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Article de revue

Historiens et patrimoine en Grande-Bretagne

Pages 116 à 122

Notes

  • [*]
    Université d’Édimbourg. Traduit de l’anglais par Rosine CHRISTIN.
  • (1)
    L’auteur de cet article l’a découvert à ses dépens, il y a quelques années, lorsqu’il tenait une conférence devant un auditoire des « Amis du National Trust » sur le rôle des manoirs anglais comme système d’emprisonnement informel pour un grand nombre de femmes célibataires de la petite noblesse campagnarde, qui ne se sont pas mariées car elles ne possédaient pas une dot suffisamment importante et se sont vues condamnées à une vie monotone, rurale et isolée consacrée à la broderie et aux offices religieux. Ce n’était pas, inutile de le dire, ce que le public souhaitait entendre.
  • (2)
    A. FENTON, « Review of Heritage and Museums, Shaping National Identity, J. M. Fladmark (ed.) », Review of Scottish Culture, 14,2001, p. 144.
  • (3)
    C. DAVIS, « The Ubiquity of Antiquity », Times Higher Education Supplement, II, janvier 2002, p. 17.
  • (4)
    « Editorial », The Times, 16 janvier 2002.
  • (5)
    Le Times rapporte dans son édition du 25 janvier 2002 que le gouvernement nigérian a approuvé à l’unanimité une motion demandant le rapatriement des milliers d’objets de valeur à signification religieuse ou culturelle en possession du British Museum, incluant les statues du XVIe siècle connues sous l’appellation Benin Bronzes, dont l’armée britannique s’est emparée en 1897 pendant la période coloniale. Cette réclamation légitime est (est-il utile de le dire ?) repoussée par la Grande-Bretagne. La relation politique entre la Grande-Bretagne et ses anciennes colonies en Afrique n’est pas particulièrement harmonieuse et semble peu propice, à l’heure actuelle, à l’adoption de telles solutions.
  • (6)
    Mêmesi dans le cas des Bronzes du Bénin, le niveau de sophistication technique du coulage employé pour ces statues évoquait, même au XIXe siècle, une civilisation africaine riche, raffinée et complexe.
  • (7)
    Sur la France, cf. les articles de S. CHASSAGNE, T. LE ROUX, O. KOURCHID et H. MELIN dans Le Mouvement Social, avril-juin 2002.
English version

1La culture populaire britannique est considérablement imprégnée par l’obsession du passé : l’intérêt porté à l’histoire et au patrimoine est plus grand que jamais. Le nombre d’historiens travaillant dans les universités n’a également jamais été aussi élevé. Pourtant il n’est pas sûr qu’il faille y voir une corrélation. Les historiens britanniques ne sont pas à l’origine de l’engouement populaire pour le passé et nombre d’entre eux pensent, malheureusement, que le « patrimoine » ne les concerne en aucun cas. Comment comprendre le peu d’intérêt que suscite cette question auprès des historiens ? De quelle manière s’est développée en Grande-Bretagne l’« industrie du patrimoine » et quelles représentations de l’histoire véhicule-t-elle ? La forte concurrence qui régit son fonctionnement ne fait-elle pas courir un risque, à la fois à la connaissance historique et à la préservation du patrimoine mondial ?

Universitaires et professionnels du patrimoine : clivages et rivalités

2Les raisons qui poussent les universitaires britanniques à peu se soucier du patrimoine sont en partie liées au fractionnement et aux rivalités qui caractérisent l’univers des praticiens du domaine historique. Ces rivalités ont une longue histoire. Hors des universités, les conservateurs de musées forment, parmi les professionnels de l’histoire, un groupe clairement défini, directement intéressé à la question du patrimoine et à la constitution d’une histoire populaire. Bien que souvent formés comme les historiens, de plus en plus fréquemment jusqu’au doctorat, ils ont tendance à se situer dans un cadre intellectuel et culturel dominé par la connaissance approfondie des œuvres et objets anciens (antiquarianism) et l’expertise. La plus importante institution de conservation historique subventionnée par l’État en Angleterre, l’English Heritage (son équivalent en Écosse est l’Historic Scotland), a pour mission de protéger et d’entretenir les lieux de patrimoine (constructions anciennes et monuments historiques) et d’en favoriser l’accès au public. La majorité des historiens professionnels qu’elle emploie sont des archéologues et des historiens de l’architecture qui ont une culture professionnelle différente de celle de la plupart des historiens universitaires. Autre grande institution de conservation et de promotion du patrimoine, le National Trust, qui a un double domaine de compétence. Il possède et gère un grand nombre de manoirs (country-houses) et préserve des étendues importantes de paysages naturels. Là encore, la plupart des conservateurs sont avant tout des experts (notamment parce que les manoirs contiennent d’importantes collections de tableaux et d’antiquités) et ce même si le National Trust recrute aussi des historiens de l’architecture et de l’environnement.

3Il ne fait pas de doute que pour l’historien universitaire, le terme « antiquaire » (antiquarian), que l’on associe au savoir des conservateurs de patrimoine, a une connotation péjorative. La formation de conservateur de patrimoine a moins d’attraits que le cursus historique, car l’étude s’y concentre sur des œuvres et des objets, plutôt que sur des écrits.

4Pour les mêmes raisons, l’archéologie pratique et l’expertise sont nettement moins prestigieuses que la science historique classique. Ces clivages sont apparus au début du XIXe siècle et depuis, en dépit d’une forte tradition empiriste et du développement d’un intérêt pour les œuvres comme domaine à part entière de la recherche historique, les historiens universitaires n’ont pas su donner aux objets le statut de sources. Ces éléments sont importants pour comprendre le fossé qui s’est instauré entre historiens et professionnels du patrimoine : une grande partie des travaux de vulgarisation historique ainsi que des publications sur le patrimoine s’attachent plus au passé matériel qu’à la célébration des grands événements du passé. Les historiens universitaires, qui jouissent du privilège d’exercer une discipline « pure », peuvent considérer de haut les autres professionnels de l’histoire : le mot « patrimoine » fait largement référence en Grande-Bretagne à l’environnement matériel, qui a survécu au passé, à l’univers des musées et des manoirs ainsi qu’aux « conservatoires du patrimoine » que l’on peut visiter. Actuellement, et depuis plus de vingt ans, le succès du patrimoine est mesuré par le nombre des visiteurs et par l’argent qu’ils génèrent. Puisque ce nombre dépend moins de ce qui peut être vu dans un musée ou un manoir que du marketing mis en œuvre par ce musée ou manoir, lui-même considéré comme un produit commercial, le travail des historiens professionnels situés au pôle « patrimoine » de la discipline est inévitablement médiatisé par l’intervention des experts en marketing. La qualité du matériel historique présenté dans les conservatoires du patrimoine s’en est trouvée « abâtardie » avec pour conséquence un nivellement par le bas, la fabrication d’une histoire facile et attrayante pour attirer les masses et faire le plus d’argent possible.

Le boom de l’industrie du patrimoine

5La valeur commerciale du passé a été comprise il y a déjà plusieurs décennies. Lorsque, dans les années 1950, les propriétaires de manoirs et demeures anciennes, prévoyant des taxes élevées et des frais d’entretien importants, ont été obligés de chercher des moyens pour rentabiliser leurs propriétés, ils les ont ouvertes au public, en y ajoutant quelques attractions, des cafés et des boutiques, et faisant payer un droit d’entrée. L’accroissement simultané du nombre des propriétaires de voitures a eu pour conséquence de faire de la visite des manoirs une excursion incontournable pour la famille. L’histoire était entrée dans le royaume des loisirs et, au fil des décennies, les loisirs sont devenus une industrie de plus en plus étendue et compétitive.

6Au début des années 1980, le gouvernement conservateur de Mme Margaret Thatcher a largement utilisé les projets de défense du patrimoine dans ses politiques de développement régional. Des villes aux abois (Liverpool en a été l’archétype) ont reçu des subventions massives pour transformer d’anciennes zones industrielles ou des bâtiments dévastés en y créant des musées, des centres d’art, des magasins de souvenirs, des cafés et des restaurants. De tels projets ont été mis en œuvre par le gouvernement avec pour seul critère de réussite les bénéfices commerciaux et la création d’emplois, aussi éphémères soient-ils. Le développement de « l’industrie du patrimoine » a fait l’objet de nombreuses critiques à la fin des années 1980 de la part des historiens universitaires, frappés par la dégradation de la représentation du passé britannique et par cette fabrication médiocre de l’histoire, seule compensation proposée par le gouvernement au déclin industriel. Quand les mines de charbon fermèrent en masse dans les années 1980, pour réouvrir peu après sous forme de mémoriaux de la mine et du charbon, les anciens mineurs étant employés comme guides, les historiens ne furent pas les seuls à lever les yeux au ciel en signe de consternation et d’incrédulité.

7La critique académique de cette industrie a simplement été ignorée par les différents responsables politiques et par les mandarins du « patrimoine ». Dès lors, historiens universitaires et professionnels du patrimoine s’accordèrent pour diverger. Ils ne faisaient pas le même métier. Le National Trust, dont les principes fondateurs, à la fin du XIXe siècle, établissaient un programme plus ambitieux que la simple réalisation de bénéfices et dont les conservateurs avaient pris très au sérieux les critiques auxquelles devait faire face l’institution, pouvait faire figure d’exception. Mais en réalité, le National Trust offre un autre exemple du fossé qui sépare le travail des historiens universitaires de la vulgarisation historique et de la célébration du patrimoine.

8Le National Trust demeure le plus ancien et le plus puissant représentant d’une interprétation du passé qui a nourri la culture populaire depuis que la Grande-Bre-tagne est devenue une société industrielle et urbaine. Cette représentation de l’histoire est dominée par la nostalgie sensuelle et romantique d’un univers disparu. Elle exalte un monde rural (dans l’imagination populaire, la Grande-Bretagne – et particulièrement l’Angleterre – sera toujours le Jardin d’Éden) avec sa société hiérarchique et paternaliste, simple et sûre. Tout en haut, il y a les aristocrates qui vivent dans de belles et grandes maisons et tout en bas, des paysans qui vivent dans des cottages pittoresques. C’est un monde romanesque, théâtral; le soleil y brille toujours et les gens sont contents de leur sort. Les romans de Jane Austen, tels qu’ils ont été adaptés pour la télévision, décrivent un monde similaire. Cette pastorale des maisons à la campagne est particulièrement populaire chez les femmes. Les entreprises commerciales, qui se sont développées en parallèle des visites de manoirs (on trouve en particulier des boutiques d’« objets du patrimoine » et des salons de thé « à l’ancienne » sur tous les sites du National Trust), sont destinées à séduire le public féminin. Et ce sont souvent les femmes qui prennent les décisions en ce qui concerne les loisirs familiaux. Rêve et shopping sont des aspirations si communes dans la culture contemporaine qu’il est bien inutile de faire remarquer que la vie des gentilshommes campagnards, ou la vie rurale en général, n’ont jamais été ainsi  [1].

9Il est dangereux de manipuler grossièrement le passé et de le transformer en scénarios imaginaires. Comme le disait récemment un ethnologue de renom, travaillant en Écosse : « Les gens croient d’emblée ce qu’on leur dit, qu’il s’agisse de touristes culturels ou d’autochtones. L’interprétation donnée dans un conservatoire de patrimoine ou le commentaire d’œuvres exposées dans un musée peuvent induire en erreur, mais ils s’érigent en canon de vérité, si on les présente avec un peu d’autorité ». C’est une louable ambition que de nous assurer « que ceux qui cherchent à instiller un sentiment d’identité le font au nom d’un savoir véritable, que cela ne doit pas être uniquement la tâche du personnel des institutions et organismes culturels, mais aussi une des priorités dans les écoles et les universités »  [2]. Cependant de telles ambitions ne peuvent jamais être pleinement réalisées, car l’industrie du patrimoine n’offre que bien peu de possibilités d’intervention aux historiens universitaires. Il y a, bien sûr, quelques exceptions notables. Ainsi, les conservateurs des nouvelles British Galleries, récemment ouvertes au Victoria and Albert Museum de Londres, ont engagé un long dialogue avec les historiens sur le développement des nouvelles expositions et ont pris des initiatives pour faciliter l’usage de ces galeries dans l’enseignement supérieur. Les historiens universitaires ont également fait leur entrée dans certains secteurs de la vulgarisation historique. L’histoire à la télévision par exemple, tout en répondant au goût populaire pour le spectacle et le drame quelque peu outrancier (comme certaines séries récentes à grand succès sur la vie de la reine Elizabeth I d’Angleterre), offre aux historiens la possibilité de toucher une plus large audience. Les programmes Time Team d’archéologie au jardin, ou la série House Detective, qui retrace l’histoire de maisons ordinaires en présentant des références documentaires, archéologiques et architecturales, ont toutes deux beaucoup de succès et font appel aux talents et à l’expertise des historiens universitaires. Mais il nous faut aller au-delà, nous engager plus directement, et parfois de manière plus combative, dans les débats politiques qui font les grandes orientations dans le domaine de la gestion du patrimoine. Et pour cela, il ne faut pas se contenter d’une simple contestation de la notion de patrimoine.

Les effets de la concurrence et la préservation du patrimoine mondial

10L’idée selon laquelle il y a trop de musées en Grande-Bretagne, qu’ils conservent trop de pièces et de collections que personne ne voit jamais, et que le secteur des musées devrait être rationalisé pour assurer une meilleure présentation de notre héritage, a récemment été débattue dans la presse. Elle est à mettre en relation avec la critique de « l’industrie du patrimoine » qui s’est développée depuis vingt ans. La prolifération des musées en Grande-Bretagne (on estime qu’il s’en est ouvert cinq cents nouveaux depuis les vingt dernières années) a conduit certains professionnels à plaider pour une pause et une large réévaluation du rôle des musées au XXIe siècle  [3]. Un des grands problèmes de ce secteur est, en effet, que si l’argent est bien disponible pour la création de musées, les ressources publiques pour leur maintenance sont inadaptées, si bien que de nombreuses œuvres restent dans les réserves, faute de moyens pour les exposer. Soumis aux pressions du marché et tenus de percevoir un droit d’entrée pour assurer leur fonctionnement, certains musées ont fait faillite, le plus célèbre étant le National Center for Popular Music, situé dans une zone industrielle au nord de Sheffield. La mode et le marché ont détruit nombre des valeurs sur lesquelles reposait dans le passé la gestion des musées, sans qu’elles aient été préalablement remplacées par de nouvelles. Il est temps aujourd’hui d’engager une large discussion sur les objectifs de la conservation du patrimoine et pourquoi pas d’évoquer l’idée que certains musées sont peut-être superflus.

11L’une des principales difficultés rencontrées par de nombreux musées dans la lutte qu’ils mènent pour survivre dans un environnement concurrentiel vient du peu d’intérêt de ce que l’on peut y voir. D’autres au contraire, en particulier les fondations conservant les grandes collections d’œuvres du XVIIIe ou XIXe siècle, s’enorgueillissent d’œuvres historiques d’importance mondiale. Cependant ces collections sont de plus en plus sujettes à controverse, surtout lorsque les œuvres ont été acquises de manière contestable. En est exemplaire le cas des Elgin Marbles (les marbres d’Elgin), plus correctement connus sous le nom de Parthenon Marbles, dont Lord Elgin, ambassadeur à Constantinople, a pris possession durant la dernière décennie du XVIIIe siècle, alors que la Grèce était sous domination ottomane. Ce gentilhomme écossais nécessiteux a toujours eu l’intention de vendre les marbres à l’État britannique pour en tirer un bon profit. A l’époque déjà, de nombreux commentateurs, en Grande-Bre-tagne et ailleurs, considéraient le déplacement des marbres comme un acte de vandalisme. Beaucoup pensaient qu’ils auraient dû rester sur le site pour lequel ils avaient été créés, au cœur de l’ancienne civilisation grecque. Au début du XIXe siècle, certains hellénistes romantiques, comme le poète Lord Byron, ont lutté pour libérer la Grèce de la domination turque et ont perpétué la controverse. Durant les deux derniers siècles, des appels ont régulièrement été lancés en faveur du rapatriement, généralement pendant des périodes de ferveur nationaliste en Grèce. L’approche des Jeux Olympiques de 2004 a ravivé le débat et certains ont suggéré que le British Museum prête les marbres à la Grèce pour la durée de l’événement. La réponse du directeur du musée fut un refus catégorique, accompagné d’assertions paternalistes, recommandant à la Grèce de concentrer ses efforts sur les trésors qu’elle possède, plutôt que de convoiter ceux qui sont en Grande-Bretagne, qui ont été mieux traités et qui ont bénéficié d’un public plus large que s’ils étaient restés à Athènes  [4]. Si la demande a pu être écartée jusqu’à présent, elle resurgira régulièrement jusqu’à ce que les Marbres d’Elgin soient rendus à la Grèce, ce qui tôt ou tard arrivera, et sans doute plus pour des raisons politiques que culturelles ou historiques. De fait, ils devraient être rendus et une discussion plus large et mieux informée devrait être organisée pour débattre de l’avenir des grandes collections des musées britanniques, et particulièrement de celles qui abritent des trésors d’importance internationale, qui appartiennent de droit à d’autres nations (les Bronzes du Bénin en sont un autre exemple)  [5].

12Le débat sur le rapatriement de certains des trésors acquis par la Grande-Bretagne soulève une question plus large que celle de la propriété d’objets, elle concerne la propriété et l’interprétation du patrimoine mondial. Il est évident que dans le passé, l’histoire a été manipulée afin d’avaliser la domination coloniale en insistant sur le caractère relativement primitif des peuples soumis  [6]. Nous ne proclamons plus ces affirmations impérialistes, mais dans un monde post-colonial, de nombreuses institutions défendent encore avec fermeté le droit pour la Grande-Bretagne à protéger un patrimoine international. Les historiens y croient-ils encore ? Il serait intéressant de le savoir. L’une des solutions les plus fréquemment proposées dans le débat sur les Marbres d’Elgin consiste à remplacer les originaux par des copies et à renvoyer les Marbres en Grèce; une autre est d’échanger en alternance copies et originaux selon des règles établies, pour que chaque nation puisse jouir d’œuvres qui ont eu des rôles importants, quoique différents, dans leurs cultures nationales respectives. Les professionnels des musées objectent au nom de l’authenticité, thème de prédilection dans le monde des beaux-arts et de l’expertise, probablement l’une des principales préoccupations des professionnels de ce domaine. Le British Museum ne peut souscrire à l’idée de conserver des copies des Elgin Marbles, alors que de nombreux conservatoires de patrimoine à succès ne possèdent rien de réellement ancien et n’ont même que des copies. Ainsi, le Jorvik Viking Centre à York, entreprise commerciale bien que créée à partir d’une recherche universitaire, est-il la reconstruction complète, à l’aide de techniques et de matériaux modernes, d’un village Viking. Le Beamish Industrial Heritage, conservatoire très célèbre et de grande qualité fondé dans les années 1970, est une collection éclectique de bâtiments et de machines de différents lieux et de différentes époques. Certains, venus de loin, ont été reconstruits sur place et n’auraient sans doute jamais coexisté de la sorte dans le passé. Dans les deux cas, le manque d’authenticité n’a pas rebuté le public payant. La question est de savoir s’il a compromis sa perception du passé. Les puristes peuvent répondre par l’affirmative, les historiens devraient avoir une vision plus large.

13Je n’approuve pas les historiens et ethnographes distingués qui pensent que les historiens, les universités et les écoles devraient faire la police dans l’industrie du patrimoine et corriger les perceptions erronées du passé. L’industrie du patrimoine fera comme bon lui semble, sans se préoccuper d’une élite intellectuelle ou culturelle pontifiante. Et si cela signifie répondre à une demande populaire et aux besoins d’une population, qui considère le passé comme une agréable évasion pour l’imagination, qu’il en soit ainsi. Il n’en reste pas moins que les historiens professionnels devraient prendre quelques risques, non pas seulement pour critiquer, ce qui est toujours facile, mais pour réfléchir à la signification du passé dans la culture populaire actuelle, discuter et critiquer les professionnels de l’expertise qui font le « patrimoine » dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui  [7].

Notes

  • [*]
    Université d’Édimbourg. Traduit de l’anglais par Rosine CHRISTIN.
  • (1)
    L’auteur de cet article l’a découvert à ses dépens, il y a quelques années, lorsqu’il tenait une conférence devant un auditoire des « Amis du National Trust » sur le rôle des manoirs anglais comme système d’emprisonnement informel pour un grand nombre de femmes célibataires de la petite noblesse campagnarde, qui ne se sont pas mariées car elles ne possédaient pas une dot suffisamment importante et se sont vues condamnées à une vie monotone, rurale et isolée consacrée à la broderie et aux offices religieux. Ce n’était pas, inutile de le dire, ce que le public souhaitait entendre.
  • (2)
    A. FENTON, « Review of Heritage and Museums, Shaping National Identity, J. M. Fladmark (ed.) », Review of Scottish Culture, 14,2001, p. 144.
  • (3)
    C. DAVIS, « The Ubiquity of Antiquity », Times Higher Education Supplement, II, janvier 2002, p. 17.
  • (4)
    « Editorial », The Times, 16 janvier 2002.
  • (5)
    Le Times rapporte dans son édition du 25 janvier 2002 que le gouvernement nigérian a approuvé à l’unanimité une motion demandant le rapatriement des milliers d’objets de valeur à signification religieuse ou culturelle en possession du British Museum, incluant les statues du XVIe siècle connues sous l’appellation Benin Bronzes, dont l’armée britannique s’est emparée en 1897 pendant la période coloniale. Cette réclamation légitime est (est-il utile de le dire ?) repoussée par la Grande-Bretagne. La relation politique entre la Grande-Bretagne et ses anciennes colonies en Afrique n’est pas particulièrement harmonieuse et semble peu propice, à l’heure actuelle, à l’adoption de telles solutions.
  • (6)
    Mêmesi dans le cas des Bronzes du Bénin, le niveau de sophistication technique du coulage employé pour ces statues évoquait, même au XIXe siècle, une civilisation africaine riche, raffinée et complexe.
  • (7)
    Sur la France, cf. les articles de S. CHASSAGNE, T. LE ROUX, O. KOURCHID et H. MELIN dans Le Mouvement Social, avril-juin 2002.
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