1Je vous remercie de m’avoir demandé d’apporter ma contribution à ce colloque anniversaire, et donc je dois vous parler de la presse de la collaboration face au statut d’octobre 1940 et de juin 1941. C’est un sujet qui a, bien sûr, sa place dans nos interrogations d’aujourd’hui puisque la Presse est le véhicule essentiel à l’époque, avec la littérature, de l’opinion publique. Je crois néanmoins nécessaire de faire beaucoup de citations en parcourant la presse de la collaboration, et je dois dire que ces citations sont tout à fait insupportables.
2J’avais eu l’occasion de les étudier, il y a vingt ans maintenant, en faisant une thèse, et les retrouver m’a paru tout à fait surprenant, donc je ne sous-estime pas l’effet que certaines citations vont avoir sur vous ; mais je crois que pour connaître un problème, il vaut mieux affronter la vérité
3La vérité de la presse de la collaboration c’est un certain nombre d’affirmations dont je vous laisserai juges, nous sommes là après tout pour cela.
4L’adoption de ce statut des Juifs du 3 octobre, sa promulgation au Journal officiel le 20 octobre, ne fait pas grand bruit dans la presse parisienne, vous l’aviez signalé.
5Elle ne fait pas grand bruit dans la presse parisienne, pour plusieurs raisons :
6La première raison a trait à la Presse elle-même. Celle-ci a été touchée de plein fouet par le déménagement collectif, par l’exode, et par l’installation du gouvernement à Bordeaux puis à Vichy. En octobre 1940, la plupart des journaux paraissent tant bien que mal en zone sud, quelques uns seulement ont repris leur parution en zone nord, et parmi ceux-là, Le Matin et La Victoire ; Les Dernières Nouvelles de Paris ; Paris-Soir, qui a reparu le 22 juin, mais le Paris-Soir qui n’est pas celui de Jean Prouvost ; La France au Travail ; Au Pilori, journal célèbre par la suite, qui naît le 12 juillet 1940 ; L’Oeuvre, un des principaux journaux collaborationniste, revient à Paris le 21 septembre 1940, quelques jours seulement avant le statut et sa promulgation ; Le cri du peuple enfin, de Jacques Doriot, ne naît que le 19 octobre, la veille de la promulgation, mais après que le statut ait été connu. Le reste de la presse parisienne paraît après ; surtout Les Nouveaux Temps avec Jean Luchaire. Donc, la Presse est réduite, elle est je dois dire, presque ébahie par les faits, par la rapidité du passage de guerre à l’état de pré-armistice, et au fond c’est une presse qui se cherche. Nous verrons comment d’ici à 1941 elle se trouve. Elle se trouve, mais pour le moment elle se cherche ! Elle n’a pas encore défini quelle allait être sa place dans ce qu’on n’appelle pas encore la collaboration puisque le mot collaboration date de l’entrevue de Montoire, plus tard, quelques semaines après le statut des Juifs ; cette entrevue où le maréchal Pétain rencontre le chancelier du Reich. Donc, c’est une première raison, une presse désorganisée.
7La deuxième raison, Monsieur Laborie vous l’avez analysée peut-être plus en détail, mais elle est tout à fait apparente lorsqu’on lit la Presse ; et pour lire la Presse de 1940 il faut parcourir la Presse d’avant 1940… Et l’on s’aperçoit qu’en fait, si la Presse ne réagit pas tellement à ces statuts des Juifs, c’est que toute une partie de la Presse, bien avant 1940, s’était spécialisée dans l’antisémitisme et qu’au fond, dans le mental des gens qui font les journaux de la collaboration, il n’y a pas tellement de différence entre le statut des Juifs, les premières déportations, on le verra aussi, et puis ce qui s’était dit avant 1938 un peu théoriquement.
8On peut penser que l’année 1938 est la date essentielle. La dépression économique en France commencée dans les années 1930 crée un certain nombre de chômeurs, et surtout l’installation d’Hitler en Allemagne en 1933 créée un gros flux d’immigrés, et ces immigrés sont présentés depuis 1933 avec plus ou moins d’agressivité, comme responsables, à la fois de la crise économique, de la récession, du nombre des chômeurs. Et peu importe au fond qu’il n’y ait sur l’ensemble des réfugiés politiques de l’Europe [ils sont trois millions en 1931], que 55.000 Juifs immigrés en France.
9C’est l’ensemble de cette immigration « du Juif capitaliste, sans famille » qui va être collectivement dénoncée comme responsable dans les premiers articles de la Presse en 1933.
« Chanaan sur Seine » écrivait Georges Iman dans Candide en décrivant Paris confronté à la première expérience de réfugiés juifs allemands en 1933.
L’Action Française, était « préoccupé par la proposition d’offrir [en 1933-1934] une chaire à Albert Einstein au Collège de France. »
A cette dénonciation là se substitue une autre, celle de Jacques Saint-Germain dans le journal Les Libertés en 1936, qui dénonce « ceux qui protègent les Juifs contre notre classe ouvrière, nos artisans, nos commerçants. »
11Autrement dit, le thème : « il n’y a pas seulement les 200 familles, c’est l’artisan du coin qui peut être menacé par l’existence des réfugiés en France ».
12Jean Lacouture, dans son livre sur Blum cite d’ailleurs le fameux épisode de Xavier Vallat que nous allons retrouver plus tard, montant à la tribune de l’Assemblée nationale pour s’étonner que pour la première fois dans l’histoire de France, une responsabilité de présidence du Conseil soit donnée à un Juif. Jean Lacouture écrit : « Xavier Vallat n’avait pas tort de présenter son vomissement antisémitique à la tribune de la Chambre comme l’expression incensurée d’un immense murmure à demi refoulé »
13L’antisémitisme a été un catalyseur important de l’opposition au front populaire. Et la psychose de guerre, à partir de 1938, accentue l’insistance de la Presse sur « les Juifs belliqueux », « les Juifs qui voudraient entraîner la France dans une guerre de revanche ». C’est le cas, par exemple, de quelqu’un qui est un socialiste d’origine, qui s’appelle Ludovic Soretti, dans Redressement qui est une revue pacifiste de gauche, qui écrit en 1938 : « On ne va tout de même pas faire la guerre pour 100 000 Juifs polonais ». Même chose dans une citation de Céline ou de Brasillach, que je vous livre.
Céline écrit dans L’Ecole des cadavres : « Si vous voulez vraiment vous débarrasser des Juifs, alors pas 36.000 moyens, pas 36.000 grimaces : le racisme. Les Juifs n’ont peur que du racisme ! Racisme, et pas un petit peu, du bout des lèvres, mais intégralement, absolument, inexorablement comme la stérilisation … »
15ou encore l’article de Robert Brasillach du 15 avril 1938 dans Je Suis Partout :
« Considérer les Juifs ressortissants de nations étrangères comme des étrangers, et opposer à leur naturalisation le barrage le plus sévère, considérer l’ensemble des Juifs établis en France comme une minorité à statut qui nous protège autant qu’il les protège ; ne jamais oublier les services rendus, ce sont les seuls moyens d’assurer l’indépendance absolue du sol français. »
17Le mot « statut » est donc prononcé pour la première fois par Brasillach, le charmant Brasillach qui à l’époque était l’auteur de livres tout à fait merveilleux d’ailleurs ; mais enfin le mot « statut » est prononcé pour la première fois par Robert Brasillach en 1938.
18Alors ce contexte, évidemment, explique que les réactions de la Presse autour du 3 octobre ne soient pas fondamentalement révoltées. Elles ne sont d’ailleurs pas exactement identiques d’un organe à l’autre, et c’est très intéressant ; je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de le retrouver dans d’autres aspects. Mais il y a d’un côté les tenants d’une certaine gauche pacifiste, dont le plus grand nom est Marcel Déat, venant du parti socialiste, étant défini comme opposition à ce qu’il appelait « l’immobilisme du parti socialiste traditionnel », opposition dans laquelle il a retrouvé Gaston Bergery et d’autres qui sont à Vichy en 1940.
19Donc, d’un côté, la Presse venant de gauche qui hésite carrément, même à commenter. Ces journaux publient les statuts parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, mais manifestement, le premier statut les prend à la gorge. Dans L’Oeuvre, le journal de Marcel Déat, qui se veut anciennement pacifiste de gauche, il n’y a pas la même réaction que dans le journal de Doriot par exemple.
— le 3 octobre, un commentaire de L’Oeuvre : « Ce décret serait la première mesure jamais prise par un gouvernement français contre des étrangers ou des naturalisés… »
21Donc, aucun commentaire désagréable, mais tout de même, c’est le premier décret, on le signale, mais donc pas de commentaire hostile, au contraire, très factuel.
23Donc, le plus plat possible. En revanche, il est intéressant de voir que le journal de Jacques Doriot Le Cri du peuple adopte dès le début un autre ton et il prononce une condamnation largement différente puisque s’il n’y a rien dans le premier numéro du Cri du peuple qui date du 19 octobre ; en revanche le surlendemain :
— le 21 octobre, éditorial de Jacques Doriot : « La France leur avait généreusement ouvert ses portes. L’affaire Dreyfus avait tourné à leur avantage. Notre pays de rêveurs les avait admis comme des égaux. Ils en ont profité pour devenir nos maîtres, et avec quelle insolence.
Ils avaient réussi à dominer la Finance, la Radio, le Cinéma, la Presse, l’Industrie, le Commerce, l’Administration ; ils s’infiltraient dans l’Aviation, la Marine. Achetant comptant tout, ils étouffaient le pays. Ils y faisaient la pluie, le beau temps, dirigeaient son économie, sa politique, son aristocratie.
Leur esprit raciste nous a conduits à la guerre. La guerre qu’ils ont voulue mais qu’ils n’ont point faite. Espéraient-ils que la défaite de la France ne serait pas la leur au premier chef ? »
25Donc, on voit nettement une vraie différence entre l’antisémitisme que je n’appellerai pas de commande, mais l’antisémitisme d’acceptation, celui de Marcel Déat, ou celui qui sera quelques semaines plus tard celui de Charles Spinasse, autre ancien député socialiste, et l’antisémitisme militant, de combat, agressif, qui est celui de l’extrême-droite française, celle en tous cas du mouvement doriotiste.
26Vous l’avez rappelé, dans la presse catholique de l’époque, avant 1942, il n’y a aucune protestation contre le statut des Juifs en 1940 et 1941 et comme l’a indiqué l’historien Jacques Duquesne dans Les Catholiques Français sous l’Occupation : « Silence de l’épiscopat français. ».
Construire, revue des Jésuites, article signé de trois étoiles, range le statut des Juifs parmi « les mesures d’assainissement moral aussi utiles à l’Algérie qu’à la France ».
28On connaît la réponse de Léon Bérard, ambassadeur de France au Saint-Siège : « Il n’y a rien dans ces mesures qui puisse donner prise à la critique, du point de vue du Saint-Siège naturellement. »
29En réalité, le Saint-Siège, avait fait savoir ultérieurement que ce n’était pas vrai, qu’ils étaient très réticents à l’égard du statut, que en tous cas le mal était fait, que la presse catholique en 1940 n’a pas dit un mot contre ce statut.
30Que se passe-t-il entre octobre 1940 et juin 1941, date de modification des statuts de 1940 ? Un glissement vers un antisémitisme total, de nature purement raciste, avec quelques étapes dans ce glissement.
31- D’abord l’arrivée d’un Commissaire aux Questions juives, Xavier Vallat. Xavier Vallat, on l’a connu dès avant la guerre puisque c’est lui qui a prononcé en 1936 un discours ignoble sur Léon Blum à la tribune de la Chambre des députés. Naturellement, à peine nommé, dans les premiers mois de 1941, il est très interviewé et il se répand dans la presse parisienne. Il fait alors une première conférence de presse en avril 1941 où il expose les raisons d’un nouveau statut qui vient aggraver le précédent et parmi ses déclarations :
« …Je conçois le statut des Juifs dans un esprit national car la population juive en France est de l’ordre de 2,4 % de la nôtre. »
« Je n’ai d’autre but que de faire appliquer et de contrôler partout l’application du statut des Juifs élaboré par le gouvernement du maréchal Pétain. Déjà les administrations de l’Etat et le barreau ont, en partie, réalisé les réformes attendues. La Presse, le Cinéma et la Radio se préparent eux aussi, à faire aboutir ces dernières. »
33Et enfin, il dit :
« … certains certificats de baptême ou certaines conversions trop récentes — car ce problème est moins une question de religion qu’une question de race — ne sauraient être retenus. Ni haine ni représailles, seulement la stricte défense de l’intérêt national. »
35Alors l’ensemble de la presse fait écho largement à ces propos de Xavier Vallat, et même L’Oeuvre le 3 avril 1941, reprend d’autres propos à l’égard de la masse des Juifs d’Europe centrale immigrés ces dernières années :
« … c’est particulièrement cette catégorie qu’il est impossible de considérer comme française. Elle reste étrangère d’esprit, d’âme et même de langue, en dépit des naturalisations trop nombreuses et hâtives […] ainsi une minorité ethnique, mal assimilée et qui, très souvent d’ailleurs, ne veut pas s’assimiler, s’est installée dans la nation, a voulu en prendre les leviers de commande, diriger le pays selon les tendances, les réflexes et l’esprit, qui appartiennent à cette race et ne correspondent pas à notre nature… »
37Dernier compte-rendu enfin de la conférence de presse de Xavier Vallat dans Le Pilori du 3 avril 1941, sous le titre « Sauvetage des Juifs ? »
« Le Maréchal a signé le décret du 10 septembre pour se libérer des Juifs comme on se débarrasse de bêtes malfaisantes, mais son entourage qui en vit a reculé la date de cette distribution de mort aux rats… Nous attendons les premières sanctions, la première charrette, les premières têtes. »
39Xavier Vallat dispense des messages qui sont clairs et qui en attendant sont répandus et sont repris par toute la presse. Mais Xavier Vallat n’est pas tout. Il est d’ailleurs suppléé avec efficacité par Serpeille de Gobineau qui lui, prend la direction de l’Institut d’études des Questions juives au début de 1941 et qui se répand, lui aussi, dans la presse.
40Alors à partir de là, on s’aperçoit que les différences entre les journaux s’estompent, qu’il n’y a plus que des différences de ton ; qu’il n’y a plus de différence sur le contenu, puisque même L’Oeuvre en mai 1941, fini par tomber du côté de l’antisémitisme global et commente un nouveau statut en disant :
« Cette opération s’imposait depuis de longues années déjà, elle n’est que l’application du 4 octobre 1940 »
Paris-Soir par exemple, publie le 15 mai : « Une première liste des 5.000 premiers Juifs étrangers qui rejoignent aujourd’hui les camps de concentration. »
42Le mot « camp de concentration » est dans la Presse ! Alors quand on lit après que l’on ne savait pas que ça existait… Je suppose quand même que des Français savaient que ça existait puisqu’ils l’ont écrit ! Ce ne sont peut-être pas les camps de concentration qu’on a connus après, mais enfin l’expression « camp de concentration » figure bien, dès avant la guerre ; et là elle figure en toutes lettres.
43Il y a une simple différence de ton par rapport à Paris-Soir dans L’Oeuvre du 15 mai 1941 qui commente la rafle anti-juive de la veille :
« 5.000 Juifs étrangers résidant à Paris ont été dirigés hier matin sur des camps de concentration de la région d’Orléans. Cette opération s’imposait depuis de longues années déjà […] elle n’est que la mise en application de la loi du 4 octobre 1940. »
45Il y a une différence de ton effectivement entre L’Oeuvre qui s’efforce de dire que :
« Le choix fut fait par les services de la préfecture de Police sous la direction du commissaire François. »
47Souvent, L’Oeuvre cite le nom des spécialistes des Questions anti-juives, sans que l’on sache si ça peut servir de renseignement à des gens hostiles ; si c’est quelqu’un qui s’est infiltré dans la rédaction de L’Oeuvre ou si c’est par inadvertance qu’il désigne ainsi les principaux responsables de l’élimination des Juifs en France.
48Par exemple, Paris-Soir écrit :
« La France veut vivre. Elle vivra libérée de tous ceux qui l’ont conduite à la catastrophe. Les coupables doivent payer. Tous ces Juifs qui continuent actuellement une propagande insidieuse, néfaste au relèvement de notre pays ; tous ces Juifs qui ont poussé à une guerre qu’ils n’ont pas faite, doivent maintenant être mis dans l’impossibilité de nuire. »
50Là aussi glissement sur la responsabilité collective des Juifs, dans « une guerre qu’ils n’ont pas faite ». C’est la première fois qu’on dit que les Juifs n’ont pas fait la guerre. Et Maurras, avant la guerre, dans L’Action Française qui n’est pourtant pas un signal pour nous tous, introduisait une distinction subtile entre « ceux qui étaient naturalisés, avaient servi la guerre de 1939, et puis les autres ». Eh bien, cette distinction, on le voit, tombe, et c’est d’ailleurs ce qui est très intéressant dans l’évolution de la Presse de 1940 à 1941 ; c’est que nous avons, tel qu’il est exprimé par Le Pilori un antisémitisme qui n’est plus ce qu’on appelait chez Maurras « l’antisémitisme d’Etat » et qui est un antisémitisme racial, dont je vais vous lire par exemple quelques extraits publiés par Le Pilori le 17 avril 1941 :
« Le Juif est inassimilable ; le grand Gobineau qui a si bien montré comment les peuples en perdant leur race perdent leur originalité culturelle et leur force nationale, ne pouvait pas prévoir qu’un magnifique espoir de régénérescence nous était réservé […] qu’on ne vienne pas nous demander grâce pour le petit Juif qui n’y est pour rien, qui vit pauvrement, parfois même misérablement ; petit Juif deviendra grand. Le passé est le garant le plus certain de ce futur. Le petit Juif arrivé chez nous nu et pauvre a trouvé asile chez son riche coreligionnaire, la solidarité juive lui a donné secours, […] il doit payer comme eux ! […] la tâche la plus urgente, établir la charte de l’ethnisme français, tâche importante, qu’on ne peut improviser, qui demande une compétence scientifique certaine, des études antérieures sérieuses, et que Monsieur Vallat ne pourra mener à bonne fin que s’il s’entoure des Français qui depuis des années travaillent ces questions. »
