Notes
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Ouvrage publié par le C.D.J.C. — Paris, 1947.
Préface de René Cassin (extraits)
1LA présence et l’activité des représentants français au Parquet de Nuremberg, n ont été ni incidentes, ni occasionnelles. En effet, si la conférence des Trois Grands tenue à Moscou fin octobre 1943 a dégagé les grands principes et si la Charte du 8 août 1945 qui a créé le Tribunal Militaire International a été due à l’influence décisive du Juge Jackson, ce sont les initiatives prises dès la fin de 1941 par le Général de Gaulle et le Comité National Français de Londres, à la suite des assassinats d’otages en France, qui sont à la base de beaucoup de choses qui ont été faites depuis pour le châtiment des criminels de guerre : Conférence Interalliée de Saint-James du 13 janvier 1942, première réunion en octobre 1943 de la Commission d’Enquête des Nations Unies, présentation à cette Commission des premiers dossiers, positions prises en faveur d’une juridiction internationale, de la poursuite des organisations criminelles, de la solidarité des Nations victimes, etc. Je veux signaler ici les noms de mes collaborateurs qui ont, les premiers, ouvert la voie à mes côtés ; le conseiller Burnay, le professeur A. Gros, le chef du Service de la Documentation Juridique, M. Simon, et le commandant MaloyMossé.
2Le premier service national des Crimes de Guerre des pays de l’Ouest européen a été créé à Alger en 1944 dès avant la Libération et, sitôt après, a reçu à Paris, puis en Allemagne occupée, un développement à la vérité un peu chaotique.
3Mais, grâce au professeur A. Gros et au conseiller Falco, notre pays a joué un rôle utile en 1945 pour concilier à Londres les points de vue américain, anglais et soviétique. Il a mérité largement une place dans le Tribunal de Nuremberg et, au Parquet, le mandat de présenter le dossier de chacun des pays de l’Ouest de l’Europe, envahis durant la guerre.
Introduction d’Edgar Faure (extraits)
4ON a raillé l’expérience de Nuremberg en disant que ce précédent ne découragerait pas un nouvel Hitler : nous en sommes bien d’accord. Rien ne décourage jamais la folie et le crime, mais la tâche de la justice n’est pas limitée aux seuls cas où l’exemplarité de la peine assume un rôle de prévention.
5Entre cette conception de pure hygiène sociale et celle de la vengeance « œil pour œil », il y a la place de la justice authentique, que Simone de Beauvoir exprime si justement dans la conclusion d’une des études les plus pénétrantes qui aient paru sur ce sujet :
« Et cependant, nous devons encore vouloir le châtiment des authentiques criminels. Les châtier, c’est reconnaître l’homme comme libre dans le mal comme dans le crime, c’est distinguer le mal du bien dans l’usage que l’homme fait de sa liberté, c’est vouloir le bien. »
7Justice nécessaire, mais aussi justice extraordinaire et sans précédent. C’est en vain que des juristes, trop attachés à la routine du précédent, se sont employés à traiter, par des règles et des notions de droit interne, cette expérience de justice internationale ou, plus exactement, « supra-nationale ».
8On s’est demandé si l’on n’allait pas contredire la non-rétroactivité des lois pénales et la règle « nulla pœna sine lege » et l’on a cru trouver une parade à ces objections en remarquant que les actes poursuivis étaient punis par toutes les lois internes, et notamment par la loi allemande. En réalité, cette controverse n’est pas à l’échelle du débat, car, si les nazis avaient poussé l’hypocrisie jusqu’à édicter des lois permissives des massacres, est-ce que ceux-ci en deviendraient pour autant excusables ?
9On a discuté aussi, et assez longuement, la question de savoir si les crimes des dirigeants nazis étaient ou non des crimes de croit commun. Et il y a du vrai et du faux dans les deux thèses. Car l’esprit du mal est le même dans les infractions les plus variées. Mais y a-t-il commune mesure entre la conquête d’un continent et le cambriolage d’une boutique ? Si l’expression de crime de droit commun a un sens précis, ce sens suppose une insurrection du délinquant contre les forces représentatives de l’ordre social, là où il agit. Or, les crimes des dirigeants nazis présentent justement cette singularité d’être commis conformément à cet ordre, dans l’exercice même de ces forces.
10C’est pourquoi, on ne peut appliquer ici les modules du droit interne : il règle le dialogue entre l’homme et le pouvoir, assujettissant l’homme aux règles émises par le pouvoir tout en le protégeant contre l’arbitraire d’une loi rétroactive ou d’une peine extra-légale. Dans le droit pénal supranational de Nuremberg, il n’y a pas de dialogue entre l’homme et le pouvoir. L’homme « est » le pouvoir, c’est l’Etat nazi qui est poursuivi pour ses crimes en la personne physique des agents qui l’ont incarné.
11Et pour cela surtout, au delà de la nécessité des châtiments individuels, que le procès était indispensable pour démontrer et dénoncer, par des preuves irréfutables (car soumises à l’épreuve critique des hommes les plus qualifiés et les plus intéressés pour en discuter, les coupables eux-mêmes) cet extraordinaire mécanisme du service public criminel. Car il y aura toujours, bien sûr, des hommes de pensée fanatique ou d’instinct tortionnaire : mais ce que 1 on peut éviter, ce que l’on peut prévenir, c’est qu’à tel nouveau fanatisme, le capital, la discipline, la technique, viennent subordonner une économie, une armee et une administration. Ce n’est certes pas à l’égard du génie criminel de 1 avenir qu un effet d information et de prévention peut être exercé, mais il peut 1 être sur 1 homme moyen, complice par faiblesse et par veulerie, ou bien par une fausse interprétation de ses devoirs d’Etat. Il faut que cet homme apprenne à réfléchir et à « imaginer » les conséquences que peuvent avoir des actes qu’il commet dans sa routine professionnelle.
12Il faut qu’il conçoive des valeurs de morale et de justice supérieures à 1 autorité étatique dont il dépend. Sans doute, les esprits élevés connnaissaient d euxmêmes la subordination du temporel au spirituel, mais, pour tant d’autres, n’est-il pas important que la justice, non point la justice abstraite, mais la justice positive, tribunal, sentence, châtiment, se soit élevée, une première fois, au-dessus du pouvoir de l’Etat, non seulement de l’Etat criminel, mais des Etats victimes, qui ont abdiqué leur pouvoir sanctionnateur en faveur d’un organisme qui les dépasse ?
13Voilà la grande leçon de Nuremberg. Elle est valable, d’abord, pour le peuple allemand, car nous refusons à faire du contre-racisme et à le tenir pour criminel par impératif biologique. Nous avons déjà signalé que l’étalage du mal dans ses causes et aans ses enchaînements comme dans l’illustration de ses horreurs, pourrait faire l’office d’une sorte de traitement psychanalytique des tares profondes de cette âme germanique, où un orgueil insensé se mêle étrangement aux extrêmes humilités de la discipline. Valable pour le peuple allemand, la leçon doit être valable aussi pour les autres peuples et pour tous les hommes. Prééminence absolue des droits de l’Homme sur l’ordre établi : qui peut dire, n’importe où, qu’il lui sera demain inutile de s’en souvenir ?
14Peut-être Nuremberg apparaîtra-t-il, plus tard, comme le prélude de cette « justice internationale des droits de l’Homme » dont le nom a déjà été prononcé.
15Rêves, dira-t-on ? Mais ce que nous avons vécu, n’eut-il pas apparu, dans la prédiction, comme un simple cauchemar ? Et l’homme ne peut-il plus réaliser la part du rêve que dans l’atroce ?
16Quoi qu il en soit de l’avenir, il importe, maintenant, que la leçon de ce qui est acquis soit répandue et comprise. A cette fin, tend ce livre par lequel le Centre de Documentation Juive Contemporaine continue sa mission naguère si héroïquement entreprise.
17Nuremberg marque un élargissement de la conscience collective de l’humanité. Attachons-nous a reconnaître et a confirmer ce progrès. De grandes souffrances en ont fait le prix inestimable.
Schéma des étapes de la déportation et de l’extermination des Juifs de l’Europe occidentale occupée par les Hitlériens.
Schéma des étapes de la déportation et de l’extermination des Juifs de l’Europe occidentale occupée par les Hitlériens.
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Ouvrage publié par le C.D.J.C. — Paris, 1947.