Couverture de LITT_179

Article de revue

Les larmes de Fargue

Pages 66 à 83

Notes

  • [1]
    Roland Barthes, Fragments du discours amoureux, Paris, Seuil, « Tel Quel », 1977, p. 214.
  • [2]
    Tom Lutz, Crying. The natural & cultural history of tears, New-York, W.W. Norton & Company, 1999 p. 26.
  • [3]
    Daté d'environ 1430, ce tableau de Van Eyck appartient à un diptyque dont la partie droite représente la scène du Jugement dernier. L'ensemble fut acquis en 1933 par Le Metropolitan Museum of Art de New-York.
  • [4]
    El Greco, Les larmes de saint Pierre, Musée du Greco à Tolède.
  • [5]
    Freddy Buache, Le Guépard, http://emmanuel.denis.free.fr/visconti/texte/texte20.html (consulté le 4 décembre 2014).
  • [6]
    « I confuse them, words and tears, my words are my tears, my eyes my mouth », The Complete Short Prose of Samuel Beckett, 1929-1989, New-Yorg, édité par S.E Gontarski, Grove Press, 1995, p. 131.
  • [7]
    Jean-Louis Chrétien, op. cit., p. 68.
  • [8]
    Léon-Paul Fargue, Poésies, Paris, Gallimard, 1963, p. 52.
  • [9]
    C'est la thèse défendue par exemple par Yves Vadé, « L'émergence du sujet lyrique à l'époque romantique », dans Figures du sujet lyrique, sous la direction de Dominique Rabaté, PUF, coll. « perspectives littéraires », 1996, p. 12-38.
  • [10]
    « Sans talent et sans conscience, nul ne représenta sans doute aussi divinement que Verlaine le génie pur et simple de l'animal humain sous ses deux formes humaines : le don du verbe et le don des larmes ». Rémy de Gourmont, Le Livre des Masques, Éditions 1900, 1987, p. 150. Cette expression a inspiré un très beau livre à Piroska Nagy, Le don des larmes au Moyen-Âge, Paris, Albin Michel, coll. « Histoire », 2000.
  • [11]
    Les Larmes modernes, Mélanges coordonnés par Frédérique Toudoire-Surlapierre et Nicolas Surlapierre, Paris, L'improviste, 2010, p. 13.
  • [12]
    Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Tristesses de la lune », Paris, Librairie générale française, 1999, p. 115.
  • [13]
    « Les siècles devant eux poussent, désespérées,/Les Révolutions, monstrueuses marées,/Océans faits des pleurs de tout le genre humain. ». Victor Hugo, Les Contemplations, Paris, Librairie générale française, 2002, p. 326.
  • [14]
    Arthur Rimbaud, Poésies, Une saison en enfer, Illuminations, Paris, Gallimard, Collection « Poésie », 1999, p. 209.
  • [15]
    Paul Valéry, La Jeune Parque, Paris, Gallimard, Collection « Poésie », 1974, pp. 25-28.
  • [16]
    Senancour cité par Anne Vincent-Buffault, op. cit., p. 105.
  • [17]
    Voir à ce propos l'article de Patrizia Lombardo, Literature, Emotions, and the Possible : Hazlitt and Stendhal, in A. Reboul (éd.), Philosophical papers dedicated to Kevin Mulligan, Genève, 2011, p. 8-9. URL http://www.philosophie.ch/kevin/festschrift/
  • [18]
    Michel Murat, « Dans l'épaisseur des formes », Fargue, variations, Revue des sciences humaines, n° 274, 2004, p. 47.
  • [19]
    Idem., p. 40.
  • [20]
    L'expression constitue le titre d'un livre référence écrit par Michel Decaudin, La crise des valeurs symbolistes : vingt ans de poésie français, 1895-1914, Genève, Slatkine, 1981.
  • [21]
    Locution heureuse provenant de la recension critique de G. Jean-Aubry, « Propos », in L'Occident, octobre 1912. Cet article a été réimprimé avec d'autres dans un volume hors commerce édité par la Société des Lecteurs de Léon-Paul Fargue, La réception critique des Poèmes de Léon-Paul Fargue, choix d'articles parus en 1912, présentation par Barbara Pascarel, Cahiers des Ludions, 2010.
  • [22]
    Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, NRF, « Idées », 1954, p. 191-192.
  • [23]
    Idem.
  • [24]
    La langue littéraire : une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Paris, sous la dir. de G. Philippe et J. Piat, Fayard, 2009.
  • [25]
    Reprenant le terme qu'utilise le critique allemand Georg Loesch dans son étude sur la prose des Goncourt, Die impressionistische Syntax der Goncourt : eine syntaktisch-stilistische Untersuchung, ouvrage paru en 1919.
  • [26]
    Idem., p. 96.
  • [27]
    Idem., p. 101.
  • [28]
    Paul Verlaine, « Art poétique », Œuvres complètes I, Introduction d'Octave Nadal, Paris, Club des Libraires de France, 1959, p. 513.
  • [29]
    Déjà en 1579, dans ses Stances amoureuses, Marguerite de Valois, alias la Reine Margot écrivait : « Clair soleil de mes yeux, si je n'ai ta lumière/Une aveugle nuée ennuitte ma paupière/Une pluie de pleurs découle de mes yeux ».
  • [30]
    Stendhal, De l'Amour, Paris, folio, 1980, p. 89.
  • [31]
    Les Larmes modernes, op. cit., p. 9.
  • [32]
    Jacques-Émile Blanche, « Lettre », les feuilles libres, n° 45-46, 1927, p. 37.
  • [33]
    Les Larmes modernes, op. cit., p. 21.
  • [34]
    Valéry Larbaud, De la littérature que c'est la peine, Saint Clément de rivière, Fata Morgana, 1991, p. 33.
  • [35]
    Jacques Rivière, « Lettre de Jacques Rivière », Les Feuilles libres, n° 45-46, 1927, p. 16.
  • [36]
    Nelson Charest, « Présentation », Études littéraires, Volume 39, n° 1, 2007, p. 7.
  • [37]
    Les Larmes modernes, op. cit., p. 12.
  • [38]
    Roland Barthes, op. cit., p. 215.
  • [39]
    Jacques Borel, Poésie et nostalgie, Paris, Berger-Levrault, 1979, p. 48.
  • [40]
    Léon-Paul Fargue, Méandres, Paris, Gallimard, coll. « L'imaginaire », 1999, p. 165.
  • [41]
    Jean-Louis Chrétien, op. cit., p. 76.
  • [42]
    Jean-Louis Chrétien, op. cit., p. 64.
  • [43]
    Marcel Proust, Sur la lecture, Paris, Actes Sud, coll. « Essais Littéraires », 1993, p. 48.

1 Dans son « Éloge des larmes » de 1977, Roland Barthes demandait : « Qui fera l'histoire des larmes ? Dans quelles sociétés, dans quels temps a-t-on pleuré ? Depuis quand les hommes (et non les femmes) ne pleurent-ils plus ? » [1]. Cet appel inopinément glissé parmi les fragments du discours amoureux investis par le scribens de Roland, à une époque où célébré, écouté, désiré, Barthes fait école et suscite des vocations, a sans aucun doute contribué à ouvrir un champ d'investigation. Il a transformé les larmes en objet de savoir historique et participé à la diversification des discours sur le sujet. Car jusque-là, hormis l'intérêt passager de quelques penseurs (saint Augustin, Descartes, Darwin), les domaines médical et physiologique ont maintenu un monopole de description et d'explication mécaniciste des larmes, ces dernières ne désignant guère plus qu'un écoulement à fonction éliminatoire au même titre que l'urine [2].

2 Contrairement au rire, les larmes sont demeurées longtemps ignorées par les humanités aussi bien que par les sciences de la nature. Pour preuve, les nombreuses incertitudes qui perdurent tant au niveau physiologique (quels types d'assemblages chimiques complexes constituent les larmes ? La composition des larmes diffère-t-elle en fonction de ce qui nous fait pleurer ?), éthologique (certains animaux produisent-ils des larmes émotionnelles ?) qu'au niveau social, historique et culturel (pourquoi et en quelles circonstances pleurons-nous ? Quels usages et valeurs accompagnent les manifestations lacrymales à travers les milieux culturels et l'évolution des civilisations ?).

3 Par contraste, s'il est un territoire de la connaissance où elles n'ont jamais cessé d'être versées, emportant avec elles une large palette de modes d'écoulement, de représentations et de significations, c'est celui des arts. Dans la tradition classique, le héros, tel Achille, exprime sa force et sa vaillance aussi bien avec ses armes qu'avec ses larmes. En peinture, on pleure sur le corps du Christ en douleur. Son visage chez Memling ou chez Albrecht Bouts apparaît ciselé de larmes qui disent l'adieu douloureux et la tristesse d'une ultime bénédiction tandis que la souffrance symbolisée par le sang s'écoule à grosses gouttes sur son front. Dans La Crucifixion de Van Eyck [3], exécuté un demi-siècle avant les tableaux de Bouts et Memling, on distingue au premier plan, à l'écart des curieux et des soldats romains qui s'agitent au pied des croix, un groupe de pleureuses en cercle qui versent de chaudes larmes de compassion, la tête légèrement inclinée et le mouchoir à la main. Et que dire de ces larmes coupables et suppliantes qui s'écoulent des yeux scintillants du saint Pierre du Greco, le visage tourné vers le ciel après avoir renié la Passion du Christ [4]. Véritables lieux communs de la figuration des étapes de la Passion, ces larmes peintes proviennent largement des textes mystiques (El Greco fut influencé par les écrits de sainte Thérèse d'Avila ; Matthias Grünewald par ceux de Sainte Brigitte de Suède) auxquels la tradition littéraire des larmes en Occident doit par ailleurs beaucoup. Qu'elles émanent du Christ, des faces éplorées de celles et ceux qui fondent leur croyance en sa parole, ou qu'elles submergent les yeux des fidèles de l'autre côté du tableau, les larmes rendent manifeste l'expérience collective de la souffrance et du désir. Elles révèlent la profonde humanité des hommes, leur faculté à « être ému », à pâtir de ce qui les entoure.

4 Tandis qu'au xxsiècle la peinture pleure de moins en moins – même si Picasso réalise en 1937 des séries de femmes qui pleurent et, qu'en écho deux ans plus tard, Paul Klee peint une « Weinande Frau » aux dents étrangement saillantes – le cinéma prend le relais comme espace privilégié d'un échange de larmes entre acteurs et spectateurs. La salle obscure devenant, après les salons de lecture au xviiie siècle et le théâtre au xixe un lieu commun de la lacrymologie moderne. Qui ne se souvient des dernières larmes de Romy Schneider devant l'enfant violoniste dans la Passante du Sans Souci ? Des pleurs du désespoir amoureux de Tess, l'héroïne incarnée par Nastassia Kinsky dans le film éponyme de Polanski, qui lentement coulent sur son visage et gouttent dans le lait qu'elle vient de traire. Ou encore du miroir embué de larmes dans lequel se surprend le Prince Don Fabrizio de Salina à la fin du Guépard de Visconti : larmes qui disent l'irréversibilité du temps, la solitude et le glissement vers la mort tandis que « dans le salon voisin la fête continue et que jusqu'à l'aube les jeunes couples dansent avec insouciance » [5].

5 Si ses mots équivalent pour Beckett à ses larmes [6], à l'opposé pour Barthes, la larme n'est pas un mot et en dira plus qu'une simple parole. Car à travers elle cristallise l'image d'une sincérité dans l'expression d'une vérité ; le message (incontrôlable donc vrai) d'un corps où se noue le trouble porté par une ou plusieurs émotions, et dont les langues, surtout le français comme le pensait déjà Stendhal, sont impropres à peindre les trop nombreuses nuances. Cet étonnement devant les liens unissant larmes et indicible, larmes et paroles, ces paroles qui bornent et parfois émergent péniblement des larmes, les relancent ou les apaisent, Jean-Louis Chrétien en fait le fil rouge de son lumineux texte, « L'humanité des larmes » : « Pleurer, c'est toujours en quelque manière dire l'indicible. Et cela vaut autant des larmes de joie que des larmes de souffrance. » [7] écrit-il. D'où la nature paradoxale des larmes qui, tout en étant toujours identiques à elles-mêmes du point de vue physiologique ou phénoménal (de gaieté ou de détresse ce sont les mêmes), sont en puissance les porteuses de grandes variétés d'affects. Dès lors, comment discerner dans ce qui nous émeut la tristesse ou la pitié du plaisir qui accompagne la conscience que cette tristesse ou cette pitié nous sont suggérées par une forme d'art ? Plaisir, emportement, ravissement ou doux transport, à travers lesquels nous reconnaissons l'affleurement de la beauté. Cette coexistence depuis longtemps notée (Aristote, Homère, Platon) entre effroi et plaisir, resserrement et relâchement, crainte et apaisement apparaît comme le propre des émotions esthétiques. Lorsque Gainsbourg chante « Je suis venu te dire que je m'en vais », en même temps que la tristesse des mots et l'effet rimé des phrases se trouvent renforcés par les gémissements vocaux de Jane Birkin, quelque chose nous allège, nous réconcilie et nous console. Même advenues d'un fond d'émotions négatives, les larmes ne sont jamais sémiotiquement univoques. Et au-delà de ce dont elles apparaissent l'expression (la mort, la perte, le mal enduré), leur limpide aquosité matérialise un pouvoir d'annonce, performe une action qui n'appartient déjà plus à l'ordre des causes, mais ouvre, lave et guérit. En ce sens toute larme est aussi déjà une promesse, comme le suggère Léon-Paul Fargue à la toute fin de Tancrède :

6

Quand nous souffrons, fais-nous pleurer.
Lorsqu'on pleure on est presque heureux (T 52) [8].

7 Du tube planétaire de Gainsbourg au théâtre sentimental de Verlaine, le chemin vers les larmes littéraires semble tout tracé. Non moins légendaire, le poème saturnien – « Chanson d'automne » – où puisa le musicien pour confectionner son adieu à l'aimée, dont les « larmes n'y pourront rien changer », constitue un jalon dans l'histoire de la poésie lyrique. Il apparaît comme une forme héritière de ce nouvel ethos de la sensibilité poétique qui émerge en prose comme en vers au tournant du xixe siècle, et confère au sentiment un nouveau droit de cité.

