Couverture de LMJ_087

Article de revue

Le procès du commando Tilsit devant la Cour d’Ulm

Pages 13 à 16

1DANS nos deux précédents numéros, nous avons publié des extraits de lacté d’accusation, dans le procès du « Commando d’Action » de Tilsit devant la Cour d’Assises d’Ulm. Ces extraits donnaient une idée de l’ampleur des crimes commis contre des Juifs, dans cette région, par les Nazis.

2Depuis, nous avons reçu la sentence de ce procès, avec ses attendus, qui represente un volume broché de grand format de 503 pages.

3Le jugement analyse dans tous les détails, et avec toute la précision voulue, les agissements des accusés, en établissant la culpabilité individuelle de chacun d’eux.

4Mais ce qui nous intéresse ici au premier chef, c’est la position prise par la Cour a l’égard des problèmes de caractère général, qui dégagent les traits essentiels propres à tous les criminels nazis.

5Le jugement, dans sa totalité, constitue un document juridique d’une grande portée, mais dans nos citations nous éviterons les textes juridiques, même d’un grand intérêt, mais trop spécialisés, comme par exemple ceux sur « Geltungsbereich des dcutschen Strafrechts » (p. 429) — (l’étendue territoriale du droit pénal allemand) ou : « Zeîtliche Geltung des Strafrechts » (p. 433) (la validité dans le temps du droit perial), qui établissent que le droit pénal commun est applicable aux crimes commis par les hitlériens pendant la guerre hors du territoire allemand.

6Le jugement souligne que les accusés n’étaient pas convaincus qu’ils étaient tenus d’agir conformément aux ordres reçus :

e) Aucune conviction en ce qui concerne la force contraignante de l’ordre reçu.

7Etant donné la nature tout à fait extraordinaire et monstrueuse de cette exigence, les 6 accusés Bôhme, Hersmann, Kreuzmann, Sakuth, Harms et Behrendt n’étaient pas convaincus de la force contraignante de l’ordre reçu. Ils reconnaissaient sans s’y tromper que cette extermination massive sur ordre était en contradiction flagrante avec toute morale humaine, avec le droit des gens et toute règle internationale de conduite de la guerre. Tout comme les autres participants de la Stapo et du SD qui prirent part à cette exécution et aux suivantes, ils agissaient bien plutôt en disciples fidèles de leur Führer, par obéissance aveugle, afin de faire passer dans les faits le droit du Troisième Reich à la domination.

8Chez l’accusé Fischer-Schweder, toute idée de force contraignante de l’ordre donné est exclue pour la simple raison qu’il n’a pas agi sur ordre, mais qu’il s’est porté volontaire, lui et le commando de police, afin d’y jouer un rôle.

9Chez l’accusé Schmidt-Hammer, ce n’était pas le mobile de l’obéissance aveugle qui fut déterminant comme il le fut pour les membres de la Stapo et du SD, mais l’idée de devoir persévérer, lui, officier de police, afin de ne pas perdre l’autorité attachée à son grade. Il ne croyait pas non plus à la force contraignante de cet ordre, conscient qu’il était de par son niveau intellectuel que le massacre de plus de 200 êtres humains accompli sans aucune base juridique, ni aucune raison pour le justifier, était incompatible avec la morale humaine et le droit des gens.

10(page 103)

11Ensuite, aucune force majeure ne mettait les accusés dans la situation d’être contraints de commettre les crimes qui leur sont imputés.

f) Pas de necessite ineluctable

12Les accusés savaient ne pas agir par une nécessité à laquelle ils n’eussent pu se dérober sans exposer immédiatement leurs corps ou leurs vies, les leurs et ceux de leurs familles. Pas même la perspective de perdre des biens matériels n’entrait en ligne de compte. Aucun d’eux, chacun le savait, n’était dans une situation dite de contrainte ou dans une nécessité déliant l’homme de toute soumission à la loi.

13Pour l’accusé Fischer-Schweder ce point de vue est exclu pour la bonne raison qu’il n’a pas agi sur ordre, mais de sa propre initiative.

14Aucun des accusés ne se trouvait dans un conflit de conscience sans issue pour savoir s’il devait, oui ou non, exécuter cet ordre. Aucun d’eux n’agissait par crainte du danger d’être fusillé en cas de refus d’obéissance à cet ordre, ou de devoir endurer des contraintes touchant son corps ou sa vie. C’est pourquoi ils ne cherchaient même pas serieusement une possibilité de se dérober sous quelque prétexte que ce fût à l’exécution de cet ordre.

15Les accusés Böhme. Hersmann, Kreuzmann, Sakuth, Harms et Behrendt qui faisaient partie de la Gestapo et du SD agissaient bien plutôt en disciples fidèles de leur Führer, par obéissance aveugle, parce qu’ils voulaient faire passer dans les faits le droit du Troisième Reich à la domination et qu’avec leur conception idéologique l’idée de refuser d’obéir à l’ordre de fusiller les Juifs et les communistes ne les effleurait même pas, dans la mesure où ils ont, comme constaté, pris part à ces exécutions.

16Pour l’accusé Schmidt-Hammer, ii est vrai que son attitude intérieure dirigée contre le national-socialisme excluait le mobile de l’obéissance aveugle. Pour lui, qui tenait très fort à sa position d’officier, ce qui était décisif, c’était l’idée de sauvegarder à tout prix la face en tant qu’officier et de faire à tout prix bonne figure.

17(pages 103-4)

18En outre, les accusés avaient pleine conscience de l’illégalité (Rechtswidrigkeit) des ordres reçus et de leurs agissements.

b) Prise de conscience de l’illegalite

19La Cour d’Assises est arrivée à la conviction que ceux qui sont considérés comme les auteurs principaux de cette action, ses responsables dans l’entourage immédiat de Hitler et celui-ci lui-même, étaient conscients de l’illégalité de ces mesures d’extermination massive au moment de les projeter et de les mettre à exécution. La Cour d’Assises est ronvaincue qu’ils ont su qu’une mesure si monstrueuse tendant à l’extermination de toute la race juive en Europe et à la destruction des communistes est contraire a la morale humaine et au droit des gens et dépourvue de toute base juridique, raison pour laquelle ils en o,nt sciemment tenu secrets et camouflés le plan et la mise à exécution pendant tout le temps et dans toute la mesure où ce fut possible. Si déjà les auteurs principaux avaient voulu exterminer toute la race juive en Europe, ils ont du moins encore tenté au début d’entourer cette destruction d’une apparence de justification, comme l’a expliqué pertinemment l’expert, le Dr. Seraphim. Ils ont prétendu anéantir un « adversaire en puissance », encore que des nourrissons juifs n’eussent assurément point été des ennemis dangereux sur le plan militaire. De tout ceci il ressort, selon la conviction de la Cour d’Assises, que les auteurs principaux de cette action ont eu mauvaise conscience.

20(pages 107-8)

21Les accusés agissaient toujours avec préméditation.,

c) Action accomplie avec premeditation

22La Cour d’Assises est o. nvaincue que les auteurs principaux de cette action ont agi après avoir pesé le pour et le contre, donc avec préméditation. C’est ce qui ressort de l’établissement d’un plan et des préparatifs techniques en vue de son organisation avec le concours du R.S.H.A. (Office Central pour la Sécurité du Reich). C’est ce qui ressort en outre du fait que des groupes et commandos d’action spéciaux (Einsatzgruppen und-Kommandos) conduits par des chefs nationaux-socialistes éprouvés aient été désignés en vue de l’exécution des mesures d’extermination. Quant aux équipes, elles ont été sélectionnées parmi les hommes les plus sûrs et dévoués à l’idéologie nationale-socialiste, qui ont encore été formés avant l’action à Pretzsch.

