Notes
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[1]
Rapport du P. Chaillet, s.j. sur Témoignage chrétien et l’Amitié chrétienne, 1941-1942, p. 4, Archives privées.
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[2]
Ibid., p. 2.
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[3]
P. Chaillet, “Histoire clandestine du Témoignage chrétien”, Témoignage chrétien n° du 28 octobre 1944. Dans ce même récit, le P. Chaillet précise : “D’origine et de direction catholique, les Cahiers suscitèrent l’intérêt le plus averti chez nos compatriotes protestants. Grâce à eux se scella […] une profonde union entre Français soucieux des valeurs permanentes de notre civilisation, dont le racisme hitlérien proclamait bruyamment la faillite.” Témoignage chrétien, 11 novembre 1944.
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[4]
Karl Barth, “Une question et une prière aux protestants de France”, Bâle, octobre 1940, in Témoignage chrétien, 1941-1944, Cahiers et Courriers, réédition intégrale en fac-similé, deux tomes, Renée Bédarida, tome 1, 1, p. 47.
-
[5]
Pierre Chaillet, L’Autriche souffrante, Paris, Bloud et Gay, 1939, p. 109. Cet ouvrage, inscrit sur la liste Otto, fut retiré de la vente dès les premiers jours de l’occupation allemande en 1940.
-
[6]
Ibid., p. 108.
-
[7]
Renée Bédarida, Pierre Chaillet, témoin de la résistance spirituelle, Paris, Fayard, 1988, pp. 81-82.
-
[8]
Cf. L’Eglise est une. Hommage à Möhler, publication et introduction de Pierre Chaillet, Paris, Bloud et Gay, 1939.
-
[9]
Le cardinal Tisserant, en poste au Vatican, semble, d’après des archives allemandes, avoir, dès décembre 1939, supplié Pie XII de faire une encyclique sur le devoir des chrétiens d’obéir au dictamen de la conscience, considéré comme le point vital du christianisme. Pie XII ne répondit pas. Cf. E. Jäckel, Zur Politik der heilige Stuhle in zweiten Weltkrieg. Ein ergänzende Dokument, die Geschichte in Wissenschaft und Unterricht, 1964, tome 15, pp. 197-203.
-
[10]
L’Amitié judéo-chrétienne, n° 3, 1972.
-
[11]
Collaboration et fidélité, Témoignage chrétien, réédition intégrale, tome 1, p. 187.
-
[12]
Rapport du P. Chaillet. Les cinq Cahiers sont : Notre Combat, Les racistes peints par eux-mêmes, Antisémites, Droits de l’homme et du chrétien, Collaboration et fidélité.
-
[13]
Antisémites, cahier de 30 pages, textes des PP. Chaillet, de Lubac, Ganne et de Joseph Hours.
-
[14]
“Etat du judaïsme français”, Esprit, n° 10, septembre 1945, p. 489.
-
[15]
Témoignage chrétien, 11 novembre 1944.
-
[16]
On peut citer, notamment : Asher Cohen, Persécutions et sauvetages, Paris, Cerf, 1993 ; Lucien Lazare, La résistance juive en France, Paris, Stock, 1987 ; Le livre des justes, Paris J.C. Lattès, 1993.
-
[17]
“Les droits de l’homme et du chrétien”, in Témoignage chrétien, 1941-1944, Cahiers et Courriers, réédition intégrale, tome 1, p. 178. C’est nous qui soulignons.
-
[18]
Cf. Lucien Lazare, L’abbé Glasberg, préface du cardinal Decourtray, Cerf, Paris, 1990.
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[19]
Voir à ce sujet ce qu’écrit le P. Chaillet, dans Renée Bédarida, Pierre Chaillet, témoin de la résistance spirituelle, Fayard, Paris, 1988, p. 131.
-
[20]
R.R. Lambert, Carnet d’un témoin (1940-1943), présenté et annoté par Richard Cohen, Fayard, Paris, 1985, n. 107, p. 276.
-
[21]
En février 1944, le P. Chaillet est nommé par Jacques Bingen, délégué du Comité français de libération nationale, président du “Comité des Oeuvres sociales des organisations de la Résistance” (COSOR), service social à l’échelle nationale créé pour venir en aide à toutes les victimes de la répression. A la tête de cet organisme pendant des années, le Père a continué de collaborer avec les œuvres juives d’assistance. Cf. Renée Bédarida, Pierre Chaillet, témoin de la Résistance spirituelle, Fayard, Paris, 1988.
-
[22]
Aussi nous interrogeons-nous, lorsque Lucien Lazare parle à propos du P. Chaillet et des militants de l’Amitié chrétienne de Français n’ayant “pas hésité à se mettre au service d’un réseau juif de sauvetage”. Lucien Lazare, Le livre des justes, p. 169. Signalons que le P. Chaillet a reçu la Médaille des Justes à titre posthume en octobre 1982.
1Dans les mois qui suivirent la victoire alliée, le jésuite Pierre Chaillet, fondateur du mouvement Témoignage Chrétien et principal animateur de l’Amitié Chrétienne, rédige pour ses supérieurs un rapport - malheureusement trop succinct pour l’historien toujours avide de documents - sur ses activités clandestines. Dans ce texte de quelques pages, il précise les motivations essentielles de son combat et résume avec sobriété ses engagements de résistance contre l’Allemagne nazie. En conclusion, pour récapituler cette action, figurent ces lignes significatives : “Ce fut le combat de la résistance des catholiques, des protestants et des juifs pour sauver l’âme de la France, en attendant de combattre pour sa libération” [1].
2Dans son récit, le P. Chaillet met en lumière deux aspects primordiaux de la résistance où il s’est investi corps et âme. D’abord, “Il faut noter, écrit-il, que, dès l’origine (notre) témoignage avait un caractère œcuménique”. En second lieu, il ajoute quelques lignes plus loin : “Il n’est pas moins important de souligner que dès le début de 1942 des liens très étroits s’établissent entre Témoignage chrétien et la résistance juive [2]”. Aussi, nous efforcerons-nous dans cette brève contribution de montrer comment cette double ligne s’est inscrite dans les faits.
3Première donnée : le caractère œcuménique des Cahiers et Courriers du Témoignage chrétien qui a été sans conteste la marque spécifique du mouvement. En effet, ces publications clandestines visaient avant tout à mettre en évidence la nature antichrétienne de la Weltanschauung hitlérienne et à défendre en bloc le christianisme et ses valeurs contre les théories néopaïennes des maîtres à penser nazis. Selon les propres termes du jésuite, le combat du Témoignage chrétien ambitionnait de rassembler “pour le grand Front de résistance spirituelle contre la dictature hitlérienne, le Front invisible et invincible des âmes”. [3] Initié et dirigé par des catholiques, le Témoignage chrétien fut très vite rejoint par des protestants, le premier d’entre eux étant le pasteur Roland de Pury. Ce dernier souscrivait comme le P. Chaillet à l’affirmation catégorique du théologien protestant Karl Barth, qui, dès le lendemain de l’armistice, rappelait aux protestants de France que “dans l’Eglise de France, la guerre doit spirituellement continuer. L’Eglise ne peut, sous aucun prétexte, conclure avec Hitler une paix ou un armistice [4]”.
4Professeur de théologie au scolasticat jésuite de Fourvière à Lyon, dans la deuxième moitié des années trente, Pierre Chaillet avait effectué de nombreux séjours d’étude en Allemagne et en Autriche, et il avait été le spectateur lucide et anxieux des débuts du nazisme et de ce qu’il avait appelé “son monstrueux défi”. Au retour d’un voyage à Vienne effectué au lendemain de l’Anschluss, et au cours duquel il avait visité l’exposition nazie “Le Juif éternel” et constaté en diverses occasions le déferlement de la violence et de la haine antisémites, il notait dans un petit ouvrage intitulé L’Autriche souffrante : “Le triomphe de l’hitlérisme en Autriche devait marquer un déchaînement de terreur raciste. Nous touchons ici l’aspect le plus tragiquement inhumain de cette révolution.” [5] Dans un chapitre intitulé “Le temps du mépris” il dénonçait la sinistre mise en route de la soi-disant purification de la race germanique par la traque et l’élimination des Juifs autrichiens. Au cours de l’hiver 1938-1939, par des conférences dans la région lyonnaise et des écrits publiés dans la revue jésuite Etudes, il ne cessa de mettre en garde contre “l’ombre grandissante de la croix gammée sur l’Europe”, terrible “avertissement plein de gravité” [6].
