Notes
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[*]
Ingénieur de recherche au CNRS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle.
-
[1]
C’est nous qui soulignons. Journal officiel de la République française [JORF] du 20 juillet 1960 et Journal officiel de la République malgache [JORM] du 9 juillet 1960. Nous remercions de leur aide et des encouragements qu’elles nous ont prodigués Irène Rabenoro, professeur et ambassadeur de Madagascar auprès de l’UNESCO, Françoise Raison-Jourde, professeur émérite à l’université Paris-7, Faranirina Rajaonah, professeur à l’université Paris-7, et Lucile Rabearimanana, professeur à l’université d’Antananarivo. Nous remercions d’avoir accepté un entretien : Irène Rabenoro, ancienne manifestante de mai 1972 et fille de Césaire Rabenoro, ministre de la Santé de l’époque, Gabriel Rantoandro, professeur à l’université d’Antananarivo, Alain Plantey, ambassadeur de France, Willy Razafinjatovo dit Olala, Olivier D’Hont, professeur à l’université Paris-1, qui était en 1972 lycéen à l’école du Sacré-Cœur de Tananarive.
-
[2]
À propos des événements de 1972 à Madagascar, on trouve diverses terminologies : « Le Mai malgache », en particulier chez les auteurs français, les « événements du 13 Mai », les « événements de mai 1972 », « 72 » et même « les soixante-douzards ». Nous croyons légitime d’employer le terme de révolution, dans la mesure où les manifestants renversent le régime de Philibert Tsiranana. Celui-ci reste provisoirement président, mais sans plus jouer aucun rôle.
-
[3]
Le PSD, Parti social-démocrate malgache, est celui du président Tsiranana. Il a pris la suite du PADESM, Parti des déshérités de Madagascar, essentiellement composé de côtiers et qui s’est révélé, en particulier en 1947, le meilleur allié de l’occupant. Sur le PADESM, voir : R. Delval, « L’histoire du PADESM ou quelques faits oubliés de l’histoire de Madagascar » in : Ch.-R. Ageron (dir.), Les chemins de la décolonisation de l’empire français, 1936-1956, Paris, CNRS, 1986, p. 275-288. Le PSD occupe depuis les débuts de la République malgache tous les postes administratifs et de pouvoir. On peut parler sans exagération, à propos de Madagascar, d’État-Parti.
-
[4]
Les accords portant transfert à la République malgache des compétences de la Communauté ont été paraphés le 2 avril 1960 et ratifiés par le Parlement français le 17, par le Parlement malgache le 15. Le 26 juin, l’indépendance était proclamée à Tananarive et le 27 étaient signés les accords de coopération. Ils sont publiés au Journal officiel de la République française [JORF] du 20 juillet 1960, et au Journal officiel de la République malgache [JORM] du 9 juillet 1960.
-
[5]
Pour un tableau général des accords de coopération sur l’ensemble de l’ancien empire, voir : J.-A. Basso, « Les accords de coopération entre la France et les États africains francophones : leurs conséquences au regard des indépendances africaines », in : Ch.-R. Ageron et M. Michel (dir.), L’Afrique noire française : l’heure des indépendances, Paris, CNRS, 1992, p. 255-284. Sur les accords signés avec Madagascar, voir : Ph. Leymarie, « Les accords de coopération franco-malgaches ; l’accord de coopération financière, économique et monétaire » et Anonyme, « Le poids de l’assistance technique », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, juin 1972, p. 55-70.
-
[6]
Convention d’établissement entre la République française et la République malgache, JORF, op.cit.
-
[7]
« Les Français établis à l’étranger », Notes et études documentaires (La Documentation française), 28 mars 1973 ; G. Althabe, « Tananarive en 1972 », Cahiers d’études africaines, 80, XX-4, repris dans G. Althabe, Anthropologie politique d’une décolonisation, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 157.
-
[8]
Les chiffres de la Documentation française ne semblent pas tenir compte de la communauté comorienne. Gérard Althabe donne celui de 43 500 : ibid. Dans les archives de l’ambassade de France, on trouve le chiffre de 55 000 : Centre des archives diplomatiques de Nantes (désormais noté CADN), carton 136, M.1.3.
-
[9]
Article 1er de l’accord de coopération en matière de politique étrangère : « Le Président de la République française, Président de la Communauté, accrédite auprès du Président de la République malgache un haut représentant qui a rang et prérogatives d’ambassadeur et qualité de représentant spécial auprès du Président de la Communauté. Il est réservé à ce haut représentant une place privilégiée parmi les envoyés diplomatiques accrédités à Paris », JORF, 20 juillet 1960, p. 6608.
-
[10]
Les postes consulaires sont définis par les accords de coopération. Il s’agit de Diégo-Suarez, Fianarantsoa, Majunga, Tamatave, Tananarive, Tuléar.
-
[11]
À Madagascar, l’opposition entre la capitale et la province est beaucoup moins déterminante que l’opposition entre les hauts plateaux et les côtes, qui, déjà présente avant la colonisation, a été largement entretenue par l’occupant pour en faire un instrument de pouvoir, favorisant les côtiers pour contrer le nationalisme des hauts plateaux.
-
[12]
Sur l’enseignement en AOF, voir J. Cappelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances (1946-1958), Paris, Karthala, 1990 ; H. Gamble, « La crise de l’enseignement en Afrique occidentale française (1944-1950) », in : P. Barthélemy, E. Picard et R. Rogers (dir.), L’enseignement dans l’Empire colonial français (XIXe-XXe siècles), Histoire de l’éducation, 128, oct.-déc. 2010, p. 129-162.
-
[13]
On pense bien sûr au suicide du grand poète de langue française Rabearivelo, attribué au poids trop lourd sur sa conscience de l’usage de la langue et de la culture françaises, qu’il considérait comme une trahison.
-
[14]
I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache pendant les événements de mai 1972, thèse d’État en linguistique, sous la dir. de R. Arnaud et M. Tournier, université Paris-7, 1995.
-
[15]
J. Fishman, « The Relationship between micro-and macro-sociolinguistics in the study of who speaks what language to whom and when » [1968], in : Langage in Sociocultural Change. Essays by Joshuah A. Fishman, Stanford, Stanford University Press, 1972, p. 244-267.
-
[16]
Anonyme, « Trois jours qui ébranlèrent Madagascar [Informations recueillies sur place par le G.I.M.O.I] », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, juin 1972, p. 44-50.
-
[17]
Les Archives nationales malgaches d’Antananarivo (désormais notées ANM) permettent une vue très complète des événements sur l’ensemble du pays.
-
[18]
CADN, cartons 128, 135 et 136 : ces documents offrent des rapports très complets sur les événements, y compris en province, et permettent d’établir une chronologie très détaillée. On y trouve d’ailleurs un éphéméride, au jour le jour et heure par heure. Il existe également dans le fonds Foccart des Archives nationales des dossiers sur Madagascar, que je n’ai malheureusement pas eu l’autorisation de consulter.
-
[19]
En particulier, l’hebdomadaire catholique Lumière qui tient une chronique très détaillée des événements. Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines propose un dossier très complet sur Madagascar, avec une chronologie des « Trois jours qui ébranlèrent Madagascar ». Il est indispensable de lire les analyses de G. Althabe : « Les luttes sociales à Tananarive en 1972 », art. cité, ou celles de D. Galibert, « Mai 72 : la deuxième indépendance malgache », in : Y. Combeau (dir), La Réunion – Madagascar, 1942-1972 : départementalisation et indépendance, Paris ; Saint-Denis, Sedes – université de la Réunion, 2003. On peut consulter aussi : G. Roy, Contribution à l’histoire des indépendances malgaches, 1959-1960 et 1972, Paris, Orstom, « Études malgaches », cahier III, 1987. Gérard Roy est le chercheur de l’ORSTOM qui a été impliqué dans le complot maoïste d’Antsirabe (voir infra). Faute de lire le malgache, je n’ai pas pu consulter : Rémi Rahajarizafy, Mey 1972, Antananarivo, Librairie mixte, 1982.
-
[20]
Au sujet de l’enseignement à Madagascar, on consultera le livre très complet d’A.-M. Goguel, Aux origines du mai malgache : désirs d’école et compétition sociale 1951-1972, Paris, Karthala, 2006. Sur l’enseignement au moment des événements, on peut consulter : J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, novembre 1971, p. 53-79.
-
[21]
Circulaire du 5 octobre 1896, citée par J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur… », art. cité.
-
[22]
Pierre, fer, section.
-
[23]
ANM, fonds Présidence.
-
[24]
Les archives malgaches font état d’un durcissement des conditions des examens à la suite du « décret Boulin » ; il s’agit probablement de l’arrêté Guichard-Boulin du 30 septembre 1969 qui introduit une sélection renforcée dans les études de médecine.
-
[25]
Ibid.
-
[26]
Le décret a été rédigé dès le 19 mars, mais la décision n’est annoncée que le 19 avril.
-
[27]
Ce chiffre, donné avec précaution par Irène Rabenoro, est néanmoins sujet à caution.
-
[28]
G. A[lthabe], « La crise scolaire : un détonateur », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, juin 1972, p. 51-54.
-
[29]
On ne peut aborder la question scolaire à Madagascar sans souligner le rôle considérable joué par les missions – d’abord protestantes puis catholiques – dès avant la colonisation. Les premières écoles ont été ouvertes en 1820 par les missionnaires de la London Missionary Society, avec l’accord du royaume merina. La connivence entre les autorités royales et les missionnaires, interrompue durant le règne xénophobe de la reine Ranavalona I, est renforcée avec la conversion au protestantisme de Ranavalona II en 1869. Les écoles des missionnaires protestants, contrairement à celles des catholiques, délivraient un enseignement en malgache.
-
[30]
G. A[lthabe], « La crise scolaire : un détonateur », art. cité ; J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité ; A.-M. Goguel, Aux origines du mai malgache…, op.cit. Le collège d’enseignement général (ou CEG) était une filière d’enseignement scolaire en France, de l’entrée en vigueur de la réforme Jean Berthoin en 1960 à 1977 avec la mise en application de la loi Haby de 1975. Le brevet d’études du premier cycle du second degré (BEPC) devient alors le brevet d’enseignement général, mais reste communément appelé BEPC.
-
[31]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes dans les manifestations de rue à Tananarive en 1972, mémoire de maîtrise d’histoire, université d’Antananarivo, 2004, p. 89.
-
[32]
Les principales options de ce qui aurait dû être le Deuxième plan sont définies en 1971. Voir A.-M. Goguel, Aux origines du mai malgache…, op.cit.
-
[33]
Le vice-premier ministre Calvin Tsiebo annonce à la radio que ce concours n’aura pas lieu. Lumière, dimanche 21 mai 1972, n°1878. Il y avait eu une grève des élèves de troisième contre ce concours, perçu comme un filtre supplémentaire à l’entrée en classe de seconde.
-
[34]
J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art.cité.
-
[35]
Accord de coopération en matière d’enseignement supérieur entre la République française et la République malgache, JORF, 20 juillet 1960.
-
[36]
JORM, 23 juillet 1960. La convention annexe est publiée au JORM et pas au JORF. Elle a été signée le 22 juillet 1959.
-
[37]
JORM, 23 juillet 1960, cité par A.-M. Goguel, Aux origines du mai malgache…, op.cit., p. 158.
-
[38]
Ibid., p. 159.
-
[39]
Loi d’orientation de novembre 1968, qui institue notamment la participation à la gestion de tous les acteurs.
-
[40]
J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité, p. 66.
-
[41]
Loc. cit.
-
[42]
ANM, fonds Présidence.
-
[43]
J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité.
-
[44]
Données Ac’ADoc : http://www.infocentre.education.fr/acadoc.
-
[45]
Chiffre pour 1969, donné par J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité.
-
[46]
ANM, fonds Présidence. D’après Françoise Raison-Jourde, il s’agirait de Rakotondrafara et de Rakotomavo.
-
[47]
Voir, entre autres, à propos de la grève de 1971 : F. Raison-Jourde, « Être collégien malgache et oser manifester. Initiation à l’héritage occidental et invention locale dans l’occupation de l’espace urbain et la prise de parole en province (1971-1972) », communication au colloque « Multiculturalisme, échanges et métissages culturels dans les villes de l’Océan indien occidental », université Paris-7, 13-15 novembre 2008 (à paraître). Nous remercions Françoise Raison-Jourde de nous avoir communiqué ce texte avant parution.
-
[48]
ANM, fonds Présidence.
-
[49]
CADN, carton 136, série M.1.3 : affaires politiques, tracts du 13 mai au 30 juin 1972.
-
[50]
Andry Pilier a été fondé en février 1969. D’abord bilingue, il abandonne le français et devient de facto un laboratoire pour l’introduction du vocabulaire marxiste en malgache. À partir du 1er août 1972, il devient le journal des Zoam. Cf. I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit.
-
[51]
« Michou vavy » s’appelle en fait Michou Ravololonarisoa et « Michou lahy », Michou le garçon, désigne Michel Rambelo.
-
[52]
Entretien avec Irène Rabenoro, Paris, 15 février 2010.
-
[53]
Le MFM est fondé en décembre, dans la continuité directe des événements. Il prône la suppression des classes et combat pour l’avènement d’un État dirigé par le prolétariat. Voir : http://nah296.free.fr/.
-
[54]
I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit.
-
[55]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes dans les manifestations de rue à Tananarive en 1972, mémoire de maîtrise, département d’histoire, université d’Antananarivo, 2004. Lucile Rabearimanana a eu la gentillesse de me communiquer ce mémoire comme elle a eu également la gentillesse de m’accorder un entretien (Antananarivo, août 2009).
-
[56]
Ibid. Nous ne produisons ici que la traduction de slogans qui, la plupart du temps, sont prononcés en malgache, cette langue dont on va jusqu’à réprimer l’usage dans les cours d’école.
-
[57]
CADN, carton 136, série M.1.3 : affaires politiques.
-
[58]
Ce groupe est l’objet du film de C. Paes et R. Rajoanarivelo, Mahaleo, Paris, Laterit productions, 2007. Sur les chansons, voir : J.-C. Rabeherifara et F. Raison-Jourde, « Identité, contestation et métissage : la chanson malgache dans les années 1970-1980 », in : M. Chastenet et J.-P. Chrétien (dir.), Entre la parole et l’écrit : contributions à l’histoire de l’Afrique en hommage à Claude-Hélène Perrot, Paris, Karthala, 2008, p. 173-204.
-
[59]
Les leaders de ce mouvement nationaliste, fondé en 1946, ont été accusés d’avoir fomenté l’insurrection de 1947. L’AKFM en est l’héritière.
-
[60]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit.
-
[61]
I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit., p. 695.
-
[62]
Cités et traduits par I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit. Cette dernière fait dans sa thèse une remarquable analyse lexicographique du corpus des tracts.
-
[63]
I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit., p. 549-550.
-
[64]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 102.
-
[65]
ANM, fonds Présidence.
-
[66]
Entretien avec Willy Olala, Antananarivo, 12 août 2009. Ces formes de subversion des mots, de dérision et d’auto-ironie sont courantes durant le mouvement de 1972.
-
[67]
Idem.
-
[68]
Idem.
-
[69]
Entretien avec Irène Rabenoro.
-
[70]
CADN, carton 136, rapports des consuls. Voir infra la carte, p. 87.
-
[71]
Idem, rapport du consul de France à Tuléar du 6 juin 1972.
-
[72]
Idem, rapport du consul de Tamatave.
-
[73]
Idem, rapport du consul de France à Fianarantsoa du 19 mai 1972 n°1223/c et rapport du consul de France à Majunga du 23 mai 1972, 53/CONF. D4/4. La prière à la mosquée a lieu en hommage à la mort de trois Comoriens qui sont alors, rappelons-le, de nationalité française.
-
[74]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 85.
-
[75]
Son président est alors le pasteur Richard Andriamanjato. L’AKFM n’a réellement une existence qu’à Tananarive, où le parti a la majorité au conseil municipal. Cette position de l’AKFM à la mairie de la capitale est un peu l’alibi d’un État qui se veut pluraliste.
-
[76]
Le Monima est un parti nationaliste, marxiste, à l’idéologie teintée de maoïsme et porteur du rêve d’une alliance entre les intellectuels et les campagnes. Il a été considéré comme l’instigateur de la révolte du Sud en avril 1971 après laquelle il a été interdit. Cf. F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar : de Monja Jona à Ratsimandrava (1960-1975), Paris, Karthala, 2010.
-
[77]
J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité.
-
[78]
Cf. la lettre adressée par « un groupe d’enseignants » aux autorités compétentes, où il est fait appel à la mémoire de De Gaulle : « Le geste magnanime du Général de Gaulle mérite d’être évoqué. A-t-il eu peur de prendre la décision d’émanciper les peuples d’Afrique, de Madagascar et d’Algérie malgré les bombes plastiques [sic], les hostilités de l’OAS ? Non ! Il a pris sa responsabilité ; plein de gloire, il meurt adoré de tous, pleuré par ses ennemis mêmes. Voilà ce que les Malagasy souhaitent voir en leurs Président, vice-président et ministres de ce 3e septennat… ». ANM, fonds Présidence.
-
[79]
Le SECES avait tenu du 12 au 15 février 1972 un séminaire intitulé « Malgachisation et démocratisation de l’université ».
-
[80]
Voir aussi à ce sujet : I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit.
-
[81]
Il faudrait consacrer une étude en soi aux Zoam dans le mouvement. D’après Françoise Raison-Jourde, le lien a été fait avec eux essentiellement par Germain Rakotoniraniny, qui avait de multiples contacts.
-
[82]
Entretien avec Alain Plantey, Paris, 27 mai 2010.
-
[83]
Ph. Tsiranana, Boky Manga – Le Cahier bleu : Fisainana, fahatsiarovana – Pensées, souvenirs, Tananarive, Impr. nationale, 1971.
-
[84]
F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar…, op. cit., chapitre 10.
-
[85]
A. Saura, Philibert Tsiranana, 1910-1978 : premier président de la République de Madagascar, Paris, L’Harmattan, 2006, 2 vol.
-
[86]
Article 2 : « La République française coopère avec la République malgache pour assurer à Madagascar un enseignement supérieur égal en qualité à celui des universités et établissements supérieurs français », JORF, 20 juillet 1960.
-
[87]
La révolte du Sud est une révolte essentiellement paysanne, sous l’impulsion du parti Monima : cf. F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar…, op. cit., et G. Althabe, « Les manifestations paysannes d’avril 1971 », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, juin 1972, p. 71-77.
-
[88]
CADN, carton 135, série M.1.3 : rébellion dans le Sud de Madagascar, déclaration du Comité de solidarité de Madagascar. Idem, 29 avril 1971, rapport du consul de France à Tuléar, PL-Dt n°20402. Les rapports du consul font état de 523 internements à Nosy Lava ainsi que de la férocité d’une répression où les autorités locales outrepassent les ordres. De nombreux témoignages sur ce thème ont paru dans le journal Lumière.
-
[89]
Forces de sécurité créées sur le modèle des CRS français par l’ancien ministre de l’Intérieur André Resampa.
-
[90]
D’après Alain Plantey.
-
[91]
On en trouve une liste dans les archives de l’ambassade de France, CADN, carton 136 : « Extrait de Sahy (indépendant) : R.P. Rémy Ralibera, R.P. Emmanuel Razafindrazendra, docteur Rasamoely Lala, docteur Manan’ Ignace, docteur Ratzaraza Janvier, MM. Rafenoarison Odon, Razamizannany Georges, Rabetaliana, Randrainatoro Charles (directeur du cabinet du ministre Ramalanjoana et Psdt du syndicat FMM [?], lequel ne soutient même pas la grève étudiante, chauffeur du docteur Radriamanja qui était en compagnie du Père Razafindrazendra [….], des parents d’élèves et d’étudiants ».
-
[92]
ANM, fonds Présidence.
-
[93]
CADN, carton 128 : lignes générales, rapport du général Bocchino.
-
[94]
Sur l’île, ils semblent avoir été bien accueillis par une population qui leur fait une sorte de haie d’honneur et leur apportera de quoi manger. Mais le pénitencier est trop petit et les détenus dormiront sur la plage. Willy Olala estime à 30% le nombre de filles parmi les internés et se souvient curieusement que la population leur donnaient des serviettes hygiéniques pour leur venir en aide. Entretien avec Willy Olala.
-
[95]
Tract signé du SNIPUMA (Ratsimba), du Sempa (Andriamanisa), du SECES (Ignace R. secrétaire général), de la FAEM (Jérôme R, secrétaire général) et de l’AEOM (Ranaivosoa, correspondant). Par deux fois déjà les parents d’élèves soutenant la grève se sont réunis à Ankatsoa.
-
[96]
Ce chiffre est évidemment très approximatif, mais on le trouve dans plusieurs textes écrits au moment des faits.
-
[97]
Cité dans : F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 128.
-
[98]
Cf. Anonyme, « La grève des étudiants vue par la presse malgache », Lumière, dimanche 21 mai 1972, p. 8.
-
[99]
Sur les événements de cette journée, voir : Anonyme, « Trois jours qui ébranlèrent Madagascar », art. cité. Les archives de l’ambassade de France et celles conservées à Antananarivo confirment cet éphéméride. On trouve le texte du discours dans CADN, carton 136, AG/BIET.
-
[100]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 141.
-
[101]
Loc. cit.
-
[102]
« Trois jours qui ébranlèrent Madagascar », art. cité.
-
[103]
CADN, carton 136, série M.1.3 : rapport du consul de France à Majunga [Théodore Hermellin], 24 mai 1972, n°55/CONF D4/4.
-
[104]
CADN, carton 136, rapport de Pierre Vors, consul de France à Tamatave, du 23 mai 1972, n°74/AMB/AG/cf.
-
[105]
CADN, carton 128 : mai 1972, lignes générales. Quelques pages retracent l’histoire des pressions françaises sur Tsiranana.
-
[106]
ANM, fonds Présidence.
-
[107]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 130.
-
[108]
CADN, carton 136, série M1.3 : lignes générales, rapport du consul de France à Majunga du 26 mai 1972, N°58 CONF D4/4.
-
[109]
G. Althabe, « Les manifestations paysannes d’avril 1971 », art. cité.
-
[110]
F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar…, op. cit.
-
[111]
Entretien avec Irène Rabenoro, Paris, 15 février 2010.
-
[112]
F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar…, op. cit.
-
[113]
Entretien avec Françoise Raison-Jourde et Olivier D’Hont, Paris, 11 mai 2010.
-
[114]
Irène Rabenoro raconte que ses frères et sœurs, étudiants à Paris, membres de l’AEOM, lui envoyaient des textes alors qu’elle-même était inscrite au lycée Galliéni de Tananarive. Entretien avec Irène Rabenoro.
-
[115]
On trouve par exemple dans Tricontinental une analyse très approfondie des événements de 1971 : « Que se passe-t-il à Madagascar », Tricontinental, 1971, p. 65-98.
-
[116]
Entretien avec Olivier D’Hont. Z, réalisé en 1969 par Costa-Gavras.
-
[117]
Du moins en 1971. Citée par F. Raison-Jourde, « Être collégien malgache et oser. Initiation à l’héritage occidental et invention locale dans l’occupation de l’espace urbain et la prise de parole en province (1971-1971) », à paraître. Françoise Raison cite aussi dans cet article des revendications portant sur le droit à la mini-jupe pour les filles et aux cheveux longs pour les garçons.
-
[118]
Le 4 juin 1973 est signé entre la France et Madagascar un accord général, publié au JORF du 30 juillet 1975, suivi de neuf conventions ou échanges de lettres. La renégociation des accords de coopération n’a pas concerné la seule Madagascar, mais l’ensemble des pays qui y étaient soumis.
-
[119]
Entretien avec Olivier D’Hont.
-
[120]
CADN, carton 136, rapport du consul de France à Fianarantsoa du 29 mai 1972.
-
[121]
Lumière, dimanche 7 mai 1972.
-
[122]
CADN, carton 135, série M.1.3 : révolte du Sud, divers.
-
[123]
Accords de défense entre la République malgache et la République française, JORF, 20 juillet 1960. Voir aussi : Ph. Leymarie, « Les accords de coopération franco-malgaches », art. cité.
-
[124]
Il y a aussi quelques instructeurs israéliens.
-
[125]
ANM, fonds Ramanantsoa, biographie du général Ramanantsoa.
-
[126]
CADN, carton 135, série M.1.3 : affaires politiques, rébellion dans le Sud de Madagascar. Selon un télégramme signé Alain Plantey du 14 avril 1971 : « Le Président Tsiranana avait fait appel à une aide logistique française. Les prestations accordées ont été limitées à 6 vols d’avion de transport Nord 2501 entre Tananarive et Tuléar et Fort Dauphin. En outre les officiers de l’assistance militaire technique placés auprès des états-majors et du Bureau Défense de la province de Tuléar ont apporté une aide discrète et efficace ayant permis aux autorités administratives et locales de mener à bien les missions de rétablissement de l’ordre. À aucun moment, la participation des troupes françaises en intervention directe n’a été demandée ni même envisagée. »
-
[127]
Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1995, p. 178-179.
-
[128]
CADN, carton 128.
-
[129]
CADN, carton 128 : conseiller militaire. Rapport sur l’intervention du conseiller auprès du général Bocchino, le 25 mai 1972.
-
[130]
CADN, carton 128 : rapport du général Bocchino à l’ambassadeur.
-
[131]
CADN, carton 128 : mai 1972, lignes générales.
-
[132]
Entretien avec Alain Plantey.
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[133]
Pour une chronologie du Mai sénégalais, on peut consulter : A. Bathily, Mai 68 à Dakar ou la révolte universitaire et la démocratie, Paris, Chaka, 1992 ; I. Thioub, « Le mouvement étudiant de Dakar et la vie politique sénégalaise : la marche vers la crise de mai-juin 1968 », in : Les jeunes en Afrique, vol. 2, La politique de la ville, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 267-281 et A. Bathily, « Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj : le mouvement étudiant sénégalais, des origines à 1989 », ibid., p. 282-310. Les archives de l’ambassade de France, conservées au Centre des archives diplomatiques de Nantes, permettent aussi de reconstituer les événements dans le détail : CADN, carton 673. Les synthèses diplomatiques du fonds Foccart sont également intéressantes. Pour une comparaison plus détaillée entre les deux Mai, on peut se référer à F. Blum, « ‘Mai’ africain et malgache : transferts et jeux d’échelle (Dakar, mai-juin 1968, Madagascar, mai 1972) », communication au colloque « Lutter dans les Afrique », Paris, Sorbonne, janvier 2010.
-
[134]
Le 18 mai a lieu une grève d’avertissement à Dakar. Le 27 commence la grève générale et le débauchage des lycées.
-
[135]
L’Accord en matière d’enseignement supérieur entre la France et le Sénégal date du 5 août 1961 ; l’Institut des hautes études de Dakar est devenu université en 1957.
-
[136]
Sur l’insurrection de 1947, voir entre autres : J. Tronchon, L’insurrection malgache de 1947 : essai d’interprétation historique, Paris, Maspero, 1974, rééd. Karthala, 1986 ; L. Rabearimanana, J. Fremigacci, et C. Razafimbelo (dir.), L’insurrection de 1947 et la décolonisation à Madagascar, t. 1, À travers les régions et « là où il ne s’est rien passé », Antananarivo, Tsipika, 2008.
Considérant qu’aux termes de la déclaration commune en date du 26 juin 1960, la République malgache a accédé à l’indépendance et que la République française l’a reconnue en tant qu’État indépendant et souverain,
Considérant que la République malgache manifeste la volonté de coopérer avec la République française au sein de la Communauté [...],
Considérant que, concurremment avec la langue malgache, la langue française et l’enseignement d’inspiration française sont pour le peuple malgache l’instrument historique de sa promotion moderne et de son développement culturel, politique, économique et social,
Considérant qu’en inscrivant le bilinguisme dans sa Constitution, le peuple malgache a entendu à la fois développer ses traditions et sa langue et resserrer les liens moraux et spirituels qui l’unissent à l’ensemble des nations d’expression française
Sont convenus ce qui suit...
2En mai 1972, douze ans après l’indépendance du 26 juin 1960, Madagascar a vécu une révolution [2]. Ses acteurs contestent la réalité de la rupture avec la France, récusent la pertinence de sa commémoration et demandent une autre indépendance, cette fois réelle, débarrassée du poids écrasant de l’ancienne puissance coloniale. Les événements qui se déroulent alors dans la Grande Île conduisent à ce que l’on a pu appeler la Deuxième indépendance malgache.
3Les manifestants font tomber un régime, l’État PSD compromis par sa collaboration avec l’ancienne métropole [3]. Ils obtiennent la révision des accords de coopération avec la France, ratifiés le 27 juin 1960, un jour seulement après l’indépendance [4]. Ces accords, généralisés entre la France et ses anciennes colonies, s’élevaient au nombre de onze pour Madagascar [5]. La convention d’établissement et les accords portant sur l’économie et les finances, la politique étrangère, la défense et l’enseignement empiètent singulièrement sur la souveraineté de la nation. Ils garantissent aux ressortissants des deux pays la possibilité d’occuper tout poste dans la fonction publique et d’ouvrir commerces et entreprises au même titre que les nationaux. Ils garantissent aux ressortissants des deux pays, et, de fait, aux Français à Madagascar, la possibilité d’occuper tout poste dans la fonction publique et d’ouvrir des commerces et des entreprises au même titre que les nationaux. Ils impliquent la présence d’assistants techniques à tous les échelons du pouvoir, qui occupent la plupart des postes clés [6]. Le nombre des ressortissants français s’élève en 1972 à 47 728 personnes [7], sans compter environ 40 000 Comoriens [8]. Notons également la forte présence de la représentation diplomatique française et de l’ambassadeur Alain Gilles Plantey, proche de Jacques Foccart et ancien conseiller technique au ministère de la France d’Outre-mer puis à la présidence de la Communauté [9]. La France dispose en outre d’un service de renseignements fondé sur un dense réseau consulaire [10]. Les manifestants obtiennent également l’accélération de la malgachisation, c’est-à-dire l’usage de la langue malgache en lieu et place de la langue française et le remplacement des cadres français par des Malgaches.
4Nous essaierons dans cet article d’analyser un mouvement social qui fut à la fois scolaire, étudiant et travailleur, mais très marginalement paysan, anti-impérialiste ou nationaliste. Ce mouvement concerna toute l’Île, capitale et province, hautes terres centrales et régions côtières [11]. Au cœur de la révolte de mai 1972, il y a les questions de l’enseignement, de la scolarisation et, partant, de la formation des élites de l’Indépendance. L’enjeu d’un enseignement à construire à partir du legs colonial ou contre lui touche évidemment l’ensemble des territoires de l’ancien empire, mais se pose assez différemment à Madagascar et dans l’ex-Afrique occidentale française [12]. Il y a incontestablement une particularité malgache, liée tant au passé pré-colonial de la Grande Île qu’aux stratégies différenciées de la politique coloniale et, peut-être aussi, à l’extrême éloignement de la métropole. Beaucoup de choses se nouent notamment autour de la question de la langue, centrale à Madagascar, productrice d’identités déchirées, de consciences malheureuses [13] et objet d’une « politisation à outrance » [14]. Différents malgaches cohabitent : le malgache officiel qui est en fait celui parlé en Imerina par les groupes privilégiés (hauts plateaux) et les malgaches des différentes régions de l’Île. Le malgache « commun » reste encore à construire. La jeune République a deux langues officielles : le français et le malgache. La première est, dans les faits, la seule langue de l’enseignement, bien que les accords de coopération reconnaissent le bilinguisme. Cette situation de diglossie, où cohabite une langue « high » (le français ) et une langue « low » (le malgache) [15], peut être jugée préférable par les côtiers à un éventuel usage du malgache officiel comme langue de scolarisation. Un mouvement social peut ainsi être un excellent prisme de lecture d’une situation héritée dont une nation essaye de se déprendre.
5Nous connaissons le film des événements grâce aux témoignages écrits sur le vif [16], aux rapports et documents de la présidence et de la vice-présidence malgaches [17], aux rapports de l’ambassade de France et des consulats présents sur tout le territoire [18], complétés par une étude de la presse [19]. Les ingrédients successifs en sont les suivants : des revendications d’abord corporatistes, une gestion de crise désastreuse par les pouvoirs publics qui, alternativement, laissent pourrir ou répriment vigoureusement, une radicalisation politique du mouvement, une répression disproportionnée accompagnée d’arrestations massives qui entraînent l’entrée des adultes dans l’arène, des journées sanglantes marquant un point de non-retour et la rupture définitive entre le pouvoir et les manifestants, l’appel à l’armée et la prise du pouvoir par cette dernière.
Les raisons d’une grève : le système d’enseignement à Madagascar
6L’extension d’une grève engagée pour des raisons d’ordre matériel n’a été possible que parce que le terreau était propice. Elle a été alimentée par la conscience aigüe d’une perpétuation de l’ordre colonial au sein même du système d’enseignement [20].
Un système scolaire et universitaire marqué par le legs colonial
7Toute la politique scolaire initiée par Gallieni a été fondée sur un principe simple, jamais démenti durant l’ère coloniale : former des auxiliaires et/ou subalternes capables d’épauler les Français, mais non de les égaler. Il s’agissait de « fournir aussitôt que possible des auxiliaires à nos colons pour les entreprises industrielles et commerciales », mais « il y aurait un grave inconvénient à multiplier le nombre des jeunes Malgaches auxquels une instruction étendue et l’acquisition complète de notre langue enlèveraient le goût du labeur, inculqueraient des idées et des aspirations qui ne rendraient pas plus facile l’exercice de notre autorité » [21]. L’enseignement délivré aux métropolitains et aux autochtones ne fut donc pas le même, sauf pour les rares Malgaches citoyens français.
8Le mouvement de contestation décisif débute le 23 janvier 1972 à l’école de médecine de Befelatanana, archétype de cet enseignement colonial à deux vitesses. Befelatanana est une école professionnelle, créée en 1896 pour former les auxiliaires malgaches des médecins français. Elle a été à l’époque coloniale un foyer nationaliste, servant notamment de creuset aux sociétés secrètes, la VVS (Vy Vato Sakelika [22]), démantelée en 1915, et la Jina qui a joué un rôle déterminant dans l’insurrection de 1947. L’entrée s’y fait à la fin de la classe de troisième. L’école forme toujours en 1972 des médecins de deuxième catégorie, d’autant qu’a été ouverte une filière de médecine à l’université dont la dernière année est accomplie en France : en 1971, il y a ainsi 150 étudiants malgaches en médecine dans l’ancienne métropole. Les 210 élèves se mettent en grève pour protester contre de mauvaises conditions matérielles, notamment les conditions d’internat : l’interdiction des visites, la fermeture des portes juste après le repas du soir, les douches qui ne fonctionnent pas, la mauvaise qualité de la nourriture et le retard dans le versement des bourses. Les grévistes se heurtent à une fin de non-recevoir des pouvoirs publics. Néanmoins, respectueux de la vie politique malgache, ils suspendent leur grève pour permettre le bon déroulement des élections présidentielles le 30 janvier, qui se soldent par l’improbable score de 99,74 % en faveur de Philibert Tsiranana. Une fois les élections terminées, l’école se remet en grève sans plus de succès. Les mots d’ordre corporatistes du début du mouvement évoluent vite vers la revendication plus radicale d’une fusion des deux filières de médecine. Les grévistes bénéficient d’un fort capital de sympathie au sein de l’université, dont l’origine est expliquée ainsi par une note confidentielle adressée au ministère des Affaires culturelles le 13 avril 1972 :
Les revendications de Befelatanana se situent dans une ligne générale qui a de très profondes racines dans les milieux intellectuels malgaches, depuis le temps où la création de l’école d’Ankadinandriana promettait de former des docteurs en médecine au titre de Madagascar, continué par les oppositions entre docteurs en médecine malgaches et médecins de colonisation, puis médecins de Befelatanana et docteurs en médecine, d’où un impact important sur l’élite intellectuelle malgache (au moins à Tananarive) qui y retrouve des échos de sa jeunesse [23].
10D’autres inquiétudes, plus ou moins diffuses, troublent les grévistes : les débouchés ne sont pas assurés, les programmes et les examens sont très durs, une conséquence de l’application à Madagascar de l’arrêté Guichard-Boulin du 30 septembre 1969 [24], et l’enseignement de certaines matières, comme la littérature française, est contesté. Et la note de conclure :
Ne pas étudier à fond cette question et sans cesse la repousser, en jouant des vacances et des examens, aboutirait à maintenir un foyer de revendications latéro-universitaires certes mais d’où le feu peut facilement gagner l’université elle-même. [25]
12Le gouvernement n’écoute pas cette Cassandre. Après une période de mutisme, la décision est prise de dissoudre l’Association des étudiants en médecine et pharmacie (AEMP), qui représente les étudiants, et de fermer l’école ; ce qui signifie jeter les internes à la rue [26]. Le ministère conditionne la réouverture à la réinscription individuelle de chaque élève. Les lycées Jules Ferry et Gallieni entrent en grève de solidarité le 24 avril, suivis par l’ensemble des établissements secondaires et universitaires de Tananarive : le 26, la grève est déjà générale. Le 29, les observateurs décomptent 95 établissements en grève et jusqu’à 70 000 grévistes [27].
Un enseignement sélectif et fort peu démocratique
13La grève de solidarité avec Befelatanana s’étend d’autant plus facilement que l’enseignement secondaire, notamment l’entrée en classe de seconde, reste encore un privilège rare. Cette situation génère un profond ressentiment, y compris chez les bénéficiaires du système. En 1972, seulement 50 % des enfants d’âge scolaire entrent dans le primaire et 2,6 % dans le secondaire. Les enfants des écoles rurales n’ont alors pratiquement aucune chance d’y accéder [28]. Ils seraient 100 000 dans le secondaire, dont 50 000 à Tananarive, pour une population globale évaluée à 7 900 000 personnes et composée à 85 % de paysans. Le secondaire est divisé entre public et privé [29]. Mais le premier cycle du secondaire est aussi divisé entre CEG et lycées [30]. Les enfants du privé et des CEG ont peu de chances d’accéder au second cycle des lycées publics car 75 % des places y sont réservées aux élèves ayant eu la chance de faire leur premier cycle dans un lycée. En outre, 600 places sont attribuées d’office aux élèves français [31]. L’entrée au lycée et l’accès au baccalauréat restent donc le privilège d’une élite. Cela signifie pour beaucoup un arrêt brutal de la scolarisation au niveau de la classe de troisième, avec ou sans le BEPC. Pour remédier à cela, le Deuxième plan prévoit d’instaurer un concours d’entrée en seconde dans un but de démocratisation [32]. C’est l’annonce de l’abandon de ce projet de concours qui met le feu aux poudres [33].
La tutelle des accords de coopération
14L’université accueille alors près de 5 000 étudiants [34]. Mise en place via une Fondation de l’enseignement supérieur [35], elle est organisée par un décret du 14 juillet 1961 qui regroupe sous le label « université » les écoles supérieures de sciences, lettres et droit préexistantes. Comme tout ce qui concerne l’enseignement supérieur, elle dépend du septième accord de coopération et de sa Convention annexe sur l’aide et la coopération entre la République française et la République malgache dans le domaine de l’enseignement et de la culture [36]. Celle-ci repose sur deux grands piliers : d’une part, l’aide accordée par la République française à la République malgache, d’autre part, la coopération censément réciproque entre les deux États, mais dans les faits parfaitement inégale. La pièce maîtresse du dispositif est la validité de plein droit des diplômes malgaches sur le territoire de la République française. Cette disposition implique que les diplômes et l’enseignement soient les mêmes. Elle est garantie par le fait que sont confiés à des fonctionnaires « dont la qualification et la nomination sont laissées à l’appréciation de la République française et qui relèvent de son autorité […] l’organisation et la sanction des examens et concours ouvrant droit à l’obtention des diplômes, brevets, titres de qualification en usage dans la République française » [37]. Une mince réserve est introduite par les « considérants » qui précèdent le texte de la convention en ce qui concerne « les études qui pourraient être, le cas échéant, organisées et sanctionnées selon des normes exclusivement malgaches » [38]. Les études de langue et littérature malgaches entrent ainsi par la toute petite porte dans le dispositif de l’enseignement supérieur. L’université malgache est de fait soumise aux réformes faites en France, introduites toutefois avec retard : en 1972, la loi Edgar Faure n’est toujours pas appliquée [39].
15Il n’est pas exagéré d’affirmer que l’université est restée française. On y mène encore des études sur l’abbaye de la Chaise-Dieu ou sur les difficultés du vieux patois de Valenciennes [40]. En 1973, le financement devait en être assuré à un peu moins de la moitié par la France, ce qui correspond déjà à une sensible diminution. Pour un total de 9 763 548 francs (établissements universitaires, bibliothèques universitaires, Centre des œuvres universitaires), le budget prévoit une contribution française de 4 624 074 francs. Sur 250 professeurs, maîtres assistants et assistants, 200 seraient français [41]. Il ne faut pas oublier non plus qu’il y a alors en France des étudiants malgaches. La France accorde 200 bourses, chiffre qui devait être porté à 220 en 1973 [42]. Ils seraient 573 boursiers FAC ou malgaches [43] sur un total de 690 [44]. À l’inverse, on compte 651 étudiants français à l’université de Tananarive [45].
16Le campus d’Ankatso se trouve à Ambohitsaina, à deux kilomètres du centre-ville. Aujourd’hui encore, les locaux, gardent la trace de leur ancienne splendeur. Néanmoins, en 1972, avec l’augmentation du nombre d’étudiants, en raison d’un baccalauréat accordé avec plus de souplesse, les premiers signes de difficulté dans l’encadrement apparaissent, amplifiés par la crainte de voir Tananarive lésée par la mise en place de centres universitaires à Tuléar et Majunga. Les enseignants malgaches, regroupés à 80 % dans le Syndicat des enseignants et chercheurs de l’enseignement supérieur (SECES), ont été intégrés à la fonction publique malgache, ce qui a entraîné une réduction de leur traitement. Leurs collègues français continuent d’être payés directement par l’Éducation nationale de la métropole, sans perte de rémunération. Enfin, l’arrestation en plein campus de deux enseignants malgaches, impliqués dans un prétendu complot maoïste, a soulevé des inquiétudes sur le respect des franchises universitaires [46]. L’université fait grève en mars 1971, ce qui provoque sa fermeture immédiate par les autorités, mais aussi la mise en place d’une commission franco-malgache chargée de réfléchir à une éventuelle réforme. Cette grève de mars 1971 est en quelque sorte la répétition générale du mouvement de 1972 [47].
17Dans un tract de septembre 1971, le Syndicat de l’enseignement secondaire public (SEMPA) analyse la situation en ces termes :
[Le SEMPA] relève :
1°) La faiblesse du taux de scolarisation, inférieur dans la réalité à celui qu’indique le gouvernement
2°) Les inégalités selon les régions et selon les classes sociales
3°) La domination impérialiste qui se traduit sur le plan technique par un corps professoral étranger important – sur le plan administratif par le fait que les postes clefs sont tenus par les Français et en particulier la Direction générale des services académiques – sur le plan idéologique dans l’utilisation de la langue française qui rend plus difficile aux jeunes malgaches toute acquisition de connaissances. [48]
19De leur côté, les élèves dénoncent :
École de l’inégalité
1°) Les enseignants disent
Il faut qu’il y ait un premier et un dernier de la classe.
Il faut qu’il y ait des candidats admis et des candidats recalés aux examens.
2) Pourquoi nous impose-t-on à nous les élèves un tel classement et un tel filtrage ?
L’école est destinée à sélectionner les élèves qui deviendront des employés au lieu de dispenser du savoir.
3) Savez-vous que :
2% des enfants débutants (CP 1) de l’enseignement primaire parviennent à entrer en 6e, classe des débutants de l’enseignement secondaire, dans les établissements publics.
Que 6 % des jeunes malgaches devant poursuivre leurs études parviennent dans l’enseignement secondaire, et c’est à peine si 1 % parvient dans l’enseignement supérieur.
Que 21,8 % des étudiants inscrits pour obtenir la licence à la faculté de droit arrivent à entrer en 4e année.
Que 46 % des étudiants de 1ère année sont admis en seconde année à la Faculté des Sciences (1967-1968).
Que 59 % des étudiants de 1ère année sont admis en deuxième année de la Faculté des lettres (1967-1968).
Où sont-ils allés ceux qui, défavorisés par les écoles, n’ont pas été admis en classe supérieure… ou ont été renvoyés ou n’ont obtenu aucun diplôme…
4) Qui accapare la gestion de l’économie à Madagascar pour que les jeunes qui doivent travailler soient acculés au chômage ?
5) Nous réclamons la dénonciation des accords de coopération, Charte de l’Asservissement, génératrice d’inégalités dans les écoles et de chômage dans la vie [49].
21Tous les ingrédients de la révolte sont en place : legs colonial toujours vivant et prolongé dans les accords de coopération, rapports à l’ancienne métropole, place du français dans l’enseignement, problème de la limite d’âge dans un pays où la scolarité, soumise à de multiples aléas, est bien souvent tardivement commencée, démocratisation de l’enseignement, refus d’une sélection exercée en fonction des diktats du monde du travail et de l’entreprise, inadaptation de cet enseignement, pensé depuis Paris, à la situation économique et sociale malgache, sans oublier le problème des débouchés.
Formes, modes et langage de la grève
22Le mode d’organisation, rapidement mis en place par les grévistes, évoluera peu. Il consiste en un conseil permanent qui regroupe 160 membres, composé de représentants des différents établissements scolaires de la capitale, à raison de deux délégués par établissement. Ce conseil est lui-même divisé en plusieurs instances : l’organe de liaison, chargé de diffuser les tracts et les consignes, le service d’ordre et les services de sécurité et de santé. À ses côtés est mis en place un comité de grève comprenant l’organe chargé de la préparation du matériel, les tracts notamment, baptisé « Comité animation ». C’est au sein de ce Comité animation et d’une Commission « Études » que travaillent les militants qui publient le journal d’opposition Andry Pilier [50]. L’influence stratégique de ce groupe contribue à la politisation et à la radicalisation du mouvement. On y trouve des tribuns charismatiques, comme Willy Razafinjatovo dit Olala, Michou Ravololonarisoa, surnommée « Michou vavy » (Michou la fille), et Michel Rambelo dit « Michou lahy » (Michou le garçon) [51]. À leurs côtés, les idéologues du mouvement jouent un rôle sans doute bien plus important, bien que difficilement mesurable. Selon les souvenirs d’Irène Rabenoro, elle-même très présente et active dans le groupe Ny Andry, ils sont quatre ou cinq théoriciens dont les connaissances et les interventions impriment leur marque [52]. Ce sont les futurs fondateurs du Mpitolona ho amin’ny Fanjakan’ny Madinika (MFM) [53] : Manandafy, Germain Rakotonirainy, qui enseigne alors à l’École nationale de promotion sociale et que l’on retrouvera numéro 2 du MFM, Gérard Rajaonson et Ignace Rakoto. Tous les matins, les grévistes organisent des séminaires sur le campus, pendant lesquels on « planche » sur des questions comme « Pourquoi l’école est-elle inégalitaire ? ». Les réponses collectées sont analysées pour fournir matière à de nouvelles questions. Les théoriciens du mouvement s’y impliquent et modèlent ainsi la contestation avec leurs outils théoriques. Les après-midi sont plus détendus, avec la traditionnelle assemblée générale où on écoute les messages de soutien envoyés de province et les chanteurs venus soutenir le mouvement.
23Dès sa création en 1969, le journal Andry Pilier avait été le véritable laboratoire d’un marxisme malgache et le vecteur d’un important travail sur le vocabulaire. Celui-ci est perpétué et enrichi durant ces journées, temps d’une élaboration linguistique collective et d’une malgachisation des concepts marxistes [54]. En début de grève, les slogans, les interventions publiques, les tracts et les inscriptions sur les banderoles et les pancartes sont écrits ou énoncés en français et en malgache [55]. Mais très vite, ce dernier l’emporte, comme si, en dénonçant l’impérialisme culturel et la domination française, un pays tout entier retrouvait sa propre langue et sa culture, pour ne pas dire sa fierté identitaire. L’inventivité des slogans est indéniable. Ils proposent des variations sur quelques thèmes récurrents :
À bas l’impérialisme culturel
Accords de coopération = obstacle au développement [56]
25Ou encore :
Primaires, secondaires, universitaires
Nous sommes tous des enseignés, donc tous CONCERNÉS
Les étudiants de Befelatanana se sont dressés pour appuyer leurs revendications : la répression a été féroce
Toi qui te lèveras pour présenter tes revendications : tu seras bâillonné ;
Nul ne peut contester les revendications de Befelatanana : elles sont légitimes
Nul ne pourra contester tes revendications : elles sont légitimes
TU N’ES PLUS UN GOSSE : TU SAIS CE QUE TU VEUX
Accepteras-tu qu’on étouffe la justice ?
Comme tu es bébé, le Fanjakana Ray-aman-dreny [l’État « Père et Mère »] ignore délibérément ton droit et ta liberté
PARLE OU CRÈVE
Comité de grève [57]
27Les chansons témoignent de la même inventivité ; un groupe comme Mahaleo, aujourd’hui célèbre, débute lors de ces événements et s’y construit une première notoriété [58]. On chante l’hymne national et celui du Mouvement démocratique de la révolution malgache (MDRM) [59]. Des poèmes circulent, œuvres d’artistes déjà confirmés comme Dox, Rado et Nalisoaravalitera, ou des œuvres improvisées par les jeunes eux-mêmes [60].
28Les tracts, généralement écrits à la machine et ronéotypés, constituent un corpus précieux pour analyser ce qu’on pourrait qualifier d’idéologies du mouvement. « Jamais auparavant – ni après 1972, la langue malgache n’a été utilisée à l’écrit en dehors de tout cadre institutionnel et de manière aussi intense » [61]. On y trouve aussi bien un vocabulaire de type marxiste, des expressions du terroir et des formulations d’une veine plus populiste, l’ensemble étant parsemé de néologismes. La langue malgache se constitue ainsi un nouveau lexique politique qui emprunte à des registres divers et les amalgame en un véritable métissage culturel. Le « petit peuple », plutôt qu’une classe ouvrière très marginale à Madagascar, y est présenté comme l’agent historique dont on vise la libération et l’accession au pouvoir :
Nous, le petit peuple, avons toujours été bâillonnés et dupés de la même manière qu’on bouche l’ouverture d’une tabatière, étant donné l’arrogance du pouvoir despotique actuel des capitalistes.
Les capitalistes étrangers et leurs acolytes gardent les bénéfices pour eux, ils détiennent le monopole et nous, nous nous en tirons sans rien, comme l’indique le proverbe : de même que des blocs de pierre utilisés pour la lessive, le savon est emporté par l’eau et le linge emporté par les gens [62].
30Comme l’analyse Irène Rabenoro, ce petit peuple composé de paysans, de petits travailleurs, de bateleurs et de chômeurs, est construit comme la victime des « amasseurs de richesse », d’un enseignement qui ne permet pas de s’épanouir, des capitalistes français et de leurs valets, etc. [63] Néanmoins, le mouvement de 1972 est moins soudé par l’idéologie, d’ailleurs multivoque, que par une pratique d’action commune sur l’ensemble de l’Île.
Les lieux de la grève
31Le mouvement s’étend à partir de la capitale, Tananarive. Sur le plan topographique, la grève est bicéphale : le campus, où ont lieu tous les jours les assemblées générales, et le cœur de Tananarive, où ont lieu les manifestations. Les rassemblements se tiennent au Jardin Ambohijatovo, littéralement « Colline de l’enfance » et rebaptisée « Jardin de la grève » par les manifestants, les défilés se déroulent avenue de l’Indépendance. C’est ainsi le centre historique de Tananarive qui est occupé et au besoin renommé, de la gare de Soarano jusqu’à la statue de Jeanne d’Arc, en passant par l’Hôtel de ville, l’ambassade de France, le centre culturel français Albert-Camus et l’Hôtel de France. Tout au long de ces journées, la statue de Jeanne d’Arc, éclatant symbole colonial, est déguisée avec une grande étoffe noire et ceinte d’une banderole portant les mots : « Vous avez raison, les enfants » [64].
32Le campus est le lieu de discussions enflammées et d’une occupation qui dure souvent tard dans la nuit, facilitant les relations entre garçons et filles. Ces dernières prennent dès le début une part très active au mouvement et se montrent, aux dires des différents témoignages, tout aussi audacieuses que leurs camarades masculins. Entre le campus et le centre, les manifestants circulent à pied, malgré la distance, mais aussi en voitures individuelles ou en taxis qui se mettent gratuitement à leur disposition, avant d’entrer eux-mêmes en grève à partir du 15 mai. La population leur offre ici et là quelques friandises, faisant preuve à cette occasion d’un esprit d’entraide – fihavanana – bien malgache. Le ministre de la Culture leur donne une excellente occasion d’accroître ce périmètre d’action, en convoquant indifféremment les étudiants, les élèves et les parents au stade d’Alarobia, à 5 kilomètres environ de la capitale, pour une séance de confrontation le 26 avril. Des dizaines de milliers de manifestants défilent jusqu’au lieu de rendez-vous, accompagnés d’un bout à l’autre par des démonstrations de sympathie. Ils portent des pancartes où l’on peut lire, en français et en malgache :
Pas de limite d’âge pour les diplômes ;
Au secours, nous étouffons ;
Enseignement instable et non adapté aux [Mala] Gasy ;
À bas la colonisation culturelle ;
La solidarité jusqu’au bout pour la suppression du pré-bac ;
Il vaut mieux mourir debout ;
Non à la violence ;
Lutte ou crève ;
Révisez les accords de coopération ;
Les droits de l’élève ;
Mort à l’impérialisme culturel ;
Non à la répression, oui à la compréhension ;
Vous nous dites : ne gâchez pas le 1er Mai avec la grève, nous vous disons : ne gâchez pas notre avenir avec vos décisions instables ;
Luttons jusqu’au bout ;
Affrontons dès aujourd’hui les problèmes de demain car qui dort sans prévoyance se réveille sans ressource.
34Et la banderole de tête porte cette inscription : « Où en est la démocratie dans l’enseignement ? » [65]
35La rencontre ne tourne pas à l’avantage du ministre. Il lui est reproché de s’exprimer en français et il se fait siffler alors que les délégués étudiants sont applaudis. Les explications laborieuses tentées par Laurent Bototeky viennent beaucoup trop tard, les grévistes iront « jusqu’au bout » ou « jusqu’à la bout » [66]. Le lendemain du meeting, les premières inscriptions directement hostiles à Tsiranana apparaissent sur les murs de la capitale : « Tsiranana dictateur » ; « Tsiranana capitaliste – 40 villas, 4 châteaux » [67]. La cérémonie du 1er mai est chaque année l’occasion d’une démonstration de force pour le PSD et donne lieu en 1972 à la prestation de serment du président tout juste réélu. Elle se déroule sans incident, mais en l’absence des étudiants et élèves qui boycottent la cérémonie [68].
La province : des hauts plateaux aux régions côtières
36Les grévistes de la capitale ont envoyé des émissaires à travers tout le pays, en voiture, en bus et même en avion où ils bénéficient de places gratuites. Ils font également distribuer des tracts par l’intermédiaire des chauffeurs routiers ou des pilotes d’Air Madagascar [69]. Il y a, chez les activistes de Ny Andry, la volonté consciente de créer une forme d’unité nationale dans la grève, de réduire les possibles antagonismes entre Merina et côtiers en instituant une cohérence de fait via l’unanimité du discours. Incontestablement, cette stratégie est un succès. La grève s’étend bientôt à l’ensemble des villes des hauts plateaux : progressant le long de la route nationale 7, elle gagne Antsirabe, où le PSD échoue à mobiliser les parents contre les grévistes, puis Fianarantsoa, où les élèves des écoles privées débauchent ceux du lycée dès le 28 avril. Toute la région est en grève le 3 mai. Elle gagne ensuite les villes côtières : vers le nord, Tamatave à l’est, Majunga à l’ouest et Diego Suarez ; vers le sud Mananjara, Farafangana et Manakara sur la côte orientale, Tuléar sur la côte ouest, et même la très excentrée Fort-Dauphin [70]. Partout, les formes et les slogans de la grève sont les mêmes. On discute et on convainc en général aisément les parents. Ces derniers se réunissent dans des stades ou sur les places publiques pour apporter leur soutien et défilent avec les jeunes. On greffe sur le mouvement général des revendications locales : protestations contre la sévérité excessive de telle directrice, plainte à l’égard de la discipline. Les internats et dortoirs sont désertés ou, quand ils ne le sont pas, deviennent le lieu de « galantes » rencontres [71]. La grève est active et généralement gaie. À Tamatave, par exemple, de la même manière qu’à Ankatsoa, la matinée est consacrée aux discussions et à la réflexion sur les slogans, l’après-midi aux jeux et aux chansons [72]. Outre l’hymne national, omniprésent, de nouvelles chansons circulent, sont inventées et apprises. Les dérapages sont rares, malgré des arrestations de « meneurs », généralement assez vite relâchés sous la pression de leurs camarades et des parents.
37Ce sont pourtant des troubles en province qui, à partir du 6 mai, redonnent éclat et vigueur au mouvement tananarivien qui menaçait de s’étioler. Des heurts ont lieu à Ambalavao entre la police et les manifestants, suivis de quelques arrestations. La rumeur se répand qu’il y a eu un mort tué par les forces de l’ordre, l’élève Modeste Randrianarisoa. Peu importe que le jeune homme soit en fait mort d’une fièvre pernicieuse, ce que consigne le certificat d’autopsie conservé dans les archives de Tananarive, la nouvelle remobilise. Des marches funèbres sont organisées. C’est la première apparition d’une forme de manifestation qui devient bientôt une composante intégrante de la grève : la cérémonie funéraire, avec son défilé silencieux, ses manifestants vêtus de noir, ses veillées funèbres, ses messes en hommage aux victimes, son culte œcuménique, voire la prière à la mosquée [73].
Les soutiens à la grève
38La grève obtient des soutiens actifs. Dès le début, celui de l’Ordre des médecins, du Syndicat des médecins diplômés de Tananarive (SEDODIA), dont l’influence pèse dans la politisation du mouvement [74], et celui de la Fédération des associations des étudiants de Madagascar (FAEM). L’affiliation à cette dernière est automatique et elle s’est radicalisée pendant la grève de 1971, sous l’influence conjuguée de militants venus de partis d’opposition comme l’Antokon’ny kongresin’ny fahaleovantena (AKFM, parti du Congrès de l’indépendance de Madagascar) [75], de Madasikara otroni’ny Malagasy (Monima, Madagascar porté et pressé entre les bras des Malgaches) [76] et de l’AEOM (Association des étudiants d’origine malgache), qui envoie des militants pour former les étudiants sur la Grande Île [77]. Les enseignants apportent également leur soutien, individuellement [78] ou par l’intermédiaire de leurs principaux syndicats (le SECES [79] pour l’enseignement supérieur, le SEMPA pour le secondaire et le SNIPUMA pour le primaire) qui appellent le 2 mai à suivre le mouvement. Enfin, il ne faut pas oublier les parents d’élèves : des rapports signalent leur participation, notamment celle des mères, dès les débuts de la grève dans les défilés aux côtés des jeunes. Les grévistes organisent des quêtes qui leur rapportent suffisamment pour vivre et pour acheter le matériel nécessaire à la fabrication des tracts, banderoles et pancartes.