Puis, le 5 avril 1941, dans Pays Libéré qui titre : « Ce sont bien les Juifs qui ont voulu la guerre » et commente : « Il faut maintenant qu’elle [la communauté israélite] expie l’effroyable crime qu’elle a commis contre l’humanité en se faisant, dans un but égoïste, l’instigatrice d’un conflit qui a fait couler tant de sang et tant de haines. »
Enfin, le 5 juin 1941, quelques jours avant le deuxième statut, Le Pilori publie un éditorial de Serpeille de Gobineau sur « L’antisémitisme d’Etat » :
« Il est inadmissible que la Question juive puisse être envisagée selon un critère autre que celui de la race, car si l’on s’en tient aux services rendus au pays par les Juifs grâce à leur soi-disant assimilation on aboutit à des conséquences dangereuses parce que le Juif peut toujours réussir à se faire valoir et l’on risque toujours de trouver quelques faits qui servent sa cause. »
52Je trouve cette déclaration la plus globale qu’on puisse trouver. Il n’y a aucune issue. D’où l’explosion globale de joie qui contraste avec la réticence d’octobre 1940 après l’adoption des réformes de juin 1941.
53Explosion de joie auxquelles Maurras mêle sa voix dans L’Action Française du 17 juin 1941 qui fait état de sa « vive satisfaction » :
(l’ancien statut) « […] leur laissait de puissants moyens de commerce et de […] mais heureusement, (cf. la liste des professions interdites), on vient d’ajouter celles des banquiers, changeurs, démarcheurs […] on nous demandera ce qui va leur rester : eh bien l’occasion de se rendre utile. »
Le 21 juin, Le Pilori publie un article intitulé : « Il faut détruire les parasites de l’économie. Le nouveau statut des Juifs » qui s’achève ainsi :
« … et, naturellement, que la profession de domestique leur demeure accessible. Il serait même fort moral qu’après avoir voulu domestiquer les Français ils soient contraints de devenir les domestiques de ces mêmes Français. »
55Je passe sur les questions de ce genre : « Le Juif est-il intelligent ? » dans le journal L’Evolution nationale. Je passe aussi sur toutes les dépêches et les articles qui, à partir de là, insistent sur le numérus clausus ; sur la nécessité que tous les étudiants soient choisis, triés ; sur l’épuration de l’Ordre des Avocats… C’est à partir de juin 1941 qu’on trouve dans les journaux tout ce qu’on peut imaginer, mais je crois que les citations de 1940 et de 1941 sont assez parlantes. On en trouve d’autres, mais qui toutes sont autour du même sujet.
56Bien sûr, quand on sort de cette lecture on est très déprimé.
57Et deux raisons d’optimisme quand même quand on se rend compte que les tirages des journaux de la collaboration décrochent très vite. Les Parisiens s’aperçoivent rapidement qu’ils n’ont pas d’informations ou qu’ils en auront qui seront orientées à partir de la presse de la collaboration ; donc progressivement il décrochent.
58Deuxième élément, qui m’a fait plaisir lorsque je l’ai retrouvé : Marcel Déat se plaint très, très souvent, des lettres anonymes qu’il reçoit pour lui dire « c’est vraiment dégoûtant, vous ne devriez pas faire ça ! » et il dit lui-même que le nombre des lettres envoyées anonymement le traînant dans la boue est considérable, c’est-à-dire que même si elle n’est pas exprimée dans les journaux, il y a une forte réticence, une forte remise en cause.
59En restant quand même sur l’impression globale de la presse de la collaboration, je crois que nous devons nous garder de projeter vers l’avenir ce que nous venons de lire. Mais tout de même, ces phrases très dures, en tous cas pour moi, n’en finissent pas de résonner à mes oreilles.
60Ce sont des gens comme nous : des intellectuels, des journalistes, des écrivains, des gens qui font de la littérature qui les ont écrites ces phrases ! Bien sûr que cela doit nous faire réfléchir. Cette certitude, c’est que rien n’est jamais complètement extirpé et la lecture de la Presse m’incite encore davantage à le penser.
61Nous avons tous une obligation de vigilance.