8 Les Méditations poétiques de Lamartine constituent à cet égard un événement fondateur dans l'histoire du sujet lyrique [9]. En porte-à-faux avec l'idéal classique fondé sur l'imitation, ce dernier substitue au dictionnaire mythologique que tout poète se devait jusque-là d'avoir à son chevet, l'album de ses images personnelles. En troquant le souvenir des modèles antiques et l'impersonnelle voix contre la mémoire intime et le chant de la subjectivité, le geste de Lamartine (aussi bien poétique que critique dans ses préfaces) a pour effet de placer l'inspiration et la création poétique sous le signe d'un nouveau faisceau de mots valeurs : homme, cœur, nature, imagination, âme. Les larmes qu'au xviiie siècle on versait dans et sur les pages des romans sentimentaux (qui font entrer le pathétique dans le domaine de l'intimité : Rousseau, Mme de Lafayette, Richardson, Goethe), ces larmes échangées avec délices dans les cercles littéraires, trouvent dans la poésie lyrique d'après la Révolution un nouveau cadre de représentation, tandis que les codes du roman se transforment et qu'on pleure de moins en moins socialement. Lamartine, Musset, Hugo (celui des Feuilles d'automne), Verlaine et jusqu'aux modernes illustrent ce « don des larmes » [10] en poésie, grâce à un lexique du coeur, une « liturgie personnelle » [11], des formes de coloration affective du monde. Ainsi la lune baudelairienne « laisse filer une larme furtive » que le « poète pieux » recueille dans sa main avant de la mettre « dans son cœur loin des yeux du soleil » [12]. Le narrateur du « Bateau ivre » qui s'exclame « Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! » se mue dans « Enfance II » en briseur d'illusions. Reprenant le cliché romantique associant la mer et les larmes (présent chez Victor Hugo [13]), il observe : « Les nuées s'amassaient sur la haute mer faite d'une éternité de chaudes larmes [14]. » Ces larmes extériorisées, projetées dans le monde, redeviennent chez Paul Valéry le produit d'humeurs corporelles où le lyrisme prend sa source. Dans La Jeune Parque, face au mutisme d'une terre qui se refuse, d'un univers « qui chancelle et tremble », il ne reste plus qu'une seule « imminente larme », « tendre libation de l'arrière-pensée ! », pour répondre amèrement à l'appel de la « jeune blessure [15] » du poète.

9 En dépit d'un large mouvement de rejet du sentimental au tournant du xxe siècle, de ce que Senancour nommait, non sans ironie, la « sentimanie [16] » et Stendhal « sentimentalisme [17] » (avec dans son viseur Rousseau et Mme de Staël), le pathos lyrique et son théâtre de larmes ont été relayés par une lignée de poètes qui s'étend jusqu'aux surréalistes. Si une histoire des larmes modernes en littérature reste à faire pour montrer comment ce signe corporel d'humanité passe et signifie à travers les textes, il est une figure d'écrivain exemplaire de cet attachement aux larmes, dont l'œuvre à cheval entre deux règnes esthétiques constitue un éloge de ce sel primitif qui nous rapproche d'un fonds ancestral commun.

La tristesse était peinte sur son langage

10 1912 : Léon-Paul Fargue est un inconnu souterrainement déjà célèbre. Il n'a presque rien publié, si ce n'est une plaquette inachevée dont il a interrompu le tirage en 1907, et un minuscule recueil établi par les soins de son ami Valéry Larbaud, qui reprend partiellement un ensemble de petites proses autobiographiques et de poèmes d'inspiration symboliste parus initialement en 1895 dans la version française de la revue allemande Pan. Tancrède, tel est le nom de ce recueil remarqué pour son éclectisme formel, sa polyphonie, sa liberté désinvolte et sa forme allégorique à travers laquelle l'auteur se pare d'un nom mythique et amorce la construction de sa propre légende. Fargue a 36 ans et vient des petites revues symbolistes (l'Art littéraire, la Phalange de Royère) et du Mercure de France de Valette. En ce début d'année 1912 paraît à l'enseigne de La Nouvelle Revue française, Poèmes, un recueil de textes courts en prose, marqués par un « romanesque sans roman » et une « poésie sans le vers [18] » qui procure, si on les lit à travers le prisme de l'esprit moderne naissant, une saisissante impression de décalage, comme à la vue d'un homme rêvant au milieu de la foule. De même on ne saurait, sans en masquer l'irréductible singularité, en faire les fruits vieillis d'un symbolisme en voie d'extinction. Ces Poèmes qui faillirent être des Nocturnes sont plutôt à situer dans un entre-deux, ou pour reprendre les termes de Michel Murat, dans un « interrègne [19] », à la fois générique et historique, délimité d'un côté par la crise des valeurs symbolistes [20] et de l'autre par la montée des avant-gardes, avec lesquelles Fargue entretiendra tout au long de sa carrière louvoyante un lien ambigu, fait de curiosité, d'opportunisme et de défiance. Mais laissons là pour le moment ces considérations d'histoire littéraire et prêtons l'oreille à la voix d'un des derniers représentants de l'impressionnisme en poésie :

11

De la tendresse – et de la tristesse – pour que tu m'aimes davantage… Mais les jours où mon cœur écoute, il me semble que je ne t'ai rien dit encore… On déborde en secret d'une chère présence. On la contiendra plus tard, peut-être… Il y est, le dernier mot de nous-même (p. 86).

12 Puis, un peu plus loin :

13

Un regret sobre. Une parole d'un chagrin vague… Un nom touchant qu'on n'arrive pas à retrouver… Tout ce qui porte une chanson triste au bord des lèvres… Et ce mutisme avant les larmes… (p. 86).

14 Encore :

15

…Le retour, un soir, dans un quartier où l'on a vécu jadis. Le tremblement de la voiture entre les arbres… L'odeur d'une avenue frissonnante où il a plu… L'odeur d'un chantier, sépulcrale et tendre (p. 86).

16 L'effet n'est-il pas instantané ? On s'intimiderait presque d'une telle atteinte à l'essentiel, d'une telle mise à flot de l'émotion. On dirait que cette écriture, avant même que nous ayons pu nous la figurer ou la réfléchir, touche là où la pensée n'a pas accès. Un ton de confidence, un climat d'intimité sans corps, une grande pudeur. Quelques phrases portées par l'indéfini, juxtaposées comme des touches en peinture, sans agents de coordination, mais sans effet de clôture, laissant se propager l'onde grâce aux élisions entre les phrases, et aux deux points qui réalisent la double fonction de suspension et de relance. Une voix y infuse toute la matière du langage de son lento en clair-obscur, teinté d'amertume et de tendresse. Une voix ourlée sur une syntaxe qui, par la préférence accordée au substantif sur le verbe, l'affaiblissement de la valeur processuelle de ce dernier, le travail d'enrichissement par l'adjectif, contribue à produire ce qu'un lecteur bien avisé de l'époque appellera une « atmosphère de suggestion [21] ». Atmosphère, le mot est lâché. On ne peut alors manquer d'évoquer ces mots d'un autre grand lecteur qui, quelques années plus tôt, dans sa célébration de Sylvie, a promu la notion d'atmosphère au rang de catégorie de lecture : « Mais tout compte fait, il n'y a que l'inexprimable, que ce qu'on croyait ne pas réussir à faire entrer dans un livre qui y reste. C'est quelque chose de vague et d'obsédant comme le souvenir. C'est une atmosphère [22]. » Et Marcel Proust d'ajouter une ligne plus loin : « Seulement ce n'est pas dans les mots, ce n'est pas exprimé, c'est tout entre les mots, comme la brume d'un matin de Chantilly [23]. » De là sans doute cette impression d'étrangeté rêveuse et de flou référentiel qui étonne à la lecture des Poèmes. Leur contribution à l'histoire de la poésie tient dans cette esthétique de l'indétermination et du vague, et leur pouvoir de dépaysement mystérieux doit à coup sûr beaucoup à Nerval, notamment aux Petits châteaux de Bohème. Breton ne s'y trompera d'ailleurs pas lorsqu'il qualifiera Fargue de « surréaliste dans l'atmosphère » dans le premier manifeste du surréalisme de 1924.

17 Dans l'ouvrage collectif La langue littéraire[24], Gilles Philippe qualifie de « syntaxe impressionniste [25] » cette forme historiquement située (entre 1850 et 1920) du langage littéraire, qu'il décrit marquée par le souci de rendre compte du propre de la sensation et de la vie émotionnelle, sans la médiation du concept ou du motif psychologique. Surgie en réaction au topos imaginaire d'une langue française perçue comme langue du discours savant (avec ses dons de clarté, d'analyse, de précision) et par conséquent mal adaptable à l'expression littéraire, elle apparaît en outre comme une forme de conversion d'un style non académique en un signe de littérarité. Gilles Philippe repère ce trait de style chez plusieurs écrivains de cette période : Flaubert, les Goncourt, Valéry, ou Loti. Un trait qui consiste selon lui à porter au premier plan, non plus les sujets et leurs actions, mais la phénoménalité perceptive qui les accompagne. Ce qu'il désignera sous le terme « esthétique du flou référentiel » [26], ou « sfumato », un art du brouillage des contours importé du domaine pictural où Leonardo de Vinci la rendit célèbre. Exactement ce qui enchante Proust chez Nerval et donne à certains de ses livres cette saveur étrange d'incursion rêveuse dans la marche du jour.

18 Avec sa ponctuation suspendue, ses qualificatifs vagues, ses indéfinis, son travail par petites touches, l'écriture des Poèmes s'inscrit pleinement dans ce moment de l'histoire de la prose française. Elle nous invite aux variations d'une intériorité projetée dans le monde, rappelant ainsi le thème romantique du paysage comme état de l'âme. Un climat d'effusion lyrique sage et retenu favorise l'affleurement des nuances affectives. Telle chose s'imprègne de pensée. Ici un geste colporte une note triste. Là le soir, les arbres, et la lune, s'animent gravement à la faveur d'images qui en accentuent le rendu pathétique :

19

Toute la plaine qui descend contre la ville aux éclairs sévères bruit et chante. La pluie d'été vient de s'assoupir et partout les rigoles rêvent dans les pentes… Un hoquet détonne et sanglote : On dirait qu'un blessé parle tout seul dans son ornière… (p. 107).

20 Là le soir, les arbres, et la lune, s'animent lourdement à la faveur d'images languissantes :

21

Le soir se penche avec langueur – et les arbres au bord de la route des songes – comme de grands oiseaux la tête sous l'aile – s'endorment. La lune pleure dans les branches – comme un regard entre des mains tremblantes (p. 128).

22 Sous l'effet d'une double opération de « floutage » [27] des références et de déplacement du cadre anthropologique, les objets du monde se parent alors des couleurs du monde intérieur dont le siège s'est perdu. Les larmes deviennent des puissances agissantes, des signes qui produisent un mythe. Celui d'une vie d'émotions sans sujet, d'une affectivité dépersonnalisée et diffuse, qui n'authentifie rien mais impressionne un destinataire grâce aux virtualités pathétiques du langage. Performée par ces signes qui en trament la présence, par ces chaînes assonantes qui en composent la musique, l'émotion vagabonde loin de son foyer, bat le pavé, imprègne une forme, boulevarde, libre de teinter telle figure nocturne, tel détail du plan urbain. En brouillant la référence aux lieux et la lisibilité énonciative, en associant une chose inanimée et un verbe d'usage humain par exemple, le texte produit l'impression d'un monde en tristesse : « […] une rue pleurait sa chanson mate. Une balançoire qu'on venait de quitter glissait la plainte d'une bête qu'on tourmente. » (p. 87) ; « La nuit pleure ses larmes grises entre les sapins du redan, qui prêtent serment d'un bras noir… » (p. 107). « Une heure se plaignait quelque part » (p. 112) ; « Une horloge pleure […] » (p. 134). Ou encore en qualifiant des actions ou des objets avec des adjectifs ou des suites nominales chargées de virtualités moroses, comme dans ce passage qui illustre bien l'esthétique du sfumato et ce style d'écriture en nappage d'émotions :

23

Un regret sobre. Une parole d'un chagrin vague… Un nom touchant qu'on n'arrive pas à retrouver… Tout ce qui porte une chanson triste au bord des lèvres… Et ce mutisme avant les larmes… (p. 86).

24 À l'issue d'une succession de minuscules mutations intérieures, les larmes desserrent un nœud, relâchent une pression, rendent une parole. Elles semblent ouvrir sur une durée d'apaisement. Ailleurs, peut-être « dans une rue qui a un nom d'oiseau triste » (p. 97), certains fantômes du passé refluent et la nostalgie, émotion nourricière de toute l'œuvre de Fargue, fait son apparition, sur une note en demi-teinte : « Ton rire triste au bas de mon ciel passe encore, comme un grand ibis dans le crépuscule… Mais d'autres regards sont plus tristes, en prison sur le ciel d'un soir […] ». Sentiment ambigu, mêlant à la douleur de l'absence l'agrément des retrouvailles, au chagrin de la fuite, le plaisir du souvenir, la nostalgie exacerbe le drame du temps à la conscience. On la retrouve un peu partout en sous-main des manifestations lacrymales, comme ici, à nouveau éveillée par une douce apparition, et portée par un magnifique travail de déplacement métaphorique :

25

L'ami et l'aimée vous sourient. Tout est sanglotant de musique. Aux parcs sans style pleure une chanson d'absence… Des arbres durs et noirs versent le chagrin de leur cloche brûlante (p. 110).

26 Faveur des liens unissant musique et larmes. Autre grande valeur de l'œuvre, la musique véhicule des variétés affectives. Là où les mots grincent et résistent, elle passe. Là où la douleur pétrifie, elle recrée du courant et remet en circulation la matière souterraine : « Elle passe d'une valeur à une autre, sur un fond de mer aux tons sourds qu'on sent là, derrière toutes choses… » (p. 85). Survivance lumineuse du régime de croyances post-symbolistes, elle porte l'héritage de Verlaine qui, dans son « Art poétique », l'avait placée en tête des prérogatives du poète : « De la musique avant toute chose [28] […] ». Musique et larmes ont en commun cette fluidité que le poème poursuit, qui fait passer le chant modulé de l'être et assure la transition d'un état vers un autre. C'est sans doute là une des vertus des larmes littéraires : assurer la liaison entre ces voisinages émotionnels, permettre des points de passage entre des intensités textuelles, laver les affects dans l'aqueux cristal d'un désir.

27 Les passages précédents le montrent, l'émotion qui se dégage n'est pas uniquement contenue dans la valeur sémantique de chaque mot, mais dans les séries d'images qui font corps avec la syntaxe même. Le rendu d'atmosphère et la puissance suggestive de ces textes provenant de cette organisation des images en nappage, dont chacune fait événement et libère l'émotion de manière instantanée. Il suffit d'ouvrir un volume de Fargue au hasard pour constater l'immense richesse sémantique et sonore de ses images. Le plus souvent analogique, motivée par un lien de similitude, dissimulé ou non, pas forcément intelligible, mais toujours sensible, l'image que pratique Fargue quasi organiquement s'appuie sur les immenses ressources de la mémoire et de l'imagination. Cependant elle ne se risque que rarement jusqu'au modèle préconisé par les surréalistes, suivant la définition qu'en donne Reverdy en 1918, et qu'André Breton radicalisera dans son manifeste, en prônant le degré d'arbitraire le plus élevé entre les deux réalités rapprochées, faisant ainsi entrer l'image dans les domaines de l'absurde et de l'impossible.