5Témoin de la tragédie juive en Autriche, le P. Chaillet ne l’oubliera pas quand il parviendra à regagner la France en décembre 1940 après avoir été mobilisé en 1939-1940 et affecté en Hongrie. Très vite, il participe, à la demande du cardinal Gerlier, au “Comité de coordination pour l’assistance dans les camps”, (dit “Comité de Nîmes”), et renoue avec les activités caritatives d’accueil qu’il avait gérées avant la guerre au profit des nombreux exilés qui arrivaient à Lyon, fuyant leur pays. [7] Cependant, son souci premier est alors de rechercher des contacts de résistance car il est fermement résolu à se lancer dans une action souterraine.
6En vérité l’itinéraire suivi par ce religieux singulier est complexe et son engagement s’alimente à plusieurs sources. D’abord on peut se demander, à l’heure où la hiérarchie de l’Eglise de France s’était massivement ralliée au régime de Vichy et prônait l’adhésion et l’obéissance au maréchal Pétain, si la familiarité avec l’idéologie nazie et avec la persécution des Juifs outre-Rhin aurait eu un poids suffisant pour faire entrer en résistance active un religieux rompu à l’obéissance à ses supérieurs hiérarchiques et à l’Eglise. En fait, d’autres motivations d’ordre spirituel ont joué, on peut notamment avancer que Pierre Chaillet était préparé à la résistance par la longue fréquentation de son maître en théologie, Jean-Adam Möhler, le grand ecclésiologue de l’école de Tübingen, qui renouvela au XIXe siècle la conception de l’Eglise en affirmant l’indispensable liberté de la conscience et la nécessaire autonomie à l’égard du pouvoir temporel, quand celui-ci et la loi divine s’affrontent et se contredisent. L’approfondissement, par Chaillet, de la pensée du théologien allemand, le renforça dans sa propre conviction qu’il existe des circonstances qui obligent les chrétiens, sous peine d’infidélité, à obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. [8] C’est pourquoi, dès 1940, il donna le primat au dictamen de sa conscience pour se conformer aux commandements évangéliques. [9] On remarquera d’ailleurs que dans son Rapport de 1945, le P. Chaillet commence par ces mots : “A vrai dire, je n’ai jamais eu le sentiment d’entrer dans la résistance. Je connaissais dès ses débuts le nazisme et son monstrueux défi”. De là, le refus de toute compromission avec le néopaganisme hitlérien et par voie de conséquence de la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie menée par Vichy. Après sa mort, cette attitude d’intransigeance a fort bien été évoquée par son associé des années de combat, le pasteur Roland de Pury : “La résistance au nazisme jusqu’à sa destruction était le préalable de toute réflexion et de toute action, l’objectif primaire et premier de toute attitude chrétienne (…), la condition première de cette résistance était la solidarité judéochrétienne. On savait bien que tel était le sens de l’Amitié chrétienne”. [10]
7C’est à l’automne de 1941 qu’a débuté la grande aventure des Cahiers du Témoignage chrétien, tandis qu’est créé, à Lyon également, un comité interconfessionnel d’entraide, où catholiques, protestants et israélites conjuguent sans trêve leurs efforts pour soustraire aux arrestations les Juifs étrangers et français. Ce comité prendra bientôt le nom d’Amitié chrétienne. Ces deux créations ont incarné la double exigence impartie aux chrétiens : défendre la vérité contre la tentative nazie de perversion des consciences (à laquelle contribue la propagande de Vichy, complice de l’“Ordre nouveau”) ; défendre les droits et la dignité de l’homme par une charité agissante envers les victimes du racisme.