23(page 108)

24Enfin, la Cour d’Assises qualifie les crimes des accusés comme commis pai des mobiles sordides (Handeln aus niedrigen Beweggründen) et auec cruauté (grausames Handeln).

d) Les mobiles bas de ces agissements

25De plus, la Cour d’Assises est arrivée à la conviction que les auteurs principaux de l’action ont été conscients des conditions de leurs agissements, hautement condamnables. Afin d’atteindre une position de puissance en Europe, ils ont voulu détruire physiquement tous les Juifs sans égard à leur âge, ni à leur sexe, donc la race juive tout entière. Mais ils ont également voulu anéantir toutes les personnes pouvant être considérées comme des ennemis en puissance, telles les communistes, partisans d’une autre idéologie. Que les mobiles aient été bas, c’est ce qui sera encore explicité lors de l’appréciation juridique. De toute façon, les auteurs principaux de l’action oni été conscients de toutes les circonstances caractérisant un mobile bas ; peu importe qu’ils aient, pour leur part, considéré alors le mobile comme bas ou non.

e) Cruaute dans l’action

26La Cour d’Assises est arrivée à la conviction que les auteurs principaux de l’action ont été conscients des circonstances qui ont conféré leur caractère de cruauté à ces exterminations en masse. Quiconque fait tuer sans hésitation et sur une telle échelle des hojpmes par milliers, voire par centaines de milliers, et pour les Juifs sans égard à l’âge ni au sexe, celui-là sait, selon la conviction de la Cour d’Assises, que la mise à exécution de telles tueries en masse entraîne toutes sortes d’abominations commises par ceux qui en sont chargés et que les victimes auront à en souffrir physiquement et moralement. Pour une pareille extermination massive, il ne fallait pas s’attendre à autre chose. Encore que les auteurs principaux de l’action eussent été conscients de toutes ces circonstances, ils n’en ont pas moins fait perpétrer sans hésitation les exécutions massives, parce que, selon la conviction du tribunal, ils étaient dépourvus de toute sensibilité et qu’ils ont agi en brutes complètes, sous l’emprise de leur mentalité d’hommes insensibles et sans pitié.

27(pages 108-109)

28Ainsi, d’après la Cour d’Assises, le criminel nazi est un homme commettant d’horribles atrocités en masse, agissant avec préméditation, mû par des mobiles bas et en pleine connaissance de Villégalité de ses agissements, sans aucune justification par la situation dans laquelle il se trouvait.

29Ces traits représentent une sorte de phénoménologie de la criminalité hitlérienne.

30M. MAZOR.

31FIN

Vient de paraitre

aux Editions du C.D.J.C., 17, rue Geoffroy-l’Asnier (4e)
JOSEPH BILLIG
LE COMMISSARIAT GENERAL AUX QUESTIONS JUIVES (1941-1944)
Tome III
  • Les deux premiers tomes de l’œuvre monumentale de Joseph Billig — véritable « travail de bénédictin » — sont devenus des ouvrages de bibliothèque et de référence, indispensables non seulement aux historiens et chercheurs, mais à toute personne qui veut « comprendre » ce que fut l’insolite époque de la domination hitlérienne en France.
  • La tortueuse politique de Vichy dévoile petit à petit ses rouages au cours des trois volumes de M. Billig, et le lecteur peut enfin saisir les méandres de cette action ouvertement ou sournoisement antijuive.
  • Le troisième et dernier volume retrace la tragique histoire de l’exclusion des Juifs de toutes les activités de la nation, et, dans une conclusion d’une haute portée, présente la synthèse de l’antisémitisme vichyssois, différent de l’antisémitisme nazi.
LE CENTRE DE DOCUMENTATION JUIVE CONTEMPORAINE EST FIER D’OFFRIR AU PUBLIC JUIF ET NON-JUIF LE DERNIER VOLET DU TRYPTIQUE DANS LEQUEL SON COLLABORATEUR JOSEPH BILLIG A MAGISTRALEMENT ANALYSE ET RESUME NON SEULEMENT UNE INSTITUTION, MAIS AUSSI TOUTE UNE EPOQUE, CAPITALE POUR L’HISTOIRE DU JUDAISME FRANÇAIS.
1 gros volume, 344 pages
Rappel :
Prix : NF 12.
JOSEPH BILLIG : « Le Commissariat Général aux Questions Juives » (Tome I), NF. 10.
« Le Commissariat Général aux Questions Juives » (Tome II), NF 10.

Date de mise en ligne : 04/01/2021

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.175

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions