Notes
-
[1]
« Une œuvre ne peut devenir moderne que si elle est d’abord postmoderne. Le postmodernisme ainsi entendu n’est pas le modernisme à sa fin, mais à l’état naissant, et cet état est constant. » (Lyotard, 1988 : 24)
-
[2]
Le terme modernus n’est pas encore disponible, il va être créé vers le vie siècle à partir de l’adverbe modo (« tantôt », « maintenant ») par analogie avec hodiernus créé à partir de hodie (« aujourd’hui », « actuellement ») (Curtius, 1984 : 259).
-
[3]
« Je älter das Altertum wurde, umso mehr bedurfte man eines Wortes für “modern” » (ibid. : 257). Sauf indication explicite, toutes les traductions sont les miennes.
-
[4]
Pour une approche détaillée, voir Guillory, 1993, et en particulier le 1er chapitre.
-
[5]
Voir Hegel, 1979, et, très explicitement, p. 92-96. Sur l’idée de progrès voir l’ouvrage de Taguieff, 2004.
-
[6]
Curtius remarque que les querelles sont un phénomène constant en histoire et sociologie littéraires et il cite des exemples des traditions arabe et italienne (ibid. : 256). En fait, de tels exemples sont abondants dans la littérature européenne.
-
[7]
Voir Peyre, 1965 : 26 et Lanson, 1965b : 33.
-
[8]
Voir la phrase indicative de Lucien Febvre : « La critique littéraire devenait avec Gustave Lanson histoire littéraire » (Febvre, 1953b : 24). Pour Febvre, Lanson a su redéfinir le contenu et la méthode de l’entreprise historique, tout comme lui (Febvre, 1953c : 115-118 ; 1953a : 7-8). Sur Lanson, voir la monographie détaillée de Fraisse, 2002. Voir aussi Compagnon, 1983 et Fayolle, 1990.
-
[9]
G. Lanson (11894,171922). Histoire de la littérature française, Paris, Hachette, 195 000 exemplaires. L’Histoire sera complétée par Paul Tuffrau pour la période 1850-1950 : G. Lanson et P. Tuffrau (1952). Histoire de la littérature française, remaniée et complétée, pour la période 1850-1950, Paris, Hachette.
-
[10]
« Par métarécit ou grand récit, j’entends précisément des narrations à fonction légitimante » (Lyotard, 1988 : 34). Voir aussi Lyotard, 1979.
-
[11]
Bien qu’Alain Viala propose aussi la séparation entre critères intrinsèques et extrinsèques pour les « processus de minoration », il limite, à mon avis, les secondes « à des effets de réception, et en particulier à un jeu d’institutions » (Viala, 1997 : 115-116).
-
[12]
Comme, par exemple, le « le roman de cape et d’épée » ou « les mémoires » (Delègue, 1996 : 8).
-
[13]
Par exemple, sur la hiérarchie que fait Proust, voir Fraisse, 1996.
-
[14]
Comme, par exemple, Huysmans. Sur Huysmans, voir Séginger, 1996. Sur ce point, voir aussi, Diaz, 2000 ; Millet, 2000.
-
[15]
Voir : « la canonicité n’est pas une qualité de l’œuvre en soi mais de sa transmission » (Guillory, 1993 : 55) et « le canon est un instrument discursif de “transmission” historiquement situé dans une institution spécifique de reproduction : l’école » (ibid. : 56).
-
[16]
Par exemple, Lukács utilise le concept du « vieillissement » des formes (Lukács, 1974 : 89), Edgar Petitier parle des « injouables » par rapport au théâtre (Petitier, 1997 : 177).
-
[17]
Voir : « Ne nous arrêtons pas à l’excellente Christine Pisan, bonne fille, bonne épouse, bonne mère, du reste un des plus authentiques bas-bleus qu’il y ait dans notre littérature, la première de cette insupportable lignée de femmes auteurs, à qui nul ouvrage sur aucun sujet ne coûte, et qui pendant toute la vie que Dieu leur prête, n’ont affaire que de multiplier les preuves de leur infatigable facilité, égale à leur universelle médiocrité. » (Lanson, 1922 : 166-167).
-
[18]
Cet élément est d’autant plus important quant aux traditions littéraires majeures devenues majorées par le cours de l’histoire (i.e. par le colonialisme) ou comme résultat d’une division étatique qui englobe des communautés linguistiques et des traditions littéraires variées (comme l’Amérique latine ou l’Espagne). Pour une critique de l’imagination géographique, voir Lewis et Wigen, 1997.
-
[19]
Un problème qui se pose surtout pour des auteurs majeurs (majorés peut-être précisément à cause de ce fait) dont l’œuvre est largement composé de « notes », « variantes », « correspondances », etc. Voir aussi Neefs, 1990.
-
[20]
Voir Lanson : « il nous est à la fois impossible d’éliminer notre réaction personnelle et dangereux de la conserver » (Lanson, 1965b : 35). Voir, aussi, Compagnon sur le projet de Lanson : « L’histoire littéraire est voisine de l’histoire, mais elle a un objet différent parce qu’il est vivant ; elle est voisine de la sociologie, mais elle a un objet différent parce qu’il est individuel. » (Compagnon, 1983 : 173)
-
[21]
Pour une analyse détaillée de la lecture de Deleuze et Guattari, voir Casanova, 1997.
1Les termes « majeur », « mineur », « majoration », « minoration » et leurs variantes ne sont pas seulement des concepts qui décrivent un état ou un processus ; en tant que dispositifs épistémologiques ils sont théoriquement nécessaires pour un éventail de disciplines, y compris, plus particulièrement, le domaine des études littéraires et culturelles. Le présent travail, à caractère programmatique, essaie d’établir les bases d’une réflexion théorique sur ces concepts. J’avance l’argument que les contenus et les fonctions de cette distinction se forment et se transforment par rapport à trois espaces : la prémodernité, la modernité et la postmodernité. Malgré la difficulté due à des coïncidences imposées entre les périodes historiques et les modes de pensée qui y correspondent, je ne considère pas ces espaces dans leurs dimensions temporelles. Je les aborde plutôt dans leurs dimensions spatiales, voire heuristiques, puisque ce sont précisément ces dimensions qui les constituent en tant que champ historique, disciplinaire, épistémologique ou autre. Mon analyse est très schématique et met l’accent d’une façon relativement disproportionnée sur la deuxième étape, la modernité. Ceci n’est pas exclusivement dû à des raisons pratiques, à la portée limitée d’un article. En ce qui concerne la prémodernité, j’essaie d’offrir quelques points sur la préhistoire de mon sujet qui aideront à comprendre pourquoi la modernité, du point de vue littéraire et culturel, présente un intérêt particulier pour les problèmes de majoration et de minoration. J’insiste sur l’espace de la modernité parce que c’est la modernité qui marque un changement de paradigme, qui crée les institutions dans lesquelles nous nous trouvons encore, qui met les bases et les conditions de production du savoir à laquelle nous prétendons encore ; car « la modernité […] n’est pas une époque, mais plutôt un mode » (Lyotard, 1988 : 40). C’est bien contre la modernité que réagit la postmodernité, pas tant parce que nous avons eu trop de modernité, au contraire : parce que nous n’en avons pas eu assez [1]. Et c’est à partir de ces réactions que se multiplient et se dispersent les directions théoriques contemporaines que je n’aborderai que très schématiquement ici.
