de Lille, avec à sa tête Yvon Bourges.
-
[32]
AN, 19910012/3, Conclusions de la commission du commerce intérieur et des services de l’APCCI, 23 novembre 1970.
-
[33]
Journal officiel, question orale de Roger Crespin, député UDR, à Christian Beullac, ministre du Travail (proche de l’UDF), Assemblée nationale, 8 octobre 1976, p. 6488-6489.
-
[34]
Respectivement le 18 mai 1972 devant l’Assemblée nationale lors de la discussion d’un projet de loi relatif à l’assurance vieillesse des artisans et des commerçants et en 1973-1974.
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[35]
AN, 19910018/1, lettre de Vincent Ansquer au directeur général de la concurrence et des prix, 29 janvier 1975.
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[36]
« Le commerce de l’ameublement. Vifs affrontements sur l’ouverture des magasins le dimanche », Les Échos, août 1975.
-
[37]
S. Effosse, Le crédit à la consommation en France, 1947-1965 : de la stigmatisation à la réglementation, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2014.
-
[38]
« Le commerce de l’ameublement… », Les Échos, art. cité.
-
[39]
« Une profession coupée en deux… », Les Échos, art. cité.
-
[40]
« Le commerce de l’ameublement… », Les Échos, art. cité.
-
[41]
Telle que définie dans G. Lavau, G. Grunberg et N. Mayer, L’univers politique des classes moyennes, Paris, Presses de Sciences Po, 1983.
-
[42]
M. David, L’épisode CIDUNATI 1968-1998, Paris, Cahiers de l’Institut supérieur des métiers, 1998 ; S. Berger, « D’une boutique à l’autre : Changes in the Organization of the Traditional Middle Classes from the Fourth to Fifth Republics », Comparative Politics, vol. 10, n° 1, 1977, p. 121-136 ; C. Zalc, « Le petit commerce », in M. Pigenet et D. Tartakowsky (dir.) Histoire des mouvements sociaux en France : de 1814 à nos jours, Paris, La Découverte, 2012, p. 487-497 ; H. Chapman, « Les petits commerçants et l’État de la révolte poujadiste au début de la Ve République », in S. Guillaume et M. Lescure (dir.), Les PME de 1880 à nos jours. Pouvoir, représentation, action, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2008, p. 279-290.
-
[43]
R. Péron, « La loi Royer, la grande distribution et la ville », in J. Marseille (dir.), La Révolution commerciale. Du “Bon Marché” à l’hypermarché, Paris, Éditions Le Monde, 1997 ; R. Péron, Les boîtes. Les grandes surfaces dans la ville, Nantes, L’Atalante, 2004 ; P. Herbeau, « Entretien avec Jean Royer », Entreprises et Histoire, n° 4, 1993, p. 83-86.
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[44]
AN, 19910018/1, circulaire n° 008470, 31 juillet 1975.
-
[45]
Ibid.
-
[46]
AN, 19910018/1, schéma de communication de Jacques Barrot (UDF centriste), ministre du Commerce et de l’Artisanat, au Conseil des ministres du 4 juillet 1979, rédigé par Dominique de Gramont.
-
[47]
« Le commerce de l’ameublement… », Les Échos, art. cité.
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[48]
Ibid.
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[49]
« Une profession coupée en deux… », Les Échos, art. cité.
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[50]
AN, 19910018/1, lettre du directeur du commerce intérieur, Jean Fries, à la direction générale du travail, 10 mars 1976.
-
[51]
Ibid., réponse de Pierre Cabanes, directeur du travail à Jean Fries, 30 mars 1976.
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[52]
Ibid., annotation manuscrite de Jean Fries (?) dans la marge de la lettre du directeur du travail reçue le 30 mars 1976.
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[53]
Ibid., ébauche de lettre du ministre du Commerce au ministre de l’Économie, s. d. [1977].
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[54]
Ibid., question écrite de Roger Duroure à René Monory, ministre du Commerce, 7 mai 1977.
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[55]
Ibid., projet de circulaire du ministre du Travail, mars 1978.
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[56]
« Ouverture des magasins le dimanche : le ministre du Travail veut rappeler les préfets à l’ordre », Ecodis, 23 mai 1978.
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[57]
AN, 19910018/1, projet de circulaire du ministre du Travail, mars 1978.
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[58]
« Ouverture des magasins le dimanche… », Ecodis, art. cité.
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[59]
AN, 19910018/1, lettre de Pierre Cabanes, directeur général du Travail, adressée à la DCIP, 19 juin 1978.
