Couverture de LMJ_170

Article de revue

Quarantième anniversaire de la première déportation des Juifs de France

Pages 31 à 34

1C’est le 27 mars 1942 que le premier convoi des Juifs a quitté la France pour Auschwitz.

2Ce convoi était fort de 1.112 hommes dont une moitié provenait du camp de Drancy et l’autre du camp « C » de Compiègne. Voici dans quelles circonstances.

3Le 20 août 1941, dès l’aube, les 11e et 12e arrondissements de Paris sont cernés par la police parisienne et tous les Juifs français ou étrangers, à la seule exception des ressortissants américains, sont arrêtés. Les policiers visitent les domiciles, vérifient les pièces d’identité des passants et arrêtent tous les hommes adultes dont les papiers portent le tampon « Juif ». Ainsi, en peu de temps, 3.477 hommes sont arrêtés et envoyés, le jour même, à Drancy où ils inaugurent le camp du même nom et de sinistre mémoire. Pendant les deux jours suivants, cinquante-deux avocats du barreau de Paris sont arrêtés à leur domicile et amenés également à Drancy.

4Quatre mois plus tard, le 12 décembre, ont lieu des arrestations massives de Juifs français, principalement de « personnalités » et d’intellectuels : dans la nuit, un Feldgendarme, accompagné d’un gardien de la paix, se présentait au domicile de la victime et l’emmenait avec lui. Le gardien de la paix servait d’interprète. Puis, chacun était amené à la mairie et de là, des groupes de trente à quarante personnes étaient transportés en autobus à l’Ecole militaire. Après avoir stationné quelque temps dans un vestibule, on était dirigé dans l’un des manèges de l’Ecole. Il s’agissait de 689 personnes de tous les quartiers de Paris et exclusivement de nationalité française. Au début de l’après-midi, arriva un dernier groupe de cinquante-quatre personnes, parmi lesquelles un certain nombre d’étrangers arrêtés dans les rues du quartier de l’Etoile pour parfaire le nombre de mille recherchés. Les Allemands ne faisaient plus attention à la nationalité.

5Le soir approchait et les prisonniers ne savaient pas ce qui les attendait. Ils avaient appris une seule chose, de la bouche des Allemands : la veille au soir l’Allemagne avait déclaré la guerre aux Etats-Unis et ils avaient été arrêtés par ordre de Berlin car, dans son discours du 11 décembre, Hitler avait rappelé sa promesse : si un seul pays entrait encore en guerre contre l’Allemagne, les Juifs payeraient cette ignominie.

6Vers cinq heures du soir, dans le manège plongé dans la demi-obscurité du crépuscule, deux énormes projecteurs furent allumés. Un groupe d’Allemands armés jusqu’aux dents entra dans le manège et fit mettre les prisonniers en rangs de cinq le long des deux murs, face à la porte d’entrée. De l’extérieur on entendait le bruit des moteurs d’autobus qui firent la navette jusqu’à 9 heures du soir et tout le monde finit par être embarqué. Il pleuvait. Paris était plongé dans une obscurité profonde, on ne reconnaissait pas les rues, on ne voyait âme qui vive. Les autobus arrivaient à la gare du Nord. Il fallut en descendre en vitesse. D’un pas très rapide, entre deux rangées d’Allemands en armes, on gagna l’intérieur de la gare, puis le quai et on échoua dans un wagon de troisième. Après un voyage de deux heures, vers une heure du matin, le train s’arrêta. On était à Compiègne. On apprenait à ce moment que dans ce train se trouvaient déjà trois cents détenus de Drancy amenés auparavant à la gare du Nord.

7De la gare de Compiègne au camp il y a environ deux kilomètres et demi. La colonne des prisonniers traversait la ville en accomplissant le parcours, bousculée par la garde allemande, presque en courant. L’entrée du camp était illuminée par de puissants phares éclairant la route et, à cinq cents mètres, on était littéralement aveuglés par la lumière. Dans la nuit complète, tout le monde fut conduit vers les baraques où chacun chercha un coin sans distinguer ni les lieux, ni ses voisins. La plupart s’endormirent en laissant tout souci jusqu’au lendemain.

8En décembre 1941, le territoire du camp était séparé en trois parties d’inégale surface : près de l’entrée un certain nombre de bâtiments, désignés par la lettre « A », étaient occupés par des Français, arrêtés comme « communistes » ; en face, de l’autre côté d’une vaste place, deux rangées de bâtiments « B » abritaient les Russes arrêtés au mois de juin 1941, au début de la guerre avec la Russie ; tout à fait au fond, cinq bâtiments « C » devaient constituer dorénavant le camp « juif ». La séparation entre ces trois camps était assurée par une double rangée de fils de fer barbelés.

9Dès le début les prisonniers du camp C étaient informés qu’ils ne pourraient pas écrire à leurs familles, ni recevoir de lettres ou de colis ; ils étaient au secret.

10Les baraques étaient en briques. Elles contenaient sept chambres construites pour seize hommes et où étaient entassés trente à trente-cinq personnes et où il n’y avait aucun mobilier : ni lit, ni table, ni tabouret, mais où, sur le sol en ciment se trouvait de la paille étalée comme litière. A la fin de janvier ont apparu des lits et des paillasses et on pouvait alors brûler l’amas de poussière qu’était devenue la litière, sur laquelle les hommes couchaient depuis six semaines. Il n’existait aucun moyen de chauffage et dans les chambres il faisait à peine plus chaud qu’au dehors.

11Le 19 janvier de petits poëles furent installés dans chaque chambre. On pourrait se réchauffer un peu, mais à aucun moment les hommes ne quittaient, ni le jour, ni la nuit, leurs vêtements et leurs pardessus.

12A la fin de la première semaine soixante-treize vieillards et malades furent libérés. Les autres étaient destinés à une rapide déportation « en Russie », en plein hiver, sans vêtements chauds. Cela leur semblait impossible et malgré tout, ils gardaient la conviction que les Allemands voulaient les effrayer mais n’oseraient jamais commettre une pareille infamie. Aujourd’hui cet état d’esprit laisse rêveur !

13Le véritable motif de cette arrestation était donné dans 1’ « Avis » bilingue suivant paru dans la presse de l’époque :

14« AVIS » (1)

15Ces dernières semaines, des attaques à la dynamite et au revolver ont de nouveau été commises contre des membres de l’armée allemande. Ces attentats ont pour auteurs des éléments, parfois même jeunes, à la solde des Anglo-Saxons, des Juifs et des bolcheviks et agissant selon les mots d’ordre infâmes de ceux-ci.

16Des soldats allemands ont été assassinés dans le dos et blessés. En aucun cas les assassins n’ont été arrêtés.

17Pour frapper les véritables auteurs de ces lâches attentats, j’ai ordonné l’exécution immédiate des mesures suivantes :

18

  1. Une amende d’un milliard de francs est imposée aux Juifs des territoires français occupés.
  2. Un grand nombre d’éléments criminels judéo-bolcheviks seront déportés aux travaux forcés à l’Est. Outre les mesures qui me paraîtraient nécessaires selon les cas, d’autres déportations seront envisagées sur une grande échelle si de nouveaux attentats venaient à être commis.
  3. 100 Juifs, communistes et anarchistes, qui ont des rapports certains avec les auteurs des attentats, seront fusillés.

19Ces mesures ne frappent point le peuple de France, mais uniquement des individus qui, à la solde des ennemis de l’Allemagne, veulent précipiter la France dans le malheur et qui ont pour but de saboter la réconciliation entre l’Allemamagne et la France.

20Paris, le 14 décembre 1941.

21Der Militärbefehlshaber in Frankreich :

22Von STULPNAGEL,

23General der Infanterie.

24La déportation promise par cet « Avis » n’a eu lieu que le 27 mars 1942.

25La raison de ce retard a été le manque de moyens de transports dont disposaient les services du « Judenreferat » en France en hiver 194142 et qui sera surmonté seulement le 20 mars 1942.

26Entre le 12 décembre 1941 et le 20 mars 1942, près de 100 détenus ont succombé à la faim, au froid et aux maladies non traitées ; environ 150 grands malades ont été libérés (les 12 et 15 mars), ce qui, une fois de plus, laisse rêveur, et 178 « inaptes au travail » ont été transférés à Drancy (le 19 mars).

27En conséquence, au camp C de Compiègne, c’est le 26 mars que tous les détenus restants ont été rassemblés dans la cour et 558 hommes parmi eux, tous affaiblis, la grande majorité d’entre eux ayant les mains et les pieds gelés, ont été séparés et isolés dans deux baraques militairement gardées. Le lendemain, le 27 mars, 4 heures de l’après-midi, ils quittaient le camp. A la gare de Compiègne un train les attendait où se trouvaient déjà 554 hommes amenés de Drancy. Ces 1.112 hommes — moitié de Compiègne et moitié de Drancy — partirent le soir même en déportation.

28Parallèlement, à Drancy, voici comment se sont déroulés les événements.

29Le 12 décembre 1941 vers 6 heures de l’après-midi, Dannecker, le « Juden-referent », arriva dans le camp. On appela immédiatement tout le monde dans la cour. Chacun devait descendre avec ses bagares. Les gendarmes français poussaient les gens désorientés au-dehors en distribuant des coups de poings et des coups de pied. Quand tout le monde fut dans la cour, Dannecker choisit trois cents hommes qui furent immédiatement enlevés du camp, transportés à la gare du Nord et chargés dans le train où ils furent bientôt réunis aux victimes des arrestations de ce jour à Paris.

30Deux jours plus tard, le dimanche 14 décembre, à 10 heures du matin arriva au camp de Drancy un détachement de la Wehrmacht munie d’une liste de cinquante noms, parmi lesquels quarante-quatre se trouvaient, effectivement dans le camp. Tous furent fusillés le 15 décembre au Mont-Valérien en même temps que d’autres pris au fort de Romainville, aux prisons de Fresnes, de la Santé et de Fontevrault ou au camp de Châteaubrient, en tout 95 « judéo-bolchevics » dont 53 Juifs. Ainsi, fut réalisé le paragraphe 3 de l’ « Avis » du 14 décembre.

31Enfin, le 27 mars 1941, 554 hommes quittèrent le camp de Drancy et tous prirent la route de la déportation pour Auschwitz où ils arrivèrent le 30 mars.

32A cette époque, à Auschwitz, on ne pratiquait pas encore la « sélection » pour les chambres à gaz dès l’arrivée du train, de sorte que la totalité des déportés du 27 mars fut immatriculée et qu’ils reçurent les numéros de 27.533 à 28.644. Cependant, les conditions d’existence à Auschwitz étaient particulièrement meurtrières ce qui ressort du fait que 91,6 % des hommes de ce convoi ont péri en cinq mois, dont près de 70 % sont morts au cours des deux premiers mois et 83 % au cours des trois premiers.

33En 1945, 19 survivants sur 1.112 déportés de ce convoi sont rentrés en France.

34Cette première déportation a été suivie de 72 autres dont la dernière s’est ébranlée le 11 août 1944 de Lyon.

35A partir du septième convoi qui a quitté Drancy le 19 juillet 1942 il y a des femmes parmi les déportés et à partir du dix-neuvième, celui du 14 août 1942, il y a des jeunes enfants.

36Le nombre total de déportés juifs de France est de 75.721.


Date de mise en ligne : 03/01/2021

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions