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Article de revue

G. Wellers : la tragédie de deux journées

Pages 3 à 26

Notes

  • (1)
    Voir page 15 le fac-similé du télégramme de Roethke à Eichmann et au commandant d’Auschwitz annonçant le départ du premier de ces convois.

1L’été 1942 est une époque cruciale de l’histoire tragique des Juifs d’Europe. Depuis un an — exactement, depuis le 22 juin 1941, date de l’agression hitlérienne contre l’Union Soviétique — les Juifs des régions conquises en Russie sont systématiquement exterminés par les « Groupes Spéciaux » (« Einsatzgruppen ») au fur et à mesure de la progression des troupes allemandes. Pendant ce temps, les Juifs polonais et ceux des pays occupés à l’ouest de la Pologne subissent de cruelles persécutions, sont mis au ban de leurs pays, sont ruinés, voués à la famine, humiliés, enfermés dans des ghettos ou dans des camps de concentration, mais leur extermination n’est pas encore commencée. Elle sera décidée le 20 janvier 1942, à Berlin, lors de la « conférence de Wannsee » consacrée à la « solution finale de la question juive  » et sa réalisation exigera un travail d’organisation dont la durée sera de 2 à 3 mois.

2En effet, c’est le 25 mars 1942 que, dans le cadre des décisions de Wannsee, part pour Auschwitz le premier convoi de 1.000 hommes de la Slovaquie et le 27 mars 1942 part le premier convoi de France, mais ce n’est qu’après une période de rodage et de mise au point technique, que la « grande action » se déclenche au mois de juillet 1942, presque en même temps en Pologne et en France. Le 16 et le 17 juillet, près de 13.000 personnes sont arrêtées dans la région parisienne et immédiatement déportées à Auschwitz au rythme de trois convois par semaine, tandis que le 22 juillet commence le « transfert » de la population du ghetto de Varsovie à Treblinka, où, en sept semaines, près de 450,000 Juifs seront assassinés.

3En France, avant le 16 juillet 1942, les Juifs sont recensés (octobre 1940), leur Statut est proclamé par Vichy (octobre 1940), il leur est interdit d’exercer presque toutes les professions (octobre 1940-juin 1941), en zone occupée il leur est interdit de quitter le département de leur résidence, de se trouver en dehors de leur domicile après 8 heures du soir, de posséder un compte en banque, un téléphone, un poste de T.S.F., une bicyclette, de voyager autrement qu’en dernière voiture du métro, d’entrer dans un café, dans une bibliothèque publique, dans un théâtre, dans un jardin public, de faire des achats autrement qu’entre 3 et 4 heures de l’après-midi; il leur est ordonné de porter obligatoirement une « étoile jaune » bien cousue sur leurs vêtements (juin 1942); plusieurs milliers sont déjà mis dans des camps de concentration et un certain nombre sont fusillés en tant qu’agents « anglo-gaullistes » ou « judéo-bolcheviques ».

4Cependant, ces premières arrestations sont antérieures à la conférence de Wannsee.

5En effet, en zone occupée on arrête près de 4,000 Juifs polonais, tchèques, allemands et autrichiens au mois de mai 1941; on arrête 6,000 habitants du 11 ème arrondissement de Paris le 20 août 1941; enfin, on arrête 1,000 « notables » parmi les Juifs français le 12 décembre 1941. Toutes les personnes arrêtées sont des adultes du sexe masculin à l’exclusion des vieillards et, des grands malades. On libère même un certain nombre de personnes pour raison de saulé, fait qui deviendra bientôt incroyable…

6La rafle du 16 et du 17 juillet 1942 est la première faite dans le cadre de la « solution finale de la question juive » décidée a Wannsee et elle marque un tournant décisif dans le destin des Juifs en France. Elle ouvre une nouvelle époque, lorsque l’arrestation et la déportation se feront sans aucune considération d’âge, de sexe, ni d’état de santé.

7Les pièces d’archive d’origine allemande et vicbyssoise qui se trouvent au Centre de Documentation Juive Contemporaine de Paris permettent de reconstituer très complètement l’histoire de cette rafle, sa genèse, son déroulement et son tragique aboutissement. En outre, cette précieuse documentation se trouve complétée par des récits de témoins de l’événement qui a eu, à l’époque, un très grand retentissement (v.G. Wellers — « Les rafles des 10-17 juillet 1942 dans la région parisienne », le « Monde Juif », n° 21-23, 1949; J. Billig — « Le Commissariat Général aux Questions Juives », éd. du Centre, Paris 1955, vol. I).

8Voici cette histoire.

Le deroulement des operations

9Le 11 juin 1942 se réunit à Berlin une conférence de la section IV B4 de la Gestapo dirigée par Eichmann, à laquelle participe le SS-Hauptsturmführer Dannecker, son délégué pour la France et la Belgique. Cette conférence décide la déportation à Auschwitz, aux fins d’extermination, des Juifs des pays de l’Europe Occidentale suivant le « quota » suivant : 100,000 de France, 15,000 des Pays-Bas et 10,000 de Belgique. C’est en exécution de cet te décision que 5 semaines plus tard, les 16-17 juillet seront arrêtées dans la région parisienne quelque 13.000 personnes.

10Au début, il est envisagé de déporter tous les Juifs des deux sexes habitant la France à l’exclusion des « conjoints d’aryens » et des nationaux des pays en guerre avec l’Allemagne (britanniques, américains) et des pays neutres et alliés de l’Allemagne. Cependant, les Juifs français et soviétiques sont destinés à la déportation à côté des apatrides et des étrangers. Les limites d’âge sont primitivement fixées entre 16 et 40 ans, mais elles seront finalement étendues à 2 ans et 60 ans, on verra bientôt dans quelles conditions.

11Dans la région parisienne il s’agit d’arrêter en deux jours environ 28,000 personnes et, compte tenu du « déchet » inévitable, on prévoit un minimum de 22,000 victimes sûres.

12Il est évident, dès le début, qu’une opération d’une telle envergure dépassait de loin les possibilités des Allemands. Pour sa réalisation il fallait, naturellement, s’assurer du concours des organes de Vichy. De plus, les Allemands sont décidés de compromettre dans cette action, une fois pour toutes, les autorités de Vichy, afin d’atteindre un double objectif, politique et psychologique. En effet, ils sont désireux de montrer à l’opinion publique française que le « péril juif » est reconnu par le Gouvernement français et que la lutte contre ce « péril » n’est pas simplement imposée par les Allemands aux Français hostiles et impuissants, mais qu’elle est menée avec conviction par les représentants responsables et éclairés de la France. D’autre part, mécontents d’une certaine tiédeur, voir d’une réticence, de quelques fonctionnaires français vis-à-vis de leurs entreprises anti-juives, les dirigeants de la Gestapo en France, veulent compromettre les hésitants eu les associant étroitement à l’exécution des plans arrêtés à Wannsee, et de cette façon briser toutes les réserves.

Les Juifs de Paris sont parqués dans l’enceinte du Vélodrome d’Hiver

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Les Juifs de Paris sont parqués dans l’enceinte du Vélodrome d’Hiver

13Tout de suite après le 11 juin, s’établissent les premiers contacts germano-vichysssois concernant l’affaire, et ces rapports deviennent très étroits vers la fin du mois de juin.

14A ce moment, la situation est la suivante : du côté allemand — détermination sans fissure, ensemble parfait dans l’action à laquelle participent la Gestapo d’une part (Oberg, Knochen, Dannecker, Roethke) et l’Ambassade d’Allemagne d’autre part (Abetz, Zeitschel, Rahn). Du côté de Vichy — moins de cohésion : Le Commissariat aux Questions Juives, en la personne de son Chef, Darquier de Pellepoix, et du Directeur de la Police aux Questions Juives, Schweblin, sont pleins d’un zèle sans défaillance. Ce dernier dénonce même à Dannecker et, par son canal, à Oberg, l’hésitation de Bousquet, Secrétaire d’Etat à la Police, qui est manifestement effrayé par la responsabilité qu’on veut lui faire endosser et semble être conscient du caractère particulièrement infâme de l’action pour laquelle son concours actif est exigé. Il prétend, donc, que cette responsabilité dépasse ses fonctions et s’abrite derrière l’autorité de Laval, Chef du Gouvernement de Vichy à cette époque et considéré par les Allemands comme un allié dans les entreprises anti-juives. Bousquet réclame les ordres de Laval.

15Le 27 juin, Laval arrive à Paris et au cours de plusieurs entretiens avec Oberg, Chef Suprême de la SS et de la Police en France, avec Knochen, Commandant de la SIPO-S.D. en France, avec le Conseiller d’Ambassade Rahn, il accepte d’exécuter les exigences allemandes, de mettre la police à leur disposition, de livrer les Juifs déjà arrêtés dans les deux zones, de procéder à de nouvelles arrestations pour alimenter le programme allemand de déportations, mais il refuse de donner les Juifs de nationalité française. Les Allemands acceptent cette dernière condition, mais à quel prix ? Laval « propose » (« hat vorgeschlagen », selon les propres termes de Dannecker dans sa communication du 1er juillet à Eichmann) lors de la déportation des familles juives de la zone non occupée d’y comprendre également les enfants âgés de moins de seize ans. La question des enfants juifs restant en zone occupée ne l’intéresse pas ».

16Cette extraordinaire proposition de Laval compense le « déficit » du nombre des victimes dû au refus de livrer les Israélites français, car les petits enfants d’autres catégories de Juifs prendront la place des Juifs français dans des convois dirigés vers les chambres à gaz d’Auschwitz.

17Cependant, les Allemands de Paris sont pris au dépourvu par cet infâme marché et le 6 juillet 1942 Dannecker demande à Eichmann « de prendre une décision d’urgence, par télégramme, afin de savoir si, à partir du quinzième convoi de Juifs, les enfants au-dessous de seize ans pourront également être déportés ».

18Quoiqu’il en soit, après l’accord de Laval ratifié le 4 juillet par Pétain et par le Conseil des Ministres de Vichy, on passe immédiatement à l’organisation des rafles, dont la date est fixée à Paris au 13 juillet.

19Le jour même, se réunit une conférence germano-vichyssoise à laquelle participent Bousquet et Darquier de Pellepoix et au cours de laquelle est décidée la création d’une Commission mixte chargée de l’exécution du projet. Aussitòt, l’habile Bousquet déclare que « la direction de la Commission devra absolument se trouver entre les mains du Commissariat aux Questions Juives » et cette proposition est entérinée par les participants, qui se mettent au travail sous la direction de Darquier.

20Les jours suivants, la Commission précise les détails de la prochaine action à Paris.

21Le 8 juillet le nombre de personnes à arrêter est fixé à 28,000; les limites d’âge sont fixées à 2 ans et 00 ans (55 ans pour les femmes) ; les Israélites français sont exclus de la mesure, mais les mineurs nés en France de parents étrangers ou apatrides et déclarés Français, suivront le sort des parents ; la Police aux Questions Juives est chargée de classer par arrondissements les fiches des futures victimes, puis de les transmettre au Directeur de la Police Municipale qui, à son tour, les répartira entre les Commissariats. Tout ce travail préparatoire doit être terminé le 10 juillet.

22Mais le 10 juillet, on s’aperçoit que la date du 13 a l’inconvénient d’être la veille de la Fête Nationale et on décide de rapporter la rafle aux 16 et 17 juillet.

23Une instruction de la Préfecture aux Commissariats ordonne de constituer des. « équipes d’arrestation …composées d’un gardien en tenue et d’un gardien en civil ou d’un Inspecteur des Renseignements Généraux ou de la Police Judiciaire. Les équipes chargées des arrestations devront procéder avec le plus de rapidité possible, sans paroles inutiles et sans commentaires ». Les personnes arrêtées doivent être conduites d’abord aux commissariats d’où on dirigera : « a) sur le camp de Drancy les individus ou familles n’ayant pas d’enfants de moins de seize ans ; b) au Vélodrome d’Hiver, les autres ». Les équipes travailleront le 16, de 4 heures à 9 h. 30 et de 12 heures à 15 h. 30 et le 17. de 4 heures à 13 heures. Il est réparti 25,334 fiches d’arrestation pour les vingt arrondissements de Paris et 2,057 pour les vingt-cinq communes de la banlieue.

24Le 16 juillet, à l’aube, l’opération est déclenchée comme prévu et elle ne prendra fin que le 17 vers 13 heures. Voici comment est décrite la journée du 16 juillet dans un tract clandestin de l’époque dont l’authenticité est établie grâce à des annotations marginales du SS-Obersturmführer Rœthke :

25« La nouvelle se répandit en ville comme une traînée de poudre et un sauve-qui-peut général s’ensuivit. Tous ceux qui le pouvaient s’enfuyaient, à peine vêtus et cherchaient asile chez des voisins français, chez des concierges, dans des caves ou des greniers. Là où les portes ont été ouvertes ou parfois forcées, on vit se produire des scènes déchirantes. Des femmes s’évanouissaient, des enfants hurlaient et présentaient même des chocs nerveux d’une violence inouïe. Dans leur désespoir, beaucoup de ces persécutés ont eu recours au suicide. Une mère a jeté ses quatre enfants par la fenêtre d’un 4 ème étage, puis s’est précipitée pendant qu’on forçait sa porte. Une petite fille de 10 ans a sauté du 3 ème étage, affolée… Mais, c’est surtout la razzia des enfants qu’il faut souligner. C’est à partir de 2 ans que les enfants ont été considérés comme aptes pour les camps de concentration… Dans plusieurs cas, en l’absence des parents, on a pris des enfants de 6, 10, 12 ans… Les cris et les pleurs remplissaient les rues ; les voisins, les passants ne pouvaient s’empêcher de pleurer. »

26Et voici un autre témoignage anonyme — une dénonciation dactylographiée et enregistrée dans les bureaux allemands le 31 juillet : « Le vendredi 17 juillet, vers 6 heures, un groupe de policiers se présentait au 14, rue Raffet, pour emmener quelques Juifs étrangers habitant l’immeuble. Un inspecteur et un officier de paix entrèrent en conversation avec le concierge et lui firent des remarques sur cette rafle, lui disant notamment que cette mesure était inhumaine, que dans certain quartier (Belleville, je crois) une mère avait jeté ses deux enfants par la fenêtre, ne voulant pas être séparée d’eux et qu’il y avait de nombreux suicides. Les mêmes bruits d’ailleurs, couraient dans divers quartiers. »

27Les résultats de ces rafles sont consignés dans un rapport du SS-Obersturmführer Rœthke, daté du 18 juillet :

28« Les rafles des Juifs apatrides des 16 et 17 juillet 1942 ont donné les résultats défintifs suivants : hommes — 3.031; femmes — 5.802; enfants — 4.051. Total .. 12.884… Sur les Juifs arrêtés un total de 6.000 hommes et femmes (célibataires ou ménages sans enfants) a été transféré au camp de Drancy au cours des rafles. Le reste des personnes arrêtées a été transféré tout d’abord au Vélodrome d’Hiver. Des sources les plus rariées le Service IVJ a été informé qu’un nombre important de Juifs apatrides avait eu vent des rafles et avait pu se cacher. Des fonctionnaires de la Police française auraient, dans plusieurs cas, renseigné sur les rafles projetées, les personnes qu’ils devaient arrêter… en leur conseillant de ne pas demeurer dans leurs appartements les 16 et 17 juillet 1942… Tandis que le premier jour des rafles 9,800 personnes environ avaient été arrêtées, la Police française n’avait atteint le 17 juillet… qu’une petite partie des résultats obtenus le premier jour, à savoir environ 3,0 personnes. La population française a exprimé, dans des cas répétés, sa pitié à l’égard des Juifs arrêtés et ses regrets, en particulier, à l’égard des enfants ».

29Ainsi, au lieu de 28,000 ou de 22,000 victimes attendues, les rafles n’ont donné que 12.884 arrestations, et cela grâce à d’innombrables complicités de la population et même de la police.

30Mais, désormais, les femmes et les enfants seront systématiquement déportés et rapidement toute limite d’âge ou toute considération concernant l’état de santé, seront complètement abolies : on déportera les femmes enceintes et les nourrissons, les vieillards séniles et les fous, les malades dans le coma et les blessés dans le plâtre…

31Comme nous le savons, les 16 et 17 juillet 6.000 personnes âgées de plus de 16 ans ont été dirigées sur Drancy et leur arrivée dans ce camp est restée fortement gravée dans notre mémoire (V.G. Wellers — « De Drancy à Auschwitz », Paris 1946, éd. du Centre, pp. 45 et 140). « Le 16 juillet, dès 7 heures du matin, les premiers autobus arrivèrent dans le camp, chargés d’une partie des victimes des rafles de ce jour tristement célèbre. Jusqu’à 6 heures du soir, les autobus continuèrent d’amener du monde… Sous un soleil de plomb, cette foule compacte attendait pendant des heures l’instant de son inscription sommaire sur les registres du camp… Le camp regorgeait de monde. Dans chaque chambrée il n’y avait pas 50 personnes comme prévu, mais 75. L’unique « château rouge » (w.c.) était affreusement insuffisant surtout pour les femmes, dont l’effectif réel dépassait le double de l’effectif attendu. Les malheureux arrêtés par surprise manquaient de tout; les hommes et les femmes séparés dès leur arrivée, n’avaient pas eu le temps de répartir équitablement leur maigre bagage, de sorte que souvent la femme était en possession du linge du mari, qui de son côté, gardait le peu de nourriture qu’ils avaient eu la présence d’esprit d’emporter… Pendant les deux jours suivants, on procéda, au recensement des nouveaux. Plusieurs catégories furent établies : les conjoints d’« aryens », les demi-juifs, les femmes enceintes, les personnes employées dans les entreprises allemandes ou italiennes, les ressortissants de certaines nationalités… Les conditions de surprise dans lesquelles les pauvres gens avaient été arrêtés ne leur permettaient souvent pas de justifier de leur appartenance à telle ou telle catégorie privilégiée. Nombreux furent les enfants français de naissance qui refusèrent de se faire reconnaître comme Français, pour ne pas être séparés de leurs parents. Nombreuses furent les femmes françaises qui se déclarèrent de la nationalité de leurs maris pour la même raison. Il y eut des cas où des maris ou des femmes « aryens » se déclarèrent Juifs pour partager le sort de leurs conjoints ».

32Pendant ce temps, le martyre de près de 7.000 autres personnes parmi lesquelles plus de 4,000 petits enfants avait commencé au Vélodrome d’Hiver où ils furent enfermés pendant les cinq premiers jours.

