Couverture de LMJ_191

Article de revue

Que sont devenus les enfants sortis du train de Vénissieux ?

Note concernant trois d’entre eux que Renée Neher a pu retrouver en Israël

Pages 66 à 69

1Tous les enfants ont été amenés au local des E.I.F., Montée des Carmélites à la Croix-Rousse, local exigu mais heureusement pourvu d’une petite cour ce qui a permis un peu plus d’espace pour les enfants.

1. Myriam

2Fin août 1942, elle a 14 ans, un visage rond, toute frisée, mais, au local de la Montée des Carmélites, elle ne fait que pleurer. Son petit frère (9 ou 10 ans) s’accroche à sa robe et pleure avec elle. Myriam reste dans mon souvenir celle qui pleurait tout le temps.

3J’ai retrouvé Myriam, dès le mois de décembre 1944 à Paris, dans une cantine des Mouvements de Jeunesse Juive, rue Claude-Bernard. De cachette en cachette, elle a été sauvée, ainsi que son petit frère.

4Je retrouve Myriam en 1951, à notre premier voyage en Israël où elle était déjà depuis deux ou trois ans, mariée et mère d’un nouveau-né.

5Le mari de Myriam est un Juif d’origine italienne, ingénieur chimiste je crois. Ils ont eu petit à petit une bonne situation et sont allés habiter Haïfa dans une jolie maison, avec leurs deux garçons.

2. Liliane

6En 1942, elle a 15 ans. D’origine viennoise, habillée impeccablement avec un joli col blanc ; beaucoup de dynamisme. Elle nous aide, nous, les monitrices et moniteurs, à nous occuper des petits.

7Au moment de la dispersion des enfants, sous la menace de la milice, je l’emmène chez mes parents où elle reste un jour ou deux (fin août 1942 les Juifs français à Lyon n’étaient pas encore directement menacés). Puis elle est cachée ailleurs et je la perds complètement de vue.

8Novembre 1969, Jérusalem où nous venons de nous installer, mon mari et moi. Le journal Jerusalem Post présente souvent des portraits de nouveaux immigrants dont la vie ou le métier sont un peu hors du commun. Un beau matin, je lis l’interview d’une nouvelle immigrante qui vient d’ouvrir à Haïfa une école de danse rythmique qui réussit très bien. Elle s’appelle Léa, est née à Vienne, venue avec ses parents en France pour se perfectionner dans la danse pour laquelle elle est très douée. Ils sont partis juste avant l’Anschluss. 1940 : ils quittent Paris et sont assignés en résidence surveillée près de Lyon. C’est là que ses parents sont arrêtés, et le journal indique : “Léa a été sauvée au dernier moment d’un train de déportation.”

9Je suis frappée au cœur, parce que je n’ai jamais oublié cette merveilleuse petite Liliane de la Montée des Carmélites. C’est presque sûrement elle qui a pris en hébreu le nom de Léa. Non sans peine j’arrive à trouver l’adresse de son studio de danse à Haïfa. Je lui écris un petit mot de Jérusalem, lui demandant si c’est bien elle qui s’est trouvée Montée des Carmélites à Lyon en août 1942.

10Quelques jours plus tard, un coup de téléphone, un de ces coups de téléphone que je ne suis pas prête d’oublier : “J’ai bien reçu votre lettre ; oui, c’est bien moi.”

11J’en avais le souffle coupé.

12Nous prenons rendez-vous, et quelques jours plus tard je vais lui rendre visite à Haïfa. Elle me raconte brièvement sa vie depuis ces terribles journées de fin août 1942.

13Cachée dans une famille, puis dans un couvent, elle s’y trouve comme en prison et s’enfuit. Elle va toute seule à Marseille et trouve du travail comme danseuse ; mais, après quelques mois, quand on la sait juive, on la renvoie. Elle retourne alors à Paris en fraude et va parler à un de ses anciens professeurs de danse au Conservatoire, qui lui donne un peu d’argent. Elle vivote, gagne un peu d’argent en dansant à droite et à gauche, se cache, reparaît, se recache, etc.

14A la Libération, elle est à nouveau aidée par son professeur de danse. Elle voudrait partir comme infirmière pour retrouver ses parents quand les camps seront libérés. Elle est trop jeune ! En été 1945, elle acquiert la certitude que ses parents et ses frères plus âgés ne reviendront plus. Désormais seule au monde, et désespérée, elle se trouve, prostrée, dans le salon de son professeur de danse quand un imprésario venu de Suède vient demander s’il n’aurait pas de jeune danseuse prête à partir travailler avec lui.