2Le latin de mon titre, alors, renvoie à la préhistoire de notre problématique, cet espace historique, épistémique et disciplinaire que constituent le Moyen Âge et la Renaissance. Les philologues de la période hellénistique commencent à cataloguer « la littérature » (un concept qui n’est cependant pas encore né), en sélectionnant des auteurs, en classant des genres et, inévitablement, en les évaluant. C’est dans les premiers pas de ce champ disciplinaire qui n’est pas encore constitué comme tel que le terme classicus est importé du domaine juridico-économique vers le domaine des lettres (les classici étant les citoyens de première classe, disposant d’un patrimoine significatif, opposés aux proletarii). Vers le ve siècle le terme classicus acquiert des contenus de valorisation culturelle (qui, éventuellement, neutralisent ses autres connotations) ; « classiques » sont désormais « les anciens » pendant que les « modernes » sont appelés neoterici, novicii, minores [2]. La distinction entre les anciens et les modernes est plus descriptive que polémique, et répond à une nécessité langagière et conceptuelle spécifique : comme Ernst Robert Curtius l’articule (qui d’ailleurs reste la référence capitale pour toute recherche sur la période), « plus l’Antiquité devenait ancienne, plus un mot pour “moderne” était nécessaire » [3].
3C’est pendant cette période qu’un autre concept fondamental, celui du « canon », acquiert des contenus nouveaux : de sa désignation chrétienne du catalogue d’auteurs au ive siècle le « canon » devient un concept qui traverse une triple tradition, la tradition de l’école, la tradition juridique et la tradition religieuse : studium, imperium, sacerdotium. Les buts précis de politique éducative, étatique ou religieuse ne peuvent être atteints qu’à travers la légitimité d’un corpus textuel qui puisse prétendre à la vérité, une catégorie épistémologique qui subsume aussi la morale et la beauté — nous sommes, après tout, dans une période pré-moderne, précritique, pré-kantienne, qui n’a pas encore divisé triplement l’expérience humaine.
4La cristallisation du concept du « canon » dans le domaine des lettres n’est pas dissociée de l’émergence du concept de « littérature ». Il peut être utile de rappeler que le terme « littérature » entre progressivement en scène réellement à partir du xviiie siècle. En l’absence essentiellement de ce qu’on appelle aujourd’hui prose, la littérature (en vers) est désignée par poesis, ars poetica tandis que les autres genres par litterae. Dans un cadre théorique qui pose la vérité comme idéal de l’expérience humaine et par extension de l’écriture, le concept de littérarité, comme appelleront les formalistes russes au xxe siècle la qualité qui rend un texte littéraire et par conséquent objet esthétique, n’existe pas encore puisqu’il n’est pas nécessaire : l’idéal littéraire jusqu’au romantisme reste le delectare et prodesse ou docere, « plaire » et « être utile » ou « instruire ». Rappelons également que les notions aujourd’hui fondamentales de l’« auteur », du « texte » et du « lecteur » sont des catégories d’une référence distincte de la nôtre de la réalité médiévale, pour laquelle le texte est une œuvre anonyme, ouverte (puisque le commentateur ou le traducteur peuvent y intervenir) et destinée à un public précis : les litterati, les « lettrés », ceux qui participent aux institutions qui produisent du savoir. Un dernier élément de cette réalité littéraire est la séparation stricte et claire des genres : chacun d’eux exprime un côté différent de l’expérience humaine et doit donc mettre en évidence ses spécificités thématiques, techniques et stylistiques.
5C’est alors à partir des politiques diverses mais précises, car inscrites dans un cadre idéologique défini, qu’émergent les concepts du « canon », de « l’auteur classique » et de « l’auteur mineur » et par conséquent du « genre mineur » dans cette première étape de notre problématique. À ce stade-là, le concept du mineur et ses paradigmes sont des valeurs intrinsèques du texte écrit ; il faudra attendre la période moderne pour voir le terme imprégner d’autres domaines de la culture et de la civilisation. Des moments de l’histoire littéraire par ailleurs principaux comme « la querelle des anciens et des modernes » (1690-1720) ou le différend multiforme entre le classicisme et le romantisme ne sont réellement que des débats sur les « politiques de représentation », un terme qui met en évidence les relations — et les conflits — dialectiques entre représentation au sens politique du terme et représentation au sens littéraire, philosophique ou, en général, culturel [4] et qui constitue le substrat théorique de l’émergence et de la reproduction des valeurs et des institutions. Un programme d’étude de l’évolution historique et comparée des littératures européennes à travers des moments précis conçus comme des crises reste à réaliser, mais je soutiens que c’est la notion de crise comme hypothèse de travail qui est à la base des politiques diverses de canonisation. Et cela pour cette raison-ci : en dépit des déclinaisons possibles, tout monothéisme à conclusion messianique, et plus particulièrement le christianisme de la prémodernité européenne, a une vue de l’histoire qu’aujourd’hui on appellerait essentiellement hégélienne. Il s’agit d’une conception de l’histoire conduisant inévitablement vers le progrès à travers la dialectique de la thèse (l’être), de l’anti-thèse (le non-être) et de la synthèse (le devenir) dans un mouvement téléologique qui s’achèvera une fois que la liberté se réalise, le moment où l’esprit parviendra à la conscience absolue de luimême [5]. Sous ce prisme il devient clair que des polémiques ou des querelles littéraires et culturelles (« la querelle des anciens et des modernes », par exemple) ne sont ni une spécificité d’une tradition particulière (i.e. française) [6] ni des phénomènes interruptifs dans l’évolution autrement harmonique des paradigmes, mais plutôt des moments constitutifs et par conséquent nécessaires une fois qu’on conçoit un phénomène dans une perspective historique. Car il y a une crise chaque fois qu’une entité devient consciente de sa propre historicité.
6Il est alors compréhensible que la deuxième étape de notre problématique survient à un autre moment conçu comme une crise : vers le milieu et la fin du xixe siècle. Cette crise a été analysée à plusieurs reprises, j’essaierai donc ici d’en résumer seulement les éléments principaux. D’abord, il y a la crise du public : la littérature ne s’adresse plus à un public lettré, différencié par son passage par ou son implication dans les institutions de production de savoir (comme l’église ou l’université), mais à « une masse, bourgeoise et populaire, diversement et pareillement acculturée » selon laquelle il faut adapter, sinon trouver, les moyens de s’adresser (Millet, 2000 : 130). Il n’existe peut-être pas de façon plus évidente pour décrire l’attitude de l’écrivain face à ce public que celle de Mallarmé, qui, précisément de par son exagération, est très indicative. Mallarmé appelle le public « le trou magnifique ou l’attente qui, comme une faim, se creuse chaque soir » (Mallarmé, 1945 : 294). Le poète stigmatise et se demande : « […] exhiber les choses à un imperturbable premier plan […] d’accord — écrire, dans le cas, pourquoi, indûment, sauf pour étaler la banalité » (ibid. : 384). Le public philistin est qualifié comme le représentant de « la résurrection en plâtras » où « même la réclame hésite à s’[…]inscrire » (ibid.). Réclamant de plus en plus « la vaine couche suffisante d’intelligibilité » (ibid. : 383), le public insuffisant appose facilement le label d’obscurité, même si l’artiste ne fait qu’éternuer : « “comprends pas !” — l’innocent annonçât-il se moucher » (ibid.) ; et après : « nul ne saisira s’ils ne saisissent et ils ne saisissent pas » (ibid.). En dénonçant un pseudo-égalitarisme en art, Mallarmé commente : « que si un être d’une intelligence moyenne, et d’une préparation littéraire insuffisante, ouvre par hasard un livre […] et prétend en jouir, il y a malentendu, il faut remettre les choses à leur place » (ibid. : 869).
