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Article de revue

Quel amont et quel aval pour le roman de Jordane ?

Pages 24 à 39

Notes

  • [1]
    Jordane revisité, Seyssel, Champ Vallon, « Recueil », 2004, p. 148-149.
  • [2]
    Fonds de miroirs, Seyssel, Champ Vallon, « Détours », 2017, notamment dans l’« Entretien avec Michael Sheringham », p. 179.
  • [3]
    Ou « intime » ? Illisible sur le manuscrit. (Note du directeur).
  • [4]
    Soma Morgenstern, Fuite et fin de Joseph Roth, souvenirs, Paris, Liana Levi, 1997.
  • [5]
    Albert t’Serstevens, L’Homme que fut Blaise Cendrars, Paris, Denoël, 1972. Voir aussi David Martens, L’Invention de Cendrars, Paris, Champion, « Cahiers Blaise Cendrars », 2010.
  • [6]
    Et non le « roman » familial. La notion de « fabulation », à mon sens, désigne bel et bien l’objet décrit par Freud dans « Le roman familial des névrosés » (dans Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, trad. de Jean Laplanche ; trad. nouvelle d’O. Mannoni dans Le Roman familial des névrosés et autres textes, Paris, Payot, 2014). Cependant, elle permet de distinguer le « roman familial » du roman littéraire, tel que Freud le décrit d’ailleurs lui-même comme une manière de composer avec ses fantasmes et de leur donner techniquement une forme qui les rende plus séduisants (« Le Créateur littéraire et la fantaisie », dans L’Inquiétante Étrangeté et autres essais, trad. nouvelle par Bertrand Féron, Paris, Gallimard, « Œuvres de Sigmund Freud », 1985). J’ajoute que ma modeste et immodeste proposition vaut aussi pour la notion de « roman parental » définie par Pierre Bayard dans son passionnant petit essai sur la polyphonie du « je » autobiographique sensible au désir de l’Autre, Il était deux fois Romain Gary, Paris, PUF, 1990.
  • [7]
    Je ne serais pas aussi radical qu’à l’époque où j’écrivais « Qui ne fictionne pas fabule » et ferais place aux vraies enquêtes de l’historien ; mais je dirais toujours que je préfère le terme de « fabulation » à celui de « fiction autobiographique » proposé par Michel Braud. Après quoi je souscrirais sans réserve à sa définition : « Elle est le nom donné à l’élaboration du réel à laquelle je me livre en continu. Il ne s’agit pas d’une fiction au sens plein [c’est moi qui souligne] mais d’une construction mentale sur la base d’une structuration fantasmatique personnelle. » Michel Braud, « Lire les journaux intimes », Les Moments littéraires, n° 40, 2017, p. 11.
  • [8]
    Cf. Henri Guillemin, L’Homme des « Mémoires d’outre-tombe », Paris, Gallimard, 1965. On sait que l’historien a débusqué bien d’autres mensonges dans des récits autobiographiques d’hommes de Lettres du xixe siècle.
  • [9]
    Cf. Oliver Todd, « Malraux : épidémiologie d’une légende », Académie des sciences morales et politiques, conférence du 3 novembre 2003, mise en ligne le 2 janvier 2005, https://www.canalacademie.com/ida114-Malraux-epidemiologie-d-une-legende.html. Voir aussi sa biographie de Malraux (Gallimard, 2001), celle de Lacouture (Seuil, 1973), et surtout l’essai très perspicace de Jean-Claude Larrat, André Malraux, Paris, Librairie générale française, « Le Livre de Poche. Références », 2001, ainsi que sa notice « Mythe « Malraux » » dans le Dictionnaire André Malraux qu’il a dirigé (Paris, Classiques-Garnier, « Dictionnaires et synthèses », 2015).
  • [10]
    Cf. André Rossel-Kirschen, Céline et le grand mensonge, Paris, Mille et une nuits, 2004, réquisitoire implacable d’un « historien », et l’étude de Denise Aebersold, Céline, un démystificateur mythomane, Paris, Lettres modernes, « Archives des Lettres modernes », 1979.
  • [11]
    Cf. Myriam Anissimov, Romain Gary, le caméléon, Paris, Denoël, 2004.
  • [12]
    Cf. Jean-Bernard Moraly, Jean Genet, la vie écrite, Paris, La Différence, « Essais », 1988, et Ivan Jablonka, Les Vérités inavouables de Jean Genet, Paris, Seuil, « XXe siècle », 2004.
  • [13]
    Cf. Joëlle Gardes-Tamine, Saint-John Perse ou la Stratégie de la seiche, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1996.
  • [14]
    Misha Defonseca, Survivre avec les loups, Paris, Laffont, 1997. Nouvelle version, XO éditions, 2005.
  • [15]
    Lionel Duroy, Survivre avec les loups : la véritable histoire de Misha Defonseca, Paris, XO éditions, 2011.
  • [16]
    Binjamin Wilkomirski, Fragments, Une enfance, 1939-1948, Paris, Calmann-Lévy, 1996.
  • [17]
    Carlos Castaneda, L’Herbe du diable et la petite fumée, une voie yaqui de la connaissance [1968], Paris, Le Soleil noir, « Le Soleil noir. Série club », 1972.
  • [18]
    Carlos Castaneda, Le Voyage à Ixtlan : les leçons de don Juan, Paris, Gallimard, « Témoins », 1974.
  • [19]
    Carlos Castaneda, Voir : les enseignements d’un sorcier yaqui, Paris, Gallimard, « Témoins », 1973, Le Voyage à Ixtlan, op. cit., Histoires de pouvoir, Paris, Gallimard, « Témoins », 1975, etc.
  • [20]
    Christophe Bourseiller, Carlos Castenada : la vérité du mensonge, Monaco, Éditions du Rocher, 2005.
  • [21]
    Attentionnelle et intentionnelle, alors, bien que non explicitement contractuelle, comme j’ai tenté de le montrer dans ma présentation d’une curieuse mystification de Marc Helys dont Pierre Loti fut la victime peu à peu consentante, mais en secret. Cf. la préface à Marc Helys, Le Secret des Désenchantées, Houilles, Manucius, « Littéra », 2004 [1924], reprise dans Fonds de miroirs, op. cit., p. 65. Cette très belle histoire d’amour me rappelle Barnabooth affirmant son plaisir d’être dupe, que ne peut pas comprendre son interlocuteur au lourd positivisme.
  • [22]
    Henry James, Nouvelles complètes. 1877-1888, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 1531.
  • [23]
    La Bibliothèque d’un amateur, Paris, Gallimard, « Le chemin », 1979.
  • [24]
    Benjamin Jordane, L'Apprentissage du roman, Seyssel, Champ Vallon, « Recueil », 1993.
  • [25]
    Benjamin Jordane, une vie littéraire, Seyssel, Champ Vallon, « Détours/Cahiers Benjamin Jordane » (n° 1), 2008 (dir. avec Yves Savigny).
  • [26]
    Michel Déon, Un déjeuner de soleil, Paris, Gallimard, 1981.
  • [27]
    Vladimir Nabokov, La Vraie Vie de Sebastian Knight [1941], Paris, Albin Michel, 1951.
  • [28]
    Charles Nodier, Questions de littérature légale. Du plagiat, de la supposition d’auteur, des supercheries qui ont rapport aux livres, Jean-François Jeandillou (éd.), Genève, Droz, « Histoire des idées et critique littéraire », 2003 [chap. VIII].
  • [29]
    Henri Beauclair & Gabriel Vicaire, Adoré Floupette, Paris, Éditions Henri Jonquières et Cie, 1923.
  • [30]
    Cette biographie ne figure que dans la toute première édition, rarissime, des Poèmes par un riche amateur [1908], mais elle est plus facilement accessible grâce au paratexte de l’édition par Robert Mallet des Œuvres de Larbaud dans la Bibliothèque de la Pléiade (Larbaud l’avait, sur le conseil de Gide, retirée de la réédition à la NRF en 1913).
  • [31]
    Claude Bonnefoy, Ronceraille, Paris, Seuil, « Écrivains de toujours », 1978. Le paratexte du livre est une imitation très sérieuse, mais le numéro dans la collection (100) pouvait être, d’entrée de jeu, un détail révélateur de la supercherie.
  • [32]
    Wolfgang Hildesheimer, Sir Andrew Marbot [1981], trad. Martin Kaltenecker, Paris, J.-Cl. Lattès, 1984. Cf. Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, « Poétique », 1999. Si Hildesheimer n’était pas un grand romancier, on pourrait lire cet ouvrage comme une autobiographie intellectuelle par procuration, dans laquelle il avouerait son insuffisance dans le domaine de l’imagination, sinon de la critique et de la biographie. Ce serait, de la part du lecteur, contourner un contrat lui-même très… contourné, puisqu’il s’agit strictement, au premier degré en tout cas, d’une biographie fictionnelle.
  • [33]
    J’ai surtout été marqué, je crois, par le livre de Soma Morgenstern sur Joseph Roth (op. cit.), celui de Gershom Scholem sur Benjamin (trad. fr. Paul Kessler : Walter Benjamin, histoire d’une amitié, Paris, Calmann-Lévy, « Diaspora », 1980), et celui de Carl Seelig sur Walser (trad. fr. Bernard Kreiss : Promenades avec Robert Walser, Paris, Rivages, « Collection de littérature étrangère », 1989). Trois amitiés profondes, et dans une même langue. Peut-être aussi Brod sur Kafka ? J’ai un peu emprunté, toutefois, aux vingt années passées dans la proximité de Louis-René des Forêts, sur lesquelles j’ai écrit par ailleurs un témoignage au premier degré, Journal d’apprentissage (CRAL-CNRS, 1994), republié sous le titre paradoxal de Louis-René des Forêts, roman, chez Verdier, « Farrago », en 2000.
  • [34]
    Benjamin Jordane, Toute ressemblance…, Seyssel, Champ Vallon, « Recueil », 1995.
  • [35]
    … et très sérieux, mais toujours à côté, comme par un fait exprès.
  • [36]
    Présence de Jordane, Seyssel, Champ Vallon, « Recueil », 2002.
  • [37]
    Jordane et son temps, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque de l’Université de Dijon, notices de Jean-Benoît Puech et Yves Savigny, Paris, P. O. L, 2017.
  • [38]
    Roger Martin du Gard, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque Nationale, notices de Florence Callu et Françoise Bléchet, Paris, Bibliothèque Nationale, 1981. Autre modèle : le catalogue de l’exposition Valéry Larbaud, sa vie, son œuvre, intitulé Valéry Larbaud, 1881-1957, naturellement réalisé sous l’égide de Monique Küntz à la Bibliothèque Municipale de Vichy en 1977, pour le vingtième anniversaire de sa mort.
  • [39]
    Yves Savigny, Une biographie autorisée, Paris, P.O.L., 2009.
  • [40]
    Jordane et son temps, op. cit., cahier iconographique, p. III.
  • [41]
    Ibid., p. VIII.
  • [42]
    On ne peut parler de mensonge de la part de l’auteur, dans la mesure où sa vie et sa personnalité fallacieuses sont un pur produit du désir du lecteur. Mais dans le cas de Karl May, il est possible que le romancier populaire allemand ait ajouté, à ses aventures telles qu’on imaginait qu’il les avait vécues lui-même avant d’en publier des transpositions encore plus romanesques, des récits trompeurs au premier degré, lors de conférences pour un public enfantin avide de légendes incarnées. Il portait volontiers de fabuleux costumes de pionnier du far West, se faisait photographier avec la fameuse carabine Henry de son héros et avait entièrement décoré sa maison de trophées supposés rapportés de ses chasses lointaines. (Sur Karl May, très peu d’études en français. Cf. Matthieu Letourneux, Le Roman d’aventures, 1870,-1930, Limoges, Pulim, « Médiatextes », 2010 et Rocambole n° 63, Ulrich von Thüna (dir.), été 2013. Innombrables en allemand, et film de Syberberg en 1974). Pierre Loti aux mille déguisements n’alla jamais si loin, qui voyagea pourtant souvent et pour de vrai. Quant à Mac Orlan, son pseudonyme, son couvre-chef écossais, ses leggins et son perroquet ne sont que des hommages plus ou moins enjoués à sa bibliothèque d’aventurier en chambre.
  • [43]
    Comme me l’ont suggéré, je les en remercie, Jean-Didier Wagneur dans un article de Libération (1er juill. 2017) et Sébastien Lemarchand dans une étude de La Revue littéraire (n° 72, mars-avril 2018).
  • [44]
    Charles Laughton, La Nuit du chasseur (d’après le roman de Davis Grubb), 1955.
  • [45]
    Ou « infimes » ? Illisible sur le manuscrit. (Note du dir.)
  • [46]
    Au sujet du contenu de ces fabulations, je me permets de renvoyer à mon livre Jordane revisité. Jordane était-il un imposteur ? Dans sa biographie « autorisée » (op. cit.), Yves Savigny banalise les fausses confidences que l’écrivain m’avaient faites, notamment lors de nos promenades dans la vallée de la Juine. Quant au processus de déconstruction de l’affabulation et de reconstruction romanesque, il me semble qu’il est donné en exemple dans un passage du beau livre de Jean-Claude Larrat. Il cite Malraux qui voulait « renoncer à vivre biographiquement ». Qu’entend par là l’auteur des Antimémoires ? Je cite à mon tour l’exégète : « C’est-à-dire renoncer à vivre en regardant sa vie comme si elle était celle d’un autre, celle d’un personnage de fiction romanesque » (André Malraux, op. cit., p. 168). Mon intérêt paradoxal pour cette formule augmente avec le temps.
À Jochen Mecke