8Le Témoignage chrétien s’est donc donné pour mission de faire prendre conscience aux chrétiens de leur devoir : témoigner leur foi et organiser une résistance au nazisme. “Plus celui-ci fera sentir fortement sa domination sur notre France, plus il importera que cette résistance spirituelle devienne lucide et ferme”. [11] Tout au long de l’année 1942 les Cahiers assumèrent la charge de dénoncer les principes de base de l’idéologie hitlérienne, en particulier la conception païenne du monde et l’antisémitisme. Pareil choix allait permettre que “des liens très étroits s’établissent entre Témoignage chrétien et la résistance juive. Une des lignes maîtresses de Témoignage chrétien fut en effet de dénoncer ce que Péguy appelait “la scélératesse et l’imbécillité antisémites”. La recrudescence des persécutions raciales, qui atteignit son apogée dans l’été de 1942, nous prescrivait de relever impitoyablement le défi antisémite. Les cinq cahiers diffusés en 1942 retracent en lignes vengeresses la honte des complicités silencieuses” [12]. En particulier, le cahier Antisémites, diffusé en juin 1942, a voulu clamer très haut le lien spirituel entre christianisme et judaïsme [13]. Le P. Chaillet, témoin impuissant à Vienne “de la chasse honteuse à l’homme, traqué comme une bête immonde”, s’était promis de dénoncer l’imposture de l’antisémitisme. C’est pourquoi les rédacteurs des Cahiers n’ont cessé de démontrer dans leurs écrits que l’antisémitisme allait de pair avec l’anti-christianisme et que la haine manifestée envers les Juifs atteignait aussi les disciples du Christ. Une telle assurance de la solidarité judéo-chrétienne - alors très neuve - n’a pas laissé d’apporter à ceux des Juifs qui lisaient les Cahiers un grand réconfort, comme l’a expliqué Rabinovitch au lendemain de la guerre : “Nous étions inondés de joie à lire telle lettre pastorale ou tel Cahier de Témoignage Chrétien parce que chaque fois le silence était rompu” [14].
9Le P. Chaillet, nous le verrons, avait établi des liens réguliers avec des résistants juifs et c’est par eux que l’équipe du Témoignage chrétien fut informée et put rendre compte de la rafle parisienne des 16 et 17 juillet 1942 dans le cahier Droits de l’homme et du chrétien qui sortit autour du 15 août. Curieusement, ce sera encore un correspondant juif de zone nord qui informera le journal du drame d’Oradour-sur-Glane.
10Après la guerre le P. Chaillet a continué d’insister sans relâche sur la solidarité qui avait rapproché chrétiens résistants et Juifs pourchassés dans les temps d’épreuves et qui devait, à ses yeux, servir d’exemple et de référence pour l’avenir. “Au besoin, explique-t-il dans son rapport à ses supérieurs, nous devions courir le risque d’arracher les victimes à l’impitoyable barbarie des déportations. Nous ignorions encore l’hallucinante réalité des camps de la mort”. Ailleurs, il précise : “Il n’est pas exagéré de dire qu’il s’est ainsi constitué dans la résistance un front chrétien de protection des juifs persécutés. {…] L’Amitié chrétienne et le Témoignage chrétien ont été sous l’occupation des symboles actifs de cette unité.” [15]
11A l’heure actuelle, un nombre croissant d’historiens, les uns en Israël, d’autres en France, se sont attachés à étudier les conditions du sauvetage, par des non-juifs, de Juifs traqués par la police française et par les autorités allemandes entre 1940 et 1944, afin, entre autres, de rendre hommage à ceux ou celles qui s’étaient dévoués pour leurs coréligionnaires [16]. Pour notre part, ce qui nous intéresse ici c’est de discerner dans quelle mesure l’équipe du Témoignage chrétien, qui s’était donné comme mission prioritaire de rompre le silence et de dénoncer par la plume le racisme, a agi concrètement en vue d’apporter une contribution efficace à la lutte contre la persécution et au sauvetage des victimes. Comment en effet des consciences en éveil n’auraientelles pas subi le choc de la question angoissée posée au P. Chaillet par le correspondant parisien qui lui décrivait le drame de la rafle des 16 et 17 juillet 1942, “Que pouvez-vous faire pour nous ?” A quoi le Témoignage Chrétien répondait tristement : “Hélas, rien d’efficace”, mais en ajoutant : “Nous pouvons du moins aider les œuvres d’assistance qui chercheront à pallier aux conséquences de ces rafles monstrueuses […]. II faut. qu’au besoin nous ayons le courage de soustraire à ces mesures arbitraires les victimes livrées froidement aux réquisitions de la Gestapo. Sauver un innocent n’est pas un acte de rébellion, mais obéissance aux lois non écrites de la justice et de la charité” [17].
12Lorsque s’organise à Lyon l’association d’entraide qui rassemble catholiques, protestants et israélites, tous résolus à conjuguer leurs efforts pour venir au secours de Juifs en quête d’hébergement, d’argent et avant tout de faux papiers, afin de les soustraire aux arrestations et déportations, cette œuvre prend le nom d’Amitié chrétienne, car seuls les chrétiens peuvent agir plus ou moins au grand jour. Déjà, depuis des mois, un prêtre d’origine juive, l’abbé Glasberg, s’était donné pour charge de faire échapper des proscrits allemands ou autrichiens, juifs ou non, recherchés par la police de Vichy. [18] Pour financer son Comité d’aide aux réfugiés, ce prêtre entreprenant, à l’infatigable énergie, avait fait largement appel aux organisations juives déjà mobilisées pour porter secours aux internés des camps. En ce qui concerne l’Amitié chrétienne, tant ses fondateurs lyonnais que le P. Chaillet se tiennent constamment en relation avec des membres du Consistoire. A ce propos, le jésuite précise dans son rapport : “Avec l’accentuation progressive des mesures d’exception visant particulièrement les Juifs, l’Amitié chrétienne devint bientôt le paravent d’un important service en faveur des persécutés raciaux, soutenu financièrement par des représentants qualifiés du judaïsme français. André Weil fut dès 1941 l’un des plus actifs et des plus efficaces, de même que Samy Lattès et Yves Lion.”
13L’aide financière fournie par le Consistoire à l’Amitié chrétienne semble avoir provoqué quelque gêne dans certains milieux juifs. Ainsi on relève dans une note du Carnet d’un témoin (1940-1943), de Raymond Raoul Lambert, consacrée à “l’organisation de secours de protestants et de catholiques qui assista les Juifs pendant la guerre”, de l’éditeur de l’ouvrage, Richard Cohen, le commentaire suivant : “A la fin de 1941, en réaction à l’établissement de l’UGIF, les milieux consistoriaux s’adressèrent à cette organisation pour qu’elle dispense ses secours plus largement grâce à l’aide du Consistoire, (…) Le conseil d’administration des rabbins français s’inquiétait d’un prosélytisme possible des Amitiés chrétiennes (sic) et demanda des assurances (qui furent données) [19] contre cette éventualité. Dans le cadre de cet accord, le Consistoire remit des fonds aux Amitiés chrétiennes” [20], ce que paraît avoir regretté R.R. Lambert.
14Incontestablement le P. Chaillet a été la cheville ouvrière des relations dans la Résistance entre chrétiens et Juifs ; il a, d’ailleurs, conservé après la guerre des relations de travail et d’amitié avec plusieurs des membres du Consistoire qui ont été mentionnés [21]. Pour sa modeste part, l’auteur de ces lignes se souvient avoir servi parfois d’agent de liaison entre ces personnalités. Elle se rappelle le climat d’entente régnant alors, tant la présence d’hommes tels que le P. Chaillet et l’abbé Glasberg dans ces activités caritatives inspiraient la confiance et atténuaient le sentiment d’insécurité parmi les membres du Consistoire. Ces rapports fréquents, éprouvés, confiants, ont permis bien des actions communes. [22]
15Concluons. C’est une évidence qu’une réelle et efficace solidarité s’est affirmée, développée et maintenue entre l’équipe de catholiques, de protestants et de Juifs associés dans l’Amitié chrétienne et les organisations juives qui sollicitaient son aide. D’un autre côté il est non moins évident que des non-juifs pouvaient intervenir et agir de façon moins compromettante et moins dangereuse que les sauveteurs juifs. En fin de compte chacun a constamment gardé le souci de maintenir son autonomie. Pour les protestants et les catholiques, la première exigence était de se montrer fidèles aux exigences de l’Evangile et d’obéir aux commandements divins. En outre, pour les catholiques, il s’agissait, par leur engagement de résistance et d’entraide, de sauver l’honneur de l’Eglise. Pour les Juifs comme pour les chrétiens il fallait sauver le plus de personnes pourchassées possible et par là défendre la dignité et les droits de l’homme. C’est pourquoi chrétiens résistants et Juifs se sont constamment rejoints sur ces exigences tout en conservant leurs spécificités de motivations et d’action. Notons cependant, que c’est à partir de ce combat commun qu’est née, peu après la fin des hostilités, l’association héritière de cette entente pionnière des temps d’épreuve, et qui prendra le nom d’Amitié judéo-chrétienne.
Notes
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[1]
Rapport du P. Chaillet, s.j. sur Témoignage chrétien et l’Amitié chrétienne, 1941-1942, p. 4, Archives privées.
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[2]
Ibid., p. 2.