33Voici un témoignage de la plus haute valeur. Les lignes qui suivent ont été rapidement rédigées au crayon, à l’époque même des événements, par la main d’André Baur, Président de l’ « Union Générale des Israélites de France ». Le soir du 16 juillet, André Baur, accompagné de ses collaborateurs A. Katz et F. Musnik a pu se rendre au Vél’ d’Hiv’ et son témoignage est donc un témoignage oculaire. Ajoutons qu’en 1943, A. Baur a été déporté à Auschwitz avec sa jeune femme et leurs quatre enfants et tous les six y ont péri. A. Katz et (sa femme, ainsi que F. Musnik, ont subi le même sort:

34« Le Vel’ d’Hiv’. La vaste enceinte grouille de haut en bas… Nous pénétrons sur la piste centrale par le tunnel. Une foule énorme dans des tribunes où les fauteuils paraissent tous occupés… De temps en temps des jeunes gens apportent des baquets d’eau et tous s’y précipitent pour remplir leurs quarts, leurs casseroles ou de simples boîtes de conserves. Sur la piste, à droite en sortant du tunnel, des brancards sont posés où geignent des femmes et des enfants étendus. Dans une petite enceinte à gauche, la Croix-Rouge a installé une ambulance où s’affairent des infirmières et les deux médecins. Un a l’impression qu’il n’y a que des enfants et des malades. Pour cet ensemble on n’a amené qu’une cinquantaine de brancards et matelas… Il n’g a en effet que deux médecins juifs et un de la Croix-Rouge pour 7.500 personnes avec près de 50 % d’enfants. Les infirmières ont les larmes aux yeux, les gendarmes sont écœurés. Pas de trace de la moindre organisation, pas de direction, pas de responsables ou trop… On a évacué des femmes prêtes à accoucher et quelques grands mutilés. Des enfants rougeoleux circulent dans la foule.. Une femme devenue folle, est liée sur un brancard; une autre a cherché à tuer son enfant avec une bouteille. Un autre enfant fut amené, les veines du poignet presque sectionnées par sa mère. »

35De ces cinq jours nous possédons un autre témoignage, celui de notre amie et camarade Mlle J.M. Matthey-Jenais, déportée de la résistance, commandeur de la Légion d’honneur, membre du Conseil d’administration de l’A.D.I.F.-Ile-de-France, infirmière de la Croix-Rouge en 1942 et qui a bien voulu rédiger, à notre demande, l’année dernière, les lignes suivantes :

36« J’ai assuré le service, en qualité d’infirmière de la C.R.F. au Vélodrome d’Hiver les 16-17-18-19 juillet 1942 de jour et de nuit, sans médecins. sauf ceux qui faisaient partie des Juifs expulsés (comme on les appelait) qui n’avaient pas de médicaments, ni aucun appareil médical. Le service policier était assuré par de nombreux gardes mobiles français qui étaient commandés par des Allemands en civil. Travail très actif pour nous infirmières, mais horriblement triste et douloureux car nous manquions du nécessaire et ne pouvions guère que soutenir le moral de tous ces hommes, femmes et enfants arrêtés à leur domicile, dans la rue et même dans les hôpitaux où ils étaient en traitement. Aucune installation sanitaire, pas de lavabos ni de w.-c.; l’eau était coupée et nous étions obligées d’aller chercher de l’eau dans des brocs pour étancher leur soif… Aucune nourriture sauf la soupe envoyée par la C.R.F., mais en trop petite quantité pour en donner à tous. Atmosphère étouffante et nauséabonde, crises de nerfs, hurlements, pleurs des enfants et même de grandes personnes qui étaient à bout de forces physiques et morales. Plusieurs fous qui semaient la panique. Tous pêle-mêle sans possibilités de couchage, aucun matelas, et entassés les uns sur les autre. Beaucoup de malades contagieux, surtout parmi les enfants. Ces derniers étaient mis à même le sol dans les loges qui entouraient la piste centrale par catégories de maladies et emmenés tous les soirs, mais nous n’avons jamais connu quelle était leur destination, ni le sort qui leur était réservé. »

37Cinq jours après, les parents (en majorité des mères) et les enfants ont été transférés du Vélodrome d’Hiver aux camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande.

38Leur destin a été particulièrement cruel.

39En effet, comme nous avons vu, les résultats des rafles ont été décevants pour les Allemands, puisque moins de 13.000 victimes, parmi lesquelles 4.0 petits enfants, ont été capturés au lieu de 22.000, voire 28.000 escomptées. Il y avait, donc, un déficit global de quelque 10.000 personnes par rapport aux prévisions. De plus, la réponse d’Eichmann concernant la déportation des enfants tardait il venir et dans l’immédiat il ne s’agissait, donc que de 9.0 grandes personnes à déporter au lieu d’un minimum do 22.000 escomptées. Cependant, les trains pour les futurs déportés avaient été préparés d’avance en fonction des prévisions et non des résultats obtenus par la suite et les Allemands n’admettaient aucune défaillance ni dans le programme établi des déportations, ni dans le nombre des personnes qui devaient y prendre place.

40A partir du 19 juillet ( [1]) les 0.000 victimes amenées à Drancy ont alimenté le programme des déportations, mais le 29 juillet cette source a été épuisée et il fallait, sans tarder, en trouver une nouvelle. Alors, avec l’accord de Darquier, il est décidé de faire partir les parents arrêtés les 10-17 juillet et de garder sur place, c’est-à-dire à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande, leurs enfants en attendant l’autorisation d’Eichmann concernant leur déportation. Ce qui fut fait.

41Dans les derniers jours du mois de juillet et au début du mois d’août, à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande, on sépare les parents de leurs enfants âgés de moins de 13 ans et en quatre convois (31 juillet, 3, 5 et 7 août) les parents et les adolescents entre 12 et 16 ans sont déportés, tandis que les 4.000 enfants de 2 à 12 ans restent abandonnés, seuls face à leur destin.

42« Des scènes tragiques et révoltantes se sont déroulées quand on a séparé les mères de leurs enfants », dit le tract clandestin que nous avons déjà cité. « Les gendarmes effectuaient la séparation à coups de matraque, n’épargnant même pas les enfants. Presque toutes les femmes ont de fortes traces de coups. Comme elles refusaient de quitter leurs enfants, elles furent poussées de force dans les cars avec des bourrades et des menaces de mort. Les enfants de 2 à 11 ans, au nombre de 5.000 environ, sont restés seuls, sans aucune surveillance, affamés, dans la crasse, mourant comme des mouches. On leur a donné des numéros et c’est ainsi qu’on les appelle désormais. »

43C’est seulement le 13 août, c’est-à-dire près d’un mois après la rafle, que le sort des enfants rendus orphelins est tranché par accord de Berlin pour leur déportation.

44Dans la deuxième moitié d’août on les amena à Drancy en convois de mille, mêlés à 200 grandes personnes étrangères prises parmi les détenus. Voici ce à quoi l’auteur de ces lignes a assisté à l’époque et qu’il a été amené à évoquer lors de sa déposition devant le Tribunal de Jérusalem, en sa qualité de témoin français de l’accusation au procès Eichmann (v. G. Wellers — « De Drancy à Auschwitz », pp. 55-58) :

45« Dans la deuxième moitié d’août, on amena à Drancy 4.000 enfants sans parents… Ils étaient âgés de 2 à 12 ans. On les déchargea des autobus au milieu de la cour, comme de petites bestioles. Les autobus arrivaient avec des agents sur les plate-formes, les barbelés étaient gardés par un détachement de gendarmes… Les enfants descendaient des autobus et aussitôt les plus grands prenaient par les mains les tout-petits et ne les lâchaient plus pendant le court voyage vers leurs chambrées. Dans l’escalier, les plus grands prenaient sur leurs bras les plus petits et, essoufflés, les montaient au quatrième étage. Là, ils restaient les uns à côté des autres, comme un petit troupeau apeuré, hésitant longtemps avant de s’asseoir sur les matelas d’une saleté repoussante. La plupart ne savaient plus où étaient leurs bagages. Le petit nombre de ceux qui avaient eu la présence d’esprit de les prendre à la descente des autobus, restaient embarrassés de leurs baluchons informes. Pendant ce temps, on entassait d’autres petits baluchons dans la cour et, quand le déchargement fut terminé, les enfants descendirent dans la cour pour chercher leur bien. Ces petits paquets sans nom étaient vraiment difficiles à reconnaître, et pendant longtemps les enfants de quatre, cinq, six ans se promenaient parmi eux croyant à chaque instant retrouver le leur. Après de nombreuses tentatives infructueuses, ils abandonnaient la partie et restaient dans la cour ne sachant que faire. Ceux qui voulaient remonter dans les chambres, souvent, ne savaient plus à laquelle ils appartenaient. Alors, très poliment, d’une voix douce et suppliante, ils disaient : « Monsieur, je ne sais pas où est resté ma petite sœur, peut-être a-t-elle peur de rester toute seule. » Alors, on prenait par la main les plus grands, on prenait sur les bras les petits et on les promenait à travers les chambrées des trois escaliers différents jusqu’à ce qu’on ait retrouvé la petite sœur ou le petit frère. La réunion était alors d’une tendresse dont seuls les enfants dans le malheur ont le secret.

46« Les enfants se trouvaient par 100 dans les chambrées. On leur mettait des seaux hygiéniques sur le palier, puisque nombre d’entre eux ne pouvaient descendre le long et incommode escalier pour aller aux cabinets. Les petits, incapables d’aller tout seuls, attendaient avec désespoir l’aide d’une femme volontaire ou d’un autre enfant. C’était l’époque de la soupe aux choux à Drancy. Très rapidement, tous les enfants souffrirent d’une terrible diarrhée. Ils salissaient leurs vêtements, ils salissaient les matelas sur lesquels ils passaient jour et nuit.

47« Chaque nuit, de l’autre côté du camp, on entendait sans interruption les pleurs des enfants désespérés et, de temps en temps, les appels et les cris aigus des enfants qui ne se possédaient plus.

48« Ils ne restèrent pas longtemps à Drancy. Deux ou trois jours après leur arrivée, la moitié des enfants quittait le camp en déportation, avec 500 grandes personnes étrangères. Deux jours plus tard, c’était le tour de la deuxième moitié. La veille de la déportation, les enfants passèrent par la fouille, comme tout le monde. Les garçons et fillettes de deux ou trois ans entraient avec leur petit paquet dans la baraque de la fouille où les inspecteurs de la « Police aux Questions Juives » fouillaient soigneusement les bagages et les faisaient ressortir avec leurs ballots défaits… Les petites broches, les boucles d’oreilles et les petits bracelets des fillettes étaient confirsqués par les P.Q.J

49« Le jour de la déportation, les enfants étaient réveillés à 5 heures du matin et on les habillait dans la demi-obscurité. Il faisait souvent frais à 4 heures du matin mais presque tous les enfants descendaient dans la cour très légèrement vêtus. Réveillés brusquement dans la nuit, morts de sommeil, les petits commençaient à pleurer et peu à peu les autres les imitaient. Ils ne voulaient pas descendre dans la cour, se débattaient, ne se laissaient pas habiller. Il arrivait parfois que toute une chambrée de 100 enfants, prise de panique cl d’affolement invincibles, n’écoutait plus les paroles d’apaisement des grandes personnes, incapables de les faire descendre; alors, on appelait les gendarmes qui descendaient sur leurs bras des enfants hurlant de terreur.

50« Dans la cour, ils attendaient leur tour d’être appelés, souvent en répondant mal à l’appel de leur nom. Les ainés tenaient à la main les petits et ne les lâchaient pas. Dans chaque convoi il y avait un certain nombre d’enfants qu’on ajoutait pour compléter : c’étaient ceux dont les noms étaient inconnus. Ainsi, il a été déporté à Drancy en deux semaines, 4.000 enfants sans parents. »

51Il reste à imaginer la progression, à travers toute l’Europe, de ces lamentables convois remplis de petits enfants, d’imaginer l’arrivée à Auschwitz des survivants, leur descente des trains au milieu des S.S. armés, vociférants et accompagnés d’énormes chiens policiers aboyant, leur cortège vers les chambres à gaz et leur affreux sacrifice destiné à alimenter une haine toujours inextinguible…

Reaction de l’opinion publique

52COMME nous l’avons noté plus haut, la rafle des 16-17 juillet a fortement ému l’opinion publique.

53Les habitants de la capitale ont été frappés par le spectacle pitoyable des petits enfants, des femmes, des invalides impotents pourchassés a domicile, dans les rues et dans les hôpitaux, puis traînés dans les Commissariats et au Vélodrome d’Hiver où rien n’était préparé pour leur assurer un minimum du plus élémentaire confort.

54Il est arrivé que des enfants se sont trouvés absents pendant qu’au domicile on arrêtait le reste de la famille et à leur retour ces enfants n’avaient plus ni famille, ni domicile. Alors, les voisins se chargeaient de ces malheureux. Le sentiment d’humanité le plus rudimentaire était heurté à chaque instant…

55De plus, malgré deux ans d’une propagande antisémite effrénée, la très importante majorité de la population parisienne, avec ses solides traditions de tolérance, de respect des croyances et des convictions d’autrui, avec son bon sens inné, restait irréductiblement hostile quant au fond du problème et scandalisée par de pareils procédés.

56Déjà au mois de juin 1942, au moment de l’institution du port obligatoire de l’« étoile jaune », la population de la capitale avait manifesté ouvertement ou discrètement sa désapprobation indignée contre des vilenies de cette espèce (v. L. Poliakov, « L’Etoile Jaune », Paris, 1949, éd. du Centre).

57Cette fois, les bornes de ce que les Français pouvaient imaginer comme formes de persécution des Juifs avaient été dépassées. Cependant, ces sentiments n’avaient pas les moyens licites de s’exprimer, surtout en zone occupée et nous les connaissons seulement par de nombreux actes d’une agissante sympathie vis-à-vis des Juifs, dont nous avons donné plus haut quelques échantillons enregistrés par la Gestapo.

58Mais la presse clandestine de l’époque n’est pas restée muette devant cet étalage de sauvagerie, d’autant plus que la rafle des 16-17 juillet à Paris a été le signal des rafles massives dans les deux zones et a marqué le début des mouvements, désormais ininterrompus, des trains des déportés vers Auschwitz, via Drancy.

59C’est ainsi qu’un tract clandestin distribué dans la région parisienne et annoté le 15 novembre 1942 par le SS-Obersturmführer Roethke, exprime la révolte des consciences :

60« Hommes et femmes de cœur ! Les larmes et le sang des petits enfants appellent au secours. Il y a trois mois que des milliers d’enfants juifs, après avoir été séparés de leurs parents et martyrisés pendant des semaines dans les camps de Pithiviers et de Drancy, ont été déportés vers l’Est. Et depuis aucune nouvelle.

61Les bruits les plus terribles couraient à leur sujet. Selon des lettres parvenues de Pologne les trains n’y ont amené que des cadavres. Maintenant nous apprenons que quelques convois de femmes, de vieillards, de malades et d’enfants, enfin tous ceux qui n’étaient pas aptes au travail, ont été asphyxiés par les gaz toxiques. Quatre mille personnes ont été brûlées vives dans des baraquements de l’Est parce que des maladies contagieuses très graves sévissaient parmi les malheueux. Des cheminots belges ont fait savoir qu’en Belgique on a trouvé 25 enfants de 2 à 4 ans morts dans les wagons. On suppose qu’endormis dans des coins ils ont été oubliés et par la suite sont morts de faim et d’épuisement; d’autres seraient morts en route à la suite de maladies et faute de soins.

62Voilà le sort tragique auquel on a livré des milliers d’êtres humains. Voilà dans quel but les barbares nazis, assoiffés du sang des enfants, ont déporté aussi les petits. Ces bandits, aussi lâches que cruels devant le grondement et l’indignation du peuple français et du monde entier, ont lâché prise pour un certain temps. Mais ils se heurtent de nouveau à de grandes difficultés dans notre pays. La « relève » mensongère fait faillite et il faut expédier de force des Français en Allemagne.

63Il faut donc renforcer la terreur, semer la panique. Et voici que la chasse aux enfants juifs a recommencé pour donner un avant-goût aux Français. Des policiers se présentent dans les mairies et les écoles des villages en demandant qu’on leur indique les enfants juifs. Ils viennent les ramasser, en se servant de toutes sortes de ruses, chez les nourrices. Chaque jour ils amènent ces petits martyrs par petits paquets à Drancy, où on les entasse dans la crasse, où la vermine les dévore et les maladies et la mort les guettent.

64A Paris même on recherche ces petits innocents qui ont échappé jusqu’à présent. On va les chercher jusqu’à l’école. Ainsi, des inspecteurs nazifiés ont retiré deux petits d’une école maternelle du 19e arrondissement (Simon Bolivar). Dans le même arrondissement, on est venu chercher un bébé maladif de 2 ans qu’une malheureuse mère, au moment de son arrestation, avait confié à sa voisine et qu’on a arraché endormi de son berceau.

65Français et Françaises ! Les larmes et le sang des petits innocents appellent à l’action. Arrêtez la main des bourreaux d’enfants !

66Membres du corps enseignant ! Faites votre devoir humanitaire de Français, refusez de livrer les enfants à leurs bourreaux; honte à ceux qui sont assez lâches pour le faire ! Maires et employés des administrations ! Camouflez par tous les moyens les petits recherchés ! Pères et mères de famille ! Quand vous embrassez vos enfants, rappelez-vous que des petits comme les vôtres sont arrachés à leurs parents; des centaines restent sans abri, privés de soins. Accueillez-les, donnez-leur asile ! Formez partout des groupes de défense de l’enfant persécuté ! Portez des colis aux enfants dans les camps ! Erigez leur libération !

67A bas les assassins d’enfants ! Hors de notre pays les barbares nazis ! Vive la liberté indépendante et humaine ! »

68Ce tract est remarquable par la précision de ses informations, mais on est surtout frappé d’apprendre qu’en 1942 il fait déjà état d’exterminations dans les chambres à gaz, procédé appartenant, pourtant, à la catégorie des très importants secrets d’Etat et généralement ignoré en France jusqu’à 1945, époque du retour des rescapés d’Auschwitz.

69A la même époque les journaux clandestins ont publié des protestations violentes et indignées. Voici ce qu’écrit l’éditorialiste de « Franc-Tireur », « mensuel dans la mesure du possible et par la grâce de la police de Pierre Laval », dans son numéro de septembre 1942, n° 11 :

70« Comme « Franc-Tireur » l’avait annoncé dans son tract spécial dirigé « contre l’immonde persécution » raciste, les horreurs qui se sont déroulées à Paris, déferlent depuis le 26 août sur toute la zone dite libre.

71A Lyon, Toulouse, Marseille, Nice, Montélimar, dans les bourgs et les villages de tous les départements la population française, indignée, a été témoin de scènes infâmes et déchirantes : la battue des malheureux réfugiés israélites que Vichy livre aux bourreaux hitlériens. Des vieillards de 60 ans, des femmes et des gosses, de malheureux gosses ont été, avec les hommes, empilés dans des trains qui partent vers le Reich et vers la mort.

72On a vu chez nous, en France, ce spectacle inexpiable : des policiers français contraints de se livrer à l’ignoble besogne qui consiste à séparer les enfants de leurs mères ! Toute une force armée, déclenchée pour traquer et pour arrêter de pauvres familles sans défense, que Von livre à ceux qu’elles ont fuis !

73C’est dans notre patrie que cette abjection se passe.

74Les traîtres et les volets auront donc commis tous les crimes, ils auront tout bafoué, tout souillé. Plus de droit, plus de loi, plus de pitié, pas un sursaut devant l’immonde ! Ils acceptent tout, ils se roulent dans la servitude et dans l’ordure !

75Vichy semble s’acharner à déshonorer la France.

76Cette fois-ci encore, la révolte et le dégoût de la conscience française lui répondent.

77De son côté, « Combat », « Organe du Mouvement de Libération française », dans son numéro d’octobre 1942, écrit:

78« Au moment où la France est soulevée d’horreur par la rafle monstrueuse des Juifs que Vichy livre comme du bétail aux autorités allemandes,

79Au moment où des hommes innocents vont à la mort, où leurs femmes sont envoyées aux bordels et leurs enfants abandonnés,

80Au moment où les meilleurs des Français ouvrent toutes grandes leurs portes à ces enfants qui ne reverront jamais leurs parents,

81Au moment où les plus belles figures de la chrétienté française font entendre du haut de leur chaire des appels à la fraternité et ordonnent des prières pour les Juifs,

82Au moment où Mgr. Valéri, Nonce apostolique, proteste à Vichy au nom de Pie XII et de la conscience humaine,

83Au moment où les prêtres sont jetés en prison pour avoir soustrait à la brute allemande des petits enfants dont le seul crime était d’être nés juifs.