I.

1Je vais vous dire quelques mots de mes livres, du point de vue qui nous intéresse aujourd’hui : Quand le roman se fait imposture. Quand je dis « mes livres », on n’entend pas les guillemets, pourtant indispensables car ils relèvent d’un genre qui jette la suspicion sur la paternité des œuvres – un genre que l’on nomme la supposition d’auteur. C’est un genre vieux comme le monde, ou comme les bibliothèques qui l’ont engendré, dont je dirai aussi « quelques mots ». Et finalement, vous verrez que mon propos se réduit simplement au renversement de la proposition de nos hôtes. J’aurais pu intituler mon exposé : « Quand l’imposture se fait roman » !

2Mais pour commencer, je voudrais considérer quatre notions qui se rapportent à notre sujet, qui me seront utiles et qu’il convient, je crois, de mieux distinguer. Ce sont : le roman, la fabulation, le mensonge et le discours historique. J’ai déjà évoqué par deux fois ces notions et leurs caractéristiques distinctives, dans Jordane revisité[1] et dans Fonds de miroirs[2], mais c’était plutôt en passant, ou en improvisant, alors que cette fois, je voudrais m’y arrêter un peu plus sérieusement.

3Le titre de ce volume évoque la question du « contrat de lecture », c’est-à-dire qu’il suggère que le statut d’un texte est induit par un contrat passé entre son auteur et son lecteur. Toutefois le titre évoque aussi un « jeu de dupes », c’est-à-dire qu’il suggère que dans certains cas, le contrat n’est pas respecté. Or justement je voudrais distinguer les quatre notions que je viens de nommer en fonction des positions respectives des interlocuteurs par rapport à un discours, tantôt en accord explicite sur ce qu’il est, tantôt en désaccord implicite.

4On va voir que cela revient à considérer les quatre discours selon la croyance ou l’incrédulité de l’auteur et du lecteur au sujet du propos que l’un tient et que l’autre reçoit.

51) Si l’auteur ne croit pas à la véracité de son propos, et si le lecteur n’y croit pas davantage, s’ils considèrent tous deux qu’il s’agit d’un produit de l’imagination, d’une fiction verbale, mais décident d’un commun accord de faire comme si l’histoire racontée avait réellement eu lieu, il s’agit d’un roman. Le contrat est respecté, signifié par une indication générique explicite (plus ou moins explicite selon que le public est averti ou non). Est-ce un paradoxe ? La trop célèbre « suspension volontaire de l’incrédulité » consiste à faire semblant de croire.

6J’y reviendrai. Mais je ne reviendrai pas, ici, sur un phénomène encore plus étonnant : un tel jeu, allégé de tout souci de véracité, unit parfois ses partenaires au nom des vérités les plus graves. Tout se passe comme si l’oubli des enquêtes, des preuves, des faits, et comme si l’ouverture d’une scène indépendante, « ludique », frivole en apparence, favorisaient l’accès aux lois qui nous animent dans les profondeurs.

72) Mais si l’auteur donne comme vrai ce qu’il dit, et y croit, alors que le lecteur n’y croit pas (quitte à y trouver grand intérêt), il me semble qu’on peut considérer son discours comme une fabulation. Le mythomane appartient à cette catégorie. Il croit à son mythe infime [3], il ne sait pas qu’il s’agit d’une invention, ou il ne le sait plus (ainsi Joseph Roth tel que décrit par son ami Soma Morgenstern [4], ou Cendrars décrit par son ami T’Serstevens [5]). Toutefois, à ce fabulateur on pardonne cette fabulation parce qu’elle est plus ou moins désintéressée et n’a guère de conséquences en dehors de sa propre personne, de son identité, de son histoire – conséquences qui peuvent être graves pourtant, dans certains cas où la fabulation ne se réduit pas à une douce folie. Je pense à Nerval (crise de 1841) et à Artaud (Rodez et retour) quand la fabulation familiale [6] bascule dans le délire généalogique et cosmique. Et bien sûr on « pardonne », surtout, parce qu’un tel discours peut avoir une valeur artistique, et souvent parce que son auteur l’a acquise par d’autres œuvres.

8Il n’en reste pas moins que fabulation n’est pas roman, même s’ils sont tous deux des produits verbaux de l’imagination.

9Je me permettrais maintenant une digression au sujet de certains genres discursifs, parfois même littéraires, où la fabulation s’épanouit en toute innocence : non seulement l’autobiographie, mais aussi et surtout le journal intime, ainsi que le monologue intérieur [7]. Mais je reviens bien vite à ma taximanie.

103) Si l’auteur, en revanche, donne comme vrai son propos, mais ne croit pas à ce qu’il dit, sait que son propos est une invention, alors que le lecteur le croit, le propos proféré est un mensonge. L’autobiographie est une œuvre littéraire, mais elle est de ces œuvres littéraires qui excluent, en principe, toute complaisance envers l’imagination. C’est un discours d’histoire individuelle qui se donne comme véridique et vérifiable. Or il est avéré que Chateaubriand n’a pas rencontré Washington [8], et que Malraux n’a pas été secrétaire du Kuomintang [9]. Ils ne l’ont eux-mêmes jamais cru, bien qu’ils l’aient affirmé. De même, certaines retouches à leurs biographies par Céline [10], Gary [11], Genet, [12] Saint-John Perse [13] ne sont pas des romans, ni des fabulations, mais des mensonges – aussi beaux parfois que leurs romans. Leur qualité d’écrivains reconnus peut-elle modifier la nature de leurs inventions en dehors du domaine convenu de la fiction, et changer ces « mensonges » en « symboles signifiants » (pléonasme) ? Le fait est que l’on sourit parfois avec une indulgence presque admirative pour tel ou tel « auteur de sa légende ».

11Quoi qu’il en soit, lorsque Misha Defonseca présente son Survivre avec les loups[14] comme un récit autobiographique [« Sur les années de guerre et l’holocauste, le premier livre autobiographique dont l’héroïne est une enfant »], ou lorsqu’elle donne des conférences sur le même sujet dans le même esprit, c’est-à-dire avec le même contrat de communication, alors qu’il s’agit toujours d’une pure invention, elle ment. Le journaliste et romancier Lionel Duroy, ainsi que le psychologue renommé Boris Cyrulnik, se sont efforcés de comprendre son entreprise avec une intelligente bienveillance et ils ont atténué le mensonge en expliquant qu’il ne s’agit que d’une fabulation [15]. Mais parler ici de « roman » est un abus de langage. Il en va de même pour le livre de Binjamin Wilkomirski [16].

12Aussi passionnant que ces deux entreprises, mais d’un devenir plus funeste, est celle de Carlos Castaneda, qui débuta par la publication aux Presses de l’Université de Californie, dans la collection d’anthropologie, en 1968, d’un essai intitulé L’Herbe du diable et la petite fumée[17] puis obtint son doctorat en 1973 sur présentation de son nouvel essai, Le Voyage à Ixtlan[18]. Plusieurs traductions françaises des œuvres de Castaneda parurent chez Gallimard dans la collection d’essais et études historiques « Témoins » [19]. La nature imaginaire des aventures physiques et spirituelles contées, découverte ultérieurement, n’entama en rien leur succès international. Castaneda devint plus tard le gourou incroyable mais cru de ce que certains considèrent comme une véritable secte. On ne peut se contenter, à ce sujet, de l’étude de Christophe Bourseiller, que je signale toutefois [20].

13De même que la mythomanie est une forme atténuée de délire, ou de fabulation, ou d’erreur de la personne sur elle-même, de même la mystification est une forme atténuée de mensonge – « atténuée » dans la mesure où la valeur esthétique est prise en considération. Mais alors que dans la fabulation, cette valeur est purement attentionnelle, dans la mystification, elle peut aussi être intentionnelle [21]. Quant au « canular », qui est à peu près à la mystification ce que la mystification est au mensonge, on le considère avec une indulgence encore plus grande, s’il n’a d’autre prétention que de moquer la pédanterie plus encore que la crédulité.

14Pour clore cette troisième sous-partie, je signale et même recommande l’une des notices d’Évelyne Labbé dans sa passionnante édition des Nouvelles complètes de Henry James [22]. Il s’agit en fait d’une petite étude consacrée au « Menteur », un des plus fameux « récits d’artistes » de James, écrit en 1888. La distinction qu’y propose notre collègue entre la gracieuse mythomanie du héros, le colonel Capadose, et les mensonges intéressés du portraitiste mondain jadis amoureux de son épouse, nommé Lyon (presque « liar ») correspond exactement à celle que je propose. Rappelons-nous que c’est sur « Le Menteur » que Wayne Booth fonde sa théorie du narrateur (ou réflecteur) non fiable dans Rhétorique de la fiction.

154) Si l’auteur enfin, et le lecteur d’un texte, croient également au contenu d’un propos, il s’agit d’un discours historique. Cette dernière définition semble réduire la vérité de ce discours à une croyance partagée plutôt que la déduire d’une conformité vérifiée à la réalité des faits, mais il n’en est rien : l’accord bilatéral à propos d’un discours n’exclut nullement l’accord éprouvé de ce discours avec son référent. Contrairement au roman d’un professionnel, à la fabulation d’un mythomane et au mensonge d’un imposteur, le discours historique (individuel ou collectif) n’est pas une fiction. On y croit en fonction des vérifications obstinées des historiens.

16Je ne résiste pas au plaisir un peu nostalgique de faire figurer ces quatre discours dans un tableau à double entrée. Il va de soi qu’un tel classement relève en grande partie de l’imitation (sérieuse et ludique) de typologies plus scientifiques qui sont les premières à déplorer la trop grande rigidité de toute taxinomie et à signaler la porosité des frontières qui séparent les cases comme la possible mobilité de leurs contenus : à force de répéter son mensonge, un menteur peut y croire et devenir un fabulateur ; ou une fabulation peut se changer en roman par la simple adjonction de l’indication générique à sa mise en forme par écrit.

tableau im1

II.

17Avant d’utiliser peu ou prou ces notions pour décrire mes propres livres et mieux comprendre leur statut de supercheries ou de romans, je dois d’abord vous présenter en quelques mots l’ensemble du cycle qu’ils composent.

18À la fin de mon premier livre, La Bibliothèque d’un amateur[23], un recueil d’articles sur des livres imaginaires, se trouve une nouvelle qui raconte comment son narrateur est censé les avoir achetés lors d’une vente aux enchères de la bibliothèque d’un amateur décédé depuis peu. Le fantôme de cet homme est dans la salle, il couvre l’enchère sur l’un des volumes que l’acheteur convoitait le plus, il disparaît avec l’exemplaire récupéré et la recherche de l’acquéreur évanescent commence. Cet homme se nomme Jordane, Benjamin Jordane, et toutes les fictions que j’ai écrites ensuite, à une exception près, mettent de nouveau ce personnage en scène.

19À l’origine du cycle auquel j’ai donné son nom des années plus tard, Jordane est donc un mort, mais il devient (ou revient ?) de plus en plus vivant au fur et à mesure que paraissent des livres qui constituent ce « cycle », un peu tout compte fait comme son auteur lui-même. Il y aura beaucoup d’autres caractéristiques communes entre Jordane et moi. C’est d’abord un lecteur qui rédige des notes. Il est toujours un lecteur très littéraire dans L’Apprentissage du roman[24], mais il y devient surtout un diariste passionné. Cet ouvrage se présente en effet comme un recueil des passages de son journal intime consacrés à son « écrivain préféré », Pierre-Alain Delancourt, aussi intéressant par son œuvre que par la longue période de silence qui l’a longuement interrompue. Ce grand écrivain du xxe siècle et sa bibliographie sont des inventions, au même titre que Jordane et les écrivains dont j’avais présenté les œuvres dans La Bibliothèque. Jordane devient plus tard l’auteur de textes publiés, dont je donne des résumés, des citations, des extraits et des commentaires par des journalistes ou des universitaires, parfois même des textes intégraux, des nouvelles. Benjamin Jordane, une vie littéraire[25] est une imitation sérieuse d’un numéro d’hommage à l’écrivain, comportant donc des études et des témoignages par divers spécialistes, parfois des concurrents (sinon de véritables rivaux), mais aussi de nombreux inédits, dont plusieurs correspondances et des juvenilia. Le dernier de mes livres est un catalogue détaillé qui présente l’exposition « Jordane et son temps » de la médiathèque de Dijon.

20Inventer un auteur (créateur et-ou critique), sa vie, son œuvre, la littérature secondaire qui lui est consacrée, quelques-uns de ses témoins et de ses spécialistes n’est pas original. Lorsque cette invention est donnée à l’intérieur d’un roman, comme c’est souvent le cas chez Nabokov, ou dans Le Déjeuner de soleil de Michel Déon [26], un écrivain bien différent de l’auteur de Sebastian Knight[27], et des dizaines d’autres, il s’agit simplement d’un roman au carré, un roman qui met en scène un autre roman (ou plusieurs), son auteur et ses lecteurs. La réception de cette invention est plus complexe lorsqu’elle se donne, non pas dans un roman, mais au premier degré, comme le livre parmi d’autres, d’un auteur comme les autres. C’est alors une réalisation dans un genre littéraire spécifique qu’à la suite de Charles Nodier, il est convenu de nommer la supposition d’auteur (même si le substantif « supposition » prête à confusion) [28].

21Sur le thème de l’imposture, bien que je veuille être bref et schématique, il me faut introduire une nouvelle distinction, entre deux types de supposition d’auteur.

22Fréquemment, des auteurs supposés et leurs œuvres sont créés dans un style satirique (qui condense les travers d’un ou plusieurs auteurs réels et accentue leurs caractéristiques pour les tourner en dérision). Par exemple Adoré Floupette, dont le nom même est parodique, et ses poèmes décadents, les Déliquescences, inventés par Gabriel Vicaire et Henri Beauclair [29] ; ou plus subtilement et avec élégance, A. O. Barnabooth dont la biographie provocante est attribuée par Larbaud à un autre auteur imaginaire, Tournier de Zamble [30]. Il en va de même pour le Ronceraille de Claude Bonnefoy [31], car bien que ce charmant petit livre ait été publié dans une collection biographique on ne peut plus sérieuse dont le paratexte est joliment imité (notamment l’iconographie, grâce à la collaboration de Denis Roche), il se présente comme un recueil d’études sur une œuvre et un auteur, mais ces études sont toutes des parodies de divers courants critiques et ne trompent aucun spécialiste. Le style manifeste alors, sans autre indication, le statut fictionnel de l’œuvre.

23Mais il arrive que le style soit au contraire un pastiche sérieux, aussi bien en ce qui concerne l’œuvre elle-même qu’en ce qui concerne la biographie et les articles critiques qui se rapportent à l’auteur et à l’œuvre inventés. Le modèle du pastiche de la part biographique, ce sont alors des textes référentiels, factuels, historiques ou, disait Genette, de « diction ». Le modèle de la part critique, ce sont également des textes se rapportant à des objets réels, les œuvres considérées ; et ces pastiches sont eux aussi des pastiches de genre, selon les types d’orientation critique imités. Parfois, l’auteur supposé est présenté par un auteur réel dont la réputation d’amateur de jeux avec les codes textuels et paratextuels jette la suspicion sur l’entreprise (par exemple Pierre Bettencourt ou Raymond Queneau, Vladimir Nabokov, John Barth…). Mais si l’auteur réel s’efface, les livres sont reçus comme véritables et leur statut de « supposition d’auteur » n’apparaît qu’ultérieurement. Dans un premier temps, un tel pastiche sérieux est une supercherie ou mystification littéraire (ici je considère les deux termes comme des homonymes, même si le premier semble désigner une version plus faible de l’entreprise trompeuse). L’un des exemples les plus célèbres est le barde Ossian, auteur de Fingal et autres poèmes gaéliques, inventé en fait par James Macpherson. Récent et célèbre dans nos milieux est le cas de la biographie d’un critique d’art imaginaire, Marbot, inventé par un biographe reconnu pour son sérieux, Wolfgang Hildesheimer [32].

24Cependant, certains ouvrages peuvent avoir un statut plus ambigu dans la mesure où malgré le sérieux du pastiche, quelques indices discrets, dans le paratexte ou le texte lui-même, permettent à des lecteurs avertis de reconnaître la supposition d’auteur comme telle. De la part de l’auteur, le jeu manifeste avec de tels lecteurs l’emporte sur le désir d’en mystifier quelques autres.

25C’est ainsi que je présenterai ceux de mes livres qui constituent ce que j’appelle « le cycle Jordane », du moins du point de vue de leur manière de concevoir leur réception en tant que performances dans le genre de la supposition d’auteur.

26Qu’est-ce qui, dans mes livres, fait croire que Jordane existe (qu’il est le référent d’un récit d’histoire individuelle et d’approches critiques sérieuses) et qu’est-ce qui montre qu’il n’existe pas (qu’il est un personnage à l’intersection de divers ensembles fictionnels) ?

27Je tiendrai compte de deux publics : celui, presque confidentiel, des chercheurs intéressés par les sciences humaines et la littérature comme objet d’étude défini ou comme être vivant, multiple, infini ; et celui, légèrement plus étendu, des personnes cultivées mais moins spécialisées. Une troisième catégorie de lecteurs, qui ne seraient ni des lettrés avertis, ni des amateurs sensibles, peut-elle s’intéresser à ce que je fais, sinon par malentendu ?

28Parmi le premier public, il faudrait aussi distinguer les lecteurs qui découvrent l’un de mes livres sans connaître le cycle et ceux qui en ont une connaissance partielle ou intégrale.

III.

29Mon premier livre est dans sa plus grande partie un recueil d’articles critiques à propos de romans contemporains. En fait, ce sont des pastiches d’articles critiques, à propos de livres imaginaires ; mais ils sont si sérieux que tout lecteur pourrait croire que ces livres existent réellement. Si cette possibilité se réalisait, il y aurait tromperie sur la nature du texte, contrat fallacieux, mensonge au sens défini dans la première partie. Cependant, de nombreux indices permettent de comprendre, à la relecture sinon immédiatement, qu’il s’agit de fictions. D’abord, le plan même de l’ensemble du livre n’est pas celui d’un véritable recueil comme un critique littéraire pourrait en réaliser et en publier, car l’ensemble des articles est en effet précédé et suivi par des textes qui sont de toute évidence, dès leurs titres, de brèves fictions. Ensuite, certains noms propres peuvent provoquer la suspicion, même s’ils ne sont pas évidemment ludiques, notamment par leur consonance avec celui de l’auteur, ou par l’identité des initiales. Enfin le paratexte est sans ambiguïté aucune. Non seulement le bandeau qui entoure l’ouvrage (rédigé par Georges Lambrichs) indique : « Romans imaginaires, une littérature secrète », mais encore le texte de la quatrième de couverture est explicite au sujet de l’entreprise. Ainsi sont réunis des éléments qui peuvent faire croire de manière très plausible, et des éléments qui démentent ce qui n’est une mystification que pour qui n’a pas lu l’ensemble de l’ouvrage. Le texte est plus requis par le désir de montrer qu’il peut tromper que par le désir de tromper réellement.

30Avec L’Apprentissage du roman, la différence s’atténue entre l’apparence trompeuse du texte et les signes qui la dénoncent. Le texte se présente comme l’édition, par un chercheur scientifique, d’extraits du Journal intime qu’un jeune homme passionné de littérature a consacrés à son écrivain préféré, dont il est devenu le familier, Pierre-Alain Delancourt. Tout l’appareil d’une telle édition est imité avec rigueur : préface en italiques, notes de bas de page en caractères de corps plus petit, index, remerciements (notamment à des universitaires renommés). Le chercheur est d’ailleurs bien réel, puisqu’il s’agit d’un membre effectif d’un laboratoire de recherche (moi). La jolie mais grave maquette du livre ne permet pas d’en percevoir la vraie nature de fiction, et l’éditeur lui-même est connu pour ses publications universitaires. On peut imaginer qu’un lecteur non averti, égaré à l’étage des essais d’une librairie du boulevard Saint-Michel ou de la Grand-Place à Lille, aperçoive un tel ouvrage. Il le feuillette sans douter un seul instant de l’existence historique de l’auteur évoqué par son admirateur. Il se demande même s’il n’a pas entendu le nom de ce « Delancourt » à la radio ou à la télévision. Quoi qu’il en soit, il pense que ce témoignage est d’un tel intérêt, non seulement au sujet de l’écrivain, mais aussi des relations d’un auteur et de son lecteur, qu’il a été édité. Cependant, s’il achète et lit le livre, il peut remarquer quelques indices de ce qui n’est donc plus une mystification – et qui n’en est une à aucun moment pour un lecteur plus lettré, qui reconnaît d’emblée une imitation du raffiné Boswell voyageant avec Johnson, du brave Eckermann conversant avec Goethe, du distingué Tchertkov chevauchant avec Tolstoï, de tant d’autres disciples de nos pères spirituels [33]. En effet, nombre de pages du Journal intégral indiqué par l’éditeur scientifique sont extravagantes. Mais surtout, les œuvres et les auteurs qu’il évoque, et dont les notes procurent les références, sont trop fréquemment inconnus pour qu’un lecteur curieux, même non spécialiste, ne soupçonne pas assez rapidement qu’il se trouve ou se perd dans un monde parallèle (ou plutôt sinusoïdal, et coupant régulièrement la ligne horizontale de la réalité géométrique et générale).

31On retrouverait dans tous les livres suivants la même coexistence d’un contrat référentiel explicite ou induit par le genre du discours (qui se rapporte à un objet réel localisable et dont la relation avec un tel objet est vérifiable) et d’un contrat de fiction (la vérité du texte ne réside pas dans sa conformité à une réalité extérieure particulière, le lecteur et l’auteur suspendent d’un commun accord leurs engagements dans le monde réel… air connu). Dans Toute ressemblance…[34], le nom de Jordane figure à la place réservée à l’auteur sur la couverture, la liste de ses ouvrages est donnée elle aussi à sa place habituelle au début du livre, mon nom n’apparaît qu’in extremis sur la quatrième de couverture comme auteur du prière d’insérer ; cependant l’appareil critique pléthorique et complexe, pour ne pas dire compliqué [35], suffit à dénoncer le contrat d’historicité avérée induit par le paratexte (si le seul nom de « Jordane » n’est pas déjà connu du lecteur comme celui d’un auteur imaginaire). Dans Présence de Jordane[36], si l’on n’entend pas le titre comme une antiphrase, le long texte d’ouverture permet de comprendre le projet de tout le cycle : une performance avouée dans le genre de la supposition d’auteur. Dans Jordane revisité, le nom de l’auteur réel (Puech), sur la couverture, désigne la nature ludique du livre à ceux qui connaissent les précédents : ce patronyme est devenu, dans un lectorat certes miniature, une marque de fabrique, ou plutôt de forgerie ; et pour le lecteur non averti, le dernier chapitre tout entier raconte comment ceux qui précèdent composent une fiction.

32Je laisse de côté mon imitation du « Cahier d’hommage » traditionnel, type NRF ou Cahier de L’Herne, intitulée Benjamin Jordane, une vie littéraire, avec son collectif d’auteurs, ses inédits, son iconographie, son paratexte aussi discret que trompeur et ses démentis presque invisibles tellement ils sont voyants. Je ne m’attarde un peu plus que sur un dernier exemple, dans lequel on retrouve la conjonction des deux contrats contradictoires. Il s’agit du catalogue de l’exposition Jordane et son temps[37] que j’ai organisée à la médiathèque de l’université de Dijon grâce à ma collègue Béatrice Guéna. Ce catalogue est lui aussi une imitation rigoureuse, en l’occurrence des catalogues que la Bibliothèque Nationale édite lors des expositions qu’elle consacre à de grands écrivains : Cocteau, Colette, Proust par exemple (à dire vrai je me suis surtout inspiré du catalogue de l’exposition Roger Martin du Gard [38]). Le paratexte en est plus luxueux, mais tout aussi sérieux, et le texte est strictement conforme au modèle : introduction du commissaire, périodisation personnalisée, brève présentation de chaque chapitre, description objective de chaque objet présenté suivie d’un commentaire biographique en caractères d’un corps plus petit, bibliographie, importante iconographie et remerciements. Cependant le « commentaire biographique » prend parfois un tour romanesque dont les rares lecteurs des catalogues d’exposition n’ont guère l’habitude, et l’attribution de ces passages à un témoin très littéraire (Yves Savigny, l’auteur d’Une biographie autorisée[39], ouvrage réellement paru deux ans plus tôt) accentue encore la révocation en doute de l’authenticité de l’ensemble. J’ai dispersé également des indices qui dénoncent plus discrètement la supercherie. C’est ainsi que dans le cahier iconographique on ne peut plus sérieux, réalisé chez P. O. L. avec la collaboration d’Antonie Delebecque, sur le premier manuscrit de Jordane reproduit en noir et blanc (un « texte libre » écrit à l’école dans son enfance), subsiste dans un coin mon propre prénom [40]. C’est ainsi que sur la carte du magasin de la compagne de Jordane, Pauline de Changé, subsiste encore plus imperceptiblement le nom qu’elle portait dans les livres précédents, Pauline de Réalcan [41], que je m’étais pourtant engagé à changer à la suite de menaces d’un procès par un parent de son modèle dans la réalité, qui l’avait reconnue.

33Le mensonge que constitue l’apparence historique de certains des textes du cycle, son démenti presque simultané et le roman qui lui est aussitôt substitué sont bien présents dans mon propos, tels que définis dans la première partie. Mais je n’ai pas encore parlé de la mythomanie, qui figure elle aussi dans le tableau initial et qui devient l’un des éléments du cycle, à partir de Jordane revisité. C’est dans ce livre, en effet, que je déclare devoir réviser certaines informations figurant dans ma biographie de Jordane. Je les tenais de lui, mais j’ai découvert peu à peu qu’il lui arrivait parfois de « fabuler » lorsqu’il me racontait sa vie. Ces fabulations concernent principalement son frère et son père, et se répètent d’une telle façon que j’ai préféré les mettre au compte d’une inoffensive « mythomanie », mais il s’agit bel et bien d’inventions signifiantes qui diffèrent de la réalité de son existence telle que j’en ai pris connaissance lors d’enquêtes ultérieures. Je m’efforce donc, avec Une biographie autorisée (attribuée à un autre auteur imaginaire, Yves Savigny, mais peu importe ici) d’écrire une biographie objective de Jordane, après éradication des « arrangements » que son imagination a semés çà et là. J’essaie aussi de comprendre les causes de ces falsifications, intéressantes mais coupables.

34Mensonge ou mythomanie se situent jusqu’ici au niveau du contenu des textes considérés. Mais je voudrais à présent dire un mot à propos de leur présence possible à un niveau moins étudié par la critique, celui de l’image que tout roman produit de son auteur dans l’esprit du lecteur. Car le romancier ne crée pas seulement, en aval de ses romans-fleuve, ou de ses romans-rivière, des personnages plus ou moins « réalistes ». Il crée aussi, en amont, un autre personnage, homonyme cette fois, plus vraisemblable encore : l’auteur lui-même (ou autre que lui-même, tout est là). Il sait que le lecteur, même lorsqu’il proteste du contraire sous l’influence de l’antibiographisme scolaire dominant depuis Proust et réactivé par la terreur textualiste des années structuralistes, se représente toujours l’écrivain dont il lit l’œuvre, et qu’il découpe sa figure, en filigrane du texte, sur le patron de ce même texte. On voit bien comment le personnage de K., dans les œuvres de Kafka, façonne encore l’image que les lecteurs se font de l’auteur du Procès (Kafka en avait-il conscience comme un Céline, un Cendrars, un Genet, un Malraux ?). Par un phénomène équivalent d’induction imaginaire, des millions d’Allemands crurent que le père de Winnetou s’était inspiré de ses voyages en Amérique pour créer le personnage le plus célèbre de la littérature de jeunesse outre-Rhin, alors que Karl May, le « Tartarin de Dresde », n’avait pas encore traversé l’Atlantique [42]. Dans de tels cas, le contrat est contourné, car même lorsqu’il affirme la fictionnalité du contenu narratif, il n’exclut pas toujours la formation, je devrais même dire la réalisation d’une telle figure, entre les lignes et au-delà, ou en-deçà. Eh bien, je l’avoue, il est possible que j’aie fait le nécessaire pour que s’élabore, à travers le « cycle Jordane », une certaine image de son auteur. Mensonge, marotte de mythomane, ou copie conforme à la réalité ?

35Revenons aux contrats plus enjoués mais moins retors évoqués tout d’abord. Vous avez vu que j’essaie d’aller le plus loin possible dans l’imitation qui fait croire à l’existence historique de mon personnage, et qui est non seulement une mimesis de la réalité (physique, psychologique, sociale, historique, géographique, etc.), mais surtout une mimesis des discours référentiels qui ont pour objet une personnalité en général, et un écrivain en particulier (témoignage, biographie, études critiques, colloques, catalogues, etc.). Depuis quelque temps, j’ai également recours à une mimesis non verbale, une iconographie et des expositions d’objets se rapportant à mon auteur supposé. Je pourrais même ouvrir au public intéressé la demeure familiale de ce Jordane, l’écrivain qui hante ma propre maison de mots [43].

36Toutefois, simultanément, j’essaie de joindre à ces imitations, sérieuses à s’y méprendre, les indices les plus discrets mais les plus efficaces du statut véritable de mon entreprise.

37Quel est l’enjeu de tels retournements ? L’enjeu objectif est bien connu. Il ne s’agirait pas de mettre en doute la véracité du discours historique, mais de la défendre contre la puissance du faux. Ce serait aussi montrer que la copie est un hommage à l’original, alors que sa toute-puissance ontologique est neutralisée par une imitation sérieuse qui se dénonce. Ce serait enfin montrer qu’un personnage et qu’une personne ont la même apparence verbale : qu’ils peuvent se confondre tout à fait par écrit.

38Je voudrais surtout procurer le plaisir qui est le mien, lorsque je rencontre une fiction, d’être magiquement entraîné dans son espace imaginaire, de plonger dans ses précipices, ses rapides, ses deltas en expansion, mais d’apprécier en même temps la solidité de l’élastique qui me retient au garde-corps du pont bien arrimé aux rives du réel. J’aime, au cinéma, trembler pour l’ingénue que l’on va mortifier, peut-être sacrifier (je revois les enfants de La Nuit du chasseur) – tout en goûtant en connaisseur le génie de l’acteur qui fait l’Ogre éternel (Robert Mitchum) [44].

39Mais l’enjeu subjectif me requiert encore plus. J’essaie de manier le mieux possible les codes de ce qui fut mon milieu universitaire et littéraire ; et surtout, d’en faire des moyens d’expression de ce qui m’est le plus intime (mon histoire sociale, sentimentale, verbale : le plus intime est aussi le plus partagé), qui n’échappe à ces « codes » que dans la mesure où je les tiens en respect. Je tente obstinément d’écrire une autobiographie « par procuration », dont le biographème clé est le fait paradoxal que je reste toujours à l’extérieur de moi et ne m’approche que du dehors, comme si j’étais un autre. Comme je serais un autre pour Benjamin Jordane, s’il revenait chez moi et s’il prenait ma place à la table où je joue.

40Je suis souvent surpris que ce « Je est un autre » ne soit pas contesté, qu’il fasse même l’unanimité, qu’il emporte l’adhésion de chacun, mais qu’il ne soit pas profondément vécu dans la vraie vie et encore moins dans sa représentation autobiographique, au point qu’elle nécessite, pour exprimer l’histoire de soi, cette troisième personne qui témoigne de notre dépossession et de notre liberté, comme en témoigne, inconsciemment, n’importe quel héros de roman.

41En guise de conclusion, je voudrais revenir à la question de la mythomanie, dans laquelle le mensonge trompe le menteur lui-même. Ce que j’ai découvert en écoutant mon personnage, c’est qu’en un premier temps, ses confidences faisaient la part belle à son imagination. Aucune forfanterie. Au contraire, des fictions intimes [45], discrètes, émouvantes même – mais des contre-vérités. Dans la première version du récit de sa vie, se lovait la fabulation que nous avons évoquée – et nous étions tous deux dupes de ses propos. Ce n’est que peu à peu, par une « déconstruction » minutieuse, sinon obsessionnelle à son tour, que les leurres et les illusions furent repérés, désignés et déjoués [46]. Nous y collaborâmes. Telle est l’histoire de notre relation. L’imposture cachée devint fable insigne. L’imitation appréciée d’un commun accord entre nous et le réel roman se sont substitués au réalisme fallacieux non d’un faussaire très déplaisant, mais d’un familier trop fictieux.

Questions (transcription d’enregistrement)

42Auditeur :
– Ce n’est pas une question, mais une remarque à propos de votre petit tableau « rétro », comme vous dites ! Je suis gênée par deux points. D’une part, au sujet du roman : le roman n’y est pas défini par le fait qu’il s’agit d’une forme verbale bien particulière, avec ses variables historiques et ses constantes pour ainsi dire transhistoriques. Et d’autre part, au sujet du discours historique : il est défini comme l’objet d’une croyance bilatérale, rien qu’une croyance, alors qu’il est, en tout cas pour moi, l’objet d’une connaissance qui dépasse une relation duelle, en miroir, d’autres diraient « imaginaire ». Si j’osais, je dirais que l’Histoire est un objet qui transcende toute croyance, un objet… objectif ! Même si cette objectivité n’est pas donnée mais construite par des enquêtes, où la méfiance est bien plus forte que la croyance, et où seul importe l’établissement de preuves qui nous font face, finalement, comme un tiers, un tiers bien réel, indifférent à ce que nous pensons de lui.

43Réponse :
– Oui, je suis d’accord avec vous, dans les deux cas. Ma définition du roman ne le considère qu’en tant qu’objet d’un échange, d’une communication, presque par égard pour le thème du nôtre (le thème de notre échange, je veux dire), aujourd’hui, mais il n’y est pas réductible, je le reconnais. Quant au discours historique, j’étais un peu embarrassé de le faire figurer dans ce tableau. Je craignais qu’on en déduise que je considère l’Histoire comme une fiction, ou même, comme « la fiction du plus fort ». Donc, j’insiste, je crois à la réalité de l’Histoire, en dehors de tout enjeu de pouvoir. Il me semble que je l’ai dit, un peu trop rapidement sans doute, lorsque j’ai parlé de ce quatrième type de discours, qui implique à la fois accord entre interlocuteurs et accord avec le monde. J’ajoute que si j’avais mis à la place de l’Histoire, dans cette case, le discours religieux, le débat serait devenu encore plus délicat, car la Foi est bien un état qui fait fi de la preuve, mais pour lequel la Présence est on ne peut plus réelle. Il faudrait plus d’une journée d’étude pour repenser tout cela, même si nous ne sommes pas les premiers !