7Deuxième donnée de cette crise : la crise de l’institution littéraire dans son ensemble, d’un point de vue sociologique : la disparition progressive du mécénat ; l’émergence des entreprises de diffusion (édition et presse) et donc l’entrée de la littérature dans la logique commerciale et industrielle (Vaillant, 2000 : 202 ; Delègue, 1996 : 9 ; Fraisse, 2000a : 11) ainsi que la création des institutions qui renforcent et reproduisent cette logique : concours, prix, compensation sur la base du succès, bref, l’apparition d’une série de critères de majoration ou de minoration extrinsèques de l’œuvre, une tendance qui subsistera et qui aboutira à la situation d’aujourd’hui ; le terme classicus, semble-t-il, est de nouveau chargé de connotations sociales. Comme Alain Vaillant le souligne, dans ce « passage rapide d’une culture traditionnelle de l’écrit au premier système médiatique moderne, […] l’auteur, fournisseur du livre, du journal ou du théâtre, est non plus l’initiateur d’une parole originale à laquelle on accorderait le droit de déterminer sa fin et ses moyens, mais l’acteur d’une culture où il ne se reconnaît plus » (ibid.). Devant cette nouvelle situation, les écrivains réagissent de différentes façons : du repli vers un hermétisme (comme c’est le cas de Mallarmé), à l’adaptation (comme c’est le cas de Zola, qui gagne sa vie avec ses romans) ou l’ajustement (i.e. l’émergence de nouveaux genres comme le roman-feuilleton ou la sérialité en général) (Séginger, 1996 : 103).
8L’écriture en mutation, crise du public, crise de l’institution entière : un changement de paradigme est inévitable. Les classifications et les hiérarchisations littéraires du Moyen Âge et de la Renaissance qui se font par rapport à un idéal de vérité s’avèrent insuffisantes pour une modernité désenchantée. Est mineur, par exemple, le facilement intelligible, le banal (pour les symbolistes), « la littérature […] que tout le monde lit » (Fraisse, 2000a : 12) ; mais également, est mineur le singulier, l’exceptionnel, le hapax ; est mineure l’œuvre qui n’est qu’une « duplication du déjà lu et du déjà connu ou, au contraire, ce[lle] dont la singularité affichée reste la manifestation, isolée et inféconde, d’une idiosyncrasie exceptionnelle » (Vaillant, 2000 : 202) ; est enfin mineur l’auteur qui revendique sa position de mineur et vice versa (Diaz, 2000 ; Millet, 2000, Séginger, 1996).
9C’est cette deuxième étape qui marque un profond changement dans la constitution des politiques de représentation, qui dorénavant se voient conditionnées par un critère autre que celui de la vérité. Car maintenant les critères de valorisation et par conséquent les jugements de valeur se constituent, plus que jamais, par rapport à des « fonctions sociales » et des « protocoles institutionnels » qui auront désormais « la fonction de distribution, ou de régulation d’accès à des formes de capital culturel », pour emprunter la terminologie à John Guillory (Guillory, 1993 : vii). La période 1875-1914 est une période de réformes et de construction de l’enseignement en France, des réformes rendues nécessaires pour des raisons multiples, politiques et patriotiques d’abord, scientifiques et pédagogiques ensuite. Voici la situation décrite par Antoine Compagnon :
Car en France, les facultés n’ont pas d’autre fonction depuis l’Empire que la collation des diplômes et la constitution des jurys de baccalauréat. La licence, l’agrégation ne sont que des baccalauréats supérieurs, avec les mêmes programmes, et les candidats ne suivent pas de cours […]. Il n’y a pas d’enseignement supérieur, pas de recherche dans les facultés d’avant 70, mais seulement de « cours publics » qui sont des conférences où, afin de se désennuyer, les professeurs pérorent devant les femmes du monde et les officiers en retraite. « La Faculté des Lettres, rappellera joliment Seignobos, restait un bureau d’examens pour les études d’enseignement secondaire et une université populaire pour la bourgeoisie. ».
11C’est dans une telle atmosphère pour les sciences humaines que s’intensifie le conflit entre la discipline des sciences historiques et celle des sciences littéraires. L’héritage de Leopold von Ranke (1795-1886) avec ses prétentions à l’objectivité et la scientificité établira un historicisme positiviste qui ne peut pas accepter l’amateurisme, l’impressionnisme ni le subjectivisme qui dominent les études littéraires centrées sur l’enseignement de la rhétorique : l’histoire fait de la méthode, la littérature fait du style (Compagnon, 1983 : 26). Devant les réformes de l’université des humanités et de la discipline de l’histoire à la fois qu’instituent les historiens Gabriel Monod (1844-1912) et Ernest Lavisse (1842-1922), l’insistance des littéraires sur la rhétorique et l’éloquence, sur les classiques et le latin, ne paraît pas seulement désespérément passéiste et méthodologiquement insuffisante, mais aussi politiquement dangereuse. Ni le biographisme de Sainte-Beuve (1804-1869), ni le déterminisme d’Hippolyte Taine (1828-1893), ni l’évolutionnisme de Ferdinand Brunetière (1849-1906) ne s’avèreront adéquats face aux exigences de rigueur scientifique revendiquée par les historiens qui semblent insupportablement modernes. La mort de la rhétorique survient dans les années 1880 et est officiellement annoncée en 1902, avec la réforme de l’enseignement de la littérature. Elle sera remplacée par une nouvelle discipline, l’histoire littéraire.
12Et par une figure dont le spectre hantera les études littéraires jusqu’à aujourd’hui : il s’agit de Gustave Lanson (1857-1934). Lanson définira la science de la littérature comme histoire de la littérature, et celle-ci en tant que champ scientifique autonome et distinct (Lanson, 1965b : 41) ; il reconnaîtra le caractère inévitable d’un impressionnisme critique comme un volet, un côté subjectif de la science (ibid. : 38-39) et le complétera avec une demande d’objectivité qu’il nomme histoire [7]. Il érigera donc le « sentir historiquement » en dogme de la nouvelle science en conciliant les côtés esthétique (le sentir subjectif) et cognitif (historiquement objectif). La science de la littérature se voit ainsi redéfinie, en tant que champ, mais aussi en tant que méthode [8]. Qui plus est, la démarche lansonienne s’inscrit dans le cadre d’un projet idéologique précis : confirmer l’appartenance à une tradition linguistique et culturelle et par conséquent renforcer la conscience nationale à travers la démonstration de la continuité de la littérature française ; cultiver des sentiments patriotiques à travers « l’éducation des futurs citoyens d’une démocratie » (Compagnon, 1983 : 110).
13Comment démontrer la continuité de la littérature française, si ce n’est par l’écriture scientifique de son histoire ? La première édition de l’Histoire de la littérature française paraît en 1894 ; Lanson la reverra et l’augmentera dix-sept fois jusqu’à 1922 [9]. Mais l’enseignement de cette histoire devra répondre aux exigences de l’époque ; le nouveau champ disciplinaire devra être enseigné avec une méthode qui lui est propre. Cette méthode comporte deux volets, qui nous sont aujourd’hui devenus trop familiers. Le premier, Lanson le nomme « explication de textes ». Pourquoi et comment « les textes » doivent-ils désormais être « expliqués » ? Pour Compagnon, « l’explication de textes dut être inventée lorsque les textes ne firent plus partie du fonds commun, du patrimoine culturel hérité de la famille, afin de continuer à enseigner une littérature devenue ancienne, tout aussi étrangère pour la masse des élèves que la littérature grecque ou latine » (Compagnon, 1983 : 131). Les règles de la rhétorique n’expliquent point ; c’est l’explication de textes qui aidera l’étudiant à apprendre à s’exprimer. Cet exercice « comprend deux étapes : une explication, surtout grammaticale, du sens littéral, puis, surtout historique, du sens littéraire […]. Elle emprunte à la philologie et à l’histoire la méthode qui lui permettra d’installer une dialectique entre l’ “impression personnelle” et la “connaissance érudite” » (Compagnon, 1983 : 81). Par ailleurs, c’est Lanson, lui-même, qui dira qu’« au bout d’un demisiècle, le criterium de l’amusement est sans valeur ; on étudie les romans, on ne les lit plus » (Lanson 1965c : 432). Le delectare humaniste est dorénavant institutionnellement mort. Le deuxième volet de la méthode ne nous est pas moins familier : il s’agit de la « dissertation », l’exercice qui permet à l’étudiant de conceptualiser une question et de façonner une réponse sans se consumer en « fantaisies oratoires du discours français » (Fayolle, 1990 : 15), tout en mettant en valeur la beauté du texte littéraire. Comme Lanson dira : « vos maîtres du lycée vous ont fait étudier la littérature française pour vous. C’était bien. Mais ici, il s’agit de l’étudier pour elle » (cité par Compagnon, 1983 : 57).
14L’explication de textes et la dissertation seront alors les méthodes qui répondent à l’exigence du développement intellectuel du futur citoyen tout en respectant la grandeur du monument écrit. Et c’est par une série de démarches théoriques que Lanson arrivera à édifier la nouvelle science qui cultivera parallèlement le patriotisme et la citoyenneté. D’abord, sans réduire l’importance des « classiques », il les installe dans un passé ; en même temps, il ne les isole pas puisqu’il élabore une méthode pour y accéder. Les classiques ont une valeur historique, certes, mais ne répondent pas aux besoins du présent. « C’est une absurdité », dira Lanson, « de n’employer qu’une littérature monarchique et chrétienne à l’éducation d’une démocratie qui n’admet pas une religion d’État. […] Des écrivains du règne de Louis XIV, de Boileau, de Racine, de La Fontaine, de Mme de Sévigné, on n’extrairait pas un grain de pensée patriotique ou sociale » (Lanson, 1905 : 422-423). En revanche, Lanson valorisera le xviiie siècle : « Nous reconnaissons dans ce temps-là les origines de l’ordre intellectuel et social où nous vivons. Nous y reconnaissons les sentiments qui sont encore aujourd’hui les moteurs de notre action. Voltaire, Montesquieu, Diderot, Rousseau, Buffon, sont plus près de nous, instruisent mieux à recueillir notre héritage et continuer notre effort, que Bossuet et Racine » (ibid. : 423-424). Mais le geste radical de la démarche de Lanson réside, une fois de plus, dans le substrat idéologique de sa visée. La méthode historique qu’il revendique est une méthode difficile ; elle demande une détermination sans faille, des recherches laborieuses (recherche des sources et des influences), elle exige un investissement considérable. Elle n’est pas une méthode pour les fainéants et les fumistes. Comme la méthode de Durkheim qui règne dans la discipline voisine de la sociologie, celle de Lanson demande du travail, individuel mais aussi collectif, demande de la division du travail, demande de la spécialisation (Lanson, 1965b : 52). « Les véritables humanités modernes », dira Lanson, s’élèvent contre « la rhétorique et les mauvaises humanités » qui n’offrent d’intérêt que pour les futurs « vaudevillistes, romanciers, poètes, critiques, journalistes et hommes du monde sans profession » (Lanson, 1965a : 57). Il s’agit de rendre l’enseignement « “utilitaire” […], d’en finir avec une culture générale qui engendre de “beaux esprits” improductifs […]. L’enseignement doit passer par la spécialisation afin de se rendre utile en démocratie » (Compagnon, 1983 : 139). L’idéologie du projet lansonien peut se résumer dans le triptyque : « Démocratie, Solidarité, Patrie » (ibid. : 147).
15Dans ce cadre-ci, il ne s’agit ni de l’éloquence ni de la rhétorique, ni d’une exagération de proclamer que « la critique, dogmatique, fantaisiste, ou passionnée, divise : l’histoire littéraire réunit, comme la science dont l’esprit l’inspire » (Lanson, 1965b : 56). L’histoire littéraire réunit de trois façons : de par son enseignement, en contribuant à la démocratisation de la société à travers la valorisation de l’esprit critique (explication de textes, dissertation) ; de par son contenu, en constituant un canon littéraire, une tradition qui renforce les buts idéologiques de la nation en insistant sur sa continuité culturelle ; et de par sa méthode. C’est une méthode qui ne fera pas de jugement de valeur, comme le fait la critique littéraire à laquelle Lanson se montre hostile ; son histoire littéraire sera objective, exhaustive et inclusive. Toute la production littéraire de la nation y aura une place et, pour ce projet, il y aura un consensus critique : voici l’idéal démocratique. Ainsi l’histoire littéraire « devient un moyen de rapprochement entre des compatriotes que tout le reste sépare et oppose, et c’est pourquoi j’oserais dire », soutiendra Lanson, « que nous ne travaillons pas seulement pour la vérité ni pour l’humanité : nous travaillons pour la patrie » (ibid.).
16Lorsqu’alors Hachette, dans les années 1870, lance la célèbre collection « Les grands écrivains français », les opérations de majoration sont désormais établies par rapport à l’importance accordée aux facteurs extrinsèques de l’œuvre. Le « fameux » écrivain, le « bon » écrivain ne se situent pas dans le même régime de comparaison que le « grand » écrivain. Le « grand » écrivain, comme on dit « grand » homme, dépasse la République des Lettres et entre dans la République tout court. Comme Paul Bénichou le souligne, « l’écrivain est romantique ; le grand écrivain, ou mieux, les grands écrivains, sont patriotiques » (cité par Compagnon, 1983 : 97). Le projet de l’histoire littéraire est mis en œuvre à travers des politiques précises de représentation, où la représentation politique minore la représentation littéraire : sont mineurs tous ceux qui n’ont pas le droit d’être publiés dans la collection des éditions Hachette, sont majeurs tous ceux dont l’inclusion recueille un grand consensus, ceux qui sont valorisés par les instances de légitimation, pour utiliser la terminologie de Bourdieu.
17Le projet de l’histoire littéraire émerge donc comme résultat des processus d’ordre esthético-politique. Et l’histoire littéraire en tant qu’histoire mais aussi l’historiographie littéraire en tant que discours, pour utiliser la distinction de Benveniste (Benveniste, 1966 : 241-242), bref, l’histoire littéraire comme projet, reste essentiellement inchangeable aujourd’hui. Comme j’ai essayé de le démontrer ailleurs (Kargiotis, 2004 : 298-301, 2007 : 24, 2007a), ce projet est conditionné essentiellement par un double présupposé épistémologique : ce que Hayden White appelle « le mode narratif » (linéarité, causalité, téléologie) (White, 1987 : 2-5) couplé avec un sens d’évolutionnisme (la cohérence formelle du post hoc ergo propter hoc). C’est à cause de ce double présupposé que l’écrivain « mineur » non seulement n’est pas exclu du projet de Lanson, mais au contraire : il lui est indispensable. Le « mineur » a le rôle du précurseur et du continuateur (Fraisse, 2000b : 84), les « lieux de passage de toute une évolution interne de la littérature » (ibid. : 95). Le grand écrivain est exceptionnel en trop, unique en trop, et c’est à travers ceux qui l’entourent, les mineurs, que l’historien peut construire une époque, discerner les périodes de transition et mieux comprendre les lois de la littérature. Les mineurs, selon le terme réussi de Fraisse, sont le « tissu conjonctif » de l’histoire littéraire (ibid. : 100).
18Malgré des propositions récentes qui seront abordées par la suite, nous n’avons pratiquement pas encore échappé à ce cadre théorique qui majore et minore par rapport au métarécit, pour utiliser le terme de Lyotard [10], du grand projet de l’histoire littéraire. Pour faire une typologie des contenus que prennent les termes majeur / mineur, il me semble qu’on pourrait commencer par considérer deux groupes de critères : une série de critères intrinsèques de l’œuvre, et une autre de critères extrinsèques [11]. Je voudrais mettre l’accent sur le fait que je fais cette distinction à titre heuristique ; autrement, on devrait présupposer une histoire de la littérature et des institutions immuables, un cadre théorique qui ne serait qu’une pure abstraction et une conception non-dynamique du passé : en un mot, une histoire et une théorie de l’histoire qui ne seraient pas historiques (ou qui le seraient en trop).
19Qui est alors mineur ? Quant aux critères intrinsèques, un exemple serait la hiérarchie des genres au Moyen Âge et à la Renaissance, une hiérarchie qui, comme on l’a vu, était établie sur la base d’un rapport entre les manifestations littéraires du moment actuel et les modèles classiques de vérité. C’est par rapport à ces modèles qu’on a les termes « genre mineur », et par conséquent, « auteur des genres mineurs » [12]. Un autre exemple serait la hiérarchie que l’écrivain instaure lui-même au sein de sa production : il majore tel ou tel texte, il minore tel autre [13]. Plus théoriquement, et comme conséquence épistémologique de l’entreprise de Lanson, il faudrait aussi mentionner la minoration comme résultat d’une évaluation par rapport au concept d’« adéquation » : le cas d’« inadéquation entre les lois du genre et l’inspiration de l’auteur, entre cette inspiration et ses capacités » ou, inversement, « trop grande adéquation de l’écrivain avec […] toute une époque » (Fraisse, 2000b : 104, voir aussi 88). Enfin, un autre exemple serait l’écrivain qui adopte une posture d’écrivain mineur, qui revendique une position d’écrivain mineur. Tel est le cas d’écrivains romantiques et décadents au xixe siècle [14], une position qui peut être comparée à l’autoreprésentation minoritaire qu’on associe aujourd’hui aux manifestations culturelles d’un radicalisme politique.
20Les critères extrinsèques examinent une série de facteurs plus larges : d’abord, autour de la catégorie du public, qui construit ce qui a été appelé l’« imagination du mineur » (Jourde, 1997 : 186). Le public ne majore / ne minore pas forcément de la même façon que le spécialiste, et il paraît que les critères de succès et de popularité mais aussi leurs inverses, l’oubli ou l’hermétisme, produisent des valorisations différentes dans des contextes différents [15]. Deuxièmement, il faut considérer l’élément de l’historicité d’un auteur ou d’une œuvre, les facteurs qui entrent dans le champ de la sociologie des goûts culturels : ainsi, les textes sont majorés ou minorés dans une perspective historique, répondent ou réagissent aux attentes du public plus ou moins selon les époques [16]. Dans un troisième temps, il y a aussi l’historicité du contexte : Lanson est disculpé d’avoir considéré comme mineurs les écrivains femmes, parce qu’il ne peut pas dépasser le cadre historique qui le conditionne [17]. Enfin, on ne peut pas passer sur le fait que les processus de majoration ou de minoration sont souvent l’indication d’un symptôme d’une politique de représentation qui vise à constituer un métarécit de légitimation : telle est l’ambition de Lanson mais aussi de tout historiographie consciente du système qu’elle édifie.
21Car, afin de se constituer comme tel, tout projet d’histoire littéraire doit effectuer des majorations et des minorations. La tâche de répertorier objectivement tout ce qui est écrit (comme l’est le desideratum du lansonisme positiviste) ou tout ce qui est lu (comme l’est celui de l’esthétique de la réception) doit en même temps reconnaître un double problème. D’abord, le caractère heuristique d’un tel programme, étant donné l’impossibilité de sa réalisation. Ensuite, le caractère heuristique du postulat d’objectivité, résultat de la nature même du projet épistémologique. Transformer l’organisation temporelle de notre objet (l’évolution historique de la littérature) en organisation spatiale implique une conception de la trans-historicité comme plutôt une an-historicité. Cela s’effectue à travers un double processus : « l’intégration d’éléments jugés pertinents » et « l’articulation de ces éléments en un ensemble organisé et orienté », dont les opérateurs, la chronologie et la périodisation (Goldenstein, 1990 : 58-59). Les vecteurs de cette organisation sont les divisions en siècles, périodes, idées, écrivains, genres, le tout conçu dans le schéma organiciste évolutif de « naissance, progrès, déclin, mort » (Moisan, 1990 : 68). Pour des raisons variées, les divisions chronologiques de l’histoire littéraire suivent les divisions de l’histoire événementielle, et « repose[nt] sur le postulat de l’homogénéité de chaque période, suppose[nt] la continuité et s’oppose[nt] à une compréhension dynamique de l’enchaînement temporel » (Goldenstein, 1990 : 61). Enfin, il ne faut pas négliger (comme c’est trop souvent le cas), le rôle des considérations géographiques qui conditionnent les catégorisations linguistiques ou temporelles dans l’histoire littéraire [18].
22Une autre série de problèmes est à signaler, une série qui se réfère à l’antinomie fondamentale, pour utiliser le concept kantien (Kant, 1974 : 399 f.), de tout projet d’histoire littéraire, qui consiste en la nécessité de présupposer une clôture à ce projet en ayant, en même temps, conscience qu’une telle clôture est impossible (Kargiotis, 2004 ; Perkins, 1992 ; Vaillant, 2000). Car, d’un côté, un programme d’histoire littéraire ne peut pas aboutir à un système clos, non-dynamique, non-transformable, mais doit viser à l’élaboration d’un système qui tienne compte des modifications liées à la possibilité et les modalités d’entrée ou de sortie du système des éléments selon la transformation de l’objet. Sinon, si les hiérarchies de l’histoire littéraire s’avèrent immuables, invariables et permanentes le canon qu’elles impliquent est historicisé plus ou moins rapidement. À l’inverse, un système ouvert subvertit le programme comme tel, puisqu’il transforme le projet historique en projet critique. Et la toute première série de ce type de problèmes est liée au texte littéraire et à son rapport avec l’histoire qui l’intègre. D’abord, qu’est-ce qu’un texte littéraire ? Je ne peux pas proposer ici, naïvement, de définition sur un problème qui occupe la pensée critique depuis quelques siècles, mais la proposition de Jean Rohou me semble adéquate, parce qu’elle est ouverte : le texte littéraire est « une structure de valorisation linguistique historiquement conditionnée » (cité par Béhar et Fayolle, 1990 : 8). En revanche, qu’est-ce qu’une œuvre, où commence et où termine l’œuvre d’un écrivain, qu’estce que sera inclus ou exclu [19] ? Où se situe le concept d’histoire littéraire, quand s’insère-t-il par rapport à la lecture ? Avant ou après l’œuvre ?
23C’est peut-être la conscience croissante de ce type de problèmes qui entraîne le passage à la troisième étape de notre problématique et qui caractérise notre état actuel. Si la première étape (Moyen Âge, Renaissance) élabore les politiques de représentation par rapport au métarécit de la vérité tandis que la deuxième par rapport au métarécit du projet patriotique à travers la transmission, via les institutions, d’un projet d’histoire littéraire, je propose qu’on peut définir cette troisième étape comme caractérisée par le métarécit de la valeur. Si tout projet d’une histoire littéraire présuppose une sélection, une classification et une hiérarchisation d’œuvres et d’auteurs, la première tâche, néanmoins, reste la définition de l’objet d’étude : la distinction entre le littéraire et le non-littéraire. Les processus de majoration et de minoration opèrent en même temps mais aussi après cette distinction. Cependant, leurs effets admettent-ils des degrés ou des colorations ? Une œuvre peut-elle être un peu majeure ? Un auteur, peut-il être plutôt mineur ? Le critère qui exclut ce type de modalité est le même qui inclut ses objets d’étude dans le canon : la valeur.
24La question de la valeur est au cœur de toute discussion moderne sur l’histoire littéraire, et, en schématisant, on pourrait discerner, encore une fois, deux directions dans l’approche de celle-ci. D’abord, il y une tradition de pensée qui fait de la valeur un aspect intrinsèque de l’œuvre, une qualité qui est la cause de sa majoration éventuelle. Il s’agit de la conception classique qui juge l’œuvre par rapport à un idéal de beauté, même si celui-ci est historiquement défini. En considérant l’idée du classique par rapport au romantique, par exemple, Sainte-Beuve répète une définition largement admise : « un classique », écrit-il, « c’est un auteur ancien, déjà consacré dans l’admiration, et qui fait autorité en son genre » (Sainte-Beuve, 1941 : 27) ; « l’idée de classique implique en soi quelque chose qui a suite et consistance, qui fait ensemble et tradition, qui se compose, se transmet et qui dure » (ibid. : 28) ; « c’est un auteur qui a enrichi l’esprit humain […] dans un style nouveau […] aisément contemporain de tous les âges » (ibid. : 30-31).
25De style différent mais de problématique semblable, un autre écrivain de cette tradition, T. S. Eliot, décrit le classique comme la manifestation littéraire qui présente de la « maturité » : « maturité d’esprit, maturité des mœurs, maturité de la langue et perfection du style commun » (Eliot, 1950 : 348). En proposant un critère impressionniste, certes, mais intéressant, il nomme majeur l’auteur dont l’œuvre nous invite à la lire dans sa totalité : il s’agit « de savoir si le fait de connaître la totalité ou, du moins, une très grande partie de l’œuvre d’un poète, nous fait apprécier davantage, parce qu’elle nous fait mieux comprendre, quelque poème de lui que ce soit » (Eliot, 1964 : 59-60). Par conséquent, « si le tout est plus que la somme de ses parties, c’est en soi un critère satisfaisant pour distinguer un poète majeur d’un poète mineur » (ibid. : 56). Par contre, est mineur un poète non pas nécessairement mauvais, mais dont quelques exemples de poésie dans une anthologie suffisent (ibid. : 46).
26Cette conception de valeur intrinsèque de l’œuvre, même par rapport à un idéal de comparaison dont l’œuvre même est l’origine, est différente de celle qui surgit dans l’époque contemporaine et qui se développe avec force au cours des dernières décennies du xxe siècle. Caractéristique du mode de la postmodernité, cette autre conception de la valeur est beaucoup moins statique : elle n’institue pas une relation entre l’œuvre et un idéal construit (même si cet idéal est une abstraction théorique), mais plutôt une prise de conscience du fait que la notion de la valeur est l’élément d’évaluation qui naît en tant qu’effet des opérations diverses, historiquement conditionnés et parfois difficiles, voire impossibles, à expliquer [20].
27On pourrait considérer qu’un précurseur dans cette direction est, encore une fois, Lanson, qui fabrique le concept de « résidu » pour expliquer ce qui reste, ce qui excède ou ce qui échappe à l’histoire littéraire : […] « c’est précisément dans ce résidu indéterminé, inexpliqué, qu’est l’originalité supérieure de l’œuvre » (cité par Compagnon, 1983 : 193). Mais le concept de « résidu » est radicalisé au xxe siècle à travers un processus progressif qui déséquilibre le syntagme « politiques de représentation » et met l’accent plus sur la politique que sur la représentation. Deleuze et Guattari, par exemple, soutiennent que « les trois caractères de la littérature mineure sont la déterritorialisation de la langue, le branchement de l’individuel sur l’immédiat-politique [et] l’agencement collectif d’énonciation » (Deleuze et Guattari, 1975 : 33). Même s’il est incertain que Kafka réponde aux trois « caractères » [21], ce cadre peut s’avérer utile et a été utilisé en effet pour décrire un « mineur » révolutionnaire. Dans ce cas, mineur n’est pas ce qui n’est pas inclus dans le canon, mais plutôt ce qui signifie exclusion et comme tel il révèle, presque exclusivement, les enjeux de la représentation au sens strictement politique. Mineur alors ne serait pas simplement celui qui n’a pas été majoré par les instances de légitimation, mais celui qui se construit en tant qu’identité minorée en le signalant sans cesse. Néanmoins, dans ce déséquilibre qui majore le politique en minorant la représentation, la dimension esthétique autrefois revendiquée perd sa priorité ontologique. « La valorisation habituelle de l’expérience de l’auteur non-canonique en tant qu’identité sociale marginalisée », dira John Guillory, « est nécessairement affirmée par la transparence du texte vis à vis l’expérience qu’il représente » (Guillory, 1993 : 10), un texte engagé à représenter (souvent au sens le plus rudimentaire possible du verbe) des valeurs transgressives, subversives, anti-hégémoniques (ibid. : 20). Il me semble, néanmoins, qu’en se défaisant des soucis d’ordre esthétique par rapport à la valeur, la « force révolutionnaire » (et toute force, en effet) s’affaiblit forcément. Car au lieu de signaler une présence subalterne latente, le texte engagé (car, enfin, il s’agit précisément de cela) reproduit les pratiques des instances canoniques de légitimation en atténuant ainsi des possibilités véritablement subversives. Comme Jacques Dubois le souligne, « l’institution n’est pas […] indifférente à leur existence, puisqu’elle a besoin des productions qu’elle “minorise”, en les considérant comme inférieures, pour mieux valoriser la “bonne littérature” » (Dubois, 1978 : 129). Des catégories comme « littératures proscrites », « littératures régionales », « littératures de masse », « littératures parallèles et sauvages » en feraient partie ici (ibid. : 131 ; Mouralis, 1990 : 39).
28Il semble alors que le passage du métarécit de la vérité à celui de la patrie et ensuite à celui de la valeur que j’ai essayé de proposer ici implique une mise en question progressive de la qualité fondamentale de l’objet étudié. Son côté esthétique est de moins en moins l’élément dominant de sa constitution en tant qu’objet. Est-il ironique que cette perte de priorité ontologique survienne au moment où les discours de valeur se multiplient ? Ou s’agit-il, peut-être, de la vengeance de l’histoire ? Rappelons-nous, après tout, que l’esthétique en tant que discipline, depuis ses origines en passant par le texte fondateur de Kant (La critique du jugement) jusqu’à l’héritage kantien ne mentionne que très rarement le concept de la valeur. Au moins pour l’esthétique classique, la valeur n’est pas un critère de jugement esthétique du tout. Importée de l’économie politique (avec la distinction célèbre d’Adam Smith entre « valeur d’échange » et « valeur d’usage »), utilisée par Saussure, la valeur s’institutionnalise en tant que dispositif conceptuel pour signaler un certain antiessentialisme (« une forme, non une substance » dira Saussure [Saussure, 1994 : 157]). C’est peut-être pour cette raison qu’à côté de la politisation extrême du discours de la valeur émerge un discours relativiste ; car l’introduction du facteur « valeur » comme constitutif des processus de majoration et de minoration rend nécessaire la redéfinition constante du cadre de référence. Il est alors très probable que ce relativisme n’est qu’une réponse épistémologique aux changements des paradigmes de la modernité tardive. Voici un passage indicatif de Barbara Herrnstein Smith :
Un jugement verbal de « la valeur » d’une entité — par exemple d’une œuvre d’art, d’une œuvre littéraire ou d’un objet de toute sorte, d’un événement, d’un texte, d’un énoncé — ne peut pas être un jugement d’une qualité indépendamment déterminée ou, comme on dit, « objective » de cette entité. […] Pourtant ce qu’il peut être (et ce qui est habituellement), c’est un jugement de la valeur contingente de cette entité : c’est-à-dire l’observation ou l’appréciation que fait le sujet parlant de la façon dont l’entité se situera dans une économie d’une population limitée des sujets dans une série des conditions limitées.
30Voici la base théorique d’un concept de valeur qui relativise son propre outil. Il s’agit d’un outil fonctionnel, qui nous permet de prononcer des jugements de valeur très divers, puisqu’il érige le ad hoc en métarécit de légitimation. Cependant, cette perspective n’a pas échappé à la critique. Guillory, par exemple, soutient que « le concept de la valeur […] doit renvoyer à [une] totalité, même si cette totalité est, strictement parlant, inimaginable en tant que totalité ; il s’agit d’une totalité de conflit, et non pas de consensus. Comme le discours de la valeur rêve toujours d’un consensus […], il doit contester moins le fait qu’il s’agit d’un conflit réel que la nature constitutive du conflit pour tout discours de la valeur » (Guillory : 282).
31On n’a pas à chercher un chemin médian entre la radicalisation des politiques de représentation et leur dépolitisation relativiste. Non parce que les deux cadres sont diamétralement opposés, mais au contraire, parce qu’ils partagent, essentiellement, le même présupposé. Entre une conception de majoration qui met trop l’accent sur le contenu (une métaphysique du transcendantal) et une autre qui l’éclipse totalement (une métaphysique de l’immanent), il y a un élément commun : une épistémologie trop historique et, par conséquent, dés-historisée. Est-ce que les métarécits qui caractérisent les deux étapes antérieures s’avèrent plus satisfaisants de ce point de vue ? Je ne le crois pas ; et même s’ils l’étaient, ces cadres appartiendraient, une fois pour toutes, au passé et à ses modes, dans la prémodernité ou dans la modernité. Un métarécit de la postmodernité serait un oxymore, parce que la postmodernité n’est pas une période, mais une condition. Parce qu’une des caractéristiques de cette condition est que les termes « objet » et « méthode » n’ont plus le même sens, des cadres nouveaux pourront commencer à être pensés seulement quand nous, modernes que nous sommes, admettrons et accepterons ce fait.
Bibliographie
- Behar H. et Fayolle R. (1990), « Introduction », in H. Béhar et R. Fayolle (éd.), L’histoire littéraire aujourd’hui, Paris, Armand Colin, p. 5-11.
- Benveniste E. (1966), Problèmes de linguistique générale I, Paris, Gallimard.
- Bourdieu P. (1979), La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit.
- Casanova P. (1997), « Nouvelles considérations sur les littératures dites mineures », Littératures classiques, 31, p. 233-247.
- Compagnon A. (1983), La troisième république des lettres, de Flaubert à Proust, Paris, Seuil.
- Curtius E.R. (101984, 11948), Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, Bern et München, Francke.
- Delègue Y. (1996), « Bilan en guise d’ouverture », in Y. Delègue et L. Fraisse (éd.), Littérature majeure, littérature mineure, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, p. 5-10.
- Deleuze G. et Guattari F. (1975), Kafka : pour une littérature mineure, Paris, Éditions de Minuit.
- Diaz J.-L. (2000), « Grands hommes et “âmes secondes” : la hiérarchisation des rôles littéraires à l’époque romantique », in L. Fraisse (éd.), Pour une esthétique de la littérature mineure, Paris, Honoré Champion, p. 65-82.
- Dubois J. (1978), L’institution de la littérature : introduction à une sociologie, Bruxelles, Labor.
- Eliot T.S. (1950), « Qu’est-ce qu’un classique ? », in Essais choisis, H. Fluchère (trad.), Paris, Seuil, p. 339-363.
- Eliot T.S. (1964), « Qu’est-ce que la poésie mineure ? », in De la poésie et de quelques poètes, H. Fluchère (trad.), Paris, Seuil, p. 45-63.
- Fayolle R. (1990), « Bilan de Lanson », in H. Béhar et R. Fayolle (éd.), L’histoire littéraire aujourd’hui, Paris, Armand Colin, p. 12-22.
- Febvre L. (1953a), « Examen de conscience d’une histoire et d’un historien : de 1892 à 1933 », in Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, p. 3-17.
- Febvre L. (1953b), « Vivre l’histoire : propos d’initiation », in Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, p. 18-33.
- Febvre L. (1953c), « L’histoire historisante : sur une forme d’Histoire qui n’est pas la nôtre », in Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, p. 114-118.
- Fraisse L. (1996), « Les notions de genres mineurs dans l’esthétique de Proust », in Y. Delègue et L. Fraisse (éd.), Littérature majeure, littérature mineure, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, p. 121-172.
- Fraisse L. (2000a), « Avant-propos », in L. Fraisse (éd.), Pour une esthétique de la littérature mineure, Paris, Honoré Champion, p. 7-17.
- Fraisse L. (2000b), « Le prestige secret des écrivains mineurs dans l’histoire littéraire de Lanson », in L. Fraisse (éd.), Pour une esthétique de la littérature mineure, Paris, Honoré Champion, p. 83-105.
- Fraisse L. (2002), Les fondements de l’histoire littéraire : De Saint-René Taillandier à Lanson, Paris, Honoré Champion.
- Goldenstein J.-P. (1990), « Le temps de l’histoire littéraire », in H. Béhar et R. Fayolle (éd.), L’histoire littéraire aujourd’hui, Paris, Armand Colin, p. 58-66.
- Guillory J. (1993), Cultural Capital : The Problem of Literary Canon Formation, Chicago, The University of Chicago Press.
- Hegel G.W. (1979), La raison dans l’histoire : introduction à la philosophie de l’histoire, K. Papaïoannou (trad.), Paris, 10/18.
- Herrnstein Smith B. (1988), Contingencies of Value : Alternative Perspectives for Critical Theory, Cambridge, Harvard University Press.
- Jourde P. (1997), « Le fantasme de l’œuvre mineure à la fin du xixe siècle », Littératures classiques, 31, p. 183-202.
- Kant I. (1974), Kritik der reinen Vernunft 2, W. Weischedel (éd.), Frankfurt am Main, Suhrkamp Taschenbuch.
- Kant I. (1974a), Kritik der Urteilskraft, W. Weischedel (éd.), Frankfurt am Main, Suhrkamp Taschenbuch.
- Kargiotis D. (2004), « “Histoire de littérature”, “histoire” et “littérature” » [en grec], in Les figures innombrables du passé : questions d’histoire culturelle et de théorie littéraire, Thessaloniki, University Studio Press, p. 289-301.
- Kargiotis D. (2007), « Française » [en grec], in V. Vasileiadis et T. Kagialis (éd.), Familier et étrange(r) : La littérature néo-hellénique en d’autres langues, Thessaloniki, Centre de la langue grecque, p. 23-33.
- Kargiotis D. (2007a), « Traduction et canon littéraire : remarques sur la formation du concept de l’ “histoire littéraire” à l’étranger », Actes du colloque international La traduction dans le dialogue des cultures, 24-26 mars 2004, Strasbourg (à paraître).
- Lanson G. (11894,171922), Histoire de la littérature française, Paris, Hachette.
- Lanson G. (1905), « xviie ou xviiie siècles ? », Revue bleue, 30 septembre 1905.
- Lanson G. (1965a), « Contre la rhétorique et les mauvaises humanités », in Essais de méthode, de critique, et d’histoire littéraire, Henri Peyre (éd.), Paris, Hachette, p. 57-60.
- Lanson G. (1965b), « La méthode de l’histoire littéraire », in Essais de méthode, de critique, et d’histoire littéraire, Henri Peyre (éd.), Paris, Hachette, p. 31-56.
- Lanson G. (1965c), « Sainte-Beuve », in Essais de méthode, de critique, et d’histoire littéraire, Henri Peyre (éd.), Paris, Hachette, p. 427-441.
- Lanson G. et Tuffrau P. (1952), Histoire de la littérature française, remaniée et complétée, pour la période 1850-1950, Paris, Hachette. Lewis M.W. et Wigen K.E. (1997), The Myth of Continents : A Critique of Metageography, Berkeley, University of California Press.
- Lukács G. (1974, 11910), « Remarques sur la théorie de l’histoire littéraire », in Lucien Goldmann et la sociologie de la littérature, Hommage à Lucien Goldmann, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles [Tiré à part de la Revue de l’Institut de sociologie, 3-4 (1973) et 1 (1974)], p.71-103.
- Lyotard J.-F. (1979), La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Éditions de Minuit.
- Lyotard J.-F. (1988), Le postmoderne expliqué aux enfants : Correspondance 1982-1985, Paris, Galilée.
- Mallarmé S. (1945), Œuvres complètes, H. Mondor et G. Jean-Aubry (éd.), Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.
- Millet C. (2000), « Charles Nodier ou la politique du mineur », in L. Fraisse (éd.), Pour une esthétique de la littérature mineure, Paris, Honoré Champion, p. 129-148.
- Moisan C. (1990), « Les genres comme catégories de l’histoire littéraire », in H. Béhar et R. Fayolle (éd.), L’histoire littéraire aujourd’hui, Paris, Armand Colin, p. 67-80.
- Mouralis B. (1990), « Les littératures dites marginales ou les “contre littératures” », in H. Béhar et R. Fayolle (éd.), L’histoire littéraire aujourd’hui, Paris, Armand Colin, p. 31-40.
- Neefs J. (1990), « Critique génétique et histoire littéraire », in H. Béhar et R. Fayolle (éd.), L’histoire littéraire aujourd’hui, Paris, Armand Colin, p. 23-30.
- Perkins D. (1992), Is Literary History possible ?, Baltimore, The Johns Hopkins University Press.
- Petitier E. (1997), « Les injouables : la question des auteurs et des œuvres dramatiques qu’on ne joue plus », Littératures classiques, 31, p. 177-182.
- Peyre H. (1965), « Présentation », in G. Lanson, Essais de méthode, de critique, et d’histoire littéraire, Henri Peyre (éd.), Paris, Hachette, p. 9-28.
- Sainte-Beuve Ch.-A. (1941), « La tradition littéraire », in Réflexions sur les lettres, Paris, Plon, p. 11-46.
- Saussure F. (1994), Cours de linguistique générale, T. de Mauro (éd.), Paris, Payot.
- Séginger G. (1996), « Par delà le majeur et le mineur : Huysmans et À rebours », in Y. Delègue et L. Fraisse (éd.), Littérature majeure, littérature mineure, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, p. 99-119.
- Taguieff P.A. (2004), Le sens du progrès : une approche historique et philosophique, Paris, Flammarion.
- Vaillant A. (2000), « Hiérarchies littéraires : la dialectique moderne de l’ordre et du désordre », in L. Fraisse (éd.), Pour une esthétique de la littérature mineure, Paris, Honoré Champion, p. 193-204.
- Viala A. (1997), « “Qui t’a fait minor” ? Galanterie et classicisme », Littératures classiques, 31, p. 115-134.
- White H. (1987), The Content of the Form : Narrative Discourse and Historical Representation, Baltimore, The Johns Hopkins University Press.
Notes
-
[1]
« Une œuvre ne peut devenir moderne que si elle est d’abord postmoderne. Le postmodernisme ainsi entendu n’est pas le modernisme à sa fin, mais à l’état naissant, et cet état est constant. » (Lyotard, 1988 : 24)
-
[2]
Le terme modernus n’est pas encore disponible, il va être créé vers le vie siècle à partir de l’adverbe modo (« tantôt », « maintenant ») par analogie avec hodiernus créé à partir de hodie (« aujourd’hui », « actuellement ») (Curtius, 1984 : 259).
-
[3]
« Je älter das Altertum wurde, umso mehr bedurfte man eines Wortes für “modern” » (ibid. : 257). Sauf indication explicite, toutes les traductions sont les miennes.
-
[4]
Pour une approche détaillée, voir Guillory, 1993, et en particulier le 1er chapitre.
-
[5]
Voir Hegel, 1979, et, très explicitement, p. 92-96. Sur l’idée de progrès voir l’ouvrage de Taguieff, 2004.
-
[6]
Curtius remarque que les querelles sont un phénomène constant en histoire et sociologie littéraires et il cite des exemples des traditions arabe et italienne (ibid. : 256). En fait, de tels exemples sont abondants dans la littérature européenne.
-
[7]
Voir Peyre, 1965 : 26 et Lanson, 1965b : 33.
-
[8]
Voir la phrase indicative de Lucien Febvre : « La critique littéraire devenait avec Gustave Lanson histoire littéraire » (Febvre, 1953b : 24). Pour Febvre, Lanson a su redéfinir le contenu et la méthode de l’entreprise historique, tout comme lui (Febvre, 1953c : 115-118 ; 1953a : 7-8). Sur Lanson, voir la monographie détaillée de Fraisse, 2002. Voir aussi Compagnon, 1983 et Fayolle, 1990.
-
[9]
G. Lanson (11894,171922). Histoire de la littérature française, Paris, Hachette, 195 000 exemplaires. L’Histoire sera complétée par Paul Tuffrau pour la période 1850-1950 : G. Lanson et P. Tuffrau (1952). Histoire de la littérature française, remaniée et complétée, pour la période 1850-1950, Paris, Hachette.
-
[10]
« Par métarécit ou grand récit, j’entends précisément des narrations à fonction légitimante » (Lyotard, 1988 : 34). Voir aussi Lyotard, 1979.
-
[11]
Bien qu’Alain Viala propose aussi la séparation entre critères intrinsèques et extrinsèques pour les « processus de minoration », il limite, à mon avis, les secondes « à des effets de réception, et en particulier à un jeu d’institutions » (Viala, 1997 : 115-116).
-
[12]
Comme, par exemple, le « le roman de cape et d’épée » ou « les mémoires » (Delègue, 1996 : 8).
-
[13]
Par exemple, sur la hiérarchie que fait Proust, voir Fraisse, 1996.
-
[14]
Comme, par exemple, Huysmans. Sur Huysmans, voir Séginger, 1996. Sur ce point, voir aussi, Diaz, 2000 ; Millet, 2000.
-
[15]
Voir : « la canonicité n’est pas une qualité de l’œuvre en soi mais de sa transmission » (Guillory, 1993 : 55) et « le canon est un instrument discursif de “transmission” historiquement situé dans une institution spécifique de reproduction : l’école » (ibid. : 56).
-
[16]
Par exemple, Lukács utilise le concept du « vieillissement » des formes (Lukács, 1974 : 89), Edgar Petitier parle des « injouables » par rapport au théâtre (Petitier, 1997 : 177).
-
[17]
Voir : « Ne nous arrêtons pas à l’excellente Christine Pisan, bonne fille, bonne épouse, bonne mère, du reste un des plus authentiques bas-bleus qu’il y ait dans notre littérature, la première de cette insupportable lignée de femmes auteurs, à qui nul ouvrage sur aucun sujet ne coûte, et qui pendant toute la vie que Dieu leur prête, n’ont affaire que de multiplier les preuves de leur infatigable facilité, égale à leur universelle médiocrité. » (Lanson, 1922 : 166-167).
-
[18]
Cet élément est d’autant plus important quant aux traditions littéraires majeures devenues majorées par le cours de l’histoire (i.e. par le colonialisme) ou comme résultat d’une division étatique qui englobe des communautés linguistiques et des traditions littéraires variées (comme l’Amérique latine ou l’Espagne). Pour une critique de l’imagination géographique, voir Lewis et Wigen, 1997.
-
[19]
Un problème qui se pose surtout pour des auteurs majeurs (majorés peut-être précisément à cause de ce fait) dont l’œuvre est largement composé de « notes », « variantes », « correspondances », etc. Voir aussi Neefs, 1990.
-
[20]
Voir Lanson : « il nous est à la fois impossible d’éliminer notre réaction personnelle et dangereux de la conserver » (Lanson, 1965b : 35). Voir, aussi, Compagnon sur le projet de Lanson : « L’histoire littéraire est voisine de l’histoire, mais elle a un objet différent parce qu’il est vivant ; elle est voisine de la sociologie, mais elle a un objet différent parce qu’il est individuel. » (Compagnon, 1983 : 173)
-
[21]
Pour une analyse détaillée de la lecture de Deleuze et Guattari, voir Casanova, 1997.