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[3]
P. Chaillet, “Histoire clandestine du Témoignage chrétien”, Témoignage chrétien n° du 28 octobre 1944. Dans ce même récit, le P. Chaillet précise : “D’origine et de direction catholique, les Cahiers suscitèrent l’intérêt le plus averti chez nos compatriotes protestants. Grâce à eux se scella […] une profonde union entre Français soucieux des valeurs permanentes de notre civilisation, dont le racisme hitlérien proclamait bruyamment la faillite.” Témoignage chrétien, 11 novembre 1944.
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[4]
Karl Barth, “Une question et une prière aux protestants de France”, Bâle, octobre 1940, in Témoignage chrétien, 1941-1944, Cahiers et Courriers, réédition intégrale en fac-similé, deux tomes, Renée Bédarida, tome 1, 1, p. 47.
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[5]
Pierre Chaillet, L’Autriche souffrante, Paris, Bloud et Gay, 1939, p. 109. Cet ouvrage, inscrit sur la liste Otto, fut retiré de la vente dès les premiers jours de l’occupation allemande en 1940.
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[6]
Ibid., p. 108.
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[7]
Renée Bédarida, Pierre Chaillet, témoin de la résistance spirituelle, Paris, Fayard, 1988, pp. 81-82.
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[8]
Cf. L’Eglise est une. Hommage à Möhler, publication et introduction de Pierre Chaillet, Paris, Bloud et Gay, 1939.
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[9]
Le cardinal Tisserant, en poste au Vatican, semble, d’après des archives allemandes, avoir, dès décembre 1939, supplié Pie XII de faire une encyclique sur le devoir des chrétiens d’obéir au dictamen de la conscience, considéré comme le point vital du christianisme. Pie XII ne répondit pas. Cf. E. Jäckel, Zur Politik der heilige Stuhle in zweiten Weltkrieg. Ein ergänzende Dokument, die Geschichte in Wissenschaft und Unterricht, 1964, tome 15, pp. 197-203.
-
[10]
L’Amitié judéo-chrétienne, n° 3, 1972.
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[11]
Collaboration et fidélité, Témoignage chrétien, réédition intégrale, tome 1, p. 187.
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[12]
Rapport du P. Chaillet. Les cinq Cahiers sont : Notre Combat, Les racistes peints par eux-mêmes, Antisémites, Droits de l’homme et du chrétien, Collaboration et fidélité.
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[13]
Antisémites, cahier de 30 pages, textes des PP. Chaillet, de Lubac, Ganne et de Joseph Hours.
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[14]
“Etat du judaïsme français”, Esprit, n° 10, septembre 1945, p. 489.
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[15]
Témoignage chrétien, 11 novembre 1944.
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[16]
On peut citer, notamment : Asher Cohen, Persécutions et sauvetages, Paris, Cerf, 1993 ; Lucien Lazare, La résistance juive en France, Paris, Stock, 1987 ; Le livre des justes, Paris J.C. Lattès, 1993.
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[17]
“Les droits de l’homme et du chrétien”, in Témoignage chrétien, 1941-1944, Cahiers et Courriers, réédition intégrale, tome 1, p. 178. C’est nous qui soulignons.
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[18]
Cf. Lucien Lazare, L’abbé Glasberg, préface du cardinal Decourtray, Cerf, Paris, 1990.
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[19]
Voir à ce sujet ce qu’écrit le P. Chaillet, dans Renée Bédarida, Pierre Chaillet, témoin de la résistance spirituelle, Fayard, Paris, 1988, p. 131.
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[20]
R.R. Lambert, Carnet d’un témoin (1940-1943), présenté et annoté par Richard Cohen, Fayard, Paris, 1985, n. 107, p. 276.
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[21]
En février 1944, le P. Chaillet est nommé par Jacques Bingen, délégué du Comité français de libération nationale, président du “Comité des Oeuvres sociales des organisations de la Résistance” (COSOR), service social à l’échelle nationale créé pour venir en aide à toutes les victimes de la répression. A la tête de cet organisme pendant des années, le Père a continué de collaborer avec les œuvres juives d’assistance. Cf. Renée Bédarida, Pierre Chaillet, témoin de la Résistance spirituelle, Fayard, Paris, 1988.
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[22]
Aussi nous interrogeons-nous, lorsque Lucien Lazare parle à propos du P. Chaillet et des militants de l’Amitié chrétienne de Français n’ayant “pas hésité à se mettre au service d’un réseau juif de sauvetage”. Lucien Lazare, Le livre des justes, p. 169. Signalons que le P. Chaillet a reçu la Médaille des Justes à titre posthume en octobre 1982.