28 Fargue cherche d'abord à émouvoir. Ses images ne jaillissent guère de ses grands écarts fortuits sortis d'un esprit en soif d'inconnu, qui ébahissent, sidèrent, déconcertent la pensée plus qu'elles ne touchent l'âme. Elles mobilisent plutôt des souvenirs, aimantées par quelques émotions mères, ou s'appuient sur une fantaisie verbale inépuisable – argot, langage familier, savant ou vieilli, tout est bon – un imaginaire de la vie populaire, et une prédilection pour la comparaison, alors que la même année, dans son Manifeste technique de la littérature futuriste (1912), Marinetti en appelle à la suppression des rapports logiques dans la confection des images. Fargue ménage la visualité de ses images, comme par exemple avec cet enchâssement d'une métaphore en « être » et d'une comparaison particulièrement émouvante, qui n'est pas sans rappeler la construction en « beau comme » des Chants de Maldoror : « La rue est triste comme une porteuse de pain congédiée » (p. 83). Ce n'est guère ici la modernité de l'usage du « comme » et son pouvoir démiurgique de mise en relation qui sont en jeu (comme chez Lautréamont), mais plutôt le redoublement de l'émotion qu'il permet à l'intérieur d'une même phrase : le caractère triste de la rue se trouvant intensifié grâce à l'articulation d'un comparant lui-même porteur d'une tristesse implicite, ce qui a pour effet d'accentuer en retour l'intensité émotionnelle du premier terme. Ainsi, par un procédé de déplacement du cadre humain (la rue promue sujet de la phrase), ce n'est pas uniquement cette figure féminine éplorée, marchant devant nous, qui porte l'émotion, mais toute la scène où elle s'est déversée. Quelques lignes plus loin, le « comme » resurgit, cette fois moins en sa qualité de comparatif que pour attacher des larmes à une modeste présence au sol, et générer à leur suite d'autres larmes, les mêmes en réalité, mais requalifiées grâce à un effet de miroir : « Un peu de verre cassé par terre envoie comme des rais de larmes, des grosses larmes de la veille » (p. 83). Mentionnons encore ces « pluies chaudes comme des pleurs », un grand classique [29] de l'imagerie lacrymale, avec son charme allitératif, sa liaison analogique immédiatement saisissable, cependant que le qualificatif thermique crée un climat d'affection chaleureux. La suite de la phrase vient d'ailleurs confirmer cet avant-goût de bien-être prometteur, en filant l'image d'une suite de métamorphoses aquatiques, jusqu'à l'ouverture finale d'un grand apaisement : « Et des pluies chaudes comme des pleurs éveillent pourtant de longs sourires aux eaux d'un fleuve qui s'étire et donne son corps à la mer. » (110). Lorsque les larmes, ainsi que l'écrivait Stendhal, deviennent si proches de « l'extrême sourire [30] ».

29 « Fluide d'expansion cordiale » selon l'expression de Barthes, comme si les larmes commençaient toujours par nous exposer à l'image d'un cœur (origine étymologique de « cordial »), soit qu'elles accréditent la sincérité de celui qui les verse, soit qu'elles cherchent à toucher le nôtre. Qu'elles soient de crocodile selon l'expression quotidienne, appuis d'un chantage affectif ou feintes sur une scène de théâtre, elles « demeurent l'expression d'un débordement de pathos » [31] dont nous devenons le destinataire et face auquel nous sommes soudainement sommés de répondre. Car les larmes ont ce don d'inciter celui qui les voit à ressentir, à engager une réponse, à prendre position. Elles mettent à l'épreuve sa disposition à accueillir et sollicitent sa faculté d'empathie en construisant l'image d'un sujet éthique en demande. Même lorsque ce sujet fait défaut, qu'évanescente son image disparaît derrière les indéfinis et l'instabilité énonciative – comme dans les Poèmes – nous le cherchons, tentés de substituer à cette voix d'écriture le nom d'une personne. C'est ce que ne manquèrent pas de faire rétrospectivement certains des contemporains de Fargue, à l'image du portraitiste Jacques-Émile Blanche qui, dans le numéro d'hommage que la revue les Feuilles libres consacra à l'écrivain en 1927, demandait familièrement : « Pourquoi, Léon Paul être si triste [32] ».

30 La mémoire emmêlée des Poèmes, leur urbanité d'abandon intérieur, sans parenté avec la ville cosmopolite et moderne que célèbrent Apollinaire et Cendrars au même moment, ce soin mis à défaire les indices de temps et de lieu, incitent pourtant à une autre lecture, moins biographique que poétique. Celle qui reçoit dans ce qui se tisse entre l'écrit et l'expérience de lire à éprouver l'étincelle de l'émotion et la valeur de ce qui se crée. C'est en ce sens qu'il convient d'insister sur la dimension performative de ces larmes qui perlent aux façades des ruelles anonymes et coulent des arbres ; de ce « ciel en larmes » sur lequel un bois longe une route ; de celles douces-amères de l'amitié perdue ; ou de ces autres qui se précipitent à la pensée de la beauté : « Elle est si belle, qu'à sa seule pensée l'homme sent accourir les larmes… » (p. 115). Toutes ces larmes ont moins pour effet de nous conduire vers quelqu'un que de réaliser cette « captation d'émotion [33] » qui dispose le lecteur en position de pâtir.

31 Elles sont devenues les métonymies d'une image de soi chavirante, les manifestations littéraires de cette « grande poésie d'âme[34] » très tôt reconnue par l'ami et passeur Valéry Larbaud, sans qui le recueil n'aurait peut-être jamais vu le jour. Plus rien alors ne semble en mesure de les retenir. Elles s'écoulent, déclenchées par un rien, lentes, bienveillantes ou coupables, mélancoliques et contagieuses : « Il semble que tous les regards du soir s'emplissent de larmes. » (p. 92) Le monde s'est changé en cet écran où elles se projettent et perlent comme à l'aube la rosée. Depuis le roman sentimental et le lyrisme romantique, dont la voix des Poèmes est une héritière, on avait rarement vu langage aussi ciselé de pleurs. Et ces écoulements nous renseignent sans doute moins sur l'ADN d'un certain Fargue que sur le potentiel de la littérature à nous toucher sans médiation, comme par capillarité.

Du deuil…

32 Le 15 mars 1914, Jacques Rivière, adjoint de Jacques Copeau à la direction de La Nouvelle Revue française, écrit dans une lettre à Fargue : « Mon vieux, nouveau changement de sommaire par lequel vos poèmes se trouvent ramenés au programme du prochain numéro. Ils ont été lus ce soir, et tout le monde les a déclarés admirables. Gide nous a fait la lecture, et nous étions tous bouleversés [35]. » Parmi ces nouvelles pièces dont plusieurs figureront dans la réédition des Poèmes de 1919, se trouve probablement un des poèmes les plus poignants et pathétiques de Fargue : « Aeternae Memoriae Patris ». Paru en avril 1914 dans la même revue, puis placé au seuil inaugural de la réédition de 1919, sous la double inspiration romantique d'un extrait de la quatrième ballade de Chopin et du vers canonique de Lamartine – « un seul être vous manque et tout est dépeuplé… » – ce texte du deuil, adressé au père mort en 1909, a pour effet d'installer toute la suite des Poèmes sous le signe de la disparition et de la douleur. Fait notable, il est le seul de toute l'œuvre à adopter le verset, forme poétique moderne qui est une des rares à se maintenir ouvertement dans un processus d'échange et de parole vive. « Le verset conserve intacte la croyance au récepteur, Dieu, individu, ou même élément du monde et de la nature [36]. » Octroyant une grande souplesse rythmique, par l'alternance de segments de longueur variable, parfois versifiés, structurés en paragraphes avec alinéas, le verset apparaît surtout comme la forme privilégiée de l'invocation. Claudel l'orientera vers Dieu, Péguy vers les mystères de la liturgie catholique. Pour sa part, Fargue l'intègre au genre ancien de l'élégie en l'accordant aux notes pathétiques de l'expression de la douleur, et en y adjoignant, bien entendu, des larmes, accessoire indispensable au chant de la mort et à l'aveu de la souffrance. Le poème élégiaque étant à la littérature ce que le cimetière est encore au domaine public, à savoir un espace où les pleurs sont admis et attendus. La circonstance du deuil est probablement une des dernières où la censure contemporaine des pleurs de l'adulte n'agit pas. De saint Augustin méditant sur la mort de son ami à Victor Hugo évoquant la mémoire de sa fille dans des poèmes comme Demain dès l'aube… ou À Villequier, l'histoire du genre est indissociable du cérémonial de ces larmes rituelles qui fonctionnent comme une preuve affective et comme un signe de ce que le corps, en certaines occasions, « serait plus vrai (donc plus fiable) que les mots [37] ».

33 Rien de plus prévisible dès lors que ces larmes en ouverture du poème, plus lourdes et hostiles, plus ancrées surtout, physiquement, que dans les Poèmes. Prêtes à recouvrir, non plus les arbres ou le ciel, mais le visage de celui qui parle et assume à présent l'usage de la première personne, elles apparaissent à travers une métaphore (toute de circonstance) du voile, renforçant ainsi la connotation funèbre de la scène :

34

… Depuis, il y a toujours, suspendu dans mon front et
qui me fait mal,
Délavé, raidi de salpêtre et suri, comme une toile
d'araignée qui pend dans une cave,
Un voile de larmes toujours prêt à tomber sur mes
yeux (p. 73).

35 Le surgissement par postposition crée un effet de surprise. Les larmes n'ont plus rien d'un fluide qui s'écoule, avec sa promesse de lavement et de guérison. Leur valeur a changé. Amenées par cette image à ranger au musée des horreurs, et par l'effet d'un étrange retournement qui les déplace à la source même du mal, tel un corps étranger sous la peau, elles sont devenues l'indice d'une menace pesante. Réduites à leur salinité, à ce « sel de pierre » où le salpêtre puise son étymologie latine, dépouillées de leur éclat lyrique, de leur saveur d'avenir, elles semblent dire, non plus l'émotion, mais ce qui la dépasse, et fait signe vers cette part inexprimable de l'extrême douleur physique. Elles véhiculent ce qui « en dira plus [38] » au-delà de l'événement du deuil, qui attestera de la dette infinie, chargée de remords et d'impuissance d'un fils vis-à-vis du père. Celui qui, débridant son cœur, débordant de cette gravité pathétique que le genre autorise, ancre sa parole dans une adresse qui demande pardon, et place le lecteur en position de destinataire second. « Pitié ! Moi qui voulais… Je n'ai pas su… Pardon, à genoux, pardon ! » (p. 58). Pas étonnant dès lors que les larmes dans Aeternae Memoriae Patris précèdent la longue évocation du père, le diorama soutenu des souvenirs, l'assurance d'une éternelle gratitude. Imminentes dès l'ouverture du poème, suspendues à ce « toujours » qui en attise la valeur expiatoire, les voilà qui surgissent au moindre mouvement du corps et anticipent, en l'accréditant d'une aura de vérité et de sincérité, la parole à venir. Car au-delà des neuf premiers vers, les larmes n'apparaîtront plus :

36

Je n'ose plus remuer la joue ; le plus petit mouvement
Réflexe, le moindre tic
S'achève en larmes (73).

37 Expressives plus que projectives sont les larmes du deuil. Elles disent quelque chose de celui qui les produit, de cette douleur où elles se multiplient, celle-là même qu'elles ont en retour, pour mission d'authentifier. À travers le dialogue qu'elles initient, où un seul des deux ne parle, s'esquisse un double portrait. Celui de l'endeuillé, de ses états d'âme, de ses souvenirs, croisant celui du défunt, la découpe parcellaire de son histoire de vie, vers lesquels les larmes se tournent en guise de don et d'hommage.

… aux larmes humanitaires

38 L'histoire de cette image de soi que Fargue a façonnée dans ses œuvres est à elle seule une histoire de larmes. D'abord diffuse sous la panoplie des effets poétiques, cette image va progressivement se stabiliser autour d'un « je » qui deviendra à partir du recueil D'après Paris, puis avec les chroniques du Piéton de Paris, à la fois l'appui incontournable de la voix et l'objet d'une inlassable odyssée mémorielle. S'y enlaceront en une dense et scintillante pâte de prose, vie des autres et drame de soi, fête quotidienne et scènes passées, sociabilité littéraire, voltiges enfantines, solitude des chambres et bistrologie. Passé le cap des deux tiers de son existence, Fargue entre en mémoire comme le pagure dans son nouvel habitat. Il n'en sera délogé qu'à sa mort, en 1947, année de La Peste de Camus, des Exercices de Style de Queneau, et du Qu'est-ce que la littérature ? de Sartre, ouvrage qui dresse le bilan du surréalisme et lui ouvre les portes du musée de l'histoire littéraire.

39 Plongée dans son odyssée, cette figure d'homme-mémoire « a mal à son passé comme on a mal à un membre absent que l'on ne cesse de sentir à son côté [39] ». Elle remonte à contre-courant le fil de l'histoire collective, les formes de la vie littéraire, les affluents de la biographie. Elle veut retourner, elle veut retrouver, renouer avec les visages aimés, le temps radieux, dépliant, contractant cette faculté qu'elle possède à ce point extrême où le voyage se referme parfois sur le voyageur. Cet homme-mémoire, dont l'Ithaque échappe au système de coordonnées spatiales, confronté qu'il est à l'irréversibilité du temps, se retrouve pris au piège, et pleure, de ce cruel désir de retrouvailles qui n'a que rarement, comme chez Proust, la saveur d'un comblement, d'une extase. Il lutte entre cet ici qui le requiert et cet irrésistible là-bas qui l'appelle, remonte et se retire comme la mer, et se heurte, à chaque page, à cette « passéité du passé » dont Jankélévitch a montré la valeur fondatrice du sentiment nostalgique. Cousin d'un autre poète dont les ailes de géant l'empêchaient de marcher, l'homme-mémoire s'écrie alors, enlisé sous l'amoncellement des strates du passé : « Tous ces souvenirs […] m'empêchent de penser ». La madeleine de Fargue a la saveur d'un délice amer, l'hypermnésie risquant aussi de conduire son sujet à l'immobilité, voir à l'extinction, tel Funès, figure borgésienne du drame de la mémoire, qui après avoir emmagasiné à la première lecture des centaines d'ouvrages, est retrouvé mort dans son lit.

40 Ironie du sort, coup de pousse de Minerve, ou conséquence physiologique d'une vie de riches festins, le 28 avril 1943, au cours d'un dîner avec Picasso, Fargue est victime d'un accident vasculaire cérébral qui le laissera à demi paralysé jusqu'à sa mort, et le contraindra au lit de son appartement du boulevard Montparnasse, qui deviendra dès ce jour, un haut lieu de visites mondaines, relatées par les journaux et les écrits contemporains. Durant ses quatre années et demie d'immobilité, Fargue va alors couvrir des centaines de pages, s'attelant à la tâche avec une ardeur désespérée, convertissant la flânerie qu'il a tant pratiquée en un art exclusivement mental, et transformant son lit en un nouveau chevet d'expédition. Ce retournement d'un grand vivant écrivant peu en un grand écrivant vivant allongé et entouré du tout-Paris a de quoi émouvoir, et la légende, cristallisée par l'ami André Beucler, ne s'y trompera pas. Celui dont les propos dispersés sur le métier d'écrire cherchèrent toujours à concilier activement art de vivre et art d'écrire, situant la phrase parfaite « au point culminant de la plus grande expérience vitale » (p. 273), le voici contraint, dans le grand livre de l'immobilité qu'est Méandres, de voyager dans son corps. Ce recueil paru en 1946 aux éditions du Milieu du Monde contient en substance les plus grands textes d'évocation du passé. La plupart sont dominés par une tonalité pathétique, parfois à la manière d'« une tragédie grecque en plein corps », exacerbée par cette nouvelle disposition physique que prend en charge l'énonciation, créant ainsi l'effet d'une irréconciliable opposition entre corps-prison et passé qui passe. Un texte au titre qui en dit long comme « En rampant au chevet de ma vie » émeut grâce à la déclinaison de ce dispositif énonciatif consistant à alterner repêchage mnésique et déploration d'un état présent dont Fargue n'a pas son pareil pour mettre en scène la note grave et douloureuse : « J'ai été condamné à cette observation de moi-même et je ne puis rien faire pour m'en évader [40]. »L'heure est au face-à-face avec soi-même, tantôt dans une agitation panique, tantôt dans un « grand calme de bitume. » (p. 145) Étrangement, les larmes que l'auteur verse ou évoque dans les textes de Méandres ne sont plus tournées vers le passé, et n'expriment ni la nostalgie d'un âge d'or du vivre ensemble, ni la douleur du deuil, ni la tristesse métaphysique des Poèmes.

41 « Je ressens le malheur humain dans une seule larme. » (p. 187) écrit-il en 1944 dans « Grands fonds ». Cette unique phrase résonne comme le glas d'un anthropocentrisme lacrymal que les atrocités de la guerre vont rendre futile. Car verser des larmes sur soi « en ces heures de deuil éternel et de destructions telles que l'Ancien Testament n'eût pas osé les précipiter » (p. 40-41) relèverait de l'inacceptable. L'attention se trouve alors requise vers un horizon élargi et une temporalité à venir dont les larmes deviennent les flambeaux, ce que Jean-Louis Chrétien reconnaît comme un « moment de droiture dans le romantisme des larmes », lorsqu'« il ne s'agit plus de se perdre en effusions sur soi-même et de se prendre soi-même en pitié, mais quand pleurer devient un chemin de connaissance, ouverture, par la compassion, aux douleurs de l'histoire [41] […] ». Ces larmes pour autrui versées « sur la terre insultée » (p. 41) révèlent aussi le soir d'une existence inapaisable, prise en étaux entre deux sens de la mémoire, entre deux histoires qui s'écrivent. L'une, crépusculaire, d'une simple vie d'homme occupée à ressaisir son passé, où se tressent mémoire privée et histoire littéraire, destinée singulière et chronique des groupes, celle, que les textes de Méandres recueillent principalement dans un jaillissement désordonné de souvenirs. L'autre, embryonnaire, mais détonante, d'une mémoire en marche, cristallisant dans l'immédiat sanglant de l'époque, et qui, par petites touches, professions de foi humanistes et mots d'espoirs, pénètre dans le recueil. Cette tension entre un état du monde et un état de la personne ouvre sur une nouvelle forme de circulation pleureuse. Cette seule larme où se loge tout le malheur humain regarde désormais le déluge lacrymal de l'humanité, dont seule cette insolite forme au passif indéfini du verbe pleurer semblait en mesure d'exprimer l'ampleur : « Jamais sans doute il ne fut autant pleuré sur cette terre de tortures et d'effroi que depuis le jaillissement germanique, geyser de préhistoire dévorante […] » (p. 41).

42 Deux pages de Méandres condensent la substance de ce qui constitue un ultime plaidoyer en faveur des larmes. Elles se situent aux deux tiers du texte « L'homme, la paix et les larmes » (p. 40-41). Après un nappage d'incises mémorielles et une citation de Lamartine, le narrateur infléchit subitement la courbe de ses réminiscences pour poser, avec aplomb, son sujet : « au-delà de la fable quotidienne et du drame des saisons ou des passions, il y a la souffrance et les larmes ». Il enchaîne ensuite : « En deçà des manifestations, des indignations et des mouvements de cette vie qui va et qui vient […] », puis gonfle la phrase en une double suite d'énumérations, avant de refaire surgir, en fin d'énoncé, son motif : « […] on pressentait partout, depuis longtemps, des larmes » (p. 40). Prenant alors appui sur une phrase rythmée par plusieurs virgules, cherchant à imprimer de la vitesse à sa partition grâce à l'emploi de verbes de mouvement et d'images tournant en dérision le bal des décrets qui inondent les journaux de l'époque, le voici qui élargit la perspective avec un chiasme à l'ironie intempestive : « La France signifie l'État, et l'État signifie la France ». Cette figure au balancement parfait, mais qui tourne le sens en bourrique, a la vertu de nous hisser, par antithèse, jusqu'à l'échelle de l'Histoire. Une Histoire moquée, devant laquelle, écrit-il, « les cérémonies font la queue » et qui « cherche des écrous dans les abstractions qui recouvrent de plus en plus les besognes, les danses ou les ivresses ». La formule a de quoi surprendre par temps de guerre, mais il convient de la replacer dans le style de pensée d'une œuvre qui a toujours fait primer l'homme sur l'idée, la miniature sur la fresque, le particulier sur le général. Cette personnification d'une histoire bricolant des abstractions peut ainsi être comprise comme une perturbation, un dérèglement qui fait ombrage à l'humanité. Celle précisément dont la besogne, la danse et les ivresses sont les symboles. Celle que Fargue croise dans les bistrots, dans les commerces et les rues, incarnée par le peuple des humbles, ceux-là que la guerre, et à travers elle, les gouvernants et les idées belliqueuses, ont précipité dans le plus grand désarroi. L'humanité, ce concret individuel où se tient le sens de l'existence, est ce qui doit être sauvé, défendu, espéré contre l'idéologie et les formes désincarnées de discours. Toute la charge tient en trois phrases. Fargue ne s'attarde pas, il cherche l'effet du contrecoup – fustiger d'un côté pour mieux défendre de l'autre – et, la pique lâchée, embraye son plaidoyer avec un procédé dont il maîtrise les effets : la variation sur thème. En une métaphore à l'aperture maximale, qui remotive une forme d'identification déjà présente chez les poètes grecs, toute l'humanité des larmes resplendit alors : « Mais les larmes constituent le collier de perles que l'humanité porte à son cou fragile. »

43 Ce seuil d'extension franchi, à la manière d'un tisserand, Fargue brode, déploie le motif, insuffle de l'énergie par des effets de reprise et des métaphores en être, créant ainsi un vaste dispositif de révélation et de défense de la paix par les larmes. Elles sont « le réconfort et l'unique espérance […] les germes d'un fruit grandiose […] ». Toutes les ressources du discours argumentatif visant à convaincre sont mobilisées : des agents de coordination, des injonctions, des formulations mémorables. Mais aussi : ingrédient clé de l'émotivité, l'implication du locuteur dans son énoncé. Ici, cette implication sonne comme un bilan, comme le fin mot d'une vie ressaisie dans l'éclat succinct d'une phrase : « Et moi aussi, depuis que je vois l'ombre des hommes sur le mur de ma maison maternelle, ce sont les larmes que j'ai choisies ». Puis il ajoute : « Et j'ai choisi les larmes pour libérer mes douleurs, mais aussi pour libérer mes idées […] » (p. 40). Cette fonction cathartique des larmes cohabite désormais avec une nouvelle signification, éthique celle-là, où les larmes apparaissent comme un chant tourné vers les autres, une espérance orientée vers l'à-venir d'un dessein pacifiste. Il ne suffit plus de pleurer pour soi dans le séjour de son chagrin, de s'abandonner aux larmes comme aux bras d'un ami. Les larmes expressives et autoréférentielles du romantisme semblent bel et bien révolues. Il n'est plus question de dire la souffrance d'un seul, encore moins de rechercher l'émotion esthétique. Désormais il faut « pour la première fois, vouloir aux larmes un résultat, une bonne franquette, et pour la première fois, chercher dans leur résonance, non plus un écho, mais un appel. Non plus un asile mais une force » (p. 41).

