1Ni le courage de Jehiel, ni les légendes dont les Parisiens le paraient, y mêlant leur roi lui-même, le bon Saint-Louis, comme s’ils voulaient l’attendrir, ne fléchirent la dureté du monarque.
2Les passions engendrées par les croisades étaient à l’extrême. Au lendemain de la troisième en date, (1254), la communauté juive de Paris était dans une telle pénurie qu’elle appela à son secours les autres communautés de France. Depuis le 12 juin 1269, un décret de Saint-Louis imposa le port de la « rouelle » aux Juifs de Paris, cette rouelle qui a reparu, sept siècles plus tard, dans les rues de Paris, sous l’aspect de l’étoile jaune.
3De 1270 à 1285. règne de Philippe III le Hardi, fils de Saint-Louis, avec Marguerite de France à ses côtés, un peu d’atténuation, un soupçon de trêve, dans le sort des Juifs. La municipalité de Saint-Quentin se permet même d’en faire reproche au roi.
4Mais de 1285 à 1314, sous Philippe le Bel, fils de Philippe le Hardi, c’est le désastre. La tyrannie royale est talonnée et avivée par les menées des prêtres qui excitent les foules.
5En 1290. un Juif, Jonathan, est accusé d’avoir profané l’hostie. Il est brûlé vif ; sa maison est rasée. Sur son emplacement, on construit une église, au fronton de laquelle, 400 ans plus tard, on pouvait encore lire : « Ici des Juifs ont blasphémé Dieu ! »
6Le 22 juillet 1306, nouveau décret d’expulsion de tous les Juifs de France ; confiscation de tous leurs biens, au profit du roi. Au cocher du roi, on donne en cadeau la synagogue de la rue de la Tâcherie. Les Juifs qui ne se convertissent pas. ou qui hésitent à quitter la ville, sont exterminés.
7Il fallut le bref règne de Louis X le Hutin, pour que, pendant deux ans, de 1314 à 1316, les Juifs eussent répit. Il les prit sous sa « haute protection ».
8Philippe V le Long lui succède. C’est le recommencement du martyre.
9Tout leur est imputé à crime. Les maladies, l’eau malsaine : ce sont eux qui ont empoisonné puits et fontaines. Par centaines, ils vont au bûcher, en plein Paris. Les autres sont chassés, sans autorisation de rien emporter.
10Et puis voilà, en cette succession de cahots, une extraordinaire éclaircie. A partir de 1350, pendant trente ans, les Juifs sont laissés en paix.
11Ils ont, à leur tête, à Paris, le rabbi Mathieu de Troyes. En 1360, le rejoint Menassé de Vesoul que le roi nomme percepteur, chargé du recouvrement des impôts parmi tous les Juifs du Nord ,avec, pour adjoint, Jacob de Pont-Sainte Maxence, tous deux fonctionnaires d’Etat, tous deux dépendant directement du roi Charles V, le Sage.
12Mais ce conseil juif, autour du roi, irrite le clergé catholique. La fin du siècle va être marquée par un terrible réveil des persécutions.
13En 1381, une grande assemblée réunie par Charles VI, le Bien Aimé, remet en question le problème juif et décide, une fois de plus, que les Juifs seraient bannis.
14Aux cris de « Mort aux Juifs », quatre jours durant, ce fut le pillage et le massacre. Les enfants juifs furent enlevés et, en hâte, baptisés. Hugues Aubriot, prévôt de Paris, défendit les Juifs. Un moment, il eut le dessus. Il obtint du roi un décret par lequel les enfants convertis seraient rendus à ceux des parents qui survivaient. Mais le clergé s’insurgea, proclamant qu’Aubriot n’était qu’un Juif cachant ses origines. Aubriot fut jugé et condamné aux travaux forcés à vie.
15Charles VI capitula. Le décret de 1394 chassa les Juifs, confisqua leurs biens. Il avait eu un fugitif sursaut de résistance, à l’approche de la Pâque, en 1392. Les rabbins lui avaient demandé l’autorisation de se servir des seuls livres de prières en hébreu existant à Paris. Ceux-ci se trouvaient dans une église. Le roi le leur permit. Une telle preuve de libéralisme exaspéra les prêtres et ne fit que précipiter la catastrophe.
16En ces dernières années tragiques du XIVe siècle, combien rencontra-t-on de Juifs dans les rues de Paris ?
17Sous Louis XI, vers 1462, quelques-uns revinrent. Leur autorisation de séjour devait être renouvelée tous les deux ou trois mois.
18Au siècle suivant, Paris voit, peu nombreux, des néo-chrétiens dont l’identité juive transparaît, des marranes du Portugal.
19En 1538, les initiatives prises par François Ier ravivèrent la question juive. Il fonda au Collège de France la chaire d’hébreu.
20Et l’on connaît l’anecdote que voici : se sentant faible, mal à l’aise, neurasthénique, dirions-nous aujourd’hui, mécontent de ses médecins qui y perdaient leur latin, il songea à consulter un docteur sachant l’hébreu. Il décida d’en mander un, réputé comme l’étaient alors les médecins juifs, de Constantinople. Mais comment le faire entrer en France où les Juifs sont bannis ? Là. l’histoire devient savoureuse. On ne put faire appel qu’à un marrane. Le roi, en apprenant qu’il aurait à faire à un chrétien, se fâcha tout rouge et exigea un vrai médecin juif.
21Ces incertitudes, ces ambiguités, un complot sans cesse renaissant, sans cesse attisé autour des Juifs, avec de faibles essais de justice, se retrouvent dans l’histoire de Concini, cet Italien, favori de Marie de Médicis que dominait sa femme, Léonora Galigaï. Ministre de Louis XIII, sous le nom de Maréchal d’Ancre, sa femme et lui furent accusés d’être juifs. Au procès qui leur fut intenté, l’accusation soutint qu’à la veille de Kipour, ils avaient accompli le rite traditionnel : « Kaporès ». Au cours d’une perquisition, on découvrit, à leur domicile, des livres de prières en hébreu, des Machzor, des Téphilines.
22Le médecin de Marie de Médicis était, au même temps, Elie Montalto. Et il n’avait accepté d’assister la reine que sous condition de pouvoir librement observer, chez lui, la loi de sa religion.
23Bien qu’épiés et menacés, Concini et Montalto réussirent à exercer une certaine protection sur plusieurs Juifs qui purent recevoir asile et vivre paisiblement à Paris.
24Il faut citer, à côté de leurs noms, celui de Jean Fontanier, calviniste, avocat, grand orateur. Il lutta en faveur du retour des Juifs en France et à Paris Il se convertit au judaïsme. Mais il finit, brûlé en place de Grève.
25Qu’en fut-il au XVIIe siècle, siècle des grands esprits, des hautes oraisons ?
26Nous voyons, en Europe, surgir quelques rares privilèges pour les Juifs. A Paris, en 1667, François Lopez professe à la Faculté de Médecine. A Amsterdam, Joseph Atias, descendant d’une grande famille judéo-espagnole, est un imprimeur renommé de livres hébreux.
27Quelle trace populaire du judaïsme subsiste-t-il dans Paris, au seuil du XVIIIe siècle ? Dans son ouvrage : Le Quai d’Orleans et l’Ile Saint-Louis, Marius Brinon nous dit : « Il y eut, un moment, rue St-Louis, je ne sais où, une synagogue, dans un fond de cour ou un sous-sol. »
28Une synagogue enfouie dans les caves de Paris, une synagogue perdue sans qu’on sache où, ni comment, ni quand ?
29Synagogues ,cimetières, monuments, tabernacles, témoins disparus de la vie et de la pensée des Juifs de Paris, quel est votre nombre, quels sont vos noms, depuis le Moyen-Age ?
30(A suivre.)
Moses W. Beckelman, Chef De l’a. J. D. C. en Europe
C’est à l’infatigable activité de M. W. Beckelman, que la majeure partie de ces réfugiés est encore à l’heure actuelle en vie. Ce travail d’évacuation et de dispersion fut une œuvre historique, qui ne figure même pas dans nos annales par suite de la modestie de son animateur.
M. W. Beckleman devait la même année poursuivre sa tâche dans les pays baltes. M. Steinhart, alors ambasadeur des U.S.A. en U.R.S.S., et qui plus tard périt dans un accident d’avion, l’appelle à Moscou pour prendre contact avec les autorités centrales de la capitale soviétique. Il obtient pour 6.000 malheureux Juifs parqués aux environs de Riga, originaires de la Lithuanie, des visas lui permettant de les évacuer vers Shangaï et le futur Etat d’Israël. C’est une des plus belles pages de l’action du « Joint ».
Nous le connaissons à Paris depuis le lendemain de la Libération. Toujours modeste et volontairement effacé. Mais un travailleur acharné, qui vraiment n’épargne rien afin d’arriver à des réalisations importantes. Le Dr Joseph Schwarz étant appelé à d’autres tâches, c’est M. M.-W. Beckelman, son collaborateur le plus immédiat, qui le remplace à la tète de l’A.J.D.C. européen. Il va maintenant, avec sa compétence si grande, diriger le secours à environ un demi-million de Juifs en Europe et dans les pays musulmans (sans parler de son activité au « MALBFN » qui prendra en charge, en 1951, plus de six mille « hardcore ».
Nous souhaitons à M. M.-W. Beckelman une activité féconde et une grande réussite, car nous connaissons l’homme et nous apprécions ses qualités.
J.-G. BONFILS.
Mise en ligne 04/01/2021