15Liliane se réveille, se porte volontaire, heureuse de tourner le dos à la France et à tous ses mauvais souvenirs, et va commencer une nouvelle vie à Stockholm. Vie de grande réussite sur le plan professionnel, beaucoup moins sur le plan personnel. Elle se marie avec un metteur en scène, puis divorce après quelques années. Mais dans le monde de la danse, elle n’a que des succès. Elle est une célébrité.

16Au moment de la Guerre des six jours, le grand choc de son identité juive refait surface. Elle décide de tout quitter en Suède et de partir vivre en Israël. Elle y part seule, presque sans bagages, avec simplement sa voiture et son chien. Elle est heureuse à Haïfa, elle est heureuse en Israël.

17Nous téléphonons alors à Myriam pour savoir si elle est prête à revivre avec nous ces émotions du passé. Elle accepte, et nous nous retrouvons toutes les trois dans sa jolie maison de Haïfa.

3. Shlomo (Sylvain)

18En 1942, il a 4 ans, une petite tête brune, des yeux noirs inoubliables. Je ne sais pas où il a été dans les premières semaines qui ont suivi l’arrestation de ses parents (réfugiés de Pologne en Belgique, puis en France) et leur départ dans le train de Vénissieux.

19Je ne sais plus exactement à quelle date de novembre ou décembre 1942 il m’est confié par Mlle Hirsch (de l’OSE) pour que je l’amène chez une famille de concierge rue Bellecourt.

20Je vais régulièrement rendre visite à Sylvain dans sa famille d’adoption, jusqu’au moment où je perds le contact étant moi-même obligée de me cacher.

21Dès la Libération, je retrouve Sylvain et je sais que sa famille d’adoption l’a vraiment adopté et ne se séparera pas facilement de lui. C’est un très bel enfant, très attachant, qui a été pris en charge avec beaucoup de dévouement par cette famille.

22Je quitte bientôt Lyon pour rentrer à Paris et reprendre mes études. Je laisse le soin à l’OSE de s’occuper de Sylvain, et je perds le contact.

23Je l’ai retrouvé d’une manière tout à fait inattendue en Israël, à la suite de toutes sortes de coïncidences trop longues à relater ici.

24Il est aujourd’hui un heureux père de famille, trois enfants dont un grand fils déjà marié, une fille qui vient de se fiancer. Sa femme, née en Israël, est jardinière d’enfants. Lui-même travaille aux Assurances nationales (Bitouah Léoumi). Ils habitent Bné-Brak.

25En deux mots son histoire qu’il me raconte : sa famille d’adoption a fini par accepter de le rendre à la Communauté juive et de le placer dans la Maison d’enfants “L’hirondelle” que l’OSE a ouverte à la Mulatière. (La femme du directeur, M. Samuel, est la sœur de celui qui deviendra deux ans plus tard mon mari.) Il y reste quelques mois puis, dans le cadre des Services de recherche qui sont entrepris à ce moment en Europe, les parents de sa mère qui ont pu se réfugier en Angleterre et aussi se sauver, ont retrouvé sa trace.

26Sylvain est alors envoyé à la Maison de l’OSE à Versailles pour que les démarches en vue de son départ pour l’Angleterre soient facilitées. A Versailles, où il reste quelques mois, il s’attache énormément à une des éducatrices : Hélène, grâce à laquelle, quarante ans plus tard, le contact avec Sylvain sera rétabli.

27Sylvain part en Angleterre en 1946 ou 1947. Il a 8 ou 9 ans. Ses grands-parents confient son éducation à une école dirigée par un groupe de Hassidim disciples du Rabbi de Gour. Sylvain se fait désormais appeler par son nom hébreu, Shlomo. A 18 ans, en 1956, il est envoyé dans une Yeshiva en Israël où il se marie quelques années plus tard.

28Il a gardé une extrême reconnaissance à sa famille d’adoption, et en 1967 il fait les démarches auprès de Yad Vashem afin d’obtenir pour eux la Médaille des Justes. Ces personnes viennent en Israël, sont reçues par Shlomo et sa femme, et plantent leur arbre à Yad Vashem. Ils meurent quelques années plus tard.

29Shlomo était beaucoup trop petit pour comprendre comment il a pu être sauvé au moment de la déportation de ses parents. Il a découvert seulement en nous retrouvant les relais qui ont permis son sauvetage. Il en a été très ému, et conserve une très grande reconnaissance à tous ceux qui ont contribué à ce que l’orphelin de quatre ans devienne en Israël un disciple du Rabbi de Gour et le père d’une heureuse famille.

30Jérusalem, mai 1987.


Mise en ligne 03/01/2021

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