44Autre auditeur :
– Ma question concerne ta citation de Malraux, ou de son exégète, je n’ai pas très bien compris, au sujet du renoncement à ce qu’il nomme une vision biographique de soi. Il recommande ce renoncement. On dirait d’ailleurs qu’il veut plutôt s’opérer, comme d’une maladie, d’une tendance à se voir et à se vivre non en personnage d’une biographie, mais en personnage d’un roman. Mais cette différence est secondaire, si je comprends bien : ce qu’il veut surtout, c’est ne plus penser à lui comme à un « personnage ». Comme à un autre. Tu dis que cela te touche, mais n’est-ce pas pourtant le contraire de toute ta démarche, puisque Jordane est un peu comme le résultat de ta vision biographique ou romancée de toi-même (si tu me permets cette réduction), et que tu n’y renonces pas ? On dirait que tu ne veux pas que « je est un autre » soit réduit à une sorte de « Il est le même », pour citer des formules plus ou moins fameuses !

45Réponse :
– Je te remercie de ta question, cher Dominique, elle peut paraître périphérique par rapport à notre sujet alors qu’elle en atteint le centre qui est, au fond, l’interlocution, avec son semblable comme avec soi-même, l’un et l’autre étant toujours en rapport avec un troisième terme qui n’est rien moins que la vérité et ce qui la garantit. Tu dis que Malraux veut s’opérer comme d’une maladie de sa propension à se raconter sa vie en la vivant, à la troisième personne, en somme. Il voudrait faire le deuil du biographe, c’est très bien vu ! C’est ce biographe imaginaire, immédiat, presque antérieur, qui en fait un mythomane. Je me demande si cette maladie ce n’est pas une névrose, dans le genre de cette névrose dont parle Sartre dans Les Mots, mais dès Les Carnets de la drôle de guerre, sa manie de la perspective muséographique, très scolaire d’ailleurs, très « Troisième république », très Lavisse, ou très Lanson, du moins dans le cas de Sartre. Ils voudraient en finir avec l’anticipation nécrologique, et vivre au présent, chacun à sa manière, bien sûr. Et ils le font par leur engagement historique. Enfin… le font-ils ? En tout cas, il n’y a rien de tel chez Jordane, qui était un athée pratiquant, en politique, mais ce que je peux dire en deux mots, c’est qu’à la fin de sa vie, il entreprenait la rédaction de ses souvenirs à la première personne. Tu le sais bien. C’est une forme d’adhésion, d’engagement, de présence, tout de même. Oui, c’est juste, j’ai l’impression qu’il avait, comme ses immenses modèles (n’oublions pas Leiris), le désir d’en finir avec la « troisième personne ». Mais enfin… autant vouloir en finir avec la fiction !


