Notes
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[1]
Primo, Editions du Seuil, 2005. Tous les romans de Maryline Desbiolles auxquels il sera fait allusion dans ce travail sont aux éditions du Seuil, à l’exception de Manger avec Piero, Mercure de France, 2004, Une femme drôle, Éditions de l’Olivier, 2010.
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[2]
La scène, p. 53.
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[3]
Sans compter ce qui se passe à l’intérieur du texte même. Dans son article « Le repas dans le roman du xixe siècle en France », Québec français, 2002, (126), pp. 36-42, Geneviève Sicotte montre que le repas chez Flaubert, Zola, Huysmans, devient un « véritable motif littéraire », et avec l’apparition du réalisme, une sorte de « passage obligé du roman ». Mais les romanciers se saisissent de la normalité codifiée du repas pour lui « injecter des significations nouvelles et plurielles », secouant ainsi l’ordre du dicible et du représentable, (p. 37).
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[4]
Entretien de Maryline Desbiolles recueilli par Dominique Vaugeois pour la Revue critique de Fixxion française contemporaine, n° 8, 2014.
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[5]
N’est-il pas question, dans la peinture, de « cuisine », de « croûte », et même de « recette » (à propos de Cennini qui expose de façon concrète sa façon de faire dans son traité de peinture (1437), G. Didi-Huberman, La peinture incarnée, Minuit, 1985, p. 23. On se souvient des métaphores filées dans leurs écrits artistiques que les naturalistes Zola, Huysmans, Goncourt puisent dans la nourriture et la cuisine (le « bon » et le « mauvais goût », le « léché », le « sang » de la vie, l’Art qui use de « recettes ») à propos de la création littéraire et picturale. Et la « nature morte » n’est-elle pas d’abord « peinture de table » ?
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[6]
Entretien de Maryline Desbiolles avec Jérôme Goude, Le Matricule des Anges, n° 93, 2008.
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[7]
La madeleine ou le bœuf en gelée de La Recherche, le banquet de La Peau de chagrin, Zola et ses Écrits sur l’Art, Flaubert dont les métaphores alimentaires à propos du style sont bien connues, tant dans son œuvre que dans sa correspondance, la liste semble infinie des écrivains pour dire le travail de l’écriture, tant nourriture et écriture obéissent à une même transformation. Voir les analyses de J.P. Richard à propos des métaphores alimentaires et de la voracité flaubertienne dans Littérature et sensation, Seuil, 1954 (« La création de la forme chez Flaubert »).
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[8]
Voir les Mythologiques de Cl. Lévi-Strauss.
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[9]
Y. Verdier, « Pour une ethnologie culinaire », L’Homme, revue française d’ethnologie, 1969, t. 9-1, p. 49-57, (p. 51).
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[10]
Dans Le goinfre, à propos de Bari où fuit le narrateur, l’écrivain interroge « son b de basse, son b d’obscur, d’oubli, son b de bouche, de bocca » (p. 23).
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[11]
C. Lévi-Strauss, Les Mythologiques, III, L’origine des manières de table.
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[12]
Dans ses Écrits pour voir, « Le roi est à la plage », L’Atelier contemporain, Dessins de Bernard Pagès, 2016, p. 73. Ce que MD dit de l’état d’esprit des Niçois pour répondre à la malveillance attachée à leur ville, s’applique à son écriture. À l’angoisse de la mort, répondre par la « mascarade » et une forme de légèreté.
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[13]
Analysant l’acte alimentaire chez les romanciers du xixe siècle, G. Sicotte l’envisage sous l’angle de la dynamique sacrificielle, faisant remarquer par exemple que chez Flaubert « la violence larvée est au cœur du rite prandial » et que le cannibalisme peut prendre des formes modernes (cannibalisme symbolique de la pièce montée du mariage d’Emma, « objet sémiotique autant qu’alimentaire », avec sa victime et la victoire de l’utilitarisme bourgeois sur l’idéalisme romanesque »), art. cit., p. 42.
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[14]
« Car si la phrase vaut quelque chose c’est de porter en elle le rire et l’obscurité » écrit-elle dans Une femme drôle, p. 54.
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[15]
Avec Jérôme Goude, art. cit.
-
[16]
Freud voyant l’émergence de la pensée dans les objets affirmés ou écartés (Gérard Haddad, Manger le Livre, rites alimentaires et fonction paternelle, Fayard (« Pluriel »), 2010, p. 49. Lévi-Strauss montrant la cuisine comme activité intermédiaire entre la nature et la culture, et servant d’argument à la pensée pour exprimer des oppositions fondamentales. (Y. Verdier, art. cit. p. 50), Lévi-Strauss voyant aussi la cuisine d’une société comme un « langage », décelant des attributs symboliques à l’aliment, ou le rite alimentaire comme un « mythe pétrifié, une « parole gelée ». Gérard Haddad, op. cit. p. 71.
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[17]
Mona Ozouf, Les mots des femmes, essai sur la singularité française, Fayard, 1995, p. 267.
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[18]
Manger avec Piero, p. 12-13. On trouve aussi cette métaphore dans les dernières pages : « je croirai jusqu’au bout, sinon que le restaurant va prendre feu, du moins qu’il arrivera quelque chose. » (p. 25).
-
[19]
René Démoris, Chardin, la chair et l’objet, éditions Olbia, 1999, p. 36.
-
[20]
Entretien avec J. Goude, art.cit.
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[21]
G. Bataille, La Littérature et le Mal, Gallimard (Folio/essais n° 148), 1995, p. 52.
-
[22]
Entretien avec J. Goude, ibid.
-
[23]
René Démoris, « Chardin ou la cuisine en peinture », Dix-huitième siècle, n° 15, 1983, pp. 137-154, (p. 148).
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[24]
G. Didi-Huberman, L’image ouverte, Gallimard, 2007, p. 58.
-
[25]
M. Desbiolles, Valloton est inadmissible, 2013, p. 19.
-
[26]
Tout en rendant hommage aussi au poète Denis Roche (La poésie est inadmissible) qui fut son premier éditeur. Écrits pour voir, Éditions L’Atelier contemporain, 2016, regroupe l’ensemble des textes écrits par Maryline Desbiolles sur l’art, parus dans diverses revues ou catalogues.
-
[27]
La couleur est de la chair, la chair est de la couleur, comme le laissaient entendre les mots terrifiants de L. Dolce à propos de la peinture du Titien : « Je crois que dans ce corps Titien a employé de la chair pour des couleurs », G. Didi-Huberman, La peinture incarnée, Minuit, 1993, p. 21.
-
[28]
Entretien avec D. Vaugeois, art. cit.
-
[29]
Dans une lettre fictive de Chardin à son fils, Alice Dekker, La petite table rouge de Chardin, arléa, 2012, p. 30.
-
[30]
D’ailleurs, la référence à la nourriture est pratiquement absente des trois romans qui ne sont pas d’autofiction mais de fiction, Le Beau Temps (2015), puis Rupture (2017) et Machin (2019) parus chez Flammarion., En tout cas, elle n’est pas chargée d’autant de symboles.
-
[31]
La scène, p. 61.
-
[32]
À l’incipit de Manger avec Piero.
-
[33]
Manger avec Piero, p. 9.
-
[34]
Propos de M. Desbiolles, dans la quatrième de couverture de La scène.
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[35]
R. Démoris, Chardin, la chair et l’objet, p. 53.
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[36]
Voir l’analyse de J.-P. Richard « Un roman cantorien ? sur La Scène de M. Desbiolles », Littérature n° 164, décembre 2011, p. 71 à 82.
-
[37]
Il y a un même imaginaire de la table à l’œuvre dans le court essai de P. Michon Tablée, qui dans son analyse d’un tableau de Manet met en relation la table profane et la tablée fondatrice, « la table archaïque où l’on a partagé le pain, la Grande Tablée de Judée, la Sainte Cène où l’on a communié. Toute table rassemblant les hommes en fait briller le souvenir » écrit dans son avant-propos Agnès Castiglione, L’Herne, 2017, p. 15.
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[38]
La seiche, p. 23.
-
[39]
Entretien avec Dominique Vaugeois, art. cit.
-
[40]
Les draps du peintre, p. 142
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[41]
J.-P. Richard, art.cit. p. 74.
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[42]
Et comme le note l’écrivain au cours d’un entretien, « le linge revient de façon constante dans mes livres » Entretien avec Jérôme Goude, art. cit.
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[43]
Flaubert écrivant à L. Colet à propos des « détails » qui ne doivent pas faire perdre de vue l’ensemble : « Les perles composent le collier, mais c’est le fil qui tient le collier. Or, enfiler les perles d’une main sans en perdre une seule et toujours tenir son fil de l’autre main, voilà la malice. » Lettre du 26 août 1853, Correspondance, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade II, p. 417.
-
[44]
« Nous partageons la table, […], tavola, le même mot désigne le bois de la peinture sur bois […] », Manger avec Piero, Mercure de France, p. 21. Je renvoie à l’essai de Ph. Hamon, Rencontres sur tables et choses qui traînent, Droz, 2019, lorsqu’il signale que « table et tableau ne constituent pas seulement un jeu de mots synonymes. Selon V. Stoichita (L’Instauration du tableau, Droz, 2017), la table comme motif de la nature morte picturale, contribuerait historiquement à la promotion et à l’« instauration du tableau » comme unité autonome et autoréférentielle de l’art. », (p. 75).
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[45]
La scène, p. 117. Ce retable m’évoque le titre du roman de Claude Simon Le Vent, tentative de restitution d’un retable baroque, et je rapproche à nouveau ces deux écrivains dans leur luxuriance scripturale baroque (la fameuse théorie des ensembles développée par C. Simon dans La Fiction mot à mot), leur fascination pour la peinture et leur désir de tout mettre sur le même plan : ce que peut la peinture et que recherche l’écriture.
-
[46]
G. Didi-Huberman, L’image ouverte, p. 344.
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[47]
Dans un entretien accordé à la revue FIXXION, elle dit avoir retenu de La Légende dorée lue enfant que le corps aimant et désirable est un corps souffrant, ce que montre toute la peinture occidentale.
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[48]
J. Isolery, « Christ », Dictionnaire Claude Simon, tome I, p. 188.
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[49]
Les draps du peintre, p. 142.
-
[50]
Entretien avec Jérôme Goude, art. cit.
-
[51]
Valloton est inadmissible, p. 36.
-
[52]
Primo, p. 136.
1Sait-on ce qui décide d’une recherche ? un détail insolite, et voilà que l’attention est retenue et l’imagination en mouvement. À la fin de Primo, roman de Maryline Desbiolles [1] consacré à la recherche du corps introuvable d’un enfant, le détail d’un gâteau feuilleté (une sfogliatelle napolitaine) que mange la narratrice après ses recherches vaines dans le cimetière de Turin, éveillait ma curiosité par son étrangeté narrative. Même si nous savons que la nourriture est au fondement de la vie et de l’humanité et qu’elle accompagne les mystères de la vie et ceux de la mort, comment analyser dans l’écriture le geste de se nourrir, qui semble si désinvolte au sortir d’un texte aussi tragique ? D’autres titres de romans du même auteur confirment qu’il ne s’agit pas d’un seul détail, et parlent d’eux-mêmes : La seiche (1998, tout un roman dédié à la fabrication d’un repas ?), Le goinfre (2004), Manger avec Piero (2004), La Scène (2010, qui évoque bien sûr une autre Cène). Sans compter tout ce qui bout, ce qui cuit dans les chaudrons de Maryline Desbiolles, tous ces « appétits mélangés » [2] à l’œuvre dans les romans. Sans oublier les métaphores alimentaires pour décrire la lecture (la « nourriture » de l’esprit), ou faire remarquer dans la langue ce qui relie les mots et la nourriture : on « dévore » un livre, de même qu’on ne « mâche » pas ses mots, ou que l’on parle « cru ». Ou encore ces processus de lente élaboration intérieure pour dire le travail d’écriture de celui qui « absorbe » et « rumine » tout ce qui se presse en lui avant de le traduire dans un livre [3]. Sans parler de la mémoire, et l’écrivain en dit quelque chose à propos du nom du peintre qu’elle ne voulait pas nommer au début d’un livre en train de s’écrire (Les draps du peintre, 2008), ce nom de Pincemin qu’elle a oublié en route, qu’elle a « mangé » [4]. Mais ce n’est pas tout. Il y a chez cet écrivain une manière de penser la peinture, de regarder la peinture et d’écrire sur la peinture qui n’est jamais très éloignée de la nourriture [5], du corps, de l’incarnation, du regard qui « absorbe » ou « dévore » des yeux. En témoigne donc le titre du court essai, Manger avec Piero, ou encore, toujours à propos de Les draps du peintre, l’entretien accordé au Matricule des Anges dans lequel l’écrivain rappelle que : « L’écriture est un matériau. Elle est très liée au corps, le corps du texte, les corps en typographie. […] Je pense que les mots n’ont rien d’abstrait. Les mots sont la chair du monde. Une chair à triturer, malaxer, toucher, caresser, bouffer, renifler. Cela relève d’une envie de faire corps avec le monde et, dans le cas de Pincemin, de faire corps avec la peinture. On ne peut pas ne pas en passer par là. Par le corps, son ingestion. Il faut bouffer de la peinture pour la comprendre, la prendre avec soi, tout en sachant qu’on n’aura jamais barre sur elle. » [6] En somme, ce qui se passe entre la sensation, la peinture et l’écriture serait une affaire de langue, et de regard. Et donc ce goût des choses à préparer, ce goût des choses à dévorer des yeux ou de la bouche, comment s’étonner qu’il entraîne le goût des mots et des histoires… Mais… attention à la fadeur de ce mot « sensation », écrit-elle, si fade qu’il faudrait le dessiner « avec la netteté d’une arme blanche et qu’il nous pique entre les côtes. Que la sensation nous vide de l’épaisseur de notre sang. » (La seiche, p. 104) Nous voilà prévenus ! Il fallait donc questionner ce qui se joue dans les romans de cet écrivain, entre le corps, le regard, les rêveries alimentaires et les métaphores culinaires, la question de la chair, du sang, du désir, de la sexualité, violence et mort, tout à la fois. On sait à quel point la nourriture a inspiré les écrivains [7], mais ce qui se passe ici semble mettre en jeu quelque chose d’autre. C’est donc plus qu’un parcours du sensible qu’il fallait regarder de près, en questionnant dans les romans de Maryline Desbiolles, les liens intimes reliant ensemble la table, le tableau, et « la chair du monde ». Des liens qui, plus qu’un motif, forment un véritable nœud sémiotique.
Cuisiner, transformer, écrire
2Que vient donc nous dire cette référence fascinée et quasi constante à la nourriture dans les romans de MD, qui plus est lorsqu’elle nous installe à l’intérieur même de la cuisine (La seiche) où elle met en œuvre une recette, chapitre après chapitre, coupant, réservant, hachant pour transformer les petits corps blancs des mollusques en seiches farcies ? la préparation de la nourriture reste un phénomène commun à toutes les sociétés, lié à toutes les cultures et qui modèle tous les rapports humains [8], mais c’est le processus de transformation qui me retient d’abord ici : « On ne transforme jamais autant que lorsqu’on cuisine » (La seiche, p. 19). Si l’on peut définir une recette de cuisine « comme le processus de transformation que l’on fait subir à un matériau reconnu comme mangeable afin qu’il puisse être ingéré » [9], ce qui se passe dans cette transposition, cette fabrication que l’on appelle écriture (une transformation de substance, de matière souvent biographique) permet de comprendre ce qu’il y a, pour l’écrivain, de si fascinant dans le culinaire qui peut reprendre à son compte tout ce qui passe dans la langue à travers l’oralité (la bouche os, oris avant d’être bucca [10]), la langue dont elle donne à lire la charge érotique et la puissante force d’évocation des mots triturés, malaxés, à l’image des aliments dépecés, ouverts, ébouillantés pour être transformés et goûtés. Cuisiner, écrire, tout est intimement mêlé (« il me faut hacher, hacher tant que je peux tout ce qui finit par nous séparer, pour trouver un peu de jus qui gicle, ce jus qui baigne les mots encore à naître, ce jus d’avant les mots », La seiche, p. 38). Ce style si particulier, si énergiquement travaillé (« il me faut hacher »), l’est aussi par tout ce qui échappe aux codes policés, aux règles normatives ou rituelles imposés à l’alimentation et la cuisine par les manuels de savoir-vivre et les manières de table [11] (« serions-nous dressés ? », La scène, p. 90). Et en premier lieu en s’affranchissant de tout ce qui est convenu. Car il faut bien « ridiculiser ce qu’on craint. En premier lieu la mort, n’est-ce pas ? » (La seiche, p. 25). Aussi le comique et le tragique s’enlacent dans le dérisoire, car ne vaut-il pas mieux « tirer la langue, se peinturlurer, s’en tenir à la farce, vanter la chute des corps plutôt que célébrer la rigor mortis inscrite dans la pierre » [12] ? ou décrire une poule « posée telle quelle dans la casserole […] », avec tête et bec, « dont la crête rutilante nous fait penser à la mort que la cuisine doit en principe maquiller pour la rendre comestible » et « lui clouer le bec » ? Sinon, elle « risque de nous rester en travers du gosier. » (Les draps du peintre, p. 70). Comme si, sous l’étouffoir de la norme, rejaillissaient par les effets du roman, le pulsionnel, le fantasmatique, l’excessif, voire le transgressif, MD montrant dans ce motif de l’alimentaire tout ce qu’il charrie toujours d’indécent, de subversif, ou de violence primitive, souterraine et cachée [13]. En quelque sorte, l’envers du tissu socialisé, le dessous des cartes. Et par ailleurs, qu’est-ce qui, mieux que les images alimentaires, violentes ou voraces, burlesques ou pleines d’un humour sombre [14] propre à MD, peut rendre compte de ce qui se joue dans le roman, montrer la fonction vitale du style, ou la lutte permanente de désir et de mort d’où émerge un texte ? « Si l’écriture ne parle pas avec ce qui est en marge, si elle ne chemine pas avec cette parole non policée, à quoi bon ? » dit-elle au cours d’un entretien [15]. On ne s’étonnera donc pas de lire dans La seiche cette remarque révélatrice : « J’ai toujours été en arrêt (comme si précisément je n’arrivais pas à l’avaler) devant la frontière entre les surfaces polies et celles criblées de saillies » (p. 20) que fait naître le contraste du corps blanc de la seiche avec son « chapelet des ventouses agrippé à sa chevelure. Toutes ces cloques, ces bouffissures alors que le corps est lisse, uniformément lisse » (p. 20). Il semble que nous soyons là précisément devant la place que se donne l’écrivain, lorsqu’elle secoue les codes pour laisser entrevoir ce qui se passe sous les surfaces trop polies et bienséantes, préférant chercher ce qui se passe dans l’irrégulier, le baroque, l’excès, le tumulte des choses. Freud puis Lévi-Strauss dans leurs analyses des rites alimentaires ont bien montré la puissance de la pulsion orale originelle à jamais présente, tant elle participe du mode de rapport du sujet à ce qui l’entoure [16]. Or, tous ces rites ou mythes fondateurs ont montré, en même temps que la force d’emprise de l’alimentation dans la vie humaine, que nous n’entretenons pas un simple rapport de besoin avec les aliments. L’oralité est non seulement intimement liée à la vie et à la mort (puisque nous mangeons pour ne pas mourir), mais au sacrifice, à la violence, à la sexualité. Nourriture et sexualité affectant le corps dans une même métaphore de la faim, de l’ingestion, de l’incorporation d’aliments ou de corps étrangers (Y.Verdier, p. 53). On le sait bien, « la nourriture est l’emblème de tous les attachements humains. Tout ce qu’aiment les hommes, ils voudraient le consommer : chaque désir, chaque rêve, chaque amour est cannibale. » [17] On ne saurait mieux dire, à la lecture des romans de MD.
De l’oralité
3Cuisiner, manger n’est pas donc pas un acte aussi simple qu’il y paraît, car nous mangeons et buvons pour tenter de faire « la nique à la mort » (La scène, p. 19), nous avons l’appétit de la vie qui s’appelle désir, ardeur de vivre, qui prend vie dans le corps qu’il veut combler. Qu’était cette sorte de « désir extrême de manger » une seule fois avec François d’Assise qu’avait exprimé sainte Claire, un désir si ardent qu’une fois exaucé, les Fioretti nous apprennent que les gens virent le couvent et les bois alentour en feu, mais en s’approchant ne découvrirent rien d’anormal ? [18]. Et celui qui se lit autour de la nappe de la table dans le tableau de Dirck Hals (La table champêtre au dais rouge) qui « appelle le drap où les corps débarrassés de leurs rubans s’entre-dévoreront » (La scène, p. 99) ? Ce désir peut prendre des formes bien violentes, déjà dans la pulsion orale, si l’on admet avec Freud que cette pulsion ne s’inscrit pas seulement dans le registre exclusif du besoin nourricier, mais de son compagnonnage avec la sexualité, dans celui de la violence ou même de la mort lorsque rien n’est jamais apaisé, lorsque rien n’est jamais rassasié. Sensualité, jouissance de l’œil et des papilles mais aussi sexualité, violence, mort habitent la cuisine. Tout y est réveillé par les sens, exacerbé par les odeurs, les couleurs, les formes, qui font affluer à la mémoire tout ce qui s’y presse et met les « souvenirs en bouche » (La seiche, p. 34). Et en effet, il se trame de drôles de choses dans les cuisines ou les romans de MD : que ce soit l’éphémère préparation d’un repas ou l’évocation d’une fête familiale, d’un banquet, tout est prétexte à laisser jaillir l’imaginaire, à faire surgir souvenirs personnels terrifiants, incompréhensibles ou angoissants, de lectures, d’histoires fantasmatiques ou poétiques, sollicités par les corps des aliments, les couleurs ou les odeurs puissantes n’ayant pas cours dans les contes pour enfants. Ni pain d’épices ni bonbons, ni douceurs dans les romans de MD, lorsqu’il arrive qu’en même temps que le goût des choses, se réveillent aussi fantasmes amoureux ou pulsions violentes, ramenés dans les filets de la mémoire. Ogres, ogresses, sorcières de contes de fées les déchaînent, telle la violente cuisinière à la poivrière d’Alice au Pays des Merveilles évoquée dans La seiche (p. 49) ou la couturière regardant « avec gourmandise » la petite fille « comme si elle se promettait un festin délicieux » (p. 92). Regarder le petit corps blanc d’une seiche déjà « grevée d’histoires, de légendes et d’images » (p. 24) réveille le souvenir et le trouble éprouvé par la narratrice enfant devant la chevelure ondoyante de la seiche qui appelle les histoires « tirées par les cheveux », (p. 94), flottant dans les eaux d’un musée océanographique, son trouble devant ce corps indéfinissable « qui palpitait, […], les tentacules et les ailes et surtout le trou que j’identifiais peut-être à tort comme celui de sa bouche » (p. 9). Trancher ses cheveux pour les besoins de la recette « comme ceux d’une tête renversée, ballant hors du lit, basculée dans le blanc sommeil d’après l’amour » (p. 19), en veillant à ne pas « déchirer » le corps (p. 7)) en éveille un autre. Que l’intérieur d’une cuisine et ce qui s’y passe, ramène à l’intérieur du corps, d’un corps « ouvert » ou regardé, les premières pages de La seiche nous y renvoient qui établissent un parallèle entre la découverte enfantine de la sexualité d’un corps animal (la seiche du musée océanographique) et celle du corps humain (l’enfant opérée de l’appendicite) prenant conscience de sa sexualité à travers la révélation de ses organes génitaux lors d’une opération. Ce dont il n’est pas « bien séant de parler » est exposé ici, comme si la préparation d’un repas permettait de « transgresser les inhibitions et les interdits les plus archaïques » [19] et de regarder à l’intérieur des corps. Sexualité, dévoration font partie d’une fantasmatique de l’oralité, d’où la mort n’est jamais éloignée : « La goinfrerie me tenait lieu de passion » dit celui qui a fui le meurtre commis sur la femme trop désirée (Le goinfre, p. 58). Et quelle autre métaphore que celle de la goinfrerie, la gloutonnerie, pourrait mieux montrer dans son excès, le parallèle entre sexualité et nourriture, ces deux besoins fondamentaux, l’appétit sans limites ou l’appétit sexuel, que l’on retrouve souvent associés de façon exacerbée dans la fête, le repas, le banquet (pourtant censés régler les rapports entre les humains et les relier dans un pacte social). Or, que dire de ce pacte social brisé, dans le fantasme du repas de vernissage de la Scène, les pulsions violentes mises à nu, la violence primitive des premiers temps de l’humanité refaisant surface ? la consommation prenant alors les formes du viol, les tables « dégoulinantes de restes de nourriture, de sauces, poisseuses de gâteaux, dégouttantes de tout ce mélange infâme, cette bouillie d’où émergent des os, de la viande accrochée à eux, et au bout du compte le plus répugnant d’entre les reliefs, trop évocateurs du vivant, de nos propres os, et de notre cannibalisme, et de plus en plus lorsque je mange de la viande, je pense à la bête que j’ai sous les dents […] » (p. 75). Ainsi notre propre animalité nous est-elle rappelée dans la violence de l’acte alimentaire, la relation mortifère désignée. Mais il y a plus : ce qui s’expose ainsi et met mal à l’aise, est « ce qui a été caché depuis tout temps, ce qui est enfoui comme le déchet », « désormais exposé aux yeux de tous » [20], c’est le pouvoir de la langue, ce que peuvent les mots dans la liberté que leur donne l’écrivain. Cette langue, lingua, désignant aussi bien celle de l’orifice buccal que celle qui parle et s’exprime dans l’écriture, prise à partie dans les romans (la jeune femme du banquet de La Scène tirant une langue obscène (p. 72), la vieille femme impatiente de manger, sortant à « intervalles réguliers » une langue épaisse et raide comme celle d’une tortue, (p. 38), « la langue entre les lèvres » du jeune mort sur la route, (p. 40). Une langue chargée métaphoriquement. Chargée de ramener à l’essentiel de ce que nous devons connaître, d’en dire le « tumulte », d’en dégager « le sens », de ramener violemment par le détour de l’art « ces éléments que nous voulons éliminer de notre vie », et qu’un instant il nous est permis de dépasser [21]. En somme, une écriture du défi. Car malmener la langue, lui faire « rendre gorge, n’est-ce pas une façon de la posséder amoureusement ? ». Et, « qu’est-ce que la visée de la peinture, de la littérature, sinon celle-là ? » [22]
4« Parfois il me semble que la cuisine me délivre un peu de la violence. » (La seiche, p. 107) dit la narratrice, et l’on peut s’interroger sur le sens à donner à ce verbe, « délivre » au sens de libérer ? ou au contraire d’en rajouter ? Se nourrir ou préparer un repas nous ramènerait-il « aux couches les plus primitives de la psyché […] » [23] ? Ce qui se trame dans l’ombre des cuisines ou des fourneaux implique la mort des choses animales, végétales. Si nous mangeons pour ne pas mourir, « cuisiner c’est manger la mort » (p. 25). Tous ces corps sacrifiés que nous mangeons, « Toutes ces chairs mortes. Ces cris, ces souffrances enfouies dans la sauce. Piquetés d’herbes délicates et odorantes. Aillés. Étranglés sous la langue. » (p. 19), tout ce qui remue et qui vit, nous sert donc de nourriture, « livrés entre nos mains » selon les paroles bibliques (La scène, p. 76). Mais, ce qui dérange dans ces animaux mis à mort, « seule nous le montre la peinture » (ibid.) dans son étrangeté, bien plus saisissante à regarder (le cochon écartelé du tableau d’Adrien Von Ostade, Haarlem, 1643, p. 77) que les pensées que nous pouvons éprouver à manger ce que nous cuisinons (le petit cochon de lait préparé pour un repas familial, « adorable », comme un bébé cuit au four (p. 79). Nous mettons à mort des choses crues et vivantes, au contraire de la peinture qui cherche à donner l’apparence de la vie. De la même façon que MD nous montre l’envers des mots et de la langue, elle sait nous montrer celui des images, scruté par un regard troublé, ou mieux, un regard qui dérange et inquiète l’ordre donné des choses. Parce que le « monde des images n’est pas seulement fait pour nous montrer la « belle face » des choses. Sa puissance consiste bien plutôt à critiquer, à ouvrir cela même qu’il rend visible. A nous faire regarder toute chose selon sa double face, voire son double fond, l’inquiétant qui se trouve juste sous le familier, l’informe qui surgit lorsqu’on décide de refendre l’apparence. » [24]
De la table au tableau
5Cette écriture sans concession trouve son équivalence dans les tableaux du peintre Valloton dont la peinture est sans « négociations » ni « entremises doucereuses » [25], à laquelle MD rend hommage dans la perspective d’une exposition à l’automne 2013 avec Valloton est inadmissible [26]. La violence lisible dans la chair des choses et des mots, MD la voit en peinture, lorsqu‘elle regarde la Nature morte aux poivrons rouges (1915) de Vallotton, dont la lame du couteau au manche noir sur la table laquée de blanc « est sanglante comme si elle avait été plongée dans la chair des poivrons. Et plus sûrement dans la peinture. » (p. 19.) « Regarder un Valloton, regarder est violent » (p. 41). Parce que sa peinture ouvre non seulement sur la boucherie de la guerre (voir la date du tableau) mais sur un « gouffre ». Maryline Desbiolles est comme Félix Valloton, elle « n’y va pas par quatre chemins » (p. 24), et sous le visible de la peinture, elle n’hésite pas à sonder l’invisible, à imaginer le « gouffre », le trou noir, la sauvagerie, les pulsions violentes, tout ce qui est caché. Et tout ce que l’on cache. Qu’y a-t-il dans le regard sombre, trop sombre de la petite fille du tableau Dîner, effet de lampe peint en 1900 (La Scène, p. 44), dont l’écrivain note encore ailleurs le « regard de braise » (Valloton est inadmissible, p. 40). Devant Le déjeuner de Monet, est-ce la violence ou le malaise suscité par la blancheur, qui habite le regard porté sur le petit enfant blond devant son assiette avec un linge blanc autour du cou ? linge qui n’est peut-être là, se demande la spectatrice troublée par la chaise vide du père (est-il en train de peindre cette jolie scène ou en train d’aiguiser son grand couteau d’ogre ?) que pour éviter que le sang ne jaillisse partout et ne tache le blanc du tableau (La Scène, P. 78). Pourquoi cette violence dans le regard porté sur les choses ? C’est que, sous les pulsions, la violence et les fantasmes, une même idée d’ingestion, de dévoration (couleurs et matières), est à l’œuvre, il y a toujours meurtre et violence dans la création, un même acte « incisif » dans l’acte de peindre comme d’écrire, une même inversion de matières [27], une même transgression. « Regarder et écrire, pour moi c’est tout un. Je crois aussi de plus en plus que j’écris comme un peintre, sans savoir exactement ce que cela veut dire. » [28], confie MD, lorsqu’il s’agit de ramener sur la blancheur du papier les émotions des corps, le « sang » de la vie ou celui de la mort, comme sur la toile l’incarnat de la peau, ou plus profondément, ce qui est sous la peau, cette chair du monde aussi difficile à capter en peinture que dans l’écriture, dans son désir d’exprimer la vie. De la difficulté d’écrire, lorsqu’elle est dans « le livre, ce peu d’épaisseur du commencement du livre » qui deviendra Les draps du peintre, M. Desbiolles use d’une drôle de métaphore, lorsqu’elle se demande s’il ne lui faut pas observer chaque carré de l’ensemble du tableau épinglé dans son bureau qui montrerait peut-être ces « mille choses », écrit-elle, « circonscrites au carré, confinées, serrées comme les petits moutons qui attirent le loup, sa goinfrerie magnifique, les yeux beaucoup plus gros que le ventre, les yeux dévorant », car « les mille choses ne seraient sinon que mille choses éparses, […] » (p. 27). L’écrivain serait un loup, un goinfre qui veut tout saisir, avaler, digérer dans son entreprise d’écriture ? Il faudrait regarder un carré de peinture, se tenir dans ce carré, tenter d’écrire ce livre qui résiste et fait battre le « sang » (p. 28) ? Regarder est une expérience de tous les sens, écrit-elle dans Manger avec Piero, « rien ne remplace d’éprouver la peinture avec ses yeux », le corps « requis en entier par elle » (p. 22). Et c’est sans doute là ce qui montre au plus juste le rapport de l’écriture de MD à la peinture, elle qui sait éprouver, regarder et chercher dans la couleur des mots et dans celle des choses, dans l’expérience de choses vues (tableaux ou objets réels) tout ce qui se presse dans la vie secrète des choses et des mots, pour leur rendre non seulement une vie silencieuse mais une chair. Que l’on pense au tableau La raie de Chardin dans lequel son temps voulait déjà voir une figure humaine [29], au mystère de ce tableau dont Chardin lui-même sentait la violence, l’indécence, l’insolence, lui qui l’avait peint. Quoi de plus humble, donc, qu’une seiche, sauf à en décrire la blancheur du corps et le noir en amande de ses yeux que l’on n’oubliera pas. Ou l’anthropomorphisme des poivrons rouges, ces petits corps dodus à la chair rouge juste « écorchés » à la sortie du four, qui sentent si bon que leur odeur « réveille les morts » et que revient le souvenir des deux jeunes morts accidentés sur le bord de la route. « Nous ne passerons pas à table, tous les trois ensemble, morts et vivante. » (La scène, p. 102).
Ensemble de tables
6On sait que la nourriture est liée à l’interrogation sur soi, et qu’elle entretient un rapport plus qu’intimement lié au corps et à l’identité [30]. Et sans doute ce rapport à la nourriture dans les romans de Maryline Desbiolles, les métaphores qu’elle rend sensibles, sont-ils à chercher dans le regard éloigné porté sur la cuisine pourtant « couturée » des cicatrices de la vie, des enfants morts, de l’exil, de la mélancolie [31] de la grand-mère italienne en Savoie (« L’Italie me donne faim » [32]), lieu enchanté de « formidables banquets » qu’elle préparait « avec une « fièvre ardente » [33], pour « ne pas mourir à notre tour » (la scène, p. 61). Une cuisine qui ferait lien entre la table et le tableau (tavola), « parce que c’est en Italie que nous avons appris à regarder les tableaux » [34]. Et, dans le regard porté sur les tables nappées de blanc des romans, sur ces « Drôles de festins censés célébrer les grands moments de la vie » et qui nous rappellent en réalité « notre fin prochaine » (La scène, 19), dans cet acte de se nourrir au fondement de la vie, dans cet acte de transformation de la cuisine, n’y a-t-il pas toujours la survivance du principe vital des paroles de la Cène ? Car tout banquet, toute tablée drapée de tissu, « renvoie directement « au thème évangélique de la chair » [35], rappelant l’éphémère de la vie, de l’instant, que la peinture expose dans les tables nappées de blanc des tableaux, cachant sous la vie silencieuse des choses représentées un dialogue muet avec la vie et la mort. Prenons La scène, ce roman dont MD éclaire la poétique en le plaçant sous les auspices de la théorie des ensembles et du mathématicien G. Cantor [36] dans le prologue, puis le chapitre « Intersections » de son livre. Et voilà que la scène dont il est question va jouer sur bien des tableaux, tous les tableaux, ceux que Maryline Desbiolles met en scène précisément dans ce roman où tout commence par un regard : la vue de onze hommes attablés autour d’une longue table rectangulaire nappée de blanc et que la lumière éclabousse « comme une peinture » (p. 17) dans une trattoria de Ligurie, évoque pour la narratrice une autre table, tablée fondatrice [37], originelle, celle du dernier festin archaïque, ce drôle de festin, « la Cène où les convives apprennent que leur maître va être trahi et livré par l’un d’eux » (p. 19), cette scène si souvent représentée dans la peinture occidentale, avec la mort en arrière-plan. Comme nous en étions avertis, cette table fondatrice va appeler d’autres « ensembles de tables » (p. 69), d’autres souvenirs de festins célébrant les grands moments de la vie, souvenirs ou photos de famille qui nous permettent de dialoguer avec les morts, et souvenirs aussi de peintures regardées, dévorées des yeux, qui non seulement interfèrent comme dans les ensembles mathématiques qu’affectionnait l’écrivain adolescente (la Mathématique qui lui fit « entrevoir l’infini » (p. 117), mais mettent les choses à vif, posent des questions brûlantes, dérangeantes. Que faisons-nous lorsque nous mangeons ? Que trahissons-nous ? Et par exemple ce souvenir des images d’un banquet « peint pour le seul mort » (p. 86) sur les faces intérieures de la tombe du plongeur de Paestum suspendu dans son plongeon entre ciel et mer (« Peut-on penser la mort comme un suspens ? » (p. 87). Et comment regarder cette photo d’un banquet, restée en mémoire, une photo prise dans un jardin près d’un camp de concentration, mais qui respire « la joie de vivre » (p. 82) ? Et comment supporter les détails rapportés dans son journal de ce que le docteur SS Kremer avait mangé de délicieux à ses repas, entre deux dissections et prélèvements humains pour les nazis (p. 83) ? Et c’est sans doute ce qui est si troublant dans le regard porté sur la tablée de la trattoria, lorsqu’il engendre une rêverie mêlant si intimement la mort dans le vif de la vie : n’y a-t-il pas un peu de ce dernier festin biblique dans chaque repas festif que nous partageons ? « Drôles de festins censés célébrer les grands moments de la vie et nous rappelant ainsi à chaque fois un peu plus sinon notre imminente crucifixion, du moins notre fin prochaine » (p. 19). Et s’il arrive que la table soit quelquefois « de multiplication, mais pas de pains ni de poissons, la table est de multiplication des routes, du ciel, des nuages, de nos souffles, de nos appétits mélangés » (p. 53), c’est seulement à l’âge où tout est encore à dévorer, à l’âge où il semble que l’on puisse marcher « sur la grande table du monde » (p. 52), où chaque nappe blanche ne dépeint pas encore une vanité, à la manière hollandaise où tout est déjà et « toujours sur le point de faner » [38].
Nappes, draps, toiles
7Comment ne pas suivre dans l’œuvre l’ensemble que forme le textile (nappes, draps, linges, et toiles) englobant tout ce qui se passe sur ou sous les nappes, nappe protectrice du désir, du manège secret et érotique des pieds sous la table « brûlante » (La scène, p. 45), nappe de jeux et de fantasmes amoureux, blancheur mortelle du drap serré autour du cou de la femme trop aimée (le goinfre), blancheur du linceul recouvrant le jeune mort victime d’un accident de la route (La scène, p. 40), draps peints du groupe Support-surface comme ceux sur lesquels peignait J.-P. Pincemin, imprégnés de peinture, draps fictionnels dans lesquels l’écrivain-narratrice s’enveloppe « comme un suaire » [39], pour écrire ce « roman d’imprégnation plus que d’intimité » qu’elle lui consacre, draps qui gardent la trace du corps au travail, ou du corps en travail, toile du tableau « comme une peau » [40], linges « chargés d’en envelopper les moments les plus divers » [41], les corps des enfants, des amants, des malades, corps souffrants ou corps extatiques [42]. Et lorsque, à partir de ce regard porté sur une table de trattoria, puis du souvenir de ce regard (« Dans la gare où je pense à la véranda de la trattoria […] La scène, p. 27), l’écriture fait surgir l’évocation de nappes, de tablées et de tableaux, tout se côtoie comme les perles d’ambre d’un collier tombées sous la table mais vite retrouvées (La scène, p. 114) et le collier réparé (p. 117) [43], dans une tentative réussie d’inscrire sur la page comme le fait le peintre sur sa toile, les différents souvenirs affluant dans la mémoire. Tout étant tenu par le fil du collier que ne perd jamais de vue l’écrivain, et c’est peut-être dans cette tentative de ce que peut la peinture et que recherche l’écriture, qu’il faut d’abord comprendre le rapport si étroit que Maryline Desbiolles noue avec la peinture. Et le rapport privilégié de la table et du tableau n’exprime pas seulement ce qui se dévore des yeux et de la bouche, mais, comme le note l’écrivain dans La scène, est manifeste en italien, car tavola, la table, désigne aussi le support de peinture sur bois, dipinto su tavola (p. 45) [44], un « retable [45] » d’où le temps des horloges est absent, un « retable » qui recueille tout ce qui se bouscule dans la mémoire, mis en mouvement par une nappe blanche regardée dans un jardin planté d’orangers comme une toile de fond biblique.
Des pétales dans la bouche
8Nappe ou drap, la rêverie sur le linge qui protège et expose tout à la fois, qui s’imprègne des humeurs du corps vivant ou mort, qui garde l’empreinte des corps, traces du ça-a-été ou symbolique image du Saint-Suaire, traverse les romans. En particulier Les draps du peintre, ouvrage à propos duquel reviennent à la mémoire La légende dorée de J. de Voragine et les infirmités des martyrs reprenant le malheur du Christ devenu « plaie vivante — ou plutôt mourante » [46]. Comme les traverse la rêverie sur l’eucharistie, le principe vital des paroles de la Cène (ceci est mon corps, ceci est mon sang), la transsubstantiation ou ce souvenir d’enfance retracé dans Manger avec Piero (p. 17) de pétales sur la langue que mangent les enfants « pour de faux », mêlé à celui de l’hostie déposée sur la langue et accompagnée de mots murmurés et inquiétants (« le corps du Christ »), si souvent évoqué dans La scène, titre aussi d’un livret (Des pétales dans la bouche, 2011). Comme est évoqué le corps souffrant du Christ, ou celui du peintre Jean-Pierre Pincemin au corps tourmenté par l’artérite, au sujet duquel elle écrit. Eucharistie ou transsubstantiation ont à voir avec l’art. La transsubstantiation est sans doute l’un des épisodes religieux qui fascine le plus les écrivains. La figure christique de la Passion incarnant dans son corps supplicié, l’angoisse et la douleur des hommes devant la mort. Ce corps christique pourtant absent du spectacle des onze personnages de la trattoria de La scène est singulièrement présent dans l’écriture du roman, l’écriture de MD déployant autour des corps des rêveries christiques ou récurrentes parce que traumatisantes, « toujours les mêmes, où un jeune homme est martyrisé et pour cela grandement désirable. » (Les draps, p. 58). Ce corps baigné des larmes et des parfums de Marie-Madeleine, montrant à « ceux qui étaient là que |…] jamais ils n’avaient vu de corps si magnifique, de corps glorieux d’être aimé », ce « corps bon à choyer, bon à lécher, à manger de la tête aux pieds, le corps si fragile [47], soumis aux blessures, à l’indicible souffrance, au flétrissement, à la pourriture, et, pis encore, à la disparition » reprenant en lui tous les corps, à aimer, corps digne d’être peint, « d’être mangé des yeux et du reste » (La scène, p. 30). C’est-à-dire le pauvre corps humain, un corps « en qui s’incarne la douleur et sur lequel se projette l’angoisse existentielle des hommes, leur besoin de transcendance et de sens, voire leurs fantasmes » [48] et leur sensualité. Ou ces rêveries autour des « brûlures, les rigoles de sang, les cicatrices » (Les draps, p. 58), dont on ne cesse de retrouver l’étrange marque dans l’œuvre, comme une répétition de l’effroi causé par la mort annoncée du lapin que doit saigner le grand-père, le couteau, la soucoupe pour recueillir le sang, le « trou noir » de l’enfant qui s’enfuit pour ne plus voir le trou par où « le sang va gicler ou qu’il gicle déjà » (p. 23, Une femme drôle). Et entre ce rapport au corps (la nourriture) et à la sensualité, et le corps christique (l’incarnation de la douleur), il y a toute la dimension de la littérature, de l’art et du regard, tout ce qui nourrit non plus le corps, par les lois secrètes de transformation et de transsubstantiation, mais l’imaginaire. Toutes ces réflexions de MD forment le corpus sensible d’un texte, dont draps et nappes forment la toile (le tissu) du texte ou du tableau, « toile comme une peau » [49]), sur lequel elle écrit (selon la formulation de Barthes dans Plaisir du texte), sans oublier la vision lumineuse, angoissante dans sa beauté, de la blancheur de la neige dans la lumière de l’hiver comme une « nappe sur le monde auquel nous sommes attablés. » (La scène, p. 118). Puisque, dit-elle « l’écriture, c’est une tentative de coudre les choses ensemble » [50]. Paysage, nourriture, peinture, lecture, font partie de ce banquet, ils se « dévorent » des yeux mais sollicitent tous les sens sans oublier jamais l’angoisse du gouffre, du trou, de la mort. Mémoire, écriture, cahier ouvrent les volets de ce retable, en dévoilent toutes les scènes, jusqu’aux plus lointaines, « chaque scène jaillissant du bois peint et gagnée par les autres » (p. 117-8), surgissant de l’ombre de la mémoire. Mais, à la différence de la seiche (seppia) qui jette de l’encre et « s’ennuage de noir » pour se protéger (La seiche, 12), se protège-t-on bien lorsqu’on écrit ? Cette écriture passionnée (au sens plein du terme) et passionnelle dont la dimension affective suggère plus qu’elle n’impose dans ses images et ses souvenirs foisonnants, suit toujours sa ligne de crête dans une sorte de tension extrême, née d’une double rêverie, rêverie de la passion absorbante pour ce qui est regardé, et rêverie emportée par le flot de ce que lui est suggéré. Passion christique en même temps qu’amoureuse des mots et des images, dans la recherche insubordonnée de ce qu’est (ou ce que doit être selon MD) la littérature, comme la peinture.
9Mais je reviens pour conclure à ce qui fut l’objet de ma recherche voulant comprendre ce qui dormait sous le fin feuilletage des minuscules sfogliatelle mangés par la narratrice à la fin de Primo. Et en effet, il y avait plus que le simple désir de se nourrir. Écrire sur la nourriture qui nous permet de survivre, incorporer une nourriture en faisant surgir tout ce qui se presse autour de cet acte, c’est lui rendre une dimension spirituelle, c’est lui ôter son caractère purement matériel et mettre en œuvre une transsubstantiation de la matière en mots, comme en peinture. Une sorte de réincarnation par l’art. Ce sommeil espéré qu’invoque la narratrice dans une chambre d’hôtel impersonnelle où « déposer un instant ses attaches, ses vieux habits » [51] dans les draps de l’oubli, (ce « sursis », ce « répit », cette « rémission » [52]) et qu’elle compare encore à la « frontière fine comme la pâte craquante des sfogliatelle » (pétale/hostie), ne peut-on l’imaginer (feuille/page) comme préfigurant le temps nécessaire, le prélude en quelque sorte à cette autre forme de transsubstantiation qu’est un roman ?
Notes
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[1]
Primo, Editions du Seuil, 2005. Tous les romans de Maryline Desbiolles auxquels il sera fait allusion dans ce travail sont aux éditions du Seuil, à l’exception de Manger avec Piero, Mercure de France, 2004, Une femme drôle, Éditions de l’Olivier, 2010.
-
[2]
La scène, p. 53.
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[3]
Sans compter ce qui se passe à l’intérieur du texte même. Dans son article « Le repas dans le roman du xixe siècle en France », Québec français, 2002, (126), pp. 36-42, Geneviève Sicotte montre que le repas chez Flaubert, Zola, Huysmans, devient un « véritable motif littéraire », et avec l’apparition du réalisme, une sorte de « passage obligé du roman ». Mais les romanciers se saisissent de la normalité codifiée du repas pour lui « injecter des significations nouvelles et plurielles », secouant ainsi l’ordre du dicible et du représentable, (p. 37).
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[4]
Entretien de Maryline Desbiolles recueilli par Dominique Vaugeois pour la Revue critique de Fixxion française contemporaine, n° 8, 2014.
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[5]
N’est-il pas question, dans la peinture, de « cuisine », de « croûte », et même de « recette » (à propos de Cennini qui expose de façon concrète sa façon de faire dans son traité de peinture (1437), G. Didi-Huberman, La peinture incarnée, Minuit, 1985, p. 23. On se souvient des métaphores filées dans leurs écrits artistiques que les naturalistes Zola, Huysmans, Goncourt puisent dans la nourriture et la cuisine (le « bon » et le « mauvais goût », le « léché », le « sang » de la vie, l’Art qui use de « recettes ») à propos de la création littéraire et picturale. Et la « nature morte » n’est-elle pas d’abord « peinture de table » ?
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[6]
Entretien de Maryline Desbiolles avec Jérôme Goude, Le Matricule des Anges, n° 93, 2008.
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[7]
La madeleine ou le bœuf en gelée de La Recherche, le banquet de La Peau de chagrin, Zola et ses Écrits sur l’Art, Flaubert dont les métaphores alimentaires à propos du style sont bien connues, tant dans son œuvre que dans sa correspondance, la liste semble infinie des écrivains pour dire le travail de l’écriture, tant nourriture et écriture obéissent à une même transformation. Voir les analyses de J.P. Richard à propos des métaphores alimentaires et de la voracité flaubertienne dans Littérature et sensation, Seuil, 1954 (« La création de la forme chez Flaubert »).
-
[8]
Voir les Mythologiques de Cl. Lévi-Strauss.
-
[9]
Y. Verdier, « Pour une ethnologie culinaire », L’Homme, revue française d’ethnologie, 1969, t. 9-1, p. 49-57, (p. 51).
-
[10]
Dans Le goinfre, à propos de Bari où fuit le narrateur, l’écrivain interroge « son b de basse, son b d’obscur, d’oubli, son b de bouche, de bocca » (p. 23).
-
[11]
C. Lévi-Strauss, Les Mythologiques, III, L’origine des manières de table.
-
[12]
Dans ses Écrits pour voir, « Le roi est à la plage », L’Atelier contemporain, Dessins de Bernard Pagès, 2016, p. 73. Ce que MD dit de l’état d’esprit des Niçois pour répondre à la malveillance attachée à leur ville, s’applique à son écriture. À l’angoisse de la mort, répondre par la « mascarade » et une forme de légèreté.
-
[13]
Analysant l’acte alimentaire chez les romanciers du xixe siècle, G. Sicotte l’envisage sous l’angle de la dynamique sacrificielle, faisant remarquer par exemple que chez Flaubert « la violence larvée est au cœur du rite prandial » et que le cannibalisme peut prendre des formes modernes (cannibalisme symbolique de la pièce montée du mariage d’Emma, « objet sémiotique autant qu’alimentaire », avec sa victime et la victoire de l’utilitarisme bourgeois sur l’idéalisme romanesque »), art. cit., p. 42.
-
[14]
« Car si la phrase vaut quelque chose c’est de porter en elle le rire et l’obscurité » écrit-elle dans Une femme drôle, p. 54.
-
[15]
Avec Jérôme Goude, art. cit.
-
[16]
Freud voyant l’émergence de la pensée dans les objets affirmés ou écartés (Gérard Haddad, Manger le Livre, rites alimentaires et fonction paternelle, Fayard (« Pluriel »), 2010, p. 49. Lévi-Strauss montrant la cuisine comme activité intermédiaire entre la nature et la culture, et servant d’argument à la pensée pour exprimer des oppositions fondamentales. (Y. Verdier, art. cit. p. 50), Lévi-Strauss voyant aussi la cuisine d’une société comme un « langage », décelant des attributs symboliques à l’aliment, ou le rite alimentaire comme un « mythe pétrifié, une « parole gelée ». Gérard Haddad, op. cit. p. 71.
-
[17]
Mona Ozouf, Les mots des femmes, essai sur la singularité française, Fayard, 1995, p. 267.
-
[18]
Manger avec Piero, p. 12-13. On trouve aussi cette métaphore dans les dernières pages : « je croirai jusqu’au bout, sinon que le restaurant va prendre feu, du moins qu’il arrivera quelque chose. » (p. 25).
-
[19]
René Démoris, Chardin, la chair et l’objet, éditions Olbia, 1999, p. 36.
-
[20]
Entretien avec J. Goude, art.cit.
-
[21]
G. Bataille, La Littérature et le Mal, Gallimard (Folio/essais n° 148), 1995, p. 52.
-
[22]
Entretien avec J. Goude, ibid.
-
[23]
René Démoris, « Chardin ou la cuisine en peinture », Dix-huitième siècle, n° 15, 1983, pp. 137-154, (p. 148).
-
[24]
G. Didi-Huberman, L’image ouverte, Gallimard, 2007, p. 58.
-
[25]
M. Desbiolles, Valloton est inadmissible, 2013, p. 19.
-
[26]
Tout en rendant hommage aussi au poète Denis Roche (La poésie est inadmissible) qui fut son premier éditeur. Écrits pour voir, Éditions L’Atelier contemporain, 2016, regroupe l’ensemble des textes écrits par Maryline Desbiolles sur l’art, parus dans diverses revues ou catalogues.
-
[27]
La couleur est de la chair, la chair est de la couleur, comme le laissaient entendre les mots terrifiants de L. Dolce à propos de la peinture du Titien : « Je crois que dans ce corps Titien a employé de la chair pour des couleurs », G. Didi-Huberman, La peinture incarnée, Minuit, 1993, p. 21.
-
[28]
Entretien avec D. Vaugeois, art. cit.
-
[29]
Dans une lettre fictive de Chardin à son fils, Alice Dekker, La petite table rouge de Chardin, arléa, 2012, p. 30.
-
[30]
D’ailleurs, la référence à la nourriture est pratiquement absente des trois romans qui ne sont pas d’autofiction mais de fiction, Le Beau Temps (2015), puis Rupture (2017) et Machin (2019) parus chez Flammarion., En tout cas, elle n’est pas chargée d’autant de symboles.
-
[31]
La scène, p. 61.
-
[32]
À l’incipit de Manger avec Piero.
-
[33]
Manger avec Piero, p. 9.
-
[34]
Propos de M. Desbiolles, dans la quatrième de couverture de La scène.
-
[35]
R. Démoris, Chardin, la chair et l’objet, p. 53.
-
[36]
Voir l’analyse de J.-P. Richard « Un roman cantorien ? sur La Scène de M. Desbiolles », Littérature n° 164, décembre 2011, p. 71 à 82.
-
[37]
Il y a un même imaginaire de la table à l’œuvre dans le court essai de P. Michon Tablée, qui dans son analyse d’un tableau de Manet met en relation la table profane et la tablée fondatrice, « la table archaïque où l’on a partagé le pain, la Grande Tablée de Judée, la Sainte Cène où l’on a communié. Toute table rassemblant les hommes en fait briller le souvenir » écrit dans son avant-propos Agnès Castiglione, L’Herne, 2017, p. 15.
-
[38]
La seiche, p. 23.
-
[39]
Entretien avec Dominique Vaugeois, art. cit.
-
[40]
Les draps du peintre, p. 142
-
[41]
J.-P. Richard, art.cit. p. 74.
-
[42]
Et comme le note l’écrivain au cours d’un entretien, « le linge revient de façon constante dans mes livres » Entretien avec Jérôme Goude, art. cit.
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[43]
Flaubert écrivant à L. Colet à propos des « détails » qui ne doivent pas faire perdre de vue l’ensemble : « Les perles composent le collier, mais c’est le fil qui tient le collier. Or, enfiler les perles d’une main sans en perdre une seule et toujours tenir son fil de l’autre main, voilà la malice. » Lettre du 26 août 1853, Correspondance, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade II, p. 417.
-
[44]
« Nous partageons la table, […], tavola, le même mot désigne le bois de la peinture sur bois […] », Manger avec Piero, Mercure de France, p. 21. Je renvoie à l’essai de Ph. Hamon, Rencontres sur tables et choses qui traînent, Droz, 2019, lorsqu’il signale que « table et tableau ne constituent pas seulement un jeu de mots synonymes. Selon V. Stoichita (L’Instauration du tableau, Droz, 2017), la table comme motif de la nature morte picturale, contribuerait historiquement à la promotion et à l’« instauration du tableau » comme unité autonome et autoréférentielle de l’art. », (p. 75).
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[45]
La scène, p. 117. Ce retable m’évoque le titre du roman de Claude Simon Le Vent, tentative de restitution d’un retable baroque, et je rapproche à nouveau ces deux écrivains dans leur luxuriance scripturale baroque (la fameuse théorie des ensembles développée par C. Simon dans La Fiction mot à mot), leur fascination pour la peinture et leur désir de tout mettre sur le même plan : ce que peut la peinture et que recherche l’écriture.
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[46]
G. Didi-Huberman, L’image ouverte, p. 344.
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[47]
Dans un entretien accordé à la revue FIXXION, elle dit avoir retenu de La Légende dorée lue enfant que le corps aimant et désirable est un corps souffrant, ce que montre toute la peinture occidentale.
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[48]
J. Isolery, « Christ », Dictionnaire Claude Simon, tome I, p. 188.
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[49]
Les draps du peintre, p. 142.
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[50]
Entretien avec Jérôme Goude, art. cit.
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[51]
Valloton est inadmissible, p. 36.
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[52]
Primo, p. 136.