Couverture de LMJ_114

Article de revue

Contre « la nuit et le brouillard »

Octobre 1942 - premières publications sur l’extermination

Pages 8 à 14

Notes

  • [1]
    Il en allait autrement pour les renseignements d’ordre militaire.
  • [2]
    Aux archives du C.D.J.C. dans le recueil La Presse Antiraciste sous l’occupation, page 47.
  • [3]
    Certaines de ces lettres sont exposées à l’exposition « Les Juifs dans la lutte contre l’Hitlérisme ».
  • [4]
    Le 20 janvier 1942, conférence dite de la « solution finale de la question juive ».
  • [5]
    Il s’agit là d’une coquille. Bien entendu, il faut lire « Orientale ».
  • [6]
    Il ressort de nombreux documents des archives du Congrès Juif Mondial que certains gouvernements alliés marquaient de la réticence à publier les informations que ce dernier leur faisait parvenir, craignant de donner prise à l’argument de la propagande berlinoise qui présentait la guerre contre l’Allemagne comme d’inspiration juive.

1La question de la date à laquelle les Juifs connurent le sort réel des déportés occupe une place importante dans la littérature d’après-guerre consacrée à la « solution finale ».

2Du côté hitlérien, tout était mis en œuvre pour cacher la vérité aux Juifs comme aux populations des pays occupés et du monde libre.

3L’article de A. Rayski que nous publions ci-dessous s’efforce de répondre à cette question, tout au moins pour ce qui est de la France. Il apporte également un témoignage direct sur ce combat particulier, et combien inégal, entre les organisations juives de la Résistance, en particulier le Mouvement National contre le Racisme, d’une part, et le tout puissant appareil nazi de propagande et de répression, d’autre part ; combat mené pour que la France sache ce qui se passait à l’Est, dans les lieux de cette destination inconnue, où se perpétrait le plus grand crime de l’Histoire.

4Cette attitude courageuse, cette volonté de regarder la vérité en face et de la faire connaître pour qu’une implacable volonté de combat en jaillisse, ont révélé tout récemment encore leur efficacité, lorsque Israël fut menacé à son tour d’être victime d’un génocide.

5A quel moment a-t-on appris en France le sort tragique qui attendait les déportés dans les camps de concenrtation ?

6Il est possible de situer cette date aux alentours de fin octobre- début novembre 1942. C’est à cette époque qu’un résistant venu de Pologne nous a rapporté que des gaz asphyxiants étaient employés contre les déportés juifs.

7Bien que les officiels nazis, Hitler le tout premier, n’aient pas manqué d’annoncer, dans les discours et les écrits, leur volonté d’en finir avec les Juifs et de les faire disparaître, un black-out quasi-total fut appliqué à l’entreprise même de l’assassinat des Juifs. Parmi les nombreuses raisons qui les incitaient à ne laisser filtrer la moindre information sur les déportations et les massacres, il y a lieu d’en relever deux, qui paraissent avoir été les plus déterminantes : l’une avait pour but d’éviter une résistance désespérée des victimes, apprenant qu’une mort certaine les attendait au bout de leur calvaire ; l’autre, la crainte de difficultés avec les gouvernements de pays alliés et occupés (France, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, etc.). Il est symptomatique qu’en juillet 1942, une note officielle conseillait aux fonctionnaires allemands chargés des relations avec Vichy de ne pas parler de déportations, mais de transfert des populations.

8Dans ces conditions, être informés et informer, devenait une des premières tâches des Organisations juives de la Résistance. Les collections des journaux clandestins en français et en yiddish réunis au Centre de Documentation Juive Contemporaine, tels les numéros de Notre Voix, Jeune Combat, Notre Parole destinés à la population juive, ou bien les numéros de J’Accuse, Fraternité, Lumières, Combat Médical, édités par le Mouvement National contre le Racisme, témoignent de l’effort accompli sur le plan de l’information par les organisations et les journalistes. Non que ces écrits n’aient pas poursuivi des buts de propagande idéologique et politique, mais il est incontestable que la plus grande place était consacrée aux informations dont le public était privé par la censure allemande. Une lecture d’ensemble de ces écrits fournit un tableau presque complet des conditions de vie et de mort des Juifs de France, de leurs souffrances et de leurs combats. Même ceux qui furent les auteurs de ces journaux et de ces tracts ont du mal aujourd’hui à se rendre compte des conditions dans lesquelles il leur fut possible, dans une clandestinité totale et en l’absence de sources régulières d’information, d’être à ce point au courant des faits relatifs à la situation des Juifs en France et dans l’Europe occupée.

9On ne saurait parler de l’existence d’un service de renseignements et d’information structuré et organisé dans le domaine de l’information générale [1]. Si l’on excepte les postes d’écoute radio orientés sur Londres et Moscou ainsi que la lecture plus ou moins sporadique de la presse suisse qu’on pouvait encore se procurer dans la zone Sud, la recherche des renseignements constituait une tâche permanente pour l’ensemble des militants, que l’on sensibilisait sans cesse sur ce point : retenir tout ce qu’on apprenait, n’importe où, par n’importe qui, le relater à son « contact » qui transmettait à son tour. Il arrivait fréquemment qu’on sélectionnât des sources d’apparence plus intéressantes que d’autres et, dans ce cas, les militants recevaient l’indication de conserver le contact avec la « source » ou avec la personne qui leur avait transmis l’information. Pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, voici celui d’une source à la Préfecture de Police de Paris. Dans certains services de la Préfecture, on employait depuis des années un petit nombre d’émigrés russes installés en France après la Révolution d’Octobre. Dans ce milieu, existaient quelques salons fréquentés aussi par les membres de l’intelligentsia juive de Russie où nous comptions un certain nombre d’amis. C’est dans un de ces salons au cours de rencontres, bien austères en raison du rationnement, que les conversations apportaient une belle moisson de nouvelles, vraies ou fausses, que nous essayions par la suite de contrôler selon le « bon sens », à défaut d’autres moyens de vérification ou de recoupement. Mais le bon sens n’était pas toujours le critère le plus sÛr pour jauger les projets nazis vis-à-vis des Juifs, qui se situaient au-delà des limites de l’humain.

10C’est donc par un émigré russe employé à la Préfecture que nous apprîmes, au début de juin 1942, les préparatifs de ce qu’on a appelé plus tard la Grande Rafle du Vel’ d’Hiv’. Si, au début, on se bornait à recueillir les informations rapportées au cours de ces rencontres, de manière occasionnelle, par la suite ce « contact » prit la forme d’une véritable antenne qui s’est avérée d’une grande importance plus tard, lorsque de nombreux Russes blancs eurent mis de côté ou oublié leur ressentiment à l’égard de la Russie communiste et se laissèrent porter par leur amour de la Patrie en danger, tandis que seuls des isolés, notamment quelques princes et princesses dépravés, « donnaient » corps et âme dans la collaboration.

11Il va de soi que, pour notre part, nos efforts dans le domaine de recherche des renseignements portaient sur les plans nazis vis-à-vis des Juifs, en vue d’une action préventive de défense, ce qui fut le cas à la veille de la rafle des 16 et 17 juillet. Après ces journées tragiques, il importait de savoir ce qui se passait derrière les murs du Vélodrome d’Hiver, les barbelés des camps de Drancy, de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande. Ce fut une tâche relativement peu difficile. De multiples documents virent rapidement le jour : ils relataient l’horreur du traitement infligé aux internés. Fin aoÛt parut une brochure intitulée « Témoignage » [2] qui reste encore aujourd’hui un des documents le plus complet sur la « Grande Rafle ». Dans une note liminaire, la rédaction écrit avec une certaine modestie : « Ce récit est loin d’être complet. C’est peu à peu qu’on arrive à savoir ce qui se passe par les confidences des rescapés, des infirmières, même des gendarmes qui gardent les camps. »

12La brochure, tirée à Paris sur trois ronéos, à quelque dix mille exemplaires, fut reproduite au cours du mois de septembre dans plusieurs villes de la zone non-occupée : Lyon, Nice, Toulouse, Grenoble. Parmi les textes cités dans cette brochure, la lettre d’une assistante sociale de la Croix-Rouge Française affectée au Vélodrome d’Hiver, constitue un document unique, le seul a avoir été écrit sur le vif par un témoin oculaire ayant vécu plusieurs journées de suite avec les victimes de la rafle.

13Mais une fois partis de Drancy, que devenaient ces milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards ? Qu’est-ce que c’est cette « destination inconnue » ? On a pu connaître par quelques lettres jetées du train par des déportés et ramassées par des cheminots les conditions d’embarquement à la gare de Drancy ou à celle de Blanc-Mesnil [3]. La description de ces départs, où l’on jetait dans des wagons à bestiaux remplis jusqu’au bord, agonisants, paralysés, fous, ne pouvait que confirmer la crainte que l’incroyable était vrai. Qu’au bout du voyage c’était bien la mort. Mais l’événement nous concernait trop, chacun de nous étant « candidat à la déportation », chacun de nous ayant parmi les internés des êtres très proches pour pouvoir accepter l’idée qu’ils étaient tous, que nous tous étions voués à la mort. Toute lucidité, toute clairvoyance dite politique s’effaçait devant l’intense sentiment d’espoir. Il fallait pourtant partir à la recherche d’une vérité que l’on appréhendait. Mais cela n’allait pas tarder.

14Vers la fin d’octobre 1942, nous fÛmes avisés qu’un ancien des Brigades Internationales, parti en 1941 pour la Pologne, se trouvait en mission à Paris et qu’un rendez-vous serait pris avec lui dès que possible, afin qu’il puisse nous transmettre certains renseignements sur les camps de Pologne. Effectivement, le rendez-vous eut lieu après des précautions exceptionnelles. Cet homme avait trouvé le moyen de sortir du camp de Gurs, où il fut interné en 1939 après la fin de la guerre civile en Espagne, et de s’engager, bien que Juif, sur ordre de ses supérieurs dans l’organisation allemande « Todt », où il était chef de convoi. Ceci lui donnait la possibilité de faire la navette entre l’Allemagne et les différents fronts. C’est ainsi qu’il se retrouvait en France et il ne tarda pas à demander une permission de quelques jours pour « voir Paris ».

15« Sachez, dit-il au cours du rendez-vous à notre camarade, que tous les Juifs déportés sont tués dès leur arrivée dans les camps. Ils sont tués par un gaz. J’ai appris par un officier que 11.000 déportés de France ont été tués de cette manière. »

16C’est après un fort débat intérieur pour chacun de notre « triangle » de direction, puis après une longue discussion en commun que la décision fut prise de publier cette information dans le numéro suivant de Notre Parole.

17Pourquoi avons-nous hésité ? Notre premier mouvement fut « d’exploiter » l’information à fond, d’alerter immédiatement l’opinion française et en particulier les Juifs pour qu’ils n’ignorent pas leur véritable destin. Mais nous fÛmes saisis d’un doute : l’effet de cette information sur la population juive ne sera-t-il désastreux ? Provoquera-t-elle un renforcement de leur résistance ou la rupture désespérée de leur moral ? Le seul raisonnement valable pour nous était un raisonnement en fonction des nécessités du combat à mener et à développer. Si la panique s’emparait de tous ceux qui apprendront la terrible nouvelle, les résistants seraient-ils à même de la dominer ? Réussiraient-ils à chasser la peur et à transformer le désespoir et la douleur en volonté de combattre ? Et les militants eux-mêmes comment réagiraient-ils ? Autant de questions auxquelles nous ne fÛmes pas en mesure de répondre. Il fut enfin décidé de publier cette information en deux temps. Dans un premier temps. la relater sans mentionner qu’il s’agit de déportés de France. Un peu plus tard, dans une édition suivante, ne pas cacher que cela concernait les nôtres.

18C’est dans le numéro 50 du 20 novembre 1942 de Notre Parole (édition en yiddish : Unzer Wort) que l’information parut sous le titre suivant :

19« Onze mille déportés, hommes, femmes et enfants brÛlés vifs par les nazis !

20« Que notre volonté de vengeance s’enflamme, pour frapper plus fort la bête hitlérienne et accélérer sa fin. »

21La note même, qui porte le sous-titre : « Vengeance et combat », est rédigée de sorte que l’esprit du lecteur, qui a pris rapidement connaissance du fait, soit orienté et déterminé vers une résolution de combat. Le commentaire suivant accompagne l’information :

22« Voilà à quel degré de sadisme bestial sont parvenus les bandits hitlériens assoiffés de sang dans la guerre d’extermination contre notre peuple. Seules d’ignobles créatures sont capables de tels actes, dans un moment de désespoir, voyant approcher une fin terrible. Cette peur leur fait franchir les limites jusqu’ici connues de la barbarie et du sadisme.

23« Les pays démocratiques sont unanimes pour créer un Tribunal International afin de juger les criminels nazis. Le peuple juif tout entier se présentera alors en accusateur et exigera que la peste nazie soit extirpée jusqu’aux racines et à jamais.

24« Mais les populations juives ne peuvent et ne doivent pas attendre les bras croisés la fin de la guerre. Il est de leur intérêt vital d’accélérer la fin de la bête nazie. Plutôt on finira avec ces assassins, plus on sauvera de vies juives. On sauvera l’existence même de notre peuple ».

25Chaque numéro du journal clandestin qui paraissait prenait, à nos yeux, la valeur d’une victoire remportée sur le dispositif de l’ennemi destiné à maintenir les victimes dans l’ignorance, voire à les tromper quant aux buts réels de la déportation.

26Les premières réactions sont venues du côté des militants chargés de la distribution du journal. Elles étaient peu nuancées : « Mais c’est de la Greulpropaganda — nous disait-on — nous sommes suffisamment antifascistes sans qu’on ait besoin de recourir à de tels moyens afin d’attiser norte haine ». On peut imaginer le tragique de la situation de tous les responsables, qui devaient convaincre les autres de l’exactitude de l’information, tandis qu’eux-mêmes voulaient garder, dans leur tréfonds une lueur d’espoir, que la destruction par des gaz asphyxiants ne représentait qu’un cas isolé.

27Quelques jours après la parution de Notre Parole, sortit (25 novembre 1942). le numéro 7 de J’Accuse (organe du Mouvement National contre le Racisme), dans lequel, comme prévu, il était précisé qu’il s’agissait en l’occurrence de déportés de Compiègne et de Drancy. Le journal apportait, en outre, des renseignements ignorés jusque-là sur ce qui se passait en Pologne. Sous le titre : « La Pologne toute entière — un vaste abattoir de Juifs », l’article énumérait des faits, désignés plus tard comme constituant le crime de génocide. A cette époque ce terme n’existait pas. Nous ne connaissions pas non plus la décision de la conférence de Wannsee [4] mais les successions des crimes indiquaient qu’ils faisaient partie d’un plan d’ensemble.

28« Ce ne sont pas — écrit J’Accuse — des crimes isolés d’agents subalternes, mais des actes prémédités et organisés selon un plan tracé à l’avance par le gouvernement hitlérien.

29« En application de ce plan diabolique, les hommes valables sont parqués dans les camps de travail, où on leur inflige des souffrances intolérables et où ils meurent au bout de peu de temps : les femmes, les enfants, les vieillards et les infirmes sont anéantis avec une sauvagerie bestiale, sans exemple dans l’histoire. Toutes sortes de supplices sont mis en œuvre, chambres à gaz. fusillades, empoisonnement, champs de mines, courants électriques, etc.

30« C’est aussi en application de ce plan que 11.000 déportés de France, inaptes au travail, ont été asphyxiés, 5.000 atteints par des épidémies brÛlés vifs et le même sort réservé à des dizaines de milliers de familles de déportés de tous les pays occoupés… vers la Pologne que les cannibales nazis ont transformé en un vaste abattoir… »

31Il convient de relever qu’une distinction était faite entre les « aptes » et les « inaptes » au travail. A cette époque, on avait encore la conviction que les besoins en main-d’œuvre du IIIe Reich constituaient l’une des raisons de la déportation. C’était le temps où l’on cherchait encore une explication rationnelle de ce déchaînement de folie sadique.

32Lorsque la pensée remonte vers les jours et les semaines qui suivirent l’annonce de l’utilisation des gaz, confirmant ce que les hitlériens avaient entrepris à l’égard des Juifs, leur anéantissement biologique, lorsqu’on essaie de se rappeler ce qui se disait, quels furent les propos échangés, on se heurte à une sorte de vide, comme si ces faits étaient restés sans grand écho parmi les Juifs de France. C’est qu’un pesant silence s’était installé entre les gens. On ne parlait presque pas de cela, chacun vivant seul sa douleur, sa colère et sa décision. C’est dans ce silence que mÛrit une inexorable volonté de se défendre et de combattre.

33Mais, dans les maisons de non-Juifs, qui n’étaient pas directement concernés, on était plus à l’aise pour commenter ces événements et exprimer son indignation. L’écoute des émissions de la France Libre ou de la B.B.C. — qui, vers fin novembre, s’étaient mise à relater les massacres des Juifs à l’Est — a contribué d’une manière décisive à soulever à travers la France toute entière une véritable vague d’indignation. On trouve dans les archives de la Police aux Questions Juives de nombreux rapports dénonçant la compassion des Français envers les Juifs. Craignant les effets politiques du véritable tournant qui se dessinait dans l’opinion publique (et même parmi les gens qui faisaient confiance à la politique du Maréchal Pétain), la propagande nazie décida de réagir. Ceux qui ont ouvert le 20 décembre au matin la Pariser Zeitung ont pu voir un reportage illustré, sous le titre : Réponse aux légendes d’atrocités de Roosevelt. Les photos représentaient des gens bien portants et souriants devant des pavillons de bonne construction. On apprenait par le texte qu’il s’agissait des Juifs, photographiés après leur transfert, dans un endroit où ils jouissent d’une autonomie véritable.

34Voici de quelle façon J’Accuse n° 8, daté de janvier 1943. riposta à cette manœuvre de la propagande nazie :

35« Un document d’impudence ».

36« Le Pariser Zeitung du 20 décembre 1942 a publié un reportage sur un camp de Juifs en Europe Occidentale [5], en réponse aux « légendes d’atrocités de Roosevelt ». Il s’agit de deux villes où ont été concentrés des Juifs slovaques et d’autres déportés, provenant en particulier de France. Dans ces villes anonymes, les conditions d’habitation et de travail, l’hygiène, le ravitaillement seraient des plus satisfaisants. Les Juifs eux-mêmes se déclarent heureux et ne savent comment exprimer leur reconnaissance au généreux régime national-socialiste qui les a dotés d’un si grand confort. Leur seul regret est de n’avoir pas encore été rejoints dans ces agréables séjours par leurs amis et connaissances ainsi que par tous les Juifs d’Europe ». Des photos illustrent l’article. Sur l’une, quelques hommes au visage maigre et soucieux : sur une autre, des jeunes femmes en costume d’infirmières souriantes et réjouies. Mais le fait que l’une d’elles porte l’étoile de David ne suffit pas à conférer à ce document un caractère d’authenticité.

37On reste ahuri devant ces ruses grossières, ces malices cousues d’un câble blanc. »

38On ne connaît pas, de la part de la propagande allemande, d’autres tentatives de ce genre de présenter les camps de la mort comme des lieux paradisiaques. Les nazis avaient-ils compris l’inutilité de cette flagrante imposture, l’impossibilité de tromper l’opinion française et mondiale ou bien, sÛrs à l’époque de leur victoire, estimaient-ils ne pas avoir à justifier ni à expliquer leur conduite de guerre totale ? Il y avait, dans le silence que la presse et la radio nazis ont gardé sur les camps et le massacre qui s’y déroulaient jour et nuit, de l’un et de l’autre. En tout cas, la résistance se devait d’alerter sans cesse l’opinion française, d’avertir sans cesse les Juifs contre toute illusion concernant leur sort. Mais on ne pouvait pas se borner à lancer des avertissements sans les étayer sur des faits, si l’on voulait éviter une sorte d’accoutumance de l’opinion. Mais comment et où se renseigner, si personne ne sortait vivant de ces usines à mort ?

39Les radios de Moscou et de Londres apportaient épisodiquement des renseignements sur les massacres de populations civiles. Juifs y compris, mais beaucoup moins sur les camps. D’ailleurs, après une intense campagne d’information sur les atrocités antijuives au cours des mois de décembre 1942 et janvier 1943, la presse et la radio alliées se turent presque complètement [6]. Ce silence ne devait être interrompu que par les récits du soulèvement du ghetto de Varsovie, en avril 1943.

40La bataille engagée par la Résistance pour percer le dispositif nazi de Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard), à l’abri duquel le génocide était perpétré, s’est poursuivie sans relâche, jusqu’à la Libération de la France. Parmi les facteurs décisifs qui ont fait progresser la Résistance en France, et en particulier la résistance des Juifs, la prise de conscience du caractère réel des atrocités nazies occupait une place de tout premier ordre. A la question « pourquoi nous combattons ? », tout le monde y trouvait une motivation, une raison, une justification pour la poursuite de la guerre, sous toutes ses formes, contre l’Allemagne hitlérienne, son idéologie et ses conséquences.

41A. R.

A nos lecteurs

42L’augmentation continuelle des frais de tous ordres, nous oblige, à notre tour, d’augmenter le prix de l’abonnement à notre revue, à partir du 1er janvier 1968. Nous rappelons que la dernière fois où ce prix a été augmenté remonte au 1er janvier 1960, c’est-à-dire il y a huit ans, et que pendant cette période, tous les périodiques, en France comme à l’étranger, ont été également obligés de procéder à plusieurs reprises à l’augmentaiton de leurs prix.

43Les nouveaux prix de l’abonnement seront les suivants :

44France|12 F par an.

45Etranger|15 F par an.

46Il s’agit, on le voit, d’augmentations modiques et qui sont loin de couvrir la totalité des hausses des prix de production.

47Nous prions nos fidèles lecteurs de vouloir bien honorer les lettres de rappel, qui leur seront envoyées ces jours prochains.

48Pour notre part, nous nous efforcerons de leur fournir une Revue encore plus intéressante que par le passé.

49LE MONDE JUIF.


Date de mise en ligne : 05/01/2021.

Notes

  • [1]
    Il en allait autrement pour les renseignements d’ordre militaire.
  • [2]
    Aux archives du C.D.J.C. dans le recueil La Presse Antiraciste sous l’occupation, page 47.
  • [3]
    Certaines de ces lettres sont exposées à l’exposition « Les Juifs dans la lutte contre l’Hitlérisme ».
  • [4]
    Le 20 janvier 1942, conférence dite de la « solution finale de la question juive ».
  • [5]
    Il s’agit là d’une coquille. Bien entendu, il faut lire « Orientale ».
  • [6]
    Il ressort de nombreux documents des archives du Congrès Juif Mondial que certains gouvernements alliés marquaient de la réticence à publier les informations que ce dernier leur faisait parvenir, craignant de donner prise à l’argument de la propagande berlinoise qui présentait la guerre contre l’Allemagne comme d’inspiration juive.
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