39L’originalité du mouvement tient aussi au soutien que lui apportent les jeunes chômeurs de Tananarive avec la participation des ZWAM (Amicale des jeunes Western). Ils se rebaptisent ZOAM (Jeunes sans travail de Tananarive) au cours du mouvement. Ces jeunes d’origine populaire sont bien souvent descendants d’esclaves. Leur nom fait référence aux westerns dont ils sont friands et reflète leur goût pour les codes de langage. L’intervention des Zoam a été préparée par des contacts établis grâce aux « idéologues » du mouvement qui cherchaient l’appui de forces populaires. De mai à octobre 1972, leur langue imprègne le vocabulaire politique et contribue à son renouvellement [80]. Ils disposent de leurs propres comités et servent de troupes de choc au mouvement [81]. Le soutien des syndicats de travailleurs est plus tardif, mais joue un rôle déterminant sans qu’ils soient jamais en tant que tels à l’origine des mobilisations.
Réactions du gouvernement
40Le pouvoir a d’abord joué l’usure. En un second temps, avec la fermeture de l’école de médecine, il choisit la répression. Puis il essaye la concertation au stade d’Alorobia. Ce sont les facettes d’une stratégie peu cohérente et presque toujours en décalage avec la situation. Les deux principaux protagonistes gouvernementaux sont Laurent Bototeky, en charge de la Culture, et Barthélémy Johasy, ministre chargé des Affaires intérieures auprès de la présidence. Le président de la République, Philibert Tsiranana, est absent. Rentré d’une tournée dans le Sud, il part se reposer dans la station balnéaire de Ranomafana jusqu’au 13 mai, malgré l’insistance de son entourage et les pressions de l’ambassade de France. Mais le président est malade, hémiplégique, et il se laisse emporter par de violentes crises de colère [82]. Il s’est fait soigner en France en 1970, où il a rédigé ses Cahiers bleus qui témoignent d’une croyance naïve en sa popularité, illusion renforcée par son score électoral [83]. Celle-ci se double paradoxalement d’une paranoïa qui lui fait voir des complots partout. Elle le conduit à faire arrêter en juin 1971 son successeur désigné et ex-ministre de l’Intérieur, André Resampa, pour conspiration avec les États-Unis, et à démanteler un prétendu réseau maoïste basé à l’ORSTOM [84]. Il voit dans le mouvement étudiant un complot communiste venu de l’étranger. Cette obsession est renforcée par son incompréhension des revendications de la nouvelle génération. Le système d’apartheid colonial en matière d’enseignement a laissé de profondes blessures qui expliquent très largement certaines positions du gouvernement malgache jusqu’en 1972. Philibert Tsiranana est un ancien instituteur qui avait achevé sa formation à Montpellier [85]. Lui et les hommes de sa génération sont essentiellement animés par le désir d’offrir aux Malgaches un système éducatif de qualité égale à celui des Français, parce qu’ils sont marqués par l’expérience de l’enseignement colonial à deux vitesses. L’accord de coopération sur l’enseignement les satisfait car il érige en dogme cette « même qualité » entre les deux systèmes scolaires et universitaires [86]. Ils sont donc incapables de comprendre les motivations de la génération qui descend dans la rue en mai 1972 pour réclamer la fin de l’hégémonie française.
41Deux autres facteurs, plus graves encore, sont à porter au passif du régime. Tout d’abord, la brutale répression de la révolte du Sud en avril 1971 [87]. Les internements et les nombreuses assignations à résidence ont été dans bien des cas arbitraires et incompris de la population [88]. Ensuite, le rapprochement voulu par le gouvernement avec l’Afrique du Sud est fort mal perçu, en particulier dans les milieux lettrés et étudiants. Enfin, le pouvoir déçoit les attentes des enfants et des parents. Les premiers slogans des manifestants demandaient au « Fanjakana Ray-Aman-dreny », à « l’État père et mère », de les reconnaître comme des personnes responsables, de cesser de les considérer comme des « bébés » ou des « gosses », expressions qu’on retrouve dans de nombreux slogans. Il n’y avait là aucune remise en cause, ni contestation de la légitimité du « Père de la nation » ou de l’État. Lors de la rencontre du stade d’Alarobia, la présence des forces de sécurité, les FRS [89], était encore considérée comme rassurante. Mais, très vite, cette image se dégrade car le Père punit sans discernement, jusqu’à l’infanticide. Cette prise de conscience change la donne et transforme le mouvement social en révolution.
42Depuis sa retraite de Ranomafana, le président Tsiranana prend une décision fatale, à l’instigation, semble-t-il, de Barthélémy Johasy [90] : le 12 mai, les FRS encerclent le campus et arrêtent les 395 étudiants qui s’y trouvent alors, ainsi que quelques adultes, prêtres catholiques et médecins [91]. Ces derniers se portent volontaires pour accompagner les détenus. Barthélémy Johasy annonce à la radio que le gouvernement a « neutralisé les cerveaux qui cherchaient à entraîner les jeunes gens dans une aventure criminelle qui, si elle avait réussi, devait plonger le pays dans le chaos et détruire l’unité nationale » ; il annonce aussi la fermeture de tous les établissements scolaires [92]. Il est probable que les ordres ont été outrepassés [93]. Les détenus sont expédiés par avion sur l’île de Nosy Lava, au pénitencier où avaient été envoyés les internés de 1947 et les déportés de la révolte du Sud [94]. La guerre entre les habitants de Tananarive et le pouvoir est désormais déclarée.
La journée tragique : le 13 mai
43Une place d’Antananarivo porte aujourd’hui le nom du 13-Mai, qui reste gravé dans les mémoires. Un meeting était prévu qui devait unir étudiants et travailleurs [95] et qui n’a pas eu lieu. Après les arrestations, étudiants et travailleurs descendent dans la rue, pour ce qui devient une insurrection. La foule des manifestants, étudiants, fonctionnaires, employés, ouvriers et Zwam occupe le centre ville, la place de l’Indépendance et les abords de l’Hôtel de ville. On dénombre jusqu’à 100 000 personnes dans la rue pour une ville qui en compte 250 000 [96]. Les travailleurs portent des pancartes sur lesquelles sont inscrits les noms des établissements où ils travaillent. On réclame le retour des « enfants » incarcérés. Face à eux, des FRS peu nombreux, postés notamment sur le toit de l’Hôtel de ville et qui n’ont apparemment reçu aucun ordre cohérent, ouvrent le feu sur la foule qui sort de la gare. Cela déclenche une véritable guérilla. Les manifestants se regroupent par dizaines, se dispersent, se regroupent de nouveau, osent attaquer les FRS, dont quelques-uns sont lynchés, et leur prendre leurs armes. On incendie des voitures, un camion de pompier utilisé pour disperser la foule au canon à eau, et on dresse des barricades. Un groupe de manifestants attaque la radio, considérée comme la voix du pouvoir. Un autre met le feu au siège du Courrier de Madagascar. Le lendemain, c’est au tour de l’Hôtel de ville dont l’incendie est attisé jusqu’à la destruction complète du bâtiment, tandis qu’une banderole est dressée, portant les mots : « Étudiants et travailleurs luttent ensemble pour que les Accords de coopération soient réduits en cendres comme l’Hôtel de ville » [97]. Là aussi, il s’agit d’une cible symbolique. L’Hôtel de ville est alors aux mains de l’AKFM, seul parti d’opposition légal à Madagascar, mais celui-ci s’est déconsidéré aux yeux des manifestants par ses compromissions avec le pouvoir, d’autant qu’il a soutenu la grève de façon particulièrement tiède [98]. Les manifestants, qui se protègent des gaz lacrymogènes avec des mouchoirs mouillés, sont armés de cocktails Molotov et de grenades défensives, les FRS de mitraillettes et de grenades offensives. Ni la gendarmerie, ni l’armée, ni la police n’intervient.
44Après son arrivée en hélicoptère en fin d’après-midi, Philibert Tsiranana prononce un discours peu propice à calmer les manifestants, qu’il accuse en outre d’être des fumeurs de chanvre :
Il y a des meneurs qui entraînent les petits enfants […]. Ce sont des politiciens rusés. Attention, ce sont des bandits, donc des communistes […]. Quant au gouvernement, il est prêt à examiner les revendications des élèves. Ici, maintenant, il y a des morts. Qui les a tués ? Ce sont ces meneurs de grève […] parce que s’ils n’avaient pas inventé cette grève, il n’y aurait pas eu ces morts. Voilà ! S’il y a eu beaucoup de morts, c’est parce que vous l’avez voulu […]. Si vous ne vous arrêtez pas, vos enfants mourront. Et vous aussi. Voilà ! C’est moi le Président qui vous le dis. Je vous donne un conseil, parents, travailleurs, élèves, si vous tenez à la vie, ne participez pas à la grève […]. Si c’est nécessaire, même s’il faut 2 000 morts, nous le ferons en une seule fois ! 2000, même 3 000 ! En une seule fois ! Tsssak, Tsssak ! Voilà des morts. Après cela, même si vous êtes 5000, 6000, 100 000, on vous aura ! Tssak ! Tssak ! Mais cela ne se fera pas […]. Soyez sages, hein ? Tirez-vous de cette histoire louche [99].
46Quelques jours plus tard, le pays tout entier est en grève ; les parents se souviennent qu’ils sont aussi des travailleurs. Des tracts circulent et des slogans sont martelés en réponse au discours de Philibert Tsiranana :
48Des veillées funèbres sont organisées un peu partout en hommage aux morts du 13 mai ; on en décompte quarante-cinq parmi les manifestants et sept parmi les FRS le 14 mai au matin [102].
49Comme pour la grève étudiante, la grève des travailleurs se propage : des entreprises se mettent en grève puis reprennent le travail alors que d’autres débrayent à leur tour. À Majunga, 3000 travailleurs défilent en arborant des pancartes avec les inscriptions suivantes :
Mouvement de non-violence ;
Participation au deuil national ;
Solidarité avec les étudiants et les travailleurs malgaches ;
Ce mouvement est apolitique ;
Accords de coopération à annuler, révision du Code du travail et budget type [103].
51Les manifestants réussissent à occuper et dévaster le commissariat mais les affrontements font trois morts parmi les Comoriens. À Tamatave, le 16 mai, les employés des douanes ferment les grilles du port, obligeant ainsi les dockers à cesser le travail, et forment un cortège en hommage aux morts de Tananarive. Le 17, il y a débrayage partiel dans le commerce et l’industrie, total dans la fonction publique et une messe est célébrée à la cathédrale en hommage aux victimes. Le 18, ce sont les cadres de la Société malgache de raffinage qui se mettent en grève [104]. On pourrait ainsi multiplier les exemples de grèves qui touchent tous les secteurs d’activité urbaine. À côté des slogans de solidarité et d’hostilité aux accords de coopération, les revendications portent sur les salaires et les conditions de travail.
52De même que les étudiants, les grévistes fonctionnaires, employés ou ouvriers du privé font preuve d’une étonnante capacité d’organisation. Partout dans le pays, des comités de travailleurs, les Komitin’ny Tolon’ny Mpiasa (KTM), sont institués. Ils délèguent leur pouvoir à un comité central des travailleurs qui siège au collège technique d’Ampefiloha, alors que celui des étudiants siège au campus. Au sommet de la pyramide, un comité des comités, le Komity iraisan’ny mpitolona (KIM), rassemble les comités des enseignants, des étudiants, des travailleurs et celui des Zoam. On se retrouve pour des réunions où est dressée la liste des revendications. Désormais, la plus urgente d’entre elles est la démission de Philibert Tsiranana, appelée de ses vœux par la foule qui scande : « Tsiranana=FRS=Assassins » ; « Tsiranana à Nosy-Lava ». La démission de Laurent Bototeky, le 14 mai, est bien trop tardive. Les grévistes demandent la tenue d’un congrès national regroupant travailleurs, étudiants, enseignants et Zoam. Mais on n’oublie pas non plus la dénonciation des accords de coopération et les revendications sur l’enseignement et les salaires. Il faut souligner aussi que cette foule est remarquablement disciplinée. Il y a bien quelques pillages incontrôlés, mais cela reste un phénomène très minoritaire.
Le pouvoir à l’armée
53Du 14 au 18 mai, on assiste à un véritable ballet de négociations, ponctué de concessions de la part d’un pouvoir qui cède désormais aussi radicalement qu’il avait réprimé. Les médiateurs officiels sont les chefs des Églises catholique, anglicane et protestante, réunis dans une Fédération des Églises chrétiennes de Madagascar, la Fiombonanan’ny Fiangonana Kristiana eto Madagasikara (FFKM), et les militaires. Les médiateurs officieux sont les Français. Les manifestants ont fait le siège du palais d’Andafiavaratra, siège du gouvernement mais également ancienne résidence du premier ministre des reines Ranavalona II et III. Ils obtiennent assez facilement le retour des jeunes incarcérés, transportés par avion puis en car. Le 16 mai en fin d’après-midi, une foule silencieuse, bras levés, accueille les vingt-cinq autocars qui transportent les grévistes. C’est ce jour-là aussi qu’apparaît le slogan : « Le pouvoir à l’armée ». Sur les conseils pressants de l’ambassadeur de France et des conseillers français, Philibert Tsiranana nomme le général Andriamahazo gouverneur militaire de la province de Tananarive [105]. Il fait voter dans l’urgence une réforme constitutionnelle qui ne sera jamais appliquée. Le 18 mai, il annonce officiellement à la radio qu’il dissout le gouvernement et donne les pleins pouvoirs au général Ramanantsoa. Ce dernier, semble-t-il, a beaucoup hésité à accepter. Il déclare notamment à une foule en liesse :
Le Président de la République m’a donné les pleins pouvoirs, je suis un militaire, je ne suis pas un politicien. Pour le bien du pays, la vie politique sera mise en sommeil. Je porterai mon effort sur les domaines économique, social et culturel, au bénéfice des plus nécessiteux. Je vous demande de m’aider en reprenant le travail et en faisant preuve de discipline et de patience. Je vais constituer un gouvernement apolitique de militaires et de techniciens. J’ai comme première ligne de conduite de développer l’unité nationale [106].
55L’appel à l’armée a spontanément jailli de la foule qui lui sait gré de n’être pas intervenue pour défendre le régime. Comme nous l’avons vu, les militaires ont joué le rôle d’intermédiaire. D’autre part, alors qu’on demande la démission du président Tsiranana et de ses ministres, il n’y a aucune alternative possible, aucune opposition crédible susceptible de les remplacer. Le poids des problèmes de ravitaillement, les premières pénuries d’essence et la peur du chaos jouent leur rôle. Enfin, cette révolte est aussi nationaliste dans un pays qui a vécu trop longtemps sous tutelle et réclame une véritable indépendance. Dans les manifestations, la foule entonne l’hymne national. Le drapeau est omniprésent : drapeau blanc et rouge aux couleurs de l’ancien royaume merina dont le vert, symbole du PSD, est arraché. Il n’est donc pas impossible qu’un pays indépendant depuis peu éprouve une fierté à l’égard de sa toute jeune armée. Mais la foule conçoit ce recours à l’armée comme transitoire, en attendant la tenue d’un congrès national populaire qui pourrait jouer, dans son esprit, le rôle d’une assemblée constituante. L’histoire en décidera autrement.
56Malgré un nouveau siège du palais présidentiel le 19 mai, accompagné de slogans tels que : « Grand père, prends ta retraite et tes petits-enfants se calmeront » [107], le général Ramanantsoa ne cède pas aux pressions et maintient Philibert Tsiranana auquel il doit sa légitimité. Les Français ne sont pas pour rien non plus dans cette décision, comme nous le verrons. Le général avance une autre raison pour garder Philibert Tsiranana, la traditionnelle opposition entre Merina et côtiers, dont les Français ont joué largement pour asseoir leur domination et contrer les mouvements nationalistes. L’état-major de l’armée malgache est merina, ainsi que le général, mais le président est côtier. Si on en juge par la circulation quasi-immédiate, dès le 20 mai, de tracts appelant les côtiers à rejeter le pouvoir merina et par la création d’un comité de soutien de l’unité nationale, la crainte d’une montée des antagonismes n’était pas totalement infondée [108].
57Ouvriers, Zoam et étudiants présentent dès le 20 mai leurs revendications au nouveau pouvoir : garanties des libertés démocratiques, assurance que le régime militaire aura un caractère transitoire et cédera la place à un gouvernement défini par une nouvelle constitution, réunion d’un congrès national qui réunira les travailleurs et les étudiants pour élaborer une nouvelle constitution, libération de tous les prisonniers politiques détenus par le gouvernement Tsiranana, abrogation de l’ordonnance sur la mise en résidence surveillée, enfin, paiement des heures de grève jusqu’au 22 mai à tous les travailleurs des secteurs privés et publics. Les assurances obtenues auprès du général Ramanantsoa sont apparemment suffisantes pour les 500 délégués réunis à Ampefiloha. Ils déclarent une suspension conditionnelle de la grève, malgré le désaccord des étudiants qui transforment leur action en séminaire général. On voit ainsi apparaître les premières dissensions du mouvement soudé dans la répression, entre des étudiants révoltés contre un système et une foule qui a pris leur défense à cause des errements du pouvoir et de ce qui est considéré comme son irresponsabilité, mais qui ne les suit pas dans le désir d’un autre ordre du monde et dans leur utopie.
58Le rêve de démocratie sociale, d’un « État des petits », Fanjakan’ny Madinika, qui animait les membres des Kim, ne dure qu’un temps. Gérard Althabe les pense guidés par le désir plus ou moins conscient de l’instauration du Fokonolona, la communauté rurale, à l’échelle de la nation [109]. Il ne faut pas négliger non plus les influences possibles des autres mouvements sociaux et grèves générales des années 68. Le modèle chinois de la Commune populaire a pu être, à côté du Fokonolona, une référence. La littérature marxiste et/ou gauchiste circule, ainsi que le Petit livre rouge qui aurait été introduit à Madagascar par Anne-Marie Goguel à son retour de Chine [110]. Certains écoutent clandestinement Radio Pékin [111]. On peut lire les ouvrages édités par Maspero et toute une littérature de gauche propagée par des enseignants français, de jeunes coopérants, porteurs des récits du Mai français, ou des prêtres catholiques. Anne-Marie Goguel crée même une bibliothèque de prêt informelle. Un petit milieu politisé d’universitaires et coopérants français, marxistes, catholiques sociaux ou protestants, réfléchissent avec leurs collègues et étudiants malgaches : Françoise et Jean-Pierre Raison, opposants chrétiens à la guerre d’Algérie, le sociologue Gérard Althabe, Anne-Marie Goguel, Antoine Bouillon, le VSN Yves Duroux [112]. On trouve, bien qu’avec retard, Le Monde, Le Nouvel Observateur et Jeune Afrique [113]. Après le Mai français, l’AEOM a envoyé des militants pour former les étudiants malgaches. L’AEOM, comme d’ailleurs la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire) pour l’Afrique sub-saharienne, ont fourni des « passeurs » : de Paris à Tananarive, l’information et les documents circulent, soit de façon formellement organisée, via les réseaux de l’AEOM, soit de façon plus informelle, entre frères et sœurs ou entre amis [114]. C’est même de Paris que parviennent parfois à Tananarive des nouvelles de Madagascar, comme les informations censurées sur la répression de la révolte du Sud [115]. Quelques Français envoient à Paris les nouvelles de Madagascar et ces « brèves » sont ensuite publiées par le GIMOI (Groupe d’information sur Madagascar et l’océan Indien). Outre les westerns dont sont friands les Zoam, on peut aussi voir à Tananarive, au centre culturel français Albert-Camus, des films politiques comme Z [116]. Toute une histoire est à faire, au-delà bien sûr des composantes spécifiquement malgaches du mouvement, en termes d’influences et de transferts, de circulations des idées et des individus, puis d’acclimatation nationale d’une sensibilité politique et de mots d’ordre mondiaux. À Tananarive comme à Paris ou à Dakar, les élèves et étudiants réclament qu’on reconnaisse leurs droits, condamnent une école inégalitaire et sélective, soumise aux diktats du monde du travail. Ils veulent un enseignement et la promotion de la culture pour tous. Ils chantent le très fameux :
Vous êtes reconnaissables, vous les flics du monde entier.
Les mêmes imperméables, la même mentalité.
Mais nous sommes de Tana, de Dakar et d’Abidjan et de Paris à Montpellier, à vous crier
À bas l’État policier ! […] [117]
60Quelles que soient les raisons à l’origine des aspirations qui ont ébranlé Madagascar, les lendemains sont amers. Après son investiture par le président Tsiranana, le général Ramanantsoa assoit son pouvoir par un référendum le 8 octobre qui lui donne une légitimité populaire. Le Congrès national populaire, le KIM, a lieu du 4 au 19 septembre mais il sert de machine électorale au pouvoir en place. Après le 20 mai, l’influence des militants les plus radicaux décline. La volonté d’associer le monde paysan au Congrès échoue, sauf marginalement. Le mouvement de 1972 n’a pas mobilisé la paysannerie, pourtant largement majoritaire. Il a concerné avant tout les classes moyennes urbaines et leurs enfants, ainsi que les Zoam, des citadins eux aussi. Dès 1973 néanmoins – victoire incontestable du mouvement –, les accords de coopération sont renégociés et la malgachisation devient effective dans l’enseignement primaire et secondaire [118].
Les Français face à l’événement
61La présence et l’influence françaises sont la cible et un des enjeux majeurs du mouvement, mais il n’y a aucune hostilité manifeste à l’égard des Français durant les événements. Certains, enseignants, étudiants ou lycéens, participent au mouvement à ses débuts ou le regardent avec sympathie [119]. Des tracts signés de Jean-Paul Sartre sont distribués à Fianarantsoa [120] et un « assistant technique français » témoigne dans Lumière :
[Les élèves] refusent de devenir des intellectuels bâtards, produits d’un mélange arbitrairement dosé de culture orientale et occidentale […]. Quant à toi, assistant technique français, ces manifestations devraient t’inciter à faire ton examen de conscience […] [121].
63À partir du 13 mai, ils sont cependant mis à l’écart d’un mouvement qui se revendique comme l’affaire des seuls Malgaches. Les services de renseignement de l’ambassade signalent un seul cas de ressortissant français pris à partie alors qu’il filmait les manifestations. Il est toutefois défendu par des étudiants et s’en sort indemne. Aucune agressivité, aucune haine ne s’exprime et, plus étrange sans doute, les symboles de la présence française – l’ambassade de France, le centre culturel Albert-Camus situés en plein centre ville – ne sont jamais des cibles des manifestants. Un an plus tôt, lors de la révolte du Sud, il en était allé de même : un tract avait été massivement diffusé, d’une sensibilité qui correspond assez bien à celle qui règne en 1972 :
Aux Français résidant à Madagascar […]. Tsiranana est fou. Parmi vous, les ennemis déclarés du peuple malgache dans l’insurrection actuelle sont : 1° Le Général Bocchino ; 2° Plantey, ancien secrétaire de Foccart […]. Nous savons que vous ne voulez pas engager la France dans une guerre de spoliation et d’exploitation de notre peuple […]. Vous êtes hostiles aux guerres impérialistes d’Algérie et du Vietnam […]. Nous vous faisons confiance pour éviter que le gouvernement français s’engage dans une guerre dont le peuple français ne tire aucun profit […] [122].
65Cela s’explique par les réelles solidarités qui s’étaient nouées, au sein de l’université, entre enseignants et d’étudiants à enseignants, dans les lycées et collèges. Cela s’explique aussi en partie, mais en partie seulement, par la peur ou l’inquiétude d’une intervention militaire française. Selon les accords de défense, l’armée française, sous le haut commandement du général Bigeard, commandant en chef des forces françaises de l’océan Indien, offre son soutien logistique à la jeune armée malgache, à la gendarmerie et à la police [123]. Une force française d’intervention est sur place, composée de 4 200 hommes basés à Ivato, non loin de la capitale, et à Diego-Suarez. C’est un militaire français, le général Bocchino, qui est le chef de l’état-major particulier du président de la République. Il est associé à ce titre à nombre d’affaires de maintien de l’ordre et de répression. Des militaires français sont également présents aux échelons supérieurs de l’armée malgache dont les cadres ont été formés en France, ont servi dans l’armée française (jusqu’en Algérie et Indochine pour beaucoup) ou ont été instruits par des militaires de la métropole [124]. Le général Gabriel Ramanantsoa est lui-même saint-cyrien, marié à une Française et ancien colonel de la guerre d’Indochine. En 1972, il parle mieux le français que le malgache [125]. Les militaires français ont été impliqués dans la sanglante répression qui a suivi la révolte du Sud en 1971, en fournissant les avions qui y ont dépêché les renforts [126]. La peur d’une compromission française aux côtés d’un régime discrédité pèse sûrement dans les décisions de non-intervention de la métropole en mai 1972. La présence des parachutistes aux portes de Tananarive, cependant, constitue une menace bien réelle pour les manifestants.
66Au sein du gouvernement français, selon les mémoires de Jacques Foccart, l’option d’une intervention aurait fait l’objet de discussions. Un lapsus de Jean-Philippe Lecat, qui déclare à la sortie du conseil des ministres du 17 mai que la France n’interviendra pas, règle de façon involontaire la question [127]. Cette lecture n’est qu’anecdotique et les archives diplomatiques montrent aussi le rôle de l’ambassade et, en un certain sens, son autonomie [128]. Alain Plantey semble très hostile à une intervention qui donnerait, selon lui, le signal d’un massacre des Français [129]. Philibert Tsiranana a confié la responsabilité du maintien de l’ordre à son chef d’état-major Bocchino qui, par ailleurs, se défend d’avoir été informé des futures arrestations et d’avoir jamais donné l’ordre de tirer [130]. Les 14 et 15 mai, l’ambassadeur s’emploie activement à convaincre, d’une part, des militaires français assez rétifs d’abandonner cette compromettante fonction et, d’autre part, le président Tsiranana de nommer à la place du général Bocchino un officier général malgache puis de faire appel à une personnalité « incontestée » pour calmer le jeu. Il est secondé dans cette tâche par les conseillers français du Président, en particulier le secrétaire général à la présidence Moreau. Ils obtiennent finalement la nomination du général Andriamahazo comme gouverneur militaire et l’appel à Gabriel Ramanantsoa. Ce sont les pressions directement venues de Paris qui convainquent ce dernier, s’il en était besoin, d’assurer la sécurité du président Tsiranana et de le garder à son poste. La menace d’un lâchage de Paris dans le cas contraire est très explicitement formulée [131].
67Cette intervention reste en somme limitée. De fait, Philibert Tsiranana est trop compromis par la répression qui a suivi la révolte du Sud et par l’arrestation d’André Resampa, successeur potentiel aux yeux des Français, pour obtenir de la France un soutien sans faille. Néanmoins il est hors de question qu’il arrive quoi que ce soit à l’allié de toujours, ne serait-ce que pour préserver une hégémonie et une image de marque, sans parler d’éventuelles amitiés et de liens dont est riche la Françafrique. Enfin, les intérêts français ne sont pas menacés dans ce qu’ils ont d’essentiel. Les manifestants remettent en cause les accords de 1960 sans s’en prendre au principe même de la coopération. Ils revendiquent une place dans leur propre pays, mais ne s’attaquent qu’à la marge aux intérêts financiers de la France ou de façon très théorique et générale. Paris, enfin, peut se satisfaire de la nomination du général Ramanantsoa qui remplace un président devenu, suivant le mot de l’ambassadeur, « ingérable » [132].
Conclusion
68Il est toujours utile, nous semble-t-il, de comparer les différentes situations héritées de la disparition de l’Empire français. D’autres événements ayant pour théâtre les anciennes colonies peuvent être mis en rapport avec les événements de mai 1972, tel le Mai sénégalais [133]. Les similitudes sont frappantes. À Dakar en mai-juin 1968, comme à Madagascar en 1972, il s’agit d’une grève générale lycéenne et étudiante dont la répression entraîne les travailleurs dans la lutte [134]. Léopold Sédar Senghor est un « Père de la nation », tout récemment et brillamment réélu à la tête d’un État-Parti, comme Philibert Tsiranana. Dans un cas comme dans l’autre, les relations avec l’ancienne métropole sont régies par des accords de coopération. Le fonctionnement des universités, de création toute récente, est étroitement lié à l’accord sur l’enseignement supérieur [135]. Bien des revendications sont également communes aux deux mouvements : d’un côté on demande la malgachisation de l’enseignement et de l’autre son africanisation ou sa sénégalisation. Les travailleurs revendiquent, à Dakar comme à Madagascar, une revalorisation de leurs salaires.
69Mais si ces scenarii se ressemblent étrangement, ainsi qu’à celui du Mai français, on constate aussi de nombreuses différences : le rôle des syndicats étudiants – l’Union des étudiants sénégalais et l’Union des étudiants de Dakar – et de travailleurs – l’Union nationale des travailleurs sénégalais –, central à Dakar, est marginal à Madagascar. La grève reste principalement localisée à la capitale dans le cas sénégalais mais a des conséquences internationales importantes étant donné la présence, puis l’expulsion, d’étudiants originaires de tous les territoires de l’ancienne AOF ; elle est nationale dans la Grande Île. L’issue est fort différente également : Léopold Sédar Senghor, très fermement soutenu par les Français, reste en place, alors que Philibert Tsiranana n’est plus, à l’issue des événements, qu’une ombre qu’on tolère. Il faut surtout souligner deux fortes spécificités malgaches : la place de la question des langues et les événements tragiques qui ont précédé l’accès à l’indépendance. Dans le mouvement sénégalais, la revendication de la sénégalisation porte sur les contenus de l’enseignement, sur la nécessaire adaptation au contexte africain et sur la composition du personnel, mais pas sur le rôle et la place de la langue française et des langues locales. En 1968, une réforme pour l’introduction des langues nationales dans l’enseignement est à l’étude sous l’égide du Centre de linguistique appliquée de Dakar, le CLAD. Léopold Sédar Senghor participe lui-même, en grammairien, à certaines commissions de transcription. Les revendications autour de la langue sont toutefois très peu présentes dans le mouvement de 1968, elles ne se développent qu’un peu plus tard. Au contraire, les manifestants de mai 1972 portent au cœur de leur revendication celle de la malgachisation de l’enseignement. Non seulement le mouvement fait de la langue malgache son objet, mais il la réinvestit également et se la réapproprie. La langue est à la fois enjeu et instrument du mouvement. La subversion et le détournement du français, l’utilisation du malgache là où il ne l’était jamais, dans les allocutions, dans les discours, le réinvente comme langue de savoir et langue de pouvoir, lui redonne un statut que la colonisation lui avait dénié, tout en en faisant la langue de la contestation. En ce sens, on a rarement vu un mouvement social aussi cohérent, aussi fidèle à ses objets de lutte dans les formes qu’il prend, une adéquation aussi forte entre le signifiant et le signifié. La langue était l’instrument symbolique par excellence de la domination coloniale, elle devient, en 1972, l’instrument symbolique de libération de cette domination.