-
[60]
Ibid., note de la sous-direction de la DCI pour le directeur du cabinet du ministre du Commerce, 19 mai 1978.
-
[61]
Ibid., note manuscrite de Jean Fries à Jacques Sol-Rolland, sous-directeur de la DCI, 28 juin 1978.
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[62]
Par exemple, Ibid., lettre du préfet de Gironde, Louis Verger, au ministre du Commerce et de l’Artisanat, 20 novembre 1978.
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[63]
Ibid., note de la sous-direction de la DCI pour le directeur du cabinet du ministre du Commerce, 19 mai 1978.
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[64]
Ibid., lettre du préfet de la Loire, Georges Badault, au ministre du Commerce et de l’Artisanat, 23 avril 1979.
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[65]
Journal officiel, question orale de Pascal Clément à Jacques Barrot, ministre du Commerce et de l’Artisanat, Assemblée nationale, 11 avril 1979, p. 2530.
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[66]
AN, 19910018/1, schéma de communication de Jacques Barrot, ministre du Commerce et de l’Artisanat, rédigé par Dominique de Gramont, Conseil des ministres, 4 juillet 1979.
-
[67]
Ibid.
-
[68]
AN, 19910018/1, note manuscrite de Dominique de Gramont sur le bordereau de transmission du schéma de communication à la DCI, 6 juillet 1979.
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[69]
« L’ouverture des magasins le dimanche. Une réunion des parties intéressées au ministère du Commerce », Le Monde, 14 septembre 1979.
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[70]
Voir tableaux 1 et 2 en annexe.
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[71]
AN, 19910018/1, compte rendu de la réunion entre Maurice Charretier et les représentants des centrales syndicales et des associations nationales de consommateurs, 13 septembre 1979.
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[72]
Voir M.-E. Chessel, « Catholiques militants et réforme de la consommation en France au XXe siècle. De la Ligue sociale d’acheteurs à l’Union féminine civique et sociale », Le Mouvement social, n° 250, 2015, p. 9-28.
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[73]
AN, 19910018/1, compte rendu de la réunion entre Maurice Charretier et les représentants des organisations professionnelles du commerce, 13 septembre 1979.
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[74]
Voir S. Guillaume, « Un syndicalisme des classes moyennes. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 37, 1993, p. 105-114.
-
[75]
Ibid., déclaration de la Fédération commerce-distribution-service de la CGT au ministre du Commerce, 13 septembre 1979.
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[76]
« Action syndicale contre l’ouverture des magasins le dimanche », Le Figaro, 14 septembre 1979.
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[77]
Journal officiel, question orale de Gisèle Moreau à Robert Boulin, ministre du Travail, Assemblée nationale, 3 octobre 1979, p. 7721. Cf. H. Bonin, B. Lachaise et C.-L. Robin (dir.), Robert Boulin. Itinéraires d’un gaulliste (Libourne, Paris), Bruxelles, PIE Peter Lang, 2011.
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[78]
Ina.fr, TF1 Actualités 13h, « Interview de Maurice Charretier : commerces le dimanche », 17 septembre 1979.
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[79]
Ina.fr, Journal Antenne 2, « Magasins ouverts le dimanche », 12 août 1979.
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[80]
Ina.fr, Journal télévisé FR3 Nord-Pas-de-Calais, « Ouverture des magasins le dimanche », 3 octobre 1979 ; Journal télévisé FR3 Picardie, « Ouverture des magasins le dimanche : réactions », 12 septembre 1979 ; Journal télévisé FR3 Franche-Comté, « Ouverture des magasins le dimanche à Besançon », 18 septembre 1979.
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[81]
Entretien avec Jean-Paul Olivier, conseiller technique au cabinet du ministère du Commerce de 1981 à 1984, réalisé le 11 mars 2015, 1 h 58 min.
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[82]
AN, 19860575/16, fonds du cabinet de Michel Crépeau (radical de gauche), ministre du Commerce et de l’Artisanat en 1983 et 1984, audience Jacques Dermagne, président du Conseil national du commerce (confédération qui rassemble plus de cent fédérations du commerce), notes, dossiers et coupures de presse, 13 avril 1983.
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[83]
P. Fridenson et B. Reynaud (dir.), La France et le temps de travail (1814-2004), Paris, Odile Jacob, 2004.
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[84]
Voir notamment N. Eber, Le dilemme du prisonnier, Paris, La Découverte, 2006.
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[85]
Ph. Moati et L. Pouquet, « L’ouverture des commerces le dimanche : opinions des Français, simulation des effets », Cahier de recherche du Credoc, n° 246, 2008.