44 Performatives, expressives, empathiques. Telles apparaissent au fil des pages de l'œuvre, les larmes de Fargue. À Jean-Louis Chrétien qui demande : « Qu'est-ce qui de l'homme se révèle dans ses pleurs [42] ? », les premières inciteraient à répondre : une tristesse inconsolable qui prend possession de l'homme et déteint sur tout ce qu'il voit, sent, arpente et désire. Dans les Poèmes, cette tristesse a infiltré le monde, le texte, le langage. Métonymies d'un état de l'âme en berne, ces larmes littéraires apparaissent aussi comme les indices d'un don de poésie, d'émotions limpides en puissances d'images qui transforment la lecture en cette « incitatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n'aurions pas su pénétrer [43] […] ». Les secondes nous sont familières : elles fonctionnent de façon spéculaire et induisent le questionnement de leur propre origine, lorsque pleurer équivaut d'abord à pleurer sur soi. Larmes du deuil, larmes d'amertume, larmes d'Ulysse à la pensée de sa terre natale, autant de manifestations lacrymales qui occupent le chemin séparant la douleur de son apaisement, l'urgence de la promesse. Les troisièmes enfin disent peut-être la part la plus lumineuse de la lutte de l'homme avec l'ange. Lorsque, risquant son regard hors de la vie familière et de son ornière scripturale, brusqué par l'Histoire, il s'aperçoit qu'il n'est pas seul, mais entouré par d'innombrables autres qui comme lui cherchent une forme de vie acceptable. Dans cette communion universelle, dans cette ouverture à l'incommensurable souffrance de tous, les larmes deviennent alors les messagères bienveillantes d'un espoir immense, les envoyées d'une empathie réparatrice.


Date de mise en ligne : 13/10/2015

https://doi.org/10.3917/litt.179.0066

Notes

  • [1]
    Roland Barthes, Fragments du discours amoureux, Paris, Seuil, « Tel Quel », 1977, p. 214.
  • [2]
    Tom Lutz, Crying. The natural & cultural history of tears, New-York, W.W. Norton & Company, 1999 p. 26.
  • [3]
    Daté d'environ 1430, ce tableau de Van Eyck appartient à un diptyque dont la partie droite représente la scène du Jugement dernier. L'ensemble fut acquis en 1933 par Le Metropolitan Museum of Art de New-York.
  • [4]
    El Greco, Les larmes de saint Pierre, Musée du Greco à Tolède.
  • [5]
    Freddy Buache, Le Guépard, http://emmanuel.denis.free.fr/visconti/texte/texte20.html (consulté le 4 décembre 2014).
  • [6]
    « I confuse them, words and tears, my words are my tears, my eyes my mouth », The Complete Short Prose of Samuel Beckett, 1929-1989, New-Yorg, édité par S.E Gontarski, Grove Press, 1995, p. 131.
  • [7]
    Jean-Louis Chrétien, op. cit., p. 68.
  • [8]
    Léon-Paul Fargue, Poésies, Paris, Gallimard, 1963, p. 52.
  • [9]
    C'est la thèse défendue par exemple par Yves Vadé, « L'émergence du sujet lyrique à l'époque romantique », dans Figures du sujet lyrique, sous la direction de Dominique Rabaté, PUF, coll. « perspectives littéraires », 1996, p. 12-38.
  • [10]
    « Sans talent et sans conscience, nul ne représenta sans doute aussi divinement que Verlaine le génie pur et simple de l'animal humain sous ses deux formes humaines : le don du verbe et le don des larmes ». Rémy de Gourmont, Le Livre des Masques, Éditions 1900, 1987, p. 150. Cette expression a inspiré un très beau livre à Piroska Nagy, Le don des larmes au Moyen-Âge, Paris, Albin Michel, coll. « Histoire », 2000.
  • [11]
    Les Larmes modernes, Mélanges coordonnés par Frédérique Toudoire-Surlapierre et Nicolas Surlapierre, Paris, L'improviste, 2010, p. 13.
  • [12]
    Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Tristesses de la lune », Paris, Librairie générale française, 1999, p. 115.
  • [13]
    « Les siècles devant eux poussent, désespérées,/Les Révolutions, monstrueuses marées,/Océans faits des pleurs de tout le genre humain. ». Victor Hugo, Les Contemplations, Paris, Librairie générale française, 2002, p. 326.
  • [14]
    Arthur Rimbaud, Poésies, Une saison en enfer, Illuminations, Paris, Gallimard, Collection « Poésie », 1999, p. 209.
  • [15]
    Paul Valéry, La Jeune Parque, Paris, Gallimard, Collection « Poésie », 1974, pp. 25-28.
  • [16]
    Senancour cité par Anne Vincent-Buffault, op. cit., p. 105.
  • [17]
    Voir à ce propos l'article de Patrizia Lombardo, Literature, Emotions, and the Possible : Hazlitt and Stendhal, in A. Reboul (éd.), Philosophical papers dedicated to Kevin Mulligan, Genève, 2011, p. 8-9. URL http://www.philosophie.ch/kevin/festschrift/
  • [18]
    Michel Murat, « Dans l'épaisseur des formes », Fargue, variations, Revue des sciences humaines, n° 274, 2004, p. 47.
  • [19]
    Idem., p. 40.
  • [20]
    L'expression constitue le titre d'un livre référence écrit par Michel Decaudin, La crise des valeurs symbolistes : vingt ans de poésie français, 1895-1914, Genève, Slatkine, 1981.
  • [21]
    Locution heureuse provenant de la recension critique de G. Jean-Aubry, « Propos », in L'Occident, octobre 1912. Cet article a été réimprimé avec d'autres dans un volume hors commerce édité par la Société des Lecteurs de Léon-Paul Fargue, La réception critique des Poèmes de Léon-Paul Fargue, choix d'articles parus en 1912, présentation par Barbara Pascarel, Cahiers des Ludions, 2010.
  • [22]
    Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, NRF, « Idées », 1954, p. 191-192.
  • [23]
    Idem.
  • [24]
    La langue littéraire : une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Paris, sous la dir. de G. Philippe et J. Piat, Fayard, 2009.
  • [25]
    Reprenant le terme qu'utilise le critique allemand Georg Loesch dans son étude sur la prose des Goncourt, Die impressionistische Syntax der Goncourt : eine syntaktisch-stilistische Untersuchung, ouvrage paru en 1919.
  • [26]
    Idem., p. 96.
  • [27]
    Idem., p. 101.
  • [28]
    Paul Verlaine, « Art poétique », Œuvres complètes I, Introduction d'Octave Nadal, Paris, Club des Libraires de France, 1959, p. 513.
  • [29]
    Déjà en 1579, dans ses Stances amoureuses, Marguerite de Valois, alias la Reine Margot écrivait : « Clair soleil de mes yeux, si je n'ai ta lumière/Une aveugle nuée ennuitte ma paupière/Une pluie de pleurs découle de mes yeux ».
  • [30]
    Stendhal, De l'Amour, Paris, folio, 1980, p. 89.
  • [31]
    Les Larmes modernes, op. cit., p. 9.
  • [32]
    Jacques-Émile Blanche, « Lettre », les feuilles libres, n° 45-46, 1927, p. 37.
  • [33]
    Les Larmes modernes, op. cit., p. 21.
  • [34]
    Valéry Larbaud, De la littérature que c'est la peine, Saint Clément de rivière, Fata Morgana, 1991, p. 33.
  • [35]
    Jacques Rivière, « Lettre de Jacques Rivière », Les Feuilles libres, n° 45-46, 1927, p. 16.
  • [36]
    Nelson Charest, « Présentation », Études littéraires, Volume 39, n° 1, 2007, p. 7.
  • [37]
    Les Larmes modernes, op. cit., p. 12.
  • [38]
    Roland Barthes, op. cit., p. 215.
  • [39]
    Jacques Borel, Poésie et nostalgie, Paris, Berger-Levrault, 1979, p. 48.
  • [40]
    Léon-Paul Fargue, Méandres, Paris, Gallimard, coll. « L'imaginaire », 1999, p. 165.
  • [41]
    Jean-Louis Chrétien, op. cit., p. 76.
  • [42]
    Jean-Louis Chrétien, op. cit., p. 64.
  • [43]
    Marcel Proust, Sur la lecture, Paris, Actes Sud, coll. « Essais Littéraires », 1993, p. 48.

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