70Il ne faut pas oublier, ensuite, que vingt-cinq ans seulement séparent 1972 de l’insurrection nationaliste de 1947, réprimée dans le sang [136]. En 1960, lors de l’indépendance, ce sont les héritiers du PADESM, ceux-là mêmes qui s’étaient alors trouvés aux côtés de la France durant la répression, qui accèdent au pouvoir. C’est sans doute le péché originel dans l’histoire de la Jeune République malgache – et peu importe le ralliement individuel de rescapés de 1947, tel Jacques Rabemananjara. La mémoire de ces événements est parfois explicitement convoquée par les manifestants, témoignant de quelque chose qui ressemble à un retour du refoulé. L’indépendance refusée, et à quel prix, a été octroyée et confiée à ceux qui avaient alors été, au même titre que l’occupant, la cible des insurgés. Une des revendications adressées au général Ramanantsoa est la suppression de la commémoration de cette indépendance de 1960, parce qu’elle n’en est pas une et parce que les conditions de sa production ne permettent pas d’y voir la genèse d’une nouvelle nation. Le général tient bon, s’inscrivant ainsi, peut-être, dans une continuité qui n’est pas celle de la révolte mais de la collaboration.
Les événements de mai 1972 à Madagascar
Les événements de mai 1972 à Madagascar
Notes
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[*]
Ingénieur de recherche au CNRS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle.
-
[1]
C’est nous qui soulignons. Journal officiel de la République française [JORF] du 20 juillet 1960 et Journal officiel de la République malgache [JORM] du 9 juillet 1960. Nous remercions de leur aide et des encouragements qu’elles nous ont prodigués Irène Rabenoro, professeur et ambassadeur de Madagascar auprès de l’UNESCO, Françoise Raison-Jourde, professeur émérite à l’université Paris-7, Faranirina Rajaonah, professeur à l’université Paris-7, et Lucile Rabearimanana, professeur à l’université d’Antananarivo. Nous remercions d’avoir accepté un entretien : Irène Rabenoro, ancienne manifestante de mai 1972 et fille de Césaire Rabenoro, ministre de la Santé de l’époque, Gabriel Rantoandro, professeur à l’université d’Antananarivo, Alain Plantey, ambassadeur de France, Willy Razafinjatovo dit Olala, Olivier D’Hont, professeur à l’université Paris-1, qui était en 1972 lycéen à l’école du Sacré-Cœur de Tananarive.
-
[2]
À propos des événements de 1972 à Madagascar, on trouve diverses terminologies : « Le Mai malgache », en particulier chez les auteurs français, les « événements du 13 Mai », les « événements de mai 1972 », « 72 » et même « les soixante-douzards ». Nous croyons légitime d’employer le terme de révolution, dans la mesure où les manifestants renversent le régime de Philibert Tsiranana. Celui-ci reste provisoirement président, mais sans plus jouer aucun rôle.
-
[3]
Le PSD, Parti social-démocrate malgache, est celui du président Tsiranana. Il a pris la suite du PADESM, Parti des déshérités de Madagascar, essentiellement composé de côtiers et qui s’est révélé, en particulier en 1947, le meilleur allié de l’occupant. Sur le PADESM, voir : R. Delval, « L’histoire du PADESM ou quelques faits oubliés de l’histoire de Madagascar » in : Ch.-R. Ageron (dir.), Les chemins de la décolonisation de l’empire français, 1936-1956, Paris, CNRS, 1986, p. 275-288. Le PSD occupe depuis les débuts de la République malgache tous les postes administratifs et de pouvoir. On peut parler sans exagération, à propos de Madagascar, d’État-Parti.
-
[4]
Les accords portant transfert à la République malgache des compétences de la Communauté ont été paraphés le 2 avril 1960 et ratifiés par le Parlement français le 17, par le Parlement malgache le 15. Le 26 juin, l’indépendance était proclamée à Tananarive et le 27 étaient signés les accords de coopération. Ils sont publiés au Journal officiel de la République française [JORF] du 20 juillet 1960, et au Journal officiel de la République malgache [JORM] du 9 juillet 1960.
-
[5]
Pour un tableau général des accords de coopération sur l’ensemble de l’ancien empire, voir : J.-A. Basso, « Les accords de coopération entre la France et les États africains francophones : leurs conséquences au regard des indépendances africaines », in : Ch.-R. Ageron et M. Michel (dir.), L’Afrique noire française : l’heure des indépendances, Paris, CNRS, 1992, p. 255-284. Sur les accords signés avec Madagascar, voir : Ph. Leymarie, « Les accords de coopération franco-malgaches ; l’accord de coopération financière, économique et monétaire » et Anonyme, « Le poids de l’assistance technique », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, juin 1972, p. 55-70.
-
[6]
Convention d’établissement entre la République française et la République malgache, JORF, op.cit.
-
[7]
« Les Français établis à l’étranger », Notes et études documentaires (La Documentation française), 28 mars 1973 ; G. Althabe, « Tananarive en 1972 », Cahiers d’études africaines, 80, XX-4, repris dans G. Althabe, Anthropologie politique d’une décolonisation, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 157.
-
[8]
Les chiffres de la Documentation française ne semblent pas tenir compte de la communauté comorienne. Gérard Althabe donne celui de 43 500 : ibid. Dans les archives de l’ambassade de France, on trouve le chiffre de 55 000 : Centre des archives diplomatiques de Nantes (désormais noté CADN), carton 136, M.1.3.
-
[9]
Article 1er de l’accord de coopération en matière de politique étrangère : « Le Président de la République française, Président de la Communauté, accrédite auprès du Président de la République malgache un haut représentant qui a rang et prérogatives d’ambassadeur et qualité de représentant spécial auprès du Président de la Communauté. Il est réservé à ce haut représentant une place privilégiée parmi les envoyés diplomatiques accrédités à Paris », JORF, 20 juillet 1960, p. 6608.
-
[10]
Les postes consulaires sont définis par les accords de coopération. Il s’agit de Diégo-Suarez, Fianarantsoa, Majunga, Tamatave, Tananarive, Tuléar.
-
[11]
À Madagascar, l’opposition entre la capitale et la province est beaucoup moins déterminante que l’opposition entre les hauts plateaux et les côtes, qui, déjà présente avant la colonisation, a été largement entretenue par l’occupant pour en faire un instrument de pouvoir, favorisant les côtiers pour contrer le nationalisme des hauts plateaux.
-
[12]
Sur l’enseignement en AOF, voir J. Cappelle, L’éducation en Afrique noire à la veille des indépendances (1946-1958), Paris, Karthala, 1990 ; H. Gamble, « La crise de l’enseignement en Afrique occidentale française (1944-1950) », in : P. Barthélemy, E. Picard et R. Rogers (dir.), L’enseignement dans l’Empire colonial français (XIXe-XXe siècles), Histoire de l’éducation, 128, oct.-déc. 2010, p. 129-162.
-
[13]
On pense bien sûr au suicide du grand poète de langue française Rabearivelo, attribué au poids trop lourd sur sa conscience de l’usage de la langue et de la culture françaises, qu’il considérait comme une trahison.
-
[14]
I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache pendant les événements de mai 1972, thèse d’État en linguistique, sous la dir. de R. Arnaud et M. Tournier, université Paris-7, 1995.
-
[15]
J. Fishman, « The Relationship between micro-and macro-sociolinguistics in the study of who speaks what language to whom and when » [1968], in : Langage in Sociocultural Change. Essays by Joshuah A. Fishman, Stanford, Stanford University Press, 1972, p. 244-267.
-
[16]
Anonyme, « Trois jours qui ébranlèrent Madagascar [Informations recueillies sur place par le G.I.M.O.I] », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, juin 1972, p. 44-50.
-
[17]
Les Archives nationales malgaches d’Antananarivo (désormais notées ANM) permettent une vue très complète des événements sur l’ensemble du pays.
-
[18]
CADN, cartons 128, 135 et 136 : ces documents offrent des rapports très complets sur les événements, y compris en province, et permettent d’établir une chronologie très détaillée. On y trouve d’ailleurs un éphéméride, au jour le jour et heure par heure. Il existe également dans le fonds Foccart des Archives nationales des dossiers sur Madagascar, que je n’ai malheureusement pas eu l’autorisation de consulter.
-
[19]
En particulier, l’hebdomadaire catholique Lumière qui tient une chronique très détaillée des événements. Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines propose un dossier très complet sur Madagascar, avec une chronologie des « Trois jours qui ébranlèrent Madagascar ». Il est indispensable de lire les analyses de G. Althabe : « Les luttes sociales à Tananarive en 1972 », art. cité, ou celles de D. Galibert, « Mai 72 : la deuxième indépendance malgache », in : Y. Combeau (dir), La Réunion – Madagascar, 1942-1972 : départementalisation et indépendance, Paris ; Saint-Denis, Sedes – université de la Réunion, 2003. On peut consulter aussi : G. Roy, Contribution à l’histoire des indépendances malgaches, 1959-1960 et 1972, Paris, Orstom, « Études malgaches », cahier III, 1987. Gérard Roy est le chercheur de l’ORSTOM qui a été impliqué dans le complot maoïste d’Antsirabe (voir infra). Faute de lire le malgache, je n’ai pas pu consulter : Rémi Rahajarizafy, Mey 1972, Antananarivo, Librairie mixte, 1982.
-
[20]
Au sujet de l’enseignement à Madagascar, on consultera le livre très complet d’A.-M. Goguel, Aux origines du mai malgache : désirs d’école et compétition sociale 1951-1972, Paris, Karthala, 2006. Sur l’enseignement au moment des événements, on peut consulter : J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, novembre 1971, p. 53-79.
-
[21]
Circulaire du 5 octobre 1896, citée par J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur… », art. cité.
-
[22]
Pierre, fer, section.
-
[23]
ANM, fonds Présidence.
-
[24]
Les archives malgaches font état d’un durcissement des conditions des examens à la suite du « décret Boulin » ; il s’agit probablement de l’arrêté Guichard-Boulin du 30 septembre 1969 qui introduit une sélection renforcée dans les études de médecine.
-
[25]
Ibid.
-
[26]
Le décret a été rédigé dès le 19 mars, mais la décision n’est annoncée que le 19 avril.
-
[27]
Ce chiffre, donné avec précaution par Irène Rabenoro, est néanmoins sujet à caution.
-
[28]
G. A[lthabe], « La crise scolaire : un détonateur », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, juin 1972, p. 51-54.
-
[29]
On ne peut aborder la question scolaire à Madagascar sans souligner le rôle considérable joué par les missions – d’abord protestantes puis catholiques – dès avant la colonisation. Les premières écoles ont été ouvertes en 1820 par les missionnaires de la London Missionary Society, avec l’accord du royaume merina. La connivence entre les autorités royales et les missionnaires, interrompue durant le règne xénophobe de la reine Ranavalona I, est renforcée avec la conversion au protestantisme de Ranavalona II en 1869. Les écoles des missionnaires protestants, contrairement à celles des catholiques, délivraient un enseignement en malgache.
-
[30]
G. A[lthabe], « La crise scolaire : un détonateur », art. cité ; J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité ; A.-M. Goguel, Aux origines du mai malgache…, op.cit. Le collège d’enseignement général (ou CEG) était une filière d’enseignement scolaire en France, de l’entrée en vigueur de la réforme Jean Berthoin en 1960 à 1977 avec la mise en application de la loi Haby de 1975. Le brevet d’études du premier cycle du second degré (BEPC) devient alors le brevet d’enseignement général, mais reste communément appelé BEPC.
-
[31]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes dans les manifestations de rue à Tananarive en 1972, mémoire de maîtrise d’histoire, université d’Antananarivo, 2004, p. 89.
-
[32]
Les principales options de ce qui aurait dû être le Deuxième plan sont définies en 1971. Voir A.-M. Goguel, Aux origines du mai malgache…, op.cit.
-
[33]
Le vice-premier ministre Calvin Tsiebo annonce à la radio que ce concours n’aura pas lieu. Lumière, dimanche 21 mai 1972, n°1878. Il y avait eu une grève des élèves de troisième contre ce concours, perçu comme un filtre supplémentaire à l’entrée en classe de seconde.
-
[34]
J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art.cité.
-
[35]
Accord de coopération en matière d’enseignement supérieur entre la République française et la République malgache, JORF, 20 juillet 1960.
-
[36]
JORM, 23 juillet 1960. La convention annexe est publiée au JORM et pas au JORF. Elle a été signée le 22 juillet 1959.
-
[37]
JORM, 23 juillet 1960, cité par A.-M. Goguel, Aux origines du mai malgache…, op.cit., p. 158.
-
[38]
Ibid., p. 159.
-
[39]
Loi d’orientation de novembre 1968, qui institue notamment la participation à la gestion de tous les acteurs.
-
[40]
J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité, p. 66.
-
[41]
Loc. cit.
-
[42]
ANM, fonds Présidence.
-
[43]
J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité.
-
[44]
Données Ac’ADoc : http://www.infocentre.education.fr/acadoc.
-
[45]
Chiffre pour 1969, donné par J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité.
-
[46]
ANM, fonds Présidence. D’après Françoise Raison-Jourde, il s’agirait de Rakotondrafara et de Rakotomavo.
-
[47]
Voir, entre autres, à propos de la grève de 1971 : F. Raison-Jourde, « Être collégien malgache et oser manifester. Initiation à l’héritage occidental et invention locale dans l’occupation de l’espace urbain et la prise de parole en province (1971-1972) », communication au colloque « Multiculturalisme, échanges et métissages culturels dans les villes de l’Océan indien occidental », université Paris-7, 13-15 novembre 2008 (à paraître). Nous remercions Françoise Raison-Jourde de nous avoir communiqué ce texte avant parution.
-
[48]
ANM, fonds Présidence.
-
[49]
CADN, carton 136, série M.1.3 : affaires politiques, tracts du 13 mai au 30 juin 1972.
-
[50]
Andry Pilier a été fondé en février 1969. D’abord bilingue, il abandonne le français et devient de facto un laboratoire pour l’introduction du vocabulaire marxiste en malgache. À partir du 1er août 1972, il devient le journal des Zoam. Cf. I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit.
-
[51]
« Michou vavy » s’appelle en fait Michou Ravololonarisoa et « Michou lahy », Michou le garçon, désigne Michel Rambelo.
-
[52]
Entretien avec Irène Rabenoro, Paris, 15 février 2010.
-
[53]
Le MFM est fondé en décembre, dans la continuité directe des événements. Il prône la suppression des classes et combat pour l’avènement d’un État dirigé par le prolétariat. Voir : http://nah296.free.fr/.
-
[54]
I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit.
-
[55]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes dans les manifestations de rue à Tananarive en 1972, mémoire de maîtrise, département d’histoire, université d’Antananarivo, 2004. Lucile Rabearimanana a eu la gentillesse de me communiquer ce mémoire comme elle a eu également la gentillesse de m’accorder un entretien (Antananarivo, août 2009).
-
[56]
Ibid. Nous ne produisons ici que la traduction de slogans qui, la plupart du temps, sont prononcés en malgache, cette langue dont on va jusqu’à réprimer l’usage dans les cours d’école.
-
[57]
CADN, carton 136, série M.1.3 : affaires politiques.
-
[58]
Ce groupe est l’objet du film de C. Paes et R. Rajoanarivelo, Mahaleo, Paris, Laterit productions, 2007. Sur les chansons, voir : J.-C. Rabeherifara et F. Raison-Jourde, « Identité, contestation et métissage : la chanson malgache dans les années 1970-1980 », in : M. Chastenet et J.-P. Chrétien (dir.), Entre la parole et l’écrit : contributions à l’histoire de l’Afrique en hommage à Claude-Hélène Perrot, Paris, Karthala, 2008, p. 173-204.
-
[59]
Les leaders de ce mouvement nationaliste, fondé en 1946, ont été accusés d’avoir fomenté l’insurrection de 1947. L’AKFM en est l’héritière.
-
[60]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit.
-
[61]
I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit., p. 695.
-
[62]
Cités et traduits par I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit. Cette dernière fait dans sa thèse une remarquable analyse lexicographique du corpus des tracts.
-
[63]
I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit., p. 549-550.
-
[64]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 102.
-
[65]
ANM, fonds Présidence.
-
[66]
Entretien avec Willy Olala, Antananarivo, 12 août 2009. Ces formes de subversion des mots, de dérision et d’auto-ironie sont courantes durant le mouvement de 1972.
-
[67]
Idem.
-
[68]
Idem.
-
[69]
Entretien avec Irène Rabenoro.
-
[70]
CADN, carton 136, rapports des consuls. Voir infra la carte, p. 87.
-
[71]
Idem, rapport du consul de France à Tuléar du 6 juin 1972.
-
[72]
Idem, rapport du consul de Tamatave.
-
[73]
Idem, rapport du consul de France à Fianarantsoa du 19 mai 1972 n°1223/c et rapport du consul de France à Majunga du 23 mai 1972, 53/CONF. D4/4. La prière à la mosquée a lieu en hommage à la mort de trois Comoriens qui sont alors, rappelons-le, de nationalité française.
-
[74]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 85.
-
[75]
Son président est alors le pasteur Richard Andriamanjato. L’AKFM n’a réellement une existence qu’à Tananarive, où le parti a la majorité au conseil municipal. Cette position de l’AKFM à la mairie de la capitale est un peu l’alibi d’un État qui se veut pluraliste.
-
[76]
Le Monima est un parti nationaliste, marxiste, à l’idéologie teintée de maoïsme et porteur du rêve d’une alliance entre les intellectuels et les campagnes. Il a été considéré comme l’instigateur de la révolte du Sud en avril 1971 après laquelle il a été interdit. Cf. F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar : de Monja Jona à Ratsimandrava (1960-1975), Paris, Karthala, 2010.
-
[77]
J. Rakoto, « La crise de l’enseignement supérieur à Madagascar », art. cité.
-
[78]
Cf. la lettre adressée par « un groupe d’enseignants » aux autorités compétentes, où il est fait appel à la mémoire de De Gaulle : « Le geste magnanime du Général de Gaulle mérite d’être évoqué. A-t-il eu peur de prendre la décision d’émanciper les peuples d’Afrique, de Madagascar et d’Algérie malgré les bombes plastiques [sic], les hostilités de l’OAS ? Non ! Il a pris sa responsabilité ; plein de gloire, il meurt adoré de tous, pleuré par ses ennemis mêmes. Voilà ce que les Malagasy souhaitent voir en leurs Président, vice-président et ministres de ce 3e septennat… ». ANM, fonds Présidence.
-
[79]
Le SECES avait tenu du 12 au 15 février 1972 un séminaire intitulé « Malgachisation et démocratisation de l’université ».
-
[80]
Voir aussi à ce sujet : I. Rabenoro, Le vocabulaire politique malgache..., op. cit.
-
[81]
Il faudrait consacrer une étude en soi aux Zoam dans le mouvement. D’après Françoise Raison-Jourde, le lien a été fait avec eux essentiellement par Germain Rakotoniraniny, qui avait de multiples contacts.
-
[82]
Entretien avec Alain Plantey, Paris, 27 mai 2010.
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[83]
Ph. Tsiranana, Boky Manga – Le Cahier bleu : Fisainana, fahatsiarovana – Pensées, souvenirs, Tananarive, Impr. nationale, 1971.
-
[84]
F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar…, op. cit., chapitre 10.
-
[85]
A. Saura, Philibert Tsiranana, 1910-1978 : premier président de la République de Madagascar, Paris, L’Harmattan, 2006, 2 vol.
-
[86]
Article 2 : « La République française coopère avec la République malgache pour assurer à Madagascar un enseignement supérieur égal en qualité à celui des universités et établissements supérieurs français », JORF, 20 juillet 1960.
-
[87]
La révolte du Sud est une révolte essentiellement paysanne, sous l’impulsion du parti Monima : cf. F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar…, op. cit., et G. Althabe, « Les manifestations paysannes d’avril 1971 », Le Mois en Afrique. Revue française d’études politiques africaines, juin 1972, p. 71-77.
-
[88]
CADN, carton 135, série M.1.3 : rébellion dans le Sud de Madagascar, déclaration du Comité de solidarité de Madagascar. Idem, 29 avril 1971, rapport du consul de France à Tuléar, PL-Dt n°20402. Les rapports du consul font état de 523 internements à Nosy Lava ainsi que de la férocité d’une répression où les autorités locales outrepassent les ordres. De nombreux témoignages sur ce thème ont paru dans le journal Lumière.
-
[89]
Forces de sécurité créées sur le modèle des CRS français par l’ancien ministre de l’Intérieur André Resampa.
-
[90]
D’après Alain Plantey.
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[91]
On en trouve une liste dans les archives de l’ambassade de France, CADN, carton 136 : « Extrait de Sahy (indépendant) : R.P. Rémy Ralibera, R.P. Emmanuel Razafindrazendra, docteur Rasamoely Lala, docteur Manan’ Ignace, docteur Ratzaraza Janvier, MM. Rafenoarison Odon, Razamizannany Georges, Rabetaliana, Randrainatoro Charles (directeur du cabinet du ministre Ramalanjoana et Psdt du syndicat FMM [?], lequel ne soutient même pas la grève étudiante, chauffeur du docteur Radriamanja qui était en compagnie du Père Razafindrazendra [….], des parents d’élèves et d’étudiants ».
-
[92]
ANM, fonds Présidence.
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[93]
CADN, carton 128 : lignes générales, rapport du général Bocchino.
-
[94]
Sur l’île, ils semblent avoir été bien accueillis par une population qui leur fait une sorte de haie d’honneur et leur apportera de quoi manger. Mais le pénitencier est trop petit et les détenus dormiront sur la plage. Willy Olala estime à 30% le nombre de filles parmi les internés et se souvient curieusement que la population leur donnaient des serviettes hygiéniques pour leur venir en aide. Entretien avec Willy Olala.
-
[95]
Tract signé du SNIPUMA (Ratsimba), du Sempa (Andriamanisa), du SECES (Ignace R. secrétaire général), de la FAEM (Jérôme R, secrétaire général) et de l’AEOM (Ranaivosoa, correspondant). Par deux fois déjà les parents d’élèves soutenant la grève se sont réunis à Ankatsoa.
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[96]
Ce chiffre est évidemment très approximatif, mais on le trouve dans plusieurs textes écrits au moment des faits.
-
[97]
Cité dans : F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 128.
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[98]
Cf. Anonyme, « La grève des étudiants vue par la presse malgache », Lumière, dimanche 21 mai 1972, p. 8.
-
[99]
Sur les événements de cette journée, voir : Anonyme, « Trois jours qui ébranlèrent Madagascar », art. cité. Les archives de l’ambassade de France et celles conservées à Antananarivo confirment cet éphéméride. On trouve le texte du discours dans CADN, carton 136, AG/BIET.
-
[100]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 141.
-
[101]
Loc. cit.
-
[102]
« Trois jours qui ébranlèrent Madagascar », art. cité.
-
[103]
CADN, carton 136, série M.1.3 : rapport du consul de France à Majunga [Théodore Hermellin], 24 mai 1972, n°55/CONF D4/4.
-
[104]
CADN, carton 136, rapport de Pierre Vors, consul de France à Tamatave, du 23 mai 1972, n°74/AMB/AG/cf.
-
[105]
CADN, carton 128 : mai 1972, lignes générales. Quelques pages retracent l’histoire des pressions françaises sur Tsiranana.
-
[106]
ANM, fonds Présidence.
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[107]
F. Razanakolona, Les banderoles et les pancartes…, op. cit., p. 130.
-
[108]
CADN, carton 136, série M1.3 : lignes générales, rapport du consul de France à Majunga du 26 mai 1972, N°58 CONF D4/4.
-
[109]
G. Althabe, « Les manifestations paysannes d’avril 1971 », art. cité.
-
[110]
F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar…, op. cit.
-
[111]
Entretien avec Irène Rabenoro, Paris, 15 février 2010.
-
[112]
F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar…, op. cit.
-
[113]
Entretien avec Françoise Raison-Jourde et Olivier D’Hont, Paris, 11 mai 2010.
-
[114]
Irène Rabenoro raconte que ses frères et sœurs, étudiants à Paris, membres de l’AEOM, lui envoyaient des textes alors qu’elle-même était inscrite au lycée Galliéni de Tananarive. Entretien avec Irène Rabenoro.
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[115]
On trouve par exemple dans Tricontinental une analyse très approfondie des événements de 1971 : « Que se passe-t-il à Madagascar », Tricontinental, 1971, p. 65-98.
-
[116]
Entretien avec Olivier D’Hont. Z, réalisé en 1969 par Costa-Gavras.
-
[117]
Du moins en 1971. Citée par F. Raison-Jourde, « Être collégien malgache et oser. Initiation à l’héritage occidental et invention locale dans l’occupation de l’espace urbain et la prise de parole en province (1971-1971) », à paraître. Françoise Raison cite aussi dans cet article des revendications portant sur le droit à la mini-jupe pour les filles et aux cheveux longs pour les garçons.
-
[118]
Le 4 juin 1973 est signé entre la France et Madagascar un accord général, publié au JORF du 30 juillet 1975, suivi de neuf conventions ou échanges de lettres. La renégociation des accords de coopération n’a pas concerné la seule Madagascar, mais l’ensemble des pays qui y étaient soumis.
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[119]
Entretien avec Olivier D’Hont.
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[120]
CADN, carton 136, rapport du consul de France à Fianarantsoa du 29 mai 1972.
-
[121]
Lumière, dimanche 7 mai 1972.
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[122]
CADN, carton 135, série M.1.3 : révolte du Sud, divers.
-
[123]
Accords de défense entre la République malgache et la République française, JORF, 20 juillet 1960. Voir aussi : Ph. Leymarie, « Les accords de coopération franco-malgaches », art. cité.
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[124]
Il y a aussi quelques instructeurs israéliens.
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[125]
ANM, fonds Ramanantsoa, biographie du général Ramanantsoa.
-
[126]
CADN, carton 135, série M.1.3 : affaires politiques, rébellion dans le Sud de Madagascar. Selon un télégramme signé Alain Plantey du 14 avril 1971 : « Le Président Tsiranana avait fait appel à une aide logistique française. Les prestations accordées ont été limitées à 6 vols d’avion de transport Nord 2501 entre Tananarive et Tuléar et Fort Dauphin. En outre les officiers de l’assistance militaire technique placés auprès des états-majors et du Bureau Défense de la province de Tuléar ont apporté une aide discrète et efficace ayant permis aux autorités administratives et locales de mener à bien les missions de rétablissement de l’ordre. À aucun moment, la participation des troupes françaises en intervention directe n’a été demandée ni même envisagée. »
-
[127]
Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard, Paris, Fayard/Jeune Afrique, 1995, p. 178-179.
-
[128]
CADN, carton 128.
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[129]
CADN, carton 128 : conseiller militaire. Rapport sur l’intervention du conseiller auprès du général Bocchino, le 25 mai 1972.
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[130]
CADN, carton 128 : rapport du général Bocchino à l’ambassadeur.
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[131]
CADN, carton 128 : mai 1972, lignes générales.
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[132]
Entretien avec Alain Plantey.
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[133]
Pour une chronologie du Mai sénégalais, on peut consulter : A. Bathily, Mai 68 à Dakar ou la révolte universitaire et la démocratie, Paris, Chaka, 1992 ; I. Thioub, « Le mouvement étudiant de Dakar et la vie politique sénégalaise : la marche vers la crise de mai-juin 1968 », in : Les jeunes en Afrique, vol. 2, La politique de la ville, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 267-281 et A. Bathily, « Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj : le mouvement étudiant sénégalais, des origines à 1989 », ibid., p. 282-310. Les archives de l’ambassade de France, conservées au Centre des archives diplomatiques de Nantes, permettent aussi de reconstituer les événements dans le détail : CADN, carton 673. Les synthèses diplomatiques du fonds Foccart sont également intéressantes. Pour une comparaison plus détaillée entre les deux Mai, on peut se référer à F. Blum, « ‘Mai’ africain et malgache : transferts et jeux d’échelle (Dakar, mai-juin 1968, Madagascar, mai 1972) », communication au colloque « Lutter dans les Afrique », Paris, Sorbonne, janvier 2010.
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[134]
Le 18 mai a lieu une grève d’avertissement à Dakar. Le 27 commence la grève générale et le débauchage des lycées.
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[135]
L’Accord en matière d’enseignement supérieur entre la France et le Sénégal date du 5 août 1961 ; l’Institut des hautes études de Dakar est devenu université en 1957.
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[136]
Sur l’insurrection de 1947, voir entre autres : J. Tronchon, L’insurrection malgache de 1947 : essai d’interprétation historique, Paris, Maspero, 1974, rééd. Karthala, 1986 ; L. Rabearimanana, J. Fremigacci, et C. Razafimbelo (dir.), L’insurrection de 1947 et la décolonisation à Madagascar, t. 1, À travers les régions et « là où il ne s’est rien passé », Antananarivo, Tsipika, 2008.