Date de mise en ligne : 11/06/2021

https://doi.org/10.3917/litt.202.0024

Notes

  • [1]
    Jordane revisité, Seyssel, Champ Vallon, « Recueil », 2004, p. 148-149.
  • [2]
    Fonds de miroirs, Seyssel, Champ Vallon, « Détours », 2017, notamment dans l’« Entretien avec Michael Sheringham », p. 179.
  • [3]
    Ou « intime » ? Illisible sur le manuscrit. (Note du directeur).
  • [4]
    Soma Morgenstern, Fuite et fin de Joseph Roth, souvenirs, Paris, Liana Levi, 1997.
  • [5]
    Albert t’Serstevens, L’Homme que fut Blaise Cendrars, Paris, Denoël, 1972. Voir aussi David Martens, L’Invention de Cendrars, Paris, Champion, « Cahiers Blaise Cendrars », 2010.
  • [6]
    Et non le « roman » familial. La notion de « fabulation », à mon sens, désigne bel et bien l’objet décrit par Freud dans « Le roman familial des névrosés » (dans Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, trad. de Jean Laplanche ; trad. nouvelle d’O. Mannoni dans Le Roman familial des névrosés et autres textes, Paris, Payot, 2014). Cependant, elle permet de distinguer le « roman familial » du roman littéraire, tel que Freud le décrit d’ailleurs lui-même comme une manière de composer avec ses fantasmes et de leur donner techniquement une forme qui les rende plus séduisants (« Le Créateur littéraire et la fantaisie », dans L’Inquiétante Étrangeté et autres essais, trad. nouvelle par Bertrand Féron, Paris, Gallimard, « Œuvres de Sigmund Freud », 1985). J’ajoute que ma modeste et immodeste proposition vaut aussi pour la notion de « roman parental » définie par Pierre Bayard dans son passionnant petit essai sur la polyphonie du « je » autobiographique sensible au désir de l’Autre, Il était deux fois Romain Gary, Paris, PUF, 1990.
  • [7]
    Je ne serais pas aussi radical qu’à l’époque où j’écrivais « Qui ne fictionne pas fabule » et ferais place aux vraies enquêtes de l’historien ; mais je dirais toujours que je préfère le terme de « fabulation » à celui de « fiction autobiographique » proposé par Michel Braud. Après quoi je souscrirais sans réserve à sa définition : « Elle est le nom donné à l’élaboration du réel à laquelle je me livre en continu. Il ne s’agit pas d’une fiction au sens plein [c’est moi qui souligne] mais d’une construction mentale sur la base d’une structuration fantasmatique personnelle. » Michel Braud, « Lire les journaux intimes », Les Moments littéraires, n° 40, 2017, p. 11.
  • [8]
    Cf. Henri Guillemin, L’Homme des « Mémoires d’outre-tombe », Paris, Gallimard, 1965. On sait que l’historien a débusqué bien d’autres mensonges dans des récits autobiographiques d’hommes de Lettres du xixe siècle.
  • [9]
    Cf. Oliver Todd, « Malraux : épidémiologie d’une légende », Académie des sciences morales et politiques, conférence du 3 novembre 2003, mise en ligne le 2 janvier 2005, https://www.canalacademie.com/ida114-Malraux-epidemiologie-d-une-legende.html. Voir aussi sa biographie de Malraux (Gallimard, 2001), celle de Lacouture (Seuil, 1973), et surtout l’essai très perspicace de Jean-Claude Larrat, André Malraux, Paris, Librairie générale française, « Le Livre de Poche. Références », 2001, ainsi que sa notice « Mythe « Malraux » » dans le Dictionnaire André Malraux qu’il a dirigé (Paris, Classiques-Garnier, « Dictionnaires et synthèses », 2015).
  • [10]
    Cf. André Rossel-Kirschen, Céline et le grand mensonge, Paris, Mille et une nuits, 2004, réquisitoire implacable d’un « historien », et l’étude de Denise Aebersold, Céline, un démystificateur mythomane, Paris, Lettres modernes, « Archives des Lettres modernes », 1979.
  • [11]
    Cf. Myriam Anissimov, Romain Gary, le caméléon, Paris, Denoël, 2004.
  • [12]
    Cf. Jean-Bernard Moraly, Jean Genet, la vie écrite, Paris, La Différence, « Essais », 1988, et Ivan Jablonka, Les Vérités inavouables de Jean Genet, Paris, Seuil, « XXe siècle », 2004.
  • [13]
    Cf. Joëlle Gardes-Tamine, Saint-John Perse ou la Stratégie de la seiche, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1996.
  • [14]
    Misha Defonseca, Survivre avec les loups, Paris, Laffont, 1997. Nouvelle version, XO éditions, 2005.
  • [15]
    Lionel Duroy, Survivre avec les loups : la véritable histoire de Misha Defonseca, Paris, XO éditions, 2011.
  • [16]
    Binjamin Wilkomirski, Fragments, Une enfance, 1939-1948, Paris, Calmann-Lévy, 1996.
  • [17]
    Carlos Castaneda, L’Herbe du diable et la petite fumée, une voie yaqui de la connaissance [1968], Paris, Le Soleil noir, « Le Soleil noir. Série club », 1972.
  • [18]
    Carlos Castaneda, Le Voyage à Ixtlan : les leçons de don Juan, Paris, Gallimard, « Témoins », 1974.
  • [19]
    Carlos Castaneda, Voir : les enseignements d’un sorcier yaqui, Paris, Gallimard, « Témoins », 1973, Le Voyage à Ixtlan, op. cit., Histoires de pouvoir, Paris, Gallimard, « Témoins », 1975, etc.
  • [20]
    Christophe Bourseiller, Carlos Castenada : la vérité du mensonge, Monaco, Éditions du Rocher, 2005.
  • [21]
    Attentionnelle et intentionnelle, alors, bien que non explicitement contractuelle, comme j’ai tenté de le montrer dans ma présentation d’une curieuse mystification de Marc Helys dont Pierre Loti fut la victime peu à peu consentante, mais en secret. Cf. la préface à Marc Helys, Le Secret des Désenchantées, Houilles, Manucius, « Littéra », 2004 [1924], reprise dans Fonds de miroirs, op. cit., p. 65. Cette très belle histoire d’amour me rappelle Barnabooth affirmant son plaisir d’être dupe, que ne peut pas comprendre son interlocuteur au lourd positivisme.
  • [22]
    Henry James, Nouvelles complètes. 1877-1888, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 1531.
  • [23]
    La Bibliothèque d’un amateur, Paris, Gallimard, « Le chemin », 1979.
  • [24]
    Benjamin Jordane, L'Apprentissage du roman, Seyssel, Champ Vallon, « Recueil », 1993.
  • [25]
    Benjamin Jordane, une vie littéraire, Seyssel, Champ Vallon, « Détours/Cahiers Benjamin Jordane » (n° 1), 2008 (dir. avec Yves Savigny).
  • [26]
    Michel Déon, Un déjeuner de soleil, Paris, Gallimard, 1981.
  • [27]
    Vladimir Nabokov, La Vraie Vie de Sebastian Knight [1941], Paris, Albin Michel, 1951.
  • [28]
    Charles Nodier, Questions de littérature légale. Du plagiat, de la supposition d’auteur, des supercheries qui ont rapport aux livres, Jean-François Jeandillou (éd.), Genève, Droz, « Histoire des idées et critique littéraire », 2003 [chap. VIII].
  • [29]
    Henri Beauclair & Gabriel Vicaire, Adoré Floupette, Paris, Éditions Henri Jonquières et Cie, 1923.
  • [30]
    Cette biographie ne figure que dans la toute première édition, rarissime, des Poèmes par un riche amateur [1908], mais elle est plus facilement accessible grâce au paratexte de l’édition par Robert Mallet des Œuvres de Larbaud dans la Bibliothèque de la Pléiade (Larbaud l’avait, sur le conseil de Gide, retirée de la réédition à la NRF en 1913).
  • [31]
    Claude Bonnefoy, Ronceraille, Paris, Seuil, « Écrivains de toujours », 1978. Le paratexte du livre est une imitation très sérieuse, mais le numéro dans la collection (100) pouvait être, d’entrée de jeu, un détail révélateur de la supercherie.
  • [32]
    Wolfgang Hildesheimer, Sir Andrew Marbot [1981], trad. Martin Kaltenecker, Paris, J.-Cl. Lattès, 1984. Cf. Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, « Poétique », 1999. Si Hildesheimer n’était pas un grand romancier, on pourrait lire cet ouvrage comme une autobiographie intellectuelle par procuration, dans laquelle il avouerait son insuffisance dans le domaine de l’imagination, sinon de la critique et de la biographie. Ce serait, de la part du lecteur, contourner un contrat lui-même très… contourné, puisqu’il s’agit strictement, au premier degré en tout cas, d’une biographie fictionnelle.
  • [33]
    J’ai surtout été marqué, je crois, par le livre de Soma Morgenstern sur Joseph Roth (op. cit.), celui de Gershom Scholem sur Benjamin (trad. fr. Paul Kessler : Walter Benjamin, histoire d’une amitié, Paris, Calmann-Lévy, « Diaspora », 1980), et celui de Carl Seelig sur Walser (trad. fr. Bernard Kreiss : Promenades avec Robert Walser, Paris, Rivages, « Collection de littérature étrangère », 1989). Trois amitiés profondes, et dans une même langue. Peut-être aussi Brod sur Kafka ? J’ai un peu emprunté, toutefois, aux vingt années passées dans la proximité de Louis-René des Forêts, sur lesquelles j’ai écrit par ailleurs un témoignage au premier degré, Journal d’apprentissage (CRAL-CNRS, 1994), republié sous le titre paradoxal de Louis-René des Forêts, roman, chez Verdier, « Farrago », en 2000.
  • [34]
    Benjamin Jordane, Toute ressemblance…, Seyssel, Champ Vallon, « Recueil », 1995.
  • [35]
    … et très sérieux, mais toujours à côté, comme par un fait exprès.
  • [36]
    Présence de Jordane, Seyssel, Champ Vallon, « Recueil », 2002.
  • [37]
    Jordane et son temps, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque de l’Université de Dijon, notices de Jean-Benoît Puech et Yves Savigny, Paris, P. O. L, 2017.
  • [38]
    Roger Martin du Gard, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque Nationale, notices de Florence Callu et Françoise Bléchet, Paris, Bibliothèque Nationale, 1981. Autre modèle : le catalogue de l’exposition Valéry Larbaud, sa vie, son œuvre, intitulé Valéry Larbaud, 1881-1957, naturellement réalisé sous l’égide de Monique Küntz à la Bibliothèque Municipale de Vichy en 1977, pour le vingtième anniversaire de sa mort.
  • [39]
    Yves Savigny, Une biographie autorisée, Paris, P.O.L., 2009.
  • [40]
    Jordane et son temps, op. cit., cahier iconographique, p. III.
  • [41]
    Ibid., p. VIII.
  • [42]
    On ne peut parler de mensonge de la part de l’auteur, dans la mesure où sa vie et sa personnalité fallacieuses sont un pur produit du désir du lecteur. Mais dans le cas de Karl May, il est possible que le romancier populaire allemand ait ajouté, à ses aventures telles qu’on imaginait qu’il les avait vécues lui-même avant d’en publier des transpositions encore plus romanesques, des récits trompeurs au premier degré, lors de conférences pour un public enfantin avide de légendes incarnées. Il portait volontiers de fabuleux costumes de pionnier du far West, se faisait photographier avec la fameuse carabine Henry de son héros et avait entièrement décoré sa maison de trophées supposés rapportés de ses chasses lointaines. (Sur Karl May, très peu d’études en français. Cf. Matthieu Letourneux, Le Roman d’aventures, 1870,-1930, Limoges, Pulim, « Médiatextes », 2010 et Rocambole n° 63, Ulrich von Thüna (dir.), été 2013. Innombrables en allemand, et film de Syberberg en 1974). Pierre Loti aux mille déguisements n’alla jamais si loin, qui voyagea pourtant souvent et pour de vrai. Quant à Mac Orlan, son pseudonyme, son couvre-chef écossais, ses leggins et son perroquet ne sont que des hommages plus ou moins enjoués à sa bibliothèque d’aventurier en chambre.
  • [43]
    Comme me l’ont suggéré, je les en remercie, Jean-Didier Wagneur dans un article de Libération (1er juill. 2017) et Sébastien Lemarchand dans une étude de La Revue littéraire (n° 72, mars-avril 2018).
  • [44]
    Charles Laughton, La Nuit du chasseur (d’après le roman de Davis Grubb), 1955.
  • [45]
    Ou « infimes » ? Illisible sur le manuscrit. (Note du dir.)
  • [46]
    Au sujet du contenu de ces fabulations, je me permets de renvoyer à mon livre Jordane revisité. Jordane était-il un imposteur ? Dans sa biographie « autorisée » (op. cit.), Yves Savigny banalise les fausses confidences que l’écrivain m’avaient faites, notamment lors de nos promenades dans la vallée de la Juine. Quant au processus de déconstruction de l’affabulation et de reconstruction romanesque, il me semble qu’il est donné en exemple dans un passage du beau livre de Jean-Claude Larrat. Il cite Malraux qui voulait « renoncer à vivre biographiquement ». Qu’entend par là l’auteur des Antimémoires ? Je cite à mon tour l’exégète : « C’est-à-dire renoncer à vivre en regardant sa vie comme si elle était celle d’un autre, celle d’un personnage de fiction romanesque » (André Malraux, op. cit., p. 168). Mon intérêt paradoxal pour cette formule augmente avec le temps.

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