1Apres des années de tergiversations, et un procès interminable, Koch a été enfin condamné à mort — condamnation qu’il n’a certainement pas volée — ce qui ne veut pas dire qu’il sera exécuté, car la Justice trouvera peut-être le moyen de lui sauver la peau.
2L’article très documenté de Gerald Reitlinger, dont nous publions la première partie par ailleurs, et les débats du procès Koch, posent aux psychologues et aux psychiatres professionnels, mais aussi aux simples mortels que préoccupe le comportement de l’être humain, le problème de la naissance et de la croissance des monstres, dont l’apparition et la prolifération ont été une des caractéristiques des récentes années de l’histoire.
3Le monstre numéro 1 a été Hitler, petit peintre raté de naissance obscure, que rien ne prédestinait à tant d’infernale grandeur, et qui a cependant atteint un rang enviable parmi les grands criminels dont l’histoire nous a légué les noms et les basses œuvres. On a essayé d’expliquer Hitler : paranoïa d’un homme qui voulait réaliser un destin auquel rien ne le destinait ; fureur d’un Allemand que la défaite de son pays et le désastre économique avaient voué à un désespoir vengeur ; anomalies sexuelles qui ne trouvaient leur compensation qué dans la violence sadique. Il y a sans doute un peu de vrai dans chacune de ces observations, mais à elles toutes elles ne résolvent pas le « mystère Hitler » ; ni celui de son ascension, ni celui de sa froide et implacable cruauté, ni celui de son délire de destruction et de mort.
4Koch, tel que nous le révèlent son procès et les patientes investigations de Reitlinger, n’est pas plus « clair ». Les zones d’ombre restent aussi denses après que l’on a suivi sa vie, de sa naissance à l’apogée de sa carriere. Voici un homme qui avait été un bon socialiste, préoccupé de l’amélioration du sort des hommes et de la création d’une société moins anarchique et moins injuste que celle que nous offre le monde actuel. Cet homme avait étudié et assimilé les doctrines de ces grands chefs humanitaires qui ont honoré la deuxième partie du XIXe siècle, et dont le but était de faire régner un peu plus de bonheur sur terre. Et ce même homme, investi de galons et d’autorité, a fait assassiner, dans les conditions les plus barbares, des centaines de milliers de personnes. Et pendant son procès, s’il s’est livré à de nombreuses dénégations de ses crimes, il n’a pas eu un seul « cri du cœur » qui exprimât son repentir des crimes modestes qu’il reconnaissait.
5Sans compter Himmler, qui fut l’exécutant aveugle de Hitler, un autre homme atteignit le sommet dans la perpétration du crime, et apparaît d’autant plus moralement redoutable qu’il n’ordonna pas seulement le crime mais qu’il y participa physiquement ; ce fut le commandant du camp d’Auschwitz, Rudolf Hoess, fils d’une très pieuse famille catholique. Les « mémoires » qu’il écrivit avant son exécution en 1947 viennent de paraître en Allemagne saus le litre de « Kommandant in Auschwitz », et l’excellente revue « Documents » eu a donné une courte analyse. Ces mémoires nous permettent-ils de mieux percer le mystère des « monstres de notre temps », mystère qu’ils faut élucider si l’on veut prévenir la naissance de nouveaux monstres, plus sous-humains peut-être que les premiers ? Disons seulement qu’ils ajoutent quelques traits à cette physionomie du maître criminel que les années commencent peu à peu à dessiner.
6Le psychologue de l’avenir, qui cherchera à expliquer ce mystère, ne pourra pas plus que celui d’aujourd’hui lui trouver une seule cause, une seule clef.
7Il est évident que de nombreuses composantes, et souvent contradictoires, entrent dans ce qui forme le caractère d’un homme qui se voue au crime sur une aussi monumentale échelle. Mais ce que nous savons aujourd’hui — incomplètement encore, car l’histoire n’avance qu’à pas comptés — de Hitler, de Himmler, de Koch, de Hoess, permet peut-être de dire que la violence et le sadisme naissent le plus souvent d’un abus d’autorité. Les hommes dont nous venons de citer les noms sont devenus ce qu’ils ont été parce qu’ils se sont trouvés soudainement investis par l’événement d’un autorité sans bornes, qui aussitôt les gonfla monstrueusement et les aveugla. Il semble que l’autorité ne puisse s’affirmer et se maintenir que si elle se dépasse continuellement et élargit son pouvoir. A un certain degré, cet élargissement devient ivresse de soi, démence, « volonté de puissance » lâchée, qui rompt toutes les barrières, comme un tigre brisant sa cage. Le « grand criminel » est né.
8La leçon à en tirer serait que, tant que la nature humaine sera ce qu’elle est encore, le moyen d’éviter la parturition des monstres démoniaques dont le peuple juif a été la victime privilégiée, est de veiller à ce que nul être humain ne puisse s’attribuer, ou se laisser attribuer, une autorité exorbitante dans n’importe quel domaine. C’est-à-dire, en un mot, à ce que jamais la dictature ne vienne supplanter le rigoureux contrôle de la démocratie et de ses institutions.
Mise en ligne 04/01/2021