Notes
- (1)Emanuele Artom : Diari — Gennaio 1940 — Febbraio 1944. Editions du Centro di Documentazione Ebraica Contemporanea, Milan, 1966. — 182 pp. Publié par les soins de Paola de Benedetti et Eloisa Ravenna.
1La participation des Juifs italiens à la guerre des partisans contre l’Allemagne nazie et ses complices, les fascistes italiens, a été fort importante.
2Parmi les figures marquantes du judaïsme italien, l’une des plus attachantes est celle de Emanuele Artom, jeune intellectuel juif de Turin, devenu commissaire politique d’une formation (« bande ») de partisans dans le Piémont occidental. fait prisonnier par les nazis et torturé à mort au printemps 1944. Grâce à la publication de son Journal, de janvier 1940 à février 1944 ( [1]), nous avons maintenant la possibilité de connaître la démarche de sa pensée.
3On peut dire que la lecture de ce Journal constituera pour bien des lecteurs une révélation. Nous avons devant nous, au début du Journal, un jeune intellectuel de 25 ans (Artom est né le 3 juin 1915), qui enseignait au Lycée juif de Turin l’histoire des Juifs et le grec. Un extrait d’une conférence, donnée devant ses élèves en octobre 1939, nous révèle l’esprit de son enseignement.
4Les premières mesures antijuives avaient été adoptées en Italie une année auparavant et ces mesures, tout en étant moins féroces que celles imposées en Allemagne puis dans les pays occupés, n’en avaient pas moins très douloureusement affecté les Juifs italiens.
5Artom encourageait ses élèves : « Le malheur qui nous a tous frappés l’année dernière a affecté bien plus durement ceux qui s’étaient tenus à l’écart de la vie de la jeunesse juive ; certains nous ont abandonnés, passant avec armes et bagages dans le camp de nos persécuteurs. Nous les avons vus partir sans regret. D’autres — et cela nous cause une profonde douleur — ont été saisis par le désespoir le plus noir. Pour notre part, nous sommes fermes et patients, parce que nous savons que nos ancêtres ont eu à faire face à des périls et à des malheurs plus grands, sans céder, et qu’Israël a toujours été assailli par ses ennemis et a toujours supporté leurs injures, car il était certain de leur survivre ».
6Rappelons que ces propos furent tenus en public, en Italie fasciste.
7Qu’il ne s’est pas agi là de propos de circonstance, nous le constatons par une inscription du Journal, à la date du 29 décembre 1940 :
8« J’ai trouvé une explication de la tendance des Juifs vers l’assimilation et de l’indulgence des non juifs envers l’antisémitisme, dans l’ignorance du judaïsme chez les uns et les autres. »
9Nous trouvons dans le Journal bien des notations sur la vie quotidienne, mais aussi sur ses lectures nombreuses et variées : Dostoïevski, Silvio Pellico, le Livre de Ruth ; nous apprenons, en mai 1941, qu’il poursuit ses études d’hébreu. Le 3 septembre 1941, après avoir assisté à la célébration de Roch Hachana, il éprouve le besoin de préciser sa conception du judaïsme :
10« Entré à l’Université (à l’âge de 18 ans), j’entrepris un travail sur la décadence des Hasmonéens, qui devait devenir plus tard ma thèse. J’écrivis ensuite le manuel d’histoire des Juifs à l’usage des écoles, j’étudiai l’histoire des Juifs d’Italie, etc. Cette activité purement cueturelle allait de pair avec une autre, publique : le Rabbin me chargea de conférences et de leçons, me confia la bibliothèque ; j’entrepris des collectes pour les fonds sionistes, pour les réfugiés, etc. Depuis six ans, le judaïsme m’a pris beaucoup de temps et d’efforts.
11« Comment le conçois-je? M’étant posé le problème, afin de le résoudre sur les plans rationnel et historique, je suis arrivé à une première conclusion : le judaïsme n’est pas une religion, car nombre de Juifs se considèrent comme tels sans croire en Dieu ou en y croyant autrement que le prévoit la théologie juive (pour autant qu’elle existe) ; ce n’est pas une race, puisque les ethnologues affirment le contraire ; ce n’est pas une patrie, puisque nous nous sentons liés à la terre où nous sommes nés ; nous sommes en revanche liés par une tradition, comme on peut l’être par une solidarité de foi, de sang ou de lieu. Précisément parce que ce lien est unique au monde, il n’y a pas de nom qui désignerait des collectivités du même genre… »
12Ainsi donc, nous voyons un Juif qui réfléchit à sa condition de Juif mais qui, en même temps, agit quand il faut agir, et dans toute la mesure de ses possibilités. Un an plus tard, le 22 septembre 1942, il revient à la question :
13« Je suis heureux d’avoir jeûné hier pour le jour de Kippour, parce qu’abandonner le Judaïsme appauvrit toujours. »
14L’activite politique d’Emanuele Artom à cette époque n’est certes pas mentionnée dans son Journal. Nous savons qu’il avait toujours eu des prises de position antifascistes. En 1942, il avait dû déjà établir des liaisons assez étroites avec des militants antifascistes, puisqu’en mai 1943 il devint l’un des premiers membres du Parti d’Action. (Il s’agit d’une organisation de gauche, non communiste, qui a donné par la suite à l’Italie un Premier Ministre, en la personne de Feruccio Parri, ancien commandant partisan ; ce parti n’a cependant guère subsisté après la Libération).
15Le journal, qui marque une interruption après le mois de décembre 1942, reprend le lendemain du renversement de Mussolini, le 28 juillet 1943. Les 45 jours de l’intermède de Badoglio, entre la chute de Mussolini et la capitulation italienne font l’objet de commentaires plutôt désabusés. Mais lorsque les Allemands occupent l’Italie, Artom n’hésite pas : il s’engage comme volontaire dans les rangs des formations militaires constituées par le Parti d’Action. A quel point cet engagement lui paraissait comme allant de soi et n’ayant rien d’héroïque, ressort de ses notes du 9 septembre 1943 :
16« Je m’étais déchiré les semelles et, en arrivant, je dis à ma mère : « C’est du beau : je me suis abîmé les chaussures » et, comme maman commençait à me gronder, je l’interompis de suite : « et je me sus engagé ». Alors maman de répondre : « J’aurais mieux aimé que tu t’abîmes tes autres chaussures aussi ! », mais elle finit par reconnaître que j’avais bien fait. »
17La seconde partie du Journal est consacrée exclusivement à l’action d’Artom parmi les partisans. Là aussi, le pathos, auquel trop de livres nous ont habitués, fait défaut. On rencontre, cependant, les difficultés quotidiennes de la vie du partisan entre les batailles : il faut se loger chez des gens dont on ne sait rien, on doit se procurer du ravitaillement, on doit aussi — quand on est chef, et Artom l’est — nourrir les hommes. Il faut veiller à ce que les rapports avec la population soient exemplaires. Et puis, on attaque l’ennemi mais on n’est pas toujours le plus fort. Le Journal ne passe pas sous silence les erreurs, les défaites, les faiblesses. Les actes de courage et d’héroïsme sont, toutefois, de loin les plus nombreux, mais c’est au lecteur de les découvrir. Artom se garde bien de les présenter comme tels. En voici un exemple :
18« 8 décembre (1943). Hier, jour anniversaire de mon premier mois de service, fut le premier jour intéressant de la vie de partisan. Après avoir joui du luxe de coucher dans des draps dans la maison Balestrieri, je suis parti avec Mitesa avant que le jour ne se lève. Nous avons eu du mal à repérer la maison où se trouvaient les armes. Pendant que Mitesa discutait avec la concierge, je pus me glisser inaperçu dans l’escalier de l’immeuble. La dame me reçut avec méfiance, mais elle était bavarde. Elle me raconta qu’elle avait eu pour locataire un sous-officier de marine antifasciste, qui s’était fait arrêter et, après vingt jours de coups et de sévices, avait été touché par la grâce et s’était inscrit au parti fasciste, et avait remis les armes qu’il possédait. Mais quelque chose devait encore rester et je m’en rendis compte lorsque, en lui disant « pensez donc, le revolver que vous me donnerez pourrait sauver la vie de votre fils qui combat dans nos rangs », elle me répondit : « Mais vous voulez me faire tuer ! ». Etant convaincu de l’existence des armes, je lui dis : « Maintenant je vais vous avouer une chose : je suis juif ; pensezvous vraiment que j’irai vous dénoncer aux Allemands ? ». La brave femme, convaincue que je disais la vérité et sans même me demander mon nom, répondit : « Alors, je vous donne tout ce que je possède » et fit déterrer par son fils deux revolvers, trois fusils et des munitions, avec force protestations de patriotisme et des recommandations de nous mettre à l’abri des Allemands ».
19Un des problèmes qui revient le plus souvent dans ces pages est celui du traitement des espions tombés entre les mains de la Résistance. Artom n’admet pas la nécessité d’exécuter ces personnages, même quand il dit reconnaître qu’il a sans doute tort.
20Les efforts du combat ne l’empêchent pas de continuer son Journal : « 28 décembre (1943) : …Toutes les routes autour de Barge (où se trouvait l’unité d’Artom) sont bloquées par la milice (fasciste) et les avions nous survolent sans cesse en rase-mottes. J’écris à l’infirmerie assis sur une échelle, en attendant le déjeuner. Cela me semble ridicule, en pleine bataille, mais la rédaction du Journal est ma seule activité intellectuelle et je ne veux pas y renoncer.
21« Je suis calme, mais Toni et Peru tremblent de peur ; je ne suis pas Don Quichotte mais eux sont des Sancho Pança. Toni vient de dire à Peru : regarde par ici, regarde par là, car ce soir tu ne verras plus rien du tout. »
22Le Journal prend fin le 23 février 1944. D’autres notes, prises après cette date, ont été, semble-t-il, détruites par Artom lui-même, au moment de sa capture.
23On sait qu’il participa aux opérations des 17-18 mars 1944 à Perosa Argentina. Quelques jours plus tard, les Allemands entreprirent une vaste opération de ratissage, appuyés par les blindés, dans les vallées de Pellice et de Germanasca. Un petit groupe, dont Artom faisait partie, fut accroché par les SS italiennes. Le groupe Artom était sans armes. Ses compagnons purent se sauver, lui-même, cependant, qui n’avait pas dormi depuis plusieurs jours et se tenait éveillé à coups de cachets, était incapable de se mouvoir. Un de ses compagnons, Ruggero Levi, resta avec lui.
24La radio et la presse fascistes, et aussi l’hebdomadaire allemand « Der Adler », rendirent abondamment compte de la capture du commissaire politique Artom. Après son arrestation, il fut conduit d’abord à la caserne de Luserna. Pendant le transport en camion, il réussit à détruire tous les papiers qu’il avait sur lui. Il ne fut pas maltraité au début, jusqu’à ce que les Allemands se rendissent compte qu’ils avaient à faire à un Juif. Ils le torturèrent horriblement, au point qu’à un moment donné Artom fit appeler un prêtre, pour lui communiquer son testament. Les Allemands, méfiants, lui firent savoir que s’il se suicidait, tous ses compagnons de prison seraient passés par les armes. Artom assura ensuite ses compagnons qu’il ne ferait rien qui puisse leur porter préjudice.
25Transféré le 31 mars dans la section allemande de la prison de Turin, il fut trouvé mort dans sa cellule, le 7 avril 1944. Quatre partisans prisonniers furent chargés de l’enterrer près de Stupinigi. La sépulture n’a pas été retrouvée à la Libération.
26Eloisa Ravenna et Paola de Benedetti, les deux rédactrices du Journal, ont accompli un véritable travail de décryptage, en réussissant à publier en clair presque tous les noms propres, qui, dans l’original, figuraient en initiales ou sous des noms de guerre. Elles ont pu retrouver un grand nombre des anciens compagnons de combat d’Artom et, grâce à leurs témoignages, elles ont réussi à reconstituer le contexte historique de l’époque, notamment dans les vallées alpines du Piémont occidental.
27Les assassins d’Artom furent jugés le 19 avril 1951 par la Cour d’Asises de Turin. Le principal accusé fut condamné à la détention perpétuelle (mais par contumace), les autres acquittés ou amnistiés.
Dans notre prochain numero :
UNE CONFERENCE DU CONSUL GENERAL D’ISRAEL
Le Consul Général d’Israël en France, M. Zvi Loker, a prononcé le 5 mai, à l’Université Populaire auprès de la Fédération des Sociétés Juives de France, une très intéressante conférence ayant pour sujet « La diplomatie juive au temps des Hasmonéens ».
Dans cette conférence, M. Loker a analysé la filiation qui conduit de la diplomatie juive à l’époque biblique à la diplomatie — naturellement évoluée — qui est celle de notre Etat d’Israël contemporain. Ainsi s’avère la continuité de la pensée et des motivations du peuple juif à travers sa longue histoire.
Date de mise en ligne : 31/12/2020
Notes
- (1)Emanuele Artom : Diari — Gennaio 1940 — Febbraio 1944. Editions du Centro di Documentazione Ebraica Contemporanea, Milan, 1966. — 182 pp. Publié par les soins de Paola de Benedetti et Eloisa Ravenna.