84COMBAT élève une protestation véhémente. Une fois de plus Vichy trahit la conscience nationale et nos traditions les plus sacrées. Une fois de plus il est voué au mépris et à la haine de la nation.

85« Je suis seul responsable, l’Histoire me jugera. »

86Pétain, Maréchal de Vichy, le peuple vous a jugé… et condamné avant l’histoire. »

87Quant à la position de l’Eglise et, en général, à l’état d’esprit des Français en automne 1942 vis-à-vis du problème juif, le « rapport confidentiel du Délégué du Service d’Enquêtes et de Contrôle du Commissariat Général aux Questions Juives » (ex-Police aux Questions Juives) pour la région de Toulouse. daté du mois de septembre 1942, brosse le tableau suivant (v. G. Wellers — « La population française face à la persécution des Juifs », « Le Monde Juif », février 1949, n° 16) :

88« Il est légitime de penser que de nombreuses fuites ont eu lieu des Services des Préfectures et même des Administrations centrales à Vichy sans quoi, il serait impossible d’expliquer la fuite générale de fin août. Très souvent les Juifs sont prévenus des perquisitions domiciliaires qui sont demandées par nous, ou des enquêtes de Police (Police nationale) qui vont être faites sur eux.

89Nous nous expliquons ainsi pourquoi les contre-enquêtes qui sont faites sur les ordres des Intendants de Police (Montpellier, Toulouse) ou des Préfets, qui n’ont aucune confiance dans notre travail ou dans notre parole, infirment presque toujours nos rapports d’enquête, qui paraissent ainsi n’être plus que le produit d’une imagination fantaisiste et malfaisante. Dans ce cas particulier il faut également tenir compte que les enquêtes de Police sont conduites avec un esprit partisan nettement favorable aux Juifs, parce que les Juifs ont posé le problème sur le plan politique et que, aujourd’hui, chacun est pour ou contre l’Angleterre, donc pour ou contre les Juifs.

90Je vous ai communiqué en leur temps les copies des lettres pastorales des évêques de Toulouse et de Montauban. L’autorité préfectorale n’a pas pu interdire la lecture de ces lettres pastorales, car malgré les injonctions, ces lettres ont été adressées à leurs destinataires. Ces missives ont été envoyées non par poste, mais remises de main à main, ce qui prouve de la part de leurs auteurs, la connaissance, en conscience, qu’ils agissaient contrairement aux intérêts supérieurs du pays et aux ordres du Maréchal, Chef de l’Etat.

Fac-similé du télégramme de Roethke à Eichmann et au commandant d’Auschwitz, annonçant le départ du premier convoi aprés les rafles.

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Fac-similé du télégramme de Roethke à Eichmann et au commandant d’Auschwitz, annonçant le départ du premier convoi aprés les rafles.

91La lecture de ces lettres, en chaire, le dimanche, à toutes les messes, a fait un gros effet sur la population chrétienne des diocèses de Toulouse et de Montauban.

92Des copies de ces lettres ont été ronéotypées par des groupements juifs (judéo-communistes et judéo-maçons) et ont été envoyées à de nombreuses personnalités administratives connues pour leurs sentiments religieux chrétiens, ainsi qu’à de nombreux Juifs, pour qu’ils puissent étayer sur l’autorité de l’Eglise leur propagande dans la masse française, toujours très sensible à la façon dont l’Eglise juge les choses.

93Dans les campagnes, les populations agricoles ont été très touchées par ces lettres pastorales, les paysans ont apporté matériellement et moralement toute l’aide qu’ils pouvaient aux Juifs qui partaient ou à ceux qui se sont cachés.

94Les Juifs qui bénéficiaient des indiscrétions qui se sont produites dans les Préfectures, et même à Vichy, ont pu se sauver et se cacher à la campagne chez des paysans et ainsi éviter d’être pris dans les rafles des 25 et 26 août 42. Ces Juifs sont d’autant mieux à l’abri qu’ils sont toujours sûrs d’être prévenus à temps.

95Les compromissions d’aryens ne se comptent plus…

96Je n’ai pas pu obtenir de précisions sur le « rendement » des arrestations des Juifs destinés à être reconduits dans l’Est européen. Des renseignements personnels me font croire que la proportion des Juifs réellement arrêtés sur le nombre des Juifs figurant aux listes est de 45 %.

97Ces arrestations ont été faites spectaculairement, le travail n’a pas pu être préparé, beaucoup se sont trouvés être prévenus que des mesures allaient être prises contre eux et se sont enfuis vers les campagnes… Je sais bien que la tâche n’est pas simple, mais les monumentales erreurs qui ont été faites ont persuadé maintenant l’opinion publique, même la mieux intentionnée, que nous ne poursuivons pas des buts nationaux français, mais que nous sommes bassement à la solde d’une puissance étrangère à laquelle, par intérêt personnel, nous obéissons servilement. »

98TELLE esl l’histoire de la rafle des 16-17 juillet 1942 dans la région parisienne.

99A la suite et pendant encore deux longues années, des dizaines de milliers d’autres Israélites seront arrêtés sur tout le territoire de la France et déportés à Auschwitz, d’où à peine 3,5 % reviendront en 1945, parmi lesquels aucun enfant…

100Mais cette rafle du mois de juillet restera le tragique symbole de la « solution finale de la question juive » en France, car elle était la première de la longue série et particulièrement franche dans son exécution. C’est à ce titre qu’il est juste de l’évoquer pour la rappeler au souvenir des hommes libres.

101Puisse ce souvenir fortifier l’horreur de l’injustice et de la cruauté, et fortifier aussi la détermination de tous les hommes de bonne volonté de défendre la tolérance et la solidarité humaines, dans notre monde trouble et submergé par le mensonge et les préjugés.

102G. WELLERS,

103Vice-président de l’Union Nationale des Associations des Déportés, Internés et Familles de Disparus (l’U.N.A.D.I.F.), Déporté d’Auschwitz et de Buchenwald.

Daniel MAYER : « C’est de l’avenir qu’il s’agit maintenant »

104Quelles peuvent être, sur l’attitude à observer à l’égard d’un événement passé, l’influence de l’avance des années et, donc, à la fois, la diminution du nombre des témoins et le recul du souvenir ?

105En quoi un anniversaire est-il plus important qu’un autre parce qu’il est un multiple de dix ?

106Voilà deux questions un peu désabusées qui me viennent à l’esprit au seuil de cet article destiné à commémorer le drame de juillet 1942. Et je suis bien incapable d’y répondre. Car, ici, il ne s’agit pas seulement d’histoire, mais aussi de piété. Pas seulement de piété, mais aussi de leçon. Et qu’importe aux survivants d’une tragédie, même aux plus fidèles comme à ceux qui sont nés ensuite et qui tendent à être le plus grand nombre, un enseignement tourné exclusivement vers le passé : c’est de l’avenir qu’il s’agit essentiellement.

107Les faits sont irréfutables : 12.000 Juifs de la région parisienne ont été, le 16 juillet 1942 — cent cinquante trois ans et deux jours après la prise de la Bastille qui n’a décidément pas correspondu avec la suppression des Bastilles — arrêtés, parqués au Vélédrome d’Hiver, puis déportés et, enfin, exterminés. Nul ne songe aujourd’hui à remettre en cause la triste exactitude de ces données.

108Sur leurs origines, peu de dissentiments non plus : le monstrueux totalitarisme qui, alors, s’appelait hitlérisme, est bien dénoncé par tous. « Lorsque le Führer ordonne, nous obéissons. Personne alors ne doit faire de réserves intérieures. Personne n’a le droit de se demander si le Führer a raison, oui ou non, et si ce qu’il dit correspond, oui ou non, à la réalité, disait, le 17 mai 1943, le Dr Ley à l’Ordensburg « Die Falkenburg », au bord du lac de Groessin. Ce que le Führer dit est toujours vrai. Si j’use ici de critique, je porte atteinte à un point de notre dogme. C’est la loi suprême et immuable. »

109Que la « pureté » d’un tel Credo, comme la pureté de la race, comme le mythe d’une mission à accomplir par les seuls Aryens, aient été le prétexte et le paravent à des opérations plus matérielles et plus fructueuses, cela ressort à l’évidence. Et le Congrès Juif mondial pouvait récemment fournir cette macabre statistique : les biens des Juifs spoliés par les nazis se montent à environ 27 milliards de dollars; les seuls plombages et bridges arrachés par eux de la bouche de leurs victimes juives représentent un poids total de dix-sept tonnes d’or.

110Il n’en demeure pas moins que la prétendue idéologie autour de laquelle a pu se grouper, à de trop rares exceptions près, un grand peuple, n’a pas disparu. Et c’est là, au-delà du linceul d’amour et de pitié dont nous devons entourer les victimes de juillet 1942, et celles qui avaient précédé, et celles qui ont suivi, le drame de notre temps.

111Le phénomène n’est pas allemand. Il est universel. Il peut y avoir entre tel génocide et tel autre des différences de degré. Il n’y en a pas de nature. L’humanité organise sa propre perte, physique en ordonnant çà et la des massacres et déportations, morale en se taisant et, donc, en feignant de consentir.

112Certes, Hitler est mort après avoir été militairement vaincu. Mais n’est-il pas vainqueur à titre posthume chaque fois qu’un geste que n’auraient pas désavoué les porteurs de la croix gammée est commis, sans susciter une immédiate indignation, dans n’importe quel coin du monde ?

113L’enseignement de l’histoire et celui du dégoût, l’éducation des jeunes, la résurrection du respect de la vie humaine, celle d’une authentique échelle des valeurs, le retour à la dignité individuelle et collective reconnue par tous, le rétablissement de la liaison heureuse entre raison et liberté, bref, la recréation des fondements de la démocratie universelle, voilà qui empêchera de nouveaux 16 juillet.

RABI : « L’opinion publique devant l’evenement »

114Pendant deux ans, on assista à un fléchissement général de l’opinion publique. Personne ne protesta lors de la publication du Statut des Juifs du 3 octobre 1940. Aucun professeur, de lycée ou de Faculté, ne renonça à son poste lorsque les professeurs juifs firent leur dernière classe. Aucun officier ne rendit ses galons lorsque les Juifs furent chassés de l’armée. Seul un magistrat, le juge Didier, refusa en 1941 de prêter le serment au Maréchal et d’appliquer la législation infâme. Pas une fois les policiers et les gendarmes ne refusèrent d’opérer l’arrestation dont ils étaient chargés. Pas une seule fois les cheminots, qui transportaient les déportés, ne firent la grève, comme leurs collègues le firent en Hollande.

115Certains petits groupes cependant maintenaient une résistance exemplaire, mais ils étaient encore faibles. Dans le numéro d’avril-mai 1942, le cahier clandestin de Témoignage chrétien dénonça Vallat qui « rêve de Hitler et de Rosenberg ». Dans certaines villes la projection du film Le Juif Suss fut l’occasion de manifestations houleuses. A Lyon, on s’indignait contre les conditions dans lesquelles les détenus de Gurs étaient réduits à la famine. Dans cette même ville L’amitié chrétienne sauvait des centaines de familles juives. Mais, pour l’essentiel, le pays dans sa masse restait inerte, subissant le martèlement de la presse et de la radio.

116Elle aussi, la hiérarchie catholique demeurait silencieuse. Le Statut n’avait soulevé aucune objection de sa part. C’était au surplus la ligne du Vatican. On connaît à cet égard l’extraordinaire document que constitue le rapport de Léon Bérard, ambassadeur de France au Saint-Siège, daté du 2 septembre 1941. « Comme quelqu’un d’autorisé me l’a dit au Vatican, il ne vous sera intenté nulle querelle pour le Statut des Juifs ». Vallat a donc eu raison de dire lors de son procès : « Si j’avais reçu un avertissement quelconque, non pas même du Vatican, mais d’un représentant autorisé de la hiérarchie catholique en France, me disant : tel point de la législation est contraire au droit que reconnaît au pouvoir civil la doctrine catholique (…), ou j’aurais réformé ce point, ou, si je n’avais pu réformer ce point, je serais parti ».

117Quant à Vichy, avant même de recevoir les ordres de l’occupant, il publiait une législation antijuive abondante : révision des naturalisations, Statut, internement, recensement, numerus clausus dans les Facultés, abrogation du décret Crémieux, aryanisation économique, U.G.I.F. On reconnaît bien là l’antisémitisme français, dans ce déploiement juridique : effectivement il n’a jamais préconisé l’extermination, mais simplement la discrimination.

118Cependant, pour parvenir à leurs fins, les Allemands ont besoin de l’aide de Vichy. Le 1er juillet 1942 Eichmann est à Paris. Il veut 100.000 Juifs de France. On lui accorde « pour commencer » les apatrides. Alors se tiennent réunions sur réunions, auxquelles participent du côté français Bousquet, secrétaire d’Etat à la Police, et Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives. Le 12 juillet, la Préfecture de Police délivre aux équipes chargées des arrestations des consignes précises. Les rafles ont lieu les 16 et 17 juillet. On connaît les résultats : 3.031 hommes, 5.082 femmes, 4.052 enfants.

119Alors la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. L’émotion gagne de proche en proche le pays tout entier. Les Princes de l’Eglise eux-mêmes réagissent. Le 22 juillet 1942, l’assemblée des cardinaux et archevêques adopte une résolution qui doit être remise au Maréchal. Mais le 23, c’est l’inoubliable appel de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse : « Les Juifs sont des hommes… » Plus tard, il tentera, volontairement ou à la suite de pressions, de revenir sur ce mandement. En octobre 1942 la Semaine religieuse de Toulouse publiait une mise au point, dans laquelle l’archevêque déclarait : « L’affirmation d’un principe chrétien n’a jamais impliqué la négation d’un autre principe chrétien », publié par « Le Figaro » du 6 octobre 1942).

120Cependant, même à Vichy, on commence à avoir honte de ce sang qui souille les mains. Ces imbéciles brusquement se décident à percevoir l’inévitable liaison entre les discriminations législatives et l’extermination. Alors, ils vont tenter de dégager leur responsabilité en écartant le port de l’étoile jaune en zone sud, et en se battant sur le projet de loi relatif à la dénaturalisation des Juifs (les deux projets ne furent jamais adoptés).

121Telle se présente la chronologie des faits. C’est par un amalgame éhonté que certains historiens essaient de réduire la culpablité de Vichy.

122La date des 16-17 juillet 1942 constitue une date essentielle. C’est à partir de cet événement que les yeux commencèrent à s’ouvrir, et que l’opinion, dans sa masse, commença à se libérer de l’emprise du nazisme et de Vichy, et à prendre du champ. Lentement, lourdement, pesamment, le pays effectuait son dégagement. Mais il avait fallu pour cela un événement spectaculaire : la rafle sauvage en plein cœur de Paris, de 12.884 hommes, femmes et enfants.

Olga WORMSER : « L’image du velodrome d’hiver demeure dans nos mémoires »

123Depuis ces dernières années, livres, journaux ou films ont fixé dans la mémoire une image : des hommes, des femmes, des enfants, entassés dans le Vélodrome d’Hiver, où 2.000 êtres humains restèrent parqués plusieurs jours après la rafle du 17 juillet 1942. Pour la plupart d’entre eux, ce fut la dernière « réunion de famille ». Répartis entre Pithiviers et Drancy, enfants arrachés aux parents devaient, connaître à brève échéance les convois de déportation qui aboutirent directement pour eux à la chambre à gaz d’Auschwitz.

124Voici vingt ans de cela. Vingt ans qui ont vu naître et s’effondrer tant d’espoirs, vingt ans au cours desquels on a tracé dans trop de coins du inonde, d’autres sinistres images de familles déchirées, d’humains entassés dans des camps. Mais ce renouvellement du crime contre l’homme n’enlève rien à l’horreur de la vision des journées de juillet 1942.

125Juillet 1942, c’est peut-être le point culminant de la puissance nazie, mais déjà combien menacée en U.R.S.S., en Afrique ! L’Amérique est entrée en guerre, la résistance s’organise et s’intensifie avec les premiers maquis, les bombardements sur l’Allemagne se font plus implacables : le temps presse pour les Nazis. Il leur faut accélérer le rythme de l’implacable machine du génocide contre les Juifs.

126Depuis septembre 1940, les mesures convergentes de Vichy et des occupants préparant, facilitant le dénombrement des Juifs, avaient permis de s’emparer de leurs biens, de leurs situations, bientôt de leur vie. Depuis le moment où fut définie la qualité de Juif, la pluie des ordonnances dont le Commissariat Général aux Questions Juives, en liaison avec l’occupant, contrôle scrupuleusement l’application, transformaient de jour en jour des êtres humains privés de tous droits, ligotés d’interdits, étiquetés d’une étoile jaune, chassés de leur bureau, de leur laboratoire, bientôt des endroits publics, et même de la rue, en « choses à détruire » à un signal donné.

127Nous ne pouvons ici étudier tous les rouages de l’opération, désigner nommément tous les responsables, englobés pour nous sous une double désignation : le nazisme et Vichy. Vichy laissa faire, prit parfois les devants, encouragea souvent, ne s’opposa au port de l’étoile en zone sud que « pour ne pas provoquer un mouvement en faveur des Juifs considérés comme martyrs ». Ainsi parla Darlan — les Juifs de zone sud ne devaient pas être épargnés pour autant.

128Sur les robes d’été, sur les tabliers d’enfant on voit fleurir l’étoile jaune. Des rumeurs persistantes font état de préparatifs de rafles. Elles vont succéder aux arrestations individuelles, aux listes d’otages « judéo-bolcheviks », placardées sur les murs en riposte aux attentats. L’édification des chambres à gaz perfictionnées s’intensifiait à Auschwitz, prêtes à anéantir ceux qui seraient jugés inaptes à apporter leur contribution à l’effort de guerre du Grand Reich. Les inaptes se comptaient par milliers dans les rafles du 17 juillet : vieillards, enfants en bas âge, femmes enceintes. Ces premières rafles frappaient les Juifs étrangers, apatrides, sans doute comme banc d’essai, afin d’habituer peu à peu la population à ces scènes déchirantes qui, tant de fois, allaient se renouveler jusqu’à 1944, frappant de proche en proche tous ceux que la comptabilité nazie et vichyste avait dénombrés pour parfaire le nombre de victimes de la solution finale. Après le 17 juillet, les rapports clandestins envoyés à Londres au Comité français de Libération nationale lançaient un pressant appel témoignant d’un illusoire espoir.

129« …Sachez, chers amis, que. le sort de 25.000 êtres humains arrêtés ce » jours-ci, ainsi que le sort de milliers d’autres, dépend de votre action; en élevant par la radio, la presse et les réunions un vigoureux mouvement de protestation, vous pouvez contribuer à empêcher que s’accomplisse le lent assassinat déjà commencé de dizaines de milliers d’êtres humains. Le 16 et le 17 juillet, à Paris, un véritable pogrom contre les Juifs eut lieu… »

130Cri d’alarme lancé dans le vide et qui n’eut pas le pouvoir d’arrêter l’assassinat. Le sort des raflés du Vélodrome d’Hiver, d’autres l’ont évoqué longuement. Nous avons simplement médité sur une photographie : 9.000 humains entassés et promis à la mort. El, malgré tout ce qui a été dit, écrit, filmé, le génocide aux mille visages n’est pas mort avec Hitler.

131La photographie du Vélodrome d’Hiver ne peut pas encore être classée dans les souvenirs historiques.

Jean CASSOU : « Un combat a recommencer sans cesse

132La méchanceté est inhérente à l’homme. Il n’y a rien à faire à cela, sinon triompher des méchants et les éliminer. Mais un remède moins rudimentaire peut être tenté lorsque la méchanceté se propose des justifications et se fonde sur une doctrine. Sans doute est-ce de sa part une perversité de plus, une ridicule présomption, un abject et hypocrite pédantisme. Mais cela permet de la prendre au mot, d’accepter ce biais intellectuel qu’elle nous offre et de la combattre avec des armes dignes de l’homme, les armes de l’intelligence. Car alors, elle n’est plus seulement méchanceté, méchanceté brute et absolue, mais aussi bêtise. Et la bêtise est quelque chose contre quoi l’homme s’est exercé depuis qu’il y a des hommes, c’est-à-dire depuis qu’il y a dans le monde cette faible, minuscule, mais grandissante lueur qui s’appelle l’esprit.

133Le méchant qui n’est que méchant, une bête carnassière et sadique, quand il décore sa méchanceté du nom d’antisémitisme, affirme une prétention, une prétention idiote, mais qui, du fait qu’elle est idiote, se situe déjà sur le terrain de l’intelligence. Il se double d’un imbécile, et un imbécile, mon Dieu, on peut essayer de lui faire honte de son imbécillité, on peut l’exposer à la risée universelle, on peut, qui sait ? l’instruire et le convaincre. Au bout du compte l’esprit a fait des progrès à travers les siècles, la science s’est développée, on a écrit des livres, on a rectifié bien des erreurs, ruiné bien des sottises, démontré que la terre tourne autour du soleil et que la différence des races et des couleurs ne peut servir de principe à aucune espèce de crime.

134Il y aura toujours des crimes et des criminels. Mais ce que, patiemment, obstinément, les hommes qui ont foi dans le progrès des lumières et la victoire de l’esprit, ne se lasseront jamais de dénoncer, ce sont les stupides faux-semblants intellectuels dont se parent certains crimes et particulièrement ce monstrueux crime collectif qui s’appelle antisémitisme. A sa racine, il est, comme les autres crimes, simple et grossière manifestation de la bête qui est en l’homme. Mais le voilà qui emprunte à la raison des prétextes contraires à la raison. C’est là qu’il faut le saisir et l’atteindre, c’est là qu’il faut en faire le procès, le juger, le démasquer, le condamner. Un tigre ou un serpent qui assouvissent leur instinct de tigre ou de serpent, il n’y a qu’à leur donner la chasse. Mais s’ils vous apparaissent affublés d’un bonnet carré de docteur, vous citent leurs auteurs et vous exhibent leurs tableaux d’analyses sanguines, alors on peut avoir l’espoir de se débarrasser d’eux à jamais. Car on se rappelle des combats où c’est la vérité qui a eu le dernier mot, et non pas la bêtise.

135Les bourreaux d’Auschwitz et du Vel-d’Hiv’, les Eichmann et autres monstres, ne méritent que l’extermination, voilà qui est simple et clair. Mais pour les hommes dignes du nom d’homme, il y a un autre devoir que ce simple devoir d’hygiène, un devoir plus radical encore, plus essentiel et positif, celui de dénoncer les sottises et de continuer à servir l’esprit, infatigablement. C’est un combat à recommencer sans cesse, malgré les plus horribles déceptions.

Henri HERTZ : « Vel d’hiv, cher vel d’hiv »

136Ceux qui, dès août 40, avaient quitté Paris, mais, depuis, ne passaient pas de jour sans s’enquérir, fiévreusement, de son sort, reçurent la terrifiante nouvelle, en juillet 1942, que le Vélodrome d’Hiver, le Vel d’Hiv, cher au peuple de Paris, était devenu un parc d’esclaves, un campement de condamnés.

137Jusque là, autant que l’on pouvait, on essayait de se persuader que les Allemands s’étaient imposé le respect des pierres, des belles places, des statues, des monuments illustres de Paris.

138Le silence de la mer », tel que Vercors devait dramatiquement le présenter, entre un officier allemand et ses hôtes français, autant que l’on pouvait, on croyait qu’il formait un barrage entre Paris et ses vainqueurs et que Paris en était protégé.

139A partir de juillet 42, il fallut apprendre et comprendre que, désormais, en un des lieux les plus aimés de Paris, les plus connus de ceux du monde qui y venaient entendre battre « le cœur du monde », un sceau de sang et de larmes, une souillure atroce était incrustée dans la pierre et le sol, signifiant que la guerre des races, par delà la guerre des armes, était déclarée à la France.

140Errant dans les provinces, avant d’en choisir une où nous fixer avec joie, non plus comme proscrits, mais comme rebelles, il nous est arrivé, souvent, d’interroger des chefs de l’armée d’occupation. Ils nous rassuraient sur notre sécurité, sur la préservation des villes et des coutumes… — Tant que nous serons seuls… disaient-ils.

141A partir de juillet 42, ils ne furent plus seuls. Derrière eux, contre eux, au besoin, se dressaient les bourreaux.

142Dans les vicissitudes de la Résistance, l’horrible révélation du Vel d’Hiv, nous la regardâmes s’épandre et s’amplifier à travers la France entière, de villes en bourgs, de bourgs en villages. A Lyon, Toulouse, Marseille, Nice, à Brive, à Rennes, partout, la chasse à la race, et, en tête, aux Juifs, fut sauvagement déchaînée. Comme alibi, comme excuse politique, on leur adjoignait parfois des Tziganes, des Romanichels, des francs-maçons, des communistes.

143A vingt ans d’éloignement, quand nous repassons à Lyon, à Grenoble, où nous luttâmes quatre ans, nous ne pouvons contempler, sans frissons, la gare de Perrache, l’Hôtel Terminus, la gare de Grenoble, l’hôpital de la Tronche. Nous y revoyons les trains cadenassés, interminablement arrêtés sur les voies de garage, nous y entendons les adieux et les sanglots de « Ceux qu’emportent les trains », comme les a dépeints, avec une bonne humeur tragique, Henri Alexandre. Nous repensons aux guet-apens où, à Lyon, nos amis de la rue Ste Catherine, à Grenoble, Bernheim et Lambert, furent capturés. Là, là-haut, à une fenêtre du 2ème étage de l’hôpital de la Tronche, on gardait à vue les victimes de la milice. En juin 44, dans la splendeur de l’été, à tue-tête, la radio transmettait les messages énigmatiques de la Résistance. On allait bientôt y écouter les deux fameux vers de Verlaine par lesquels serait annoncé le débarquement des Alliés en Normandie, dont le glorieux anniversaire, le 6 juin 1944, peut être associé, pour le compenser, à celui que « Le Monde Juif » pieusement honore à présent.

144A leur retour à Paris, fin 44, les Parisiens eurent à reconnaître et reconstruire, chacun pour soi, son Paris. lI était couvert de décombres et d’abandons. Difficilement, lentement, recommença le plaisir que savourent les Parisiens, la flânerie dans Paris, les loisirs, les libertés des promenades et des découvertes.

145C’est ainsi que nous retrouvâmes le Vel d’Hiv et nous pûmes lire sur sa façade les stigmates de sa servitude en juillet 42.

146Depuis, à cette date, combien de nous mirent leur piété et leur pitié à consoler, à apaiser le cher Vel d’Hiv en nous rappelant, auprès de lui, à même la rue, ceux qui étaient partis de son sombre relais, bientôt sans nous, sans familles, sans patries, identifiés seulement par un chiffre tatoué à l’avantbras, vers les supplices et la mort.

147Ah ! comment sur le Vel d’Hiv, comment arracher cette plaie, comment racheter son avilissement ?

148Nous avons été nombreux à tout faire pour que le Vel d’Hiv redevint le rendez-vous des hauts débats de justice et de réparation, dans l’exaltation de la personne humaine. Quelles que fussent les origines, les attaches, les appartenances, nous y vînmes défendre et acclamer toutes les libérations. Nous y fûmes pour la proclamation de l’Etat d’Israël; nous y fûmes avec les Communistes, contre le Mac-Carthysme, à la veille de l’exécution des Rosenberg; nous y fûmes avec les Républicains espagnols.

149C’est au Vel d’Hiv, que nous sommes venus applaudir les « Lettres françaises » d’offrir à Paris, chaque année, la dédicace des livres libérateurs par les idées et la beauté du langage.

150Quand, en 1947, l’O.N.U. encore ambulante, choisit Paris comme siège de sa première session en Europe, et que Paris lui ménagea une belle résidence extraterritoriale, près du Palais de Chaillot, je pensai que l’action et l’influence de la jeune sœur de la S.D.N. gagneraient à des contacts familiers avec l’esprit et les habitants de Paris, dans ses lieux d’assemblées préférés. Le Vel d’Hiv était un des plus populaires.

151Je fis campagne avec des amis pour que du Vel d’Hiv et dans son pathétique souvenir, partissent des pélerinages de l’O.N.U., s’arrêtant devant les plaques qui, de rue en rue, jalonnent les endroits où sont tombés beaucoup de ceux qui allaient délivrer Paris. De ces plaques, il y en a dans tous les quartiers, le long des quais, à des carrefours, dans les stations de métro. Les rechercher et en suivre les traces, c’eut été pénétrer dans l’intimité de Paris, dans la compréhension de ses sentiments profonds.

152Qui a essayé cette reconstitution poignante ?

153Les écoles, les organisations de tourisme y ont-elles alors songé ? Y songent-elles aujourd’hui ?

154Maintenant, le Vel d’Hiv n’est plus. A sa place, boulevard de Grenelle, s’élèvent des dépendances d’usines, des administrations, des maisons ouvrières.

155Il serait émouvant, s’il en est encore temps, qu’au fronton de l’une d’elles, le Conseil Municipal de Paris, comme il l’a fait là où est mort Henri Heine, avenue Matignon, et rue Cambon, sur le mur de l’hôtel où descendait Théodore Herzl et où il commença son « Etat Juif », replaçât, le 16 juillet prochain, une plaque qui reproduirait celle qui y fut apposée en 44, précédée de ces mots : « Ici était le Vélodrome d’Hiver ».

156« Le 16 juillet 1942, 30.000 hommes, femmes, enfants juifs, victimes des persécutions raciales, furent parqués en ce lieu, sur l’ordre de l’occupant nazi. Puis, séparés les uns des autres, ils furent déportés en Allemagne dans les camps d’extermination. »

157« Hommes libres, souvenez-vous ! »

Pierre PARAF : « Veillons a ce que le crime ne paie plus… »

15816 juillet 1942, jour de honte qui doit à jamais rester dans nos mémoires.

159Où peut-on plus dignement le flétrir qu’en cette tribune qui est celle du Centre de Documentation juive, du Mémorial du Martyr Juif Inconnu : carrefour du souvenir, de l’active et pieuse fidélité ?

160Nous étions au vingt-cinquième mois de la lutte contre l’envahisseur. Chaque soir la radio de la France Libre martelait comme une litanie guerrière le jour du calendrier de l’oppression. Ne serait-il pas salutaire aujourd’hui d’entendre sa voix, à l’heure du réarmement de l’Allemagne exigé par l’impatience de ses anciennes victimes ?

161Les ténèbres enveloppaient notre tenace et fragile espérance. Il nous fallait encore attendre quatre mois pour que la première aurore de la victoire apparût, au sud sur les rivages nord-africains, à l’est dans les flammes des ruines de Stalingrad.

162Jour de honte où le nazisme s’affirmait à nouveau dans sa cruauté, lançait, avec la complicité de la trahison et de l’obéissance passive à son service, son défi au peuple de Paris.

163Des milliers de familles juives étaient raflées, parquées au Vélodrome d’Hiver en des conditions inhumaines, puis jetées dans les trains de mort vers un destin dont nous allions plus tard apprendre le nom : chambre à gaz et four crématoire.

164Cependant, face aux inspirateurs, aux exécuteurs du crime, aux gardes arrachant aux enfants les poupées, les ours et les chiens de peluche fébrilement serrés dans les petits bras, il y avait ces médecins, ces infirmières, ces assistantes sociales, pour incarner le visage de la France qui n’abdique pas : ces Français et ces Françaises qui sauvèrent l’honneur.

165Que les uns et les autres ne soient jamais oubliés ! De ce 16 juillet 1942 que tant de jeunes ignorent et dont tant de leurs aînés écartent l’image, attachonsnous à maintenir le souvenir. Puisqu’il nous fut donné de survivre, méritons cette faveur en honorant les martyrs, en nous dressant pour toutes les victimes et contre tous les bourreaux.

166Et par-delà cette tragédie dont les Juifs furent la principale et la première cible, montons la garde autour de tous les enfants du monde qui n’ont pas fini, même en 1962, de souffrir de la méchanceté des hommes.

167Soyons jusqu’à notre mort, les témoins et les avertisseurs pour déceler, extirper tous les vestiges que le nazisme abattu a laissés encore autour de nous. Rappelons que la raison d’Etat a pour limites la Morale, qu’il est des consignes barbares auxquelles la conscience commande de désobéir.

168Veillons avec acharnement à ce que le crime et ses complicités ne paient plus.

169Et nous pourrons alors, d’un cœur déchiré, mais sans remords, nous recueillir dans le souvenir des martyrs du 16 juillet.

Henri AMOUROUX : « L’extreme lachete et l’extrême courage… »

170Me demandera-t-on ce que les quatre années de recherches nécessaires à « La vie des Français sous l’occupation » m’ont appris, je répondrais : avant toutes choses l’extrême lâcheté et l’extrême courage de l’homme.

171Ce Français moyen que nous côtoyons chaque jour et qui rêve d’une paisible retraite est-il saisi par quelque évènement extraordinaire, le voici capable du meilleur et du pire, personnage de guerre civile, de guerre de religion, emporté par mille passions humaines qui ont des prétextes historiques.

172Lâcheté extrême. Il m’a été donné de dépouiller, plus particulièrement pour écrire mon chapitre intitulé « Vie et mort des Juifs », des archives oú s’amoncelaient les lettres de dénonciation adressées aux services allemands ou aux services français antijuifs. C’est un raz-de-marée de bassesse et d’horreur.

173Qui dénonce qui ? Tout le monde. La lettre anonyme (ou signée, car beaucoup de ces lettres sont signées, leurs auteurs en 41, en 42 et même en 43 croyant encore en la victoire allemande) la lettre anonyme ne connaît pas de frontières sociales.

174Un fossoyeur du Père Lachaise dénonce un fossoyeur, un médecin un autre médecin, un candidat malheureux au permis de conduire son examinateur.

175Quelqu’un veut-il l’appartement de son voisin, le magasin de son concurrent, 1a maîtresse de son ami il lui suffit d’écrire : « Je pense qu’il fait partie des sujets juifs, je crois que vous ferez le nécessaire. » Les Allemands font le nécessaire, jusqu’à Auschwitz.

176Etre Juif, c’est être exposé à toutes les dénonciations. Le milieu, la sottise, la soif de vengeance, le passé antisémite, l’échec commercial, la lâcheté, le désespoir parfois sont autant d’étranges raisons à d’affreuses démarches. Et que dire de cet homme qui dénonce sa future belle-fille. Une Juive dans la famille ! Les Allemands sont là pour empêcher pareille mésalliance.

177Ces gens, tous ces gens, ces milliers de dénonciateurs, on les étonnerait bien si on leur disait qu’ils ont du sang sur les mains, des morts sur la conscience. Ce sont des Français de tous les jours.

178Comme ce sont des Français de tous les jours, et que l’on étonnerait si on parlait de leur courage, ceux qui ont protégé, abrité les Juifs poursuivis, ceux qui truquaient les livres paroissiaux pour fournir de faux certificats de baptême, ceux qui permettaient aux Juifs (souvent contre finances mais souvent aussi gratuitement) de franchir la ligne de démarcation d’abord, les Pyrénées ensuite, ceux qui recueillaient les enfants perdus, ceux qui faisaient la charité d’un mot aimable ou d’un salut.

179Ou no sait pas assez par exemple qu’en juin 1942 plusieurs aryens furent envoyés à Drancy pour s’être conduits en « amis des Juifs ». Qu’avaient-ils donc fait ? Ils avaient simplement cousu sur leur robe ou leur veston cette étoile jaune qui désignait les Juifs à l’attention populaire et policière.

180Celle marque de solidarité dans le malheur est l’une des plus émouvantes que je connaisse. Il y en eut de plus efficaces, de plus dangereuses. Mais cellela partait d’un réflexe populaire d’où la moquerie envers la puissance allemande n’était pas absente.

181Dans l’infiniment petit de la vie quotidienne des Français entre 1940 et 1944, à une époque où le ravitaillement était le souci primordial de tant d’hommes, oui il y a autant d’exemples admirables que de lâchetés rebutantes.

182L’homme est cet animal complexe dont Pascal parle : ange et bête à la fois.

183L’histoire, toujours, vient au secours de la philosophie.

Irene de LIPKOWSKI : « IN MEMORIAM ! »

184Présidente de l’Association Nationale des Familles de Résistants et d’Otages morts pour la France

185Au nom de l’Association Nationale des Familles de Résistants et Otages Morts pour la France, je tiens à vous dire que toutes les victimes du nazisme se sentent solidaires de l’immense holocauste subi par le peuple juif. Nous tenons à vous exprimer notre sympathie vibrante et émue au moment où vous vous apprêtez à commémorer le terrible sacrifice de ces hommes, femmes et enfants, innocentes victimes, que nous vîmes, à l’époque de notre grande souffrance, enlevés sous nos yeux au Vélodrome d’Hiver.

186Comment oublier notre effroi et notre indignation d’alors ? La révolte éprouvée fut telle, et vous m’excuserez d’évoquer ici un souvenir personnel, que ma fille, âgée de 15 ans, arborait, en signe de protestation, une étoile où elle inscrivit « Boudhiste » ce qui lui valut son arrestation et son interrogatoire à la Gestapo sur sa moquerie des « méthodes nazies ».

187Ce malheureux bétail humain pris au hasard, parqué, déporté, ces familles déchirées, massacrées, honte du régime nazi, qui s’édifia sur le triomphe du racisme, passion aveugle, hystérie collective, qui déchaîna la haine, la violence, la négation de la personne humaine, de sa liberté, pour aboutir à tous les crimes contre l’humanité.

188Au moment précis où nos cœurs, nos consciences souffrent du retour aux mœurs cruelles qui déshonorent une civilisation, ne sommes-nous pas plus que jamais en communion de pensée avec tous ceux qui furent livrés à la fureur de ces êtres déshumanisés par leur monstrueux fanatisme racial.

189De toute la force de nos volontés, nous sommes unanimes dans la réprobation de tout ce qui fait perdre le respect de la vie humaine et le sens des valeurs que nous avons le devoir de sauver.

190Que le souvenir de la souffrance des innombrables Juifs martyrisés demeure vivant pour rappeler au monde épouvanté qu’il n’y a pas une race de seigneurs, ni une race d’esclaves, mais que tous sont égaux, libres et solidaires. Nous devons être les ardents propagandistes de la paix entre les hommes de toutes couleurs, de toutes confessions.

191In memoriam !

Notes

  • (1)
    Voir page 15 le fac-similé du télégramme de Roethke à Eichmann et au commandant d’Auschwitz annonçant le départ du premier de ces convois.
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