1Dans l’œuvre de Valère Novarina, il est possible de distinguer deux grands groupes de livres – distinction non exhaustive. D’une part, les écrits poétiques et dramatiques, plus ou moins conçus en vue d’une présentation théâtrale (avec toute la singularité du théâtre novarinien). D’autre part, des ouvrages théoriques, plutôt pensés comme essais, qui n’appellent pas directement la mise en scène (même si certains l’ont provoquée). Division dont Novarina use lui-même en parlant de son travail. Mais il apparaît vite que le clivage n’est pas net. D’abord, les propos de théorie sont puissamment poétiques, et plus d’une fois dramatisés. Novarina théorise en poète, et ce n’est pas affaire de présentation : l’énonciation des thèses, leurs liens, leur sémantique comme leur syntaxe, au bout du compte toute l’activité de penser s’y trouvent impliqués. Et par ailleurs, le théâtre de Novarina est théorique de bout en bout. Tout ce qu’il manigance pour la scène peut être lu comme jeu de propositions réflexives. En de multiples sens : parce que cela regorge d’énoncés spéculatifs, généraux ou particuliers, d’affirmations philosophiques. Et aussi parce que l’œuvre scénique s’avance dans une sorte de second degré – ce qui ne la prive pas d’une force élémentaire –, proposant une pensée en action et en espace, mais qui se voit toujours faire, et s’évalue, se commente, faisant rarement entrer un personnage sans considérer qu’il entre, ne livrant une action quelconque que dans l’annonce, l’interprétation, la pensée du mode dans lequel elle se livre. Donc, poésie dramatique et poème théorique sont tressés l’un dans l’autre, il n’est pas facile de les démêler.
2C’est une des raisons qui rendent l’activité théologique de Novarina si singulière. Elle s’énonce, comme toute théorie dans cette œuvre, sur un mode lyrique, ou anti-lyrique, souvent jetée dans le feu du jeu. De sorte qu’il est difficile de démêler la théo- ou christo- logies novariniennes de la vie de ses créatures étranges, qui la donnent à entendre par leur incorporation multiple. Novarina pense le divin, et le rapport au divin, sur le mode du poème en travail. On pourrait plaider que le vocable Dieu ne peut s’y entendre que poétiquement : faute de ce transport poétique, le mot est imprononçable, essentiellement inaudible (ce qui est une thèse). Cela ne renvoie pas le terme, ni ce qu’il évoque, au statut d’image ou de métaphore : les métaphores novariniennes sont toujours saisies (au sens culinaire) dans une cuisante littéralité. Poétiques, à ce titre. Et par là très fidèles à l’héritage du discours biblique – entre autres. L’action qui s’y expose, même profane, même laïque, engage toujours un drame de la vie, au sens mystique qu’assume tout vivant : la vie n’est dramatique que comme épreuve spirituelle. Et cela se concentre dans la théorie, que pour cette œuvre on osera dire cruciale, du comique. Le programme novarinien s’est très tôt exposé comme fusion du comique et de la sainteté. De Funès en est l’emblème. On peut s’émerveiller, tout de même. Que le comique soit saint, c’est déjà bien beau. Mais que la sainteté s’avance toujours comme cocasse, c’est le meilleur de l’athéologie novarinienne.
3Ce pourquoi l’effraction théologique est, dans ces livres, si roborative : pour la pensée en général, et pour le transcendant. Elle fragmente toute l’œuvre en éclats – de lumière, et de rire.