Couverture de LMJ_116

Article de revue

Après quinze jours d’« occupation » du Consistoire

Pages 46 à 48

1Le dimanche 19 mai, l’Association Consistoriale Israélite de Paris tenait son assemblée générale ordinaire. La grève des moyens de transport publics, déclenchée la veille, laissait supposer que les débats se dérouleraient devant un public moins dense que d’habitude. On ne fut pas obligé d’ouvrir les portes de la grande salle consistoriale, pour placer, dans une pièce adjacente, les assistants. Au bas de l’escalier, des étudiants étaient là : présence inhabituelle.

2Après la lecture des rapports, après l’allocution du Président du Consistoire de Paris celui-ci, M. Jean-Paul Elkann, demanda, suivant la procédure consacrée, qui voulait prendre la parole. Des interpellateurs levèrent le doigt, dont certains, comme à l’accoutumée, dirent parfois avec véhémence, les critiques qu’ils avaient à formuler. les suggestions qu’ils avaient à présenter, quant à l’action consistoriale. Comme dans toute assemblée générale d’association, ce droit est réservé aux membres de l’association.

3Il ne fut cependant pas refusé, par le Président, à un étudiant d’une « khâgne » de Louis-le-Grand, qui n’était pas membre de l’A.C.I.P. Qu’avait-il à dire ? Il s’en prenait — et ce n’était pas la première fois qu’on entendait pareilles critiques — au Foyer Israélite, le restaurant kacher universitaire de la rue de Médicis.

4Dans une langue ou émergeait des mots inusuels, à racine grecque (l’orateur est hellénisant), il dénonçait une institution au fonctionnement de laquelle le Consistoire, institution purement cultuelle, n’a aucune part de responsabilité.

5N’était-il cependant pas réconfortant et prometteur pour l’avenir, de voir des jeunes se préoccuper de l’action de la communauté, ne serait-ce que dans la mesure où elle les concerne, en attendant d’autres propositions ? L’autorisation de parole donnée à l’orateur par le Président du Consistoire le laissait entendre. Le Grand-Rabbin de Paris l’exprima, plus explicitement, se réjouissant de voir ces jeunes manifester leur intérêt pour les principes religieux qui animent la communauté.

6Ce ne fut pas tout. Au milieu de l’embrasement du Quartier Latin, et en parallèle avec les occupations d’usines par leurs camarades salariés en grève, l’orateur du dimanche et ses camarades obtinrent, le lendemain, que, tout en maintenant la marche nécessaire des services consistoriaux, ils soient autorisés à « occuper » quelques locaux et à répondre au téléphone avant de passer les communications.

7Apres avoir parlementé avec le baron Alain de Rothschlid, son successeur, M. Jean-Paul Elkann et les Grands Rabbins Jaïs et Naouri, ils lançaient un bulletin de victoire sur les ondes. Un tract diffusé dans les institutions juives du Quartier Latin, celles-ci n’ayant pas été occupées, quand elles n’étaient pas fermées - expliquait leurs intentions et leur identité.

8« Dès ce moment même, le Consistoire est occupé par des jeunes Juifs conscients et responsables.

9NOUS REFUSONS :

10

  • Les structures napoléoniennes et antidémocratiques des institutions communautaires (Consistoire, FSJU, etc.)
  • Le paternalisme de leurs dirigeants.

11NOUS EXIGEONS :

12

  • Une participation effective aux affaires juives de la part de la jeunesse, ferment de progrès.
  • Un pouvoir de décision.
  • Des centres communautaires dignes de ce nom, et plus spécialement, un restaurant pour la jeunesse juive.

13Jeunes Juifs! Vous êtes tous concernés. Rejoignez-nous en masse au Consistoire : 17, rue St-Georges, pour discuter et résoudre nos problèmes.

14Jusqu’au dimanche des événements de Belleville, on a discuté : cela est indiscutable. Qu’on ait résolu tous les problèmes, c’est un peu prématuré. Mais, au-delà des innombrables commissions et assemblées plénières de la rue St-Georges et des assemblées générales de la rue de la Victoire et de la rue l’Eperon, il y eut au moins deux débats au Centre Communautaire, où les dirigeants, les « responsables », vinrent expliquer comment fonctionnent le F.S.J.U. et le Consistoire de Paris. On aurait pu ajouter que les Assises du Judaïsme français n’ont jamais oublié, depuis tantôt un quart de siècle, d’associer les « responsables » de la jeunesse juive, aux débats sur l’avenir de la communauté. Mais où sont les « jeunes » d’antan — et de naguère ?

15Ceux d’aujourd’hui veulent contester et participer, du moins est-ce ainsi que s’exprimer un commentaire sur la volonté de « discuter » du tract originel. Les auteurs, en s’installant rue Saint-Georges, ont d’abord reconnu le rôle et la vocation essentiels de l’organisme religieux, du Consistoire, de représentant de la communauté .Mais qu’est-ce que la communauté : En un siècle où la législation a démantelé la « kehilla » moyenâgeuse, il n’est pas d’organisme qui ne dise : « La communauté. c’est moi » et dont l’organe ne proclame qu’il est le « plus important de la communauté ». Dans le judaïsme français l’action religieuse et l’action socioculturelle ont été séparées plus par l’histoire et la réflexion que par la volonté consciente des dirigeants communautaires. Les préoccupations financières ont broché par là—dessus des vues et une activité que n’accepte pas a priori l’enthousiasme des jeunes contestataires.

16Certes, malgré leur nombre restreint, en dépit de leurs tendances parfois divergentes, mais comme ils l’ont aussi écrit « représentatifs parce qu’ils ne représentent rien », ils ont conduit à poser ouvertement des questions que certains n’avaient pas voulu soulever jusqu’ici.

17Participation à la gestion, demandent-ils. Et personne ne le « conteste ». Il faudra que les participants ne vivent pas sous l’impression erronée que la communauté juive est une oligarchie à base de mécénat. Elle serait vraiment démocratique si ses membres naturels ne s’écartaient pas ordinairement des problèmes tant fondamentaux que financiers, qui sont les siens.

18Un plat de riz indigeste a ramené la jeunesse vers l’essentiel. Il n’y a eu nulle part de « parti de la crainte ». Au contraire, c’est le Consistoire lui—même, qui, dans ce climat, a donné le branle à la « réforme » en réalisant d’emblée, à la synagogue de la rue de la Victoire, non sans opposition à un mouvement précipité.

19Toute cette contestation juive de mai peut déboucher sur un mouvement nouveau. Des tracts ont été distribués, fin juin qui invitent à la « destruction des structures archaïques », à une « politisation » de la masse juive, sans aucune idéologie a priori. On ne reconnait plus là l’esprit de la kehilla qui était celui des « occupants » du 20 mai.

20Quelque chose est en train de changer. Mais quoi ? On ne détruit que ce que l’on remplace. Encore faut-il connaître les « structures anciennes » et leurs raisons d’être avant de créer des structures nouvelles.

21Les jeunes sont venus à la communauté. Ils y feront entrer un souffle utile et régénérateur, s’ils y participent réellement, s’ils inventent des institutions conformes au bien commun d’un ensemble, dont les membres semblaient, naguère, tiraillés les uns loin des autres. Ils se rejoindront, au souffle du printemps de 1968, pour former une communauté vivante, consciente de ses devoirs et peut-être aussi, de ses limites consciente à la fois de la force entraînante de sa jeunesse comme du poids réfléchi de l’expérience de leurs aînés les plus sincères.


Date de mise en ligne : 05/01/2021

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.175

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions