Couverture de LITT_143

Article de revue

Cosette retournepeau

Pages 94 à 113

Notes

  • [1]
    Pour Nicole Savy, l’inscription calendaire fait de Valjean une figure du Père Noël et de Cosette une Cendrillon, « Cosette : un personnage qui n’existe pas », in Lire Les Misérables, Paris, José Corti, 1985, p. 179. Pour Pierre Laforgue, Cosette est « à la fois un enfant Jésus et la vierge de ce même enfant Jésus, alors que Jean Valjean assumerait le double rôle de Christ de la Maternité et de Saint Joseph, — s’il n’était incontestablement Balthazar » qui « apporte l’or », « Histoire, roman et symbolique dans Les Misérables. L’exemple de Cosette et Gavroche », in Gavroche. Études sur Les Misérables, Paris, CDU/SEDES, 1994.
  • [2]
    Les pages renvoient à l’édition chronologique de Jean Massin, Paris, Club français du livre, 1967-1969, t. 11 pour Les Misérables.
  • [3]
    Arnold Van Gennep dans Le Folklore français, t. 3, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1998, signale : « En cette période de l’année riche en magie, les êtres fantastiques s’agitent, les esprits peuplent l’air et les sorciers sont libres. » p. 2702 ; « En Normandie, “les loups-garous empruntent toutes sortes d’animaux et font leurs expéditions entre Noël et la Chandeleur”. Dans cette période toute bête est en horreur, c’est-à-dire, explique Lecœur, “que les warous et tous les esprits malfaisants courent la campagne”. » p. 2703
  • [4]
    Selon la définition qu’en donne A.J. Greimas dans « Les actants, les acteurs et les figures », Du Sens II, Paris, Seuil, 1983, p. 65-66.
  • [5]
    « Aussi les [loups-garous] considérait-on comme des animaux d’une espèce particulière, doués d’un instinct merveilleux, comme des êtres surnaturels qui savaient découvrir les fautes et les punir. De là l’expression “gare au loup-garou” par laquelle on avertissait les coupables, les maraudeurs, les malintentionnés, et surtout les enfants qui n’étaient pas sages. » J.-B. Bardin, Le pays de Septème (Isère) […], Lyon, 1912, pp. 115-121, cité par Charles Joisten dans « Les loups-garous en Savoie et Dauphiné » in Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1992, p. 170 ; Françoise Loux parle aussi du « loup dont il faut se garer » dans L’ogre et la dent. Pratiques et savoirs populaires relatifs aux dents, Paris, Berger-Levrault, 1981, p. 165.
  • [6]
    A ce titre les qualifications démoniaques résultant de l’absence de baptême formeraient une modalité particulière des procès de nomination dont l’importance et la complexité, dans Les Misérables, ont été mises en évidence par Anne Ubersfeld dans l’article « Nommer la misère », Revue des sciences humaines, n° 156, 1974, p. 581-596.
  • [7]
    Voir sur ce sujet l’étude de Jean-Michel Doulet, Quand les démons enlevaient les enfants. Les changelins : étude d’une figure mythique, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002 ; Paul Sébillot, Croyances, mythes et légendes des pays de France, Paris, Omnibus, 2002, p. 767 à 771.
  • [8]
    Paul Sébillot, op. cit., p. 768. Voir aussi Sophie Bobbé, L’ours et le loup. Essai d’anthropologie symbolique, Ed. de la Maison des sciences de l’homme, INRA, Paris, 2002, p. 37, et Jean Marigny, Sang pour sang. Le réveil des vampires, Paris, Gallimard, coll. Découvertes, 1993.
  • [9]
    Françoise Loux, op. cit.
  • [10]
    La citation est extraite du Livre des merveilles de Gervais de Tilbury, au chapitre « Des hommes qui ont été des loups » et exploitée par Hanna Zaremska pour montrer que les histoires et les croyances « raconte[nt] à [leur] manière ce que le droit expose à la sienne » à savoir que « dans les cultures indo-européennes, l’exilé, le fugitif et l’étranger sont souvent comparés aux loups », ce que prouve par ailleurs le terme de wargus désignant dans la loi salique l’exilé et dont l’étymologie remonte à la forme germanique « vargr, varg, vearg, qui signifie “loup” ». Hanna Zaremska, Les bannis au Moyen Âge, Paris, Aubier, 1996, p. 40-41.
  • [11]
    Nicole Belmont, « Les enfants des limbes », Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1992, p. 201.
  • [12]
    Sur l’origine du nom du personnage en rapport avec les êtres fantastiques des vallées vaudoises voir Jean Gaulmier, « de Fantine aux Vaudois d’Arras », in Centenaire des Misérables. Hommage à Victor Hugo, Strasbourg, 1962, p. 85-94. Pour un point de vue folklorique sur les origines de ces êtres fantastiques voir Christian et Dominique Abry, « Des Parques aux fées et autres êtres sauvages : “Naroues” (xvie s.), “Naroves” (xixe s.) et “Naroua” (xxe s.) savoyardes », Croyances, récits et pratiques de traditions. Mélanges Charles Joisten, Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1982, p. 247-280.
  • [13]
    Jean-Michel Doulet, op. cit., p. 350.
  • [14]
    Françoise Zonabend, « La mort : le chagrin, le deuil », in Le fœtus, le nourrisson et la mort, dir. Catherine Le Grand-Sébille, Marie-France Morel, Françoise Zonabend, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 37.
  • [15]
    Hugo avait-il conscience du lien étroit qui unit étymologiquement « coutume » et « costume » ? Toujours est-il que le jeu sur l’habillement de la poupée apparaît au cœur de cette « immémoriale coutume » qu’est Noël ; il permet de construire un destin à Cosette en la rattachant à une tradition et en lui ouvrant la perspective d’un avenir de femme : « De costume dérive le mot coutume ; des habits, le terme habitudes ; et les vêtements sont par excellence le moyen d’exprimer les convenances lors de tous les grands moments de la vie. » Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Paris, Gallimard, 1979, p. 204.
  • [16]
    Paul Sébillot, Revue des traditions populaires, 1903, p. 489.
  • [17]
    Antonio Lavieri, « La Main verte et autres épouvantails enfantins. Tentative de typologie. », Ethnologie française, XXVI, 1996, 3, p. 453-463.
  • [18]
    Pour la description de ce phénomène nous renvoyons aux articles d’Alice Joisten et Christian Abry, « Les croquemitaines en Dauphiné et Savoie », et de Daniel Loddo et Jean-Noël Pelen, « Croquemitaines d’Occitanie », Les croquemitaines. Faire peur et éduquer, Le Monde alpin et rhodanien, 2-4/1998.
  • [19]
    Jacques Dubois, « L’affreux Javert » in Hugo dans les marges, textes réunis par Lucien Dällenbach et Laurent Jenny, Genève, éd. Zoé, 1985, p. 18.
  • [20]
    Nicole Belmont, « Comment on fait peur aux enfants », Topique, revue freudienne, n° 13, 1974.
  • [21]
    Nicole Belmont, « Les croquemitaines, une mythologie de l’enfance », Le monde alpin et rhodanien, 2-4/1998, p. 9.
  • [22]
    Apparence velue et barbe longue forment aussi les principales caractéristiques de cet étrange croquemitaine qu’est le « barbo », par ailleurs assez proche du loup-garou ; voir les études de Jacques Berlioz, « Masques et croquemitaines. À propos de l’expression “Faire barbo” au Moyen Âge », in Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1982, p. 221-234, et « Le masque et la barbe. Figures du croquemitaine médiéval » avec Danièle Alexandre-Bidon, in Le monde alpin et rhodanien, 2-4/1998, p. 163-186.
  • [23]
    Comme le note Arnold Van Gennep, « on constate une carence documentaire qui prouve la modernité relative de l’intrusion du Père Noël dans le folklore français », op. cit., t. 3, p. 2413. « Il s’agit donc d’un cas précis de Folklore naissant ou vivant », ibid, p. 2415.
  • [24]
    Claude Lévi-Strauss, « Le Père-Noël supplicié », Les Temps modernes, n° 77, 1952, p. 1580. Voir aussi à ce sujet Hedwige Heinecke, « Saint Nicolas et les enfants », Revue des traditions populaires, t. 4, n° 12, déc. 1889, p. 641.
  • [25]
    Gavroche s’amuse à chercher un monstre fabuleux, « le sourd », « qui a des écailles sous le ventre et qui n’est pas un lézard, qui a des pustules sur le dos et qui n’est pas un crapaud, qui habite les trous des vieux fours à chaux et des puisards desséchés, noir, velu, visqueux, rampant, tantôt lent, tantôt rapide, qui ne crie pas mais qui regarde, et qui est si terrible que personne ne l’a jamais vu ». Le plaisir que procure cette recherche est ambivalent puisque « c’est un plaisir du genre redoutable » (p. 432). Comme le rappelle Yves Gohin dans une note de l’édition Folio, 1995, « c’est Victor Hugo et son frère Eugène qui avaient ainsi désigné le monstre qu’ils se plaisaient à chercher dans le puisard des Feuillantines (Victor Hugo raconté, chap. VII, éd. Massin, I, p. 854). »
  • [26]
    « Notes de travail » du « Dossier des Misérables » établi par René Journet dans Victor Hugo. Œuvres Complètes. Chantiers, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2002, p. 731. Les initiales J.T. y désignent Jean Valjean sous son premier nom, Jean Tréjean.
  • [27]
    Sur les morts insatisfaits voir Jean-Pierre Piniès. Figures de la sorcellerie languedocienne, Paris, éd. du C.N.R.S., 1983, et notamment le chapitre « Signes des morts et messager des ames », p. 205-265.
  • [28]
    Claude Lévi-Strauss, op. cit., p. 1587 et 1589 pour la citation précédente.
  • [29]
    Préface du 1er janvier 1862 des Misérables.
  • [30]
    Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1992, p. 84.
  • [31]
    Comme exemple de ce motif nous citerons une de ces formes particulières qu’est le voyage du Christ, de saint Jean et de saint Pierre. Ceux-ci se présentent toujours de manière anonyme chez des paysans, font l’épreuve de l’hospitalité, et récompensent chacun selon ses mérites. Les contes de Luzel. Légendes chrétiennes de la Basse-Bretagne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Terre de Brume, 2001, présentent un ensemble complet de récits construits autour de ce motif. C’est aussi le cas d’une légende que connaissait certainement Hugo par l’intermédiaire de Champfleury et dont nous soupçonnons le poète d’avoir repris des éléments dans Les Misérables, à savoir celle du Bonhomme Misère. Voir à ce sujet Alfred Harou et Paul Sébillot dans la Revue des traditions populaires, t. 4, n° 12, déc. 1889, p. 645-648, t. 5, n° 5, mai 1890, p. 299-300, t. 9, n° 5, mai 1894, p. 248-250.
  • [32]
    Conte analysé et résumé ainsi par Agnès Fine dans « Le parrain, son filleul et l’audelà », Études rurales, n° 105-106, janv.-juin 1987, p. 136.
  • [33]
    « Tandis qu’au xviie, le loup-garou est nommé “lycanthrope”, les Latins le désignent auparavant par le terme versipellis, littéralement “peau retournée”, renvoyant à une croyance selon laquelle la face intérieure de la peau de l’homme est poilu comme celle d’une bête », Sophie Bobbé, op. cit.
  • [34]
    Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au moyen âge et sous la renaissance, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1982, p. 33.
  • [35]
    Selon l’étude de François-André Isambert, à l’instar de l’Enfant Jésus le soir de Noël, les enfants deviennent bien de véritables médiateurs durant le cycle des Douze Jours : « On remarquera l’ambiguïté du rôle de l’Enfant, qui est don du ciel mais aussi lumière, à la fois donné et donnant, (…) » Le sens du sacré. Fête et religion populaire, Paris, éd. de Minuit, 1982, p. 200.
  • [36]
    François-André Isambert, p. 207 et 204.
  • [37]
    « L’astronomie devient perspective surplombante dans l’œuvre de Hugo à partir de l’exil parce qu’elle est la totalité supérieure qui accueille la problématique du devenir. » Paule Petitier, « Astronomie, histoire ouverte et poétique de la connaissance » in Victor Hugo 4 –x Science et technique. Revue des Lettres modernes, Paris, Minard, 1999, p. 57.
  • [38]
    Horace, Satires, II, 7, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 200. À propos des Saturnales voir aussi l’ouvrage de Macrobe, Paris, Les Belles Lettres, 1997. Hugo semble avoir subi l’influence païenne qui fait du Carnaval une survivance des Saturnales : « La saturnale, cette grimace de la beauté antique, arrive, de grossissement en grossissement, au mardi-gras. » (p. 941) À propos des Saturnales comme ancêtres du Carnaval voir aussi James George Frazer, « Saturnales et fêtes similaires », Le Rameau d’Or, t. 3, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1983, p. 604-665.
  • [39]
    Dans la plupart des études sur le loup-garou on relève cette ambiguïté sur la nature de la peau de l’animal ; tantôt c’est la propre peau du garou qui se retourne, tantôt pour devenir garou il faut revêtir une autre peau. Dans ce dernier cas l’opération est réellement comparée au fait de se vêtir ou de se déguiser ; ainsi, comme le note Charles Joisten, le « terme s’habiller avec une peau de loup, ou plus simplement s’habiller “en loup”, “en bête”… est absolument général. » Le monde alpin et rhodanien, 1992, p. 51. Cette correspondance entre la peau et le vêtement est d’ailleurs développée à travers tout un réseau de mythes étudiés par Claude Lévi-Strauss au chapitre « parures, blessures » d’Histoire de Lynx, Paris, Plon, 1991, coll. Pocket, p. 129-143. À l’image des héroïnes des récits Chilcotin, il est surprenant de voir comment le texte hugolien produit ce passage des blessures de Marius aux parures de Cosette dans le mariage.
  • [40]
    Nicole Belmont, « Temps continu, temps rompu, temps oublié », Ethnologie française, 2 000/1 –x janv.-mars, p. 24.
  • [41]
    Expression employée par Nicole Belmont et traduisant le fait que les adultes ne se débarrassent jamais complètement de leurs terreurs infantiles : « Même formalisées, élaborées dans le langage, grâce aux noms et à la description qu’ils reçoivent, les épouvantails ont quelque chose à voir avec les phantasmes infantiles persécutants. Ou plus exactement peutêtre, ils sont les représentations de quelque chose de non représentable puisqu’inconscient. » « Les croquemitaines… », Le monde alpin et rhodanien, 2-4/1998, p 16.
  • [42]
    Daniel Loddo et Jean-Noël Pelen, op. cit., p. 93.
  • [43]
    Pour les principes d’une « interprétation ethnologique » de la littérature nous renvoyons aux travaux de Jean-Marie Privat, Bovary Charivari, Paris, CNRS éditions, 1994, et de Marie Scarpa, Le Carnaval des Halles. Une ethnocritique du Ventre de Paris de Zola, Paris, CNRS éditions, 2000,
  • [44]
    Claude Brémond, « La logique des possibles narratifs », Communications, n° 8, 1966.
  • [45]
    « des figures en voie de constitution », c’est la définition que Greimas donne des personnages de roman, op. cit., p. 64.
  • [46]
    Octave Mannoni, Clefs pour l’imaginaire ou l’Autre Scène, Paris, Seuil, coll. Points, 1969, p. 16-17.

1Le fait que dans Les Misérables Hugo situe la rencontre de Valjean et Cosette le soir de Noël ne peut que susciter des interrogations sur le rôle structurant du calendrier dans l’ensemble de l’œuvre [1]. Un élément, a priori anecdotique, peut aussi servir l’étude de cette date : Cosette, errant dans les rues de Montfermeil en ce 24 décembre, est prise par une passante pour « un enfant-garou » (p. 310) [2]. Dans la logique de l’imaginaire populaire, les êtres fantastiques participent par nature du cadre temporel dans lequel ils inscrivent leurs apparitions. Ainsi, si la plupart des études folkloriques notent la recrudescence des manifestations lycanthropiques le 24 décembre [3], il faut supposer que la nature même du loup-garou aide à comprendre la dynamique particulière de cette période de l’année. Nous émettrons donc l’hypothèse qu’en faisant collaborer cette figure et cette date, le texte cherche à mettre en valeur un aspect particulier du « temps » de Noël qui sert principalement la mise en intrigue. Ainsi, après avoir interrogé la qualification qui fait de Cosette une « enfant-garou », nous verrons, au niveau des structures actantielles, quel rôle peut jouer l’inquiétante fillette dans les scénarios de ce rituel calendaire ; enfin, de cette confrontation entre une figure et une structure narrative nous espérons pouvoir dégager un processus particulier d’« investissement sémantique » [4] du texte qui, débordant le cadre de l’épisode de Noël à Montfermeil, engage le devenir des personnages dans l’ensemble du roman.

Cosette, « enfant-garou »

Inquiétante enfance

2Selon une étymologie populaire que n’aurait sans doute pas reniée Hugo, le garou est celui dont on doit « se garer » [5], se tenir éloigné, se méfier. À la fois persécutés et exacteurs certains êtres enfantins de l’œuvre hugolienne réalisent un dynamisme ambivalent qui fait d’eux tour à tour les destinataires ou les destinateurs de l’angoisse.

3Vivant sous l’oppression des Thénardier, « comme une créature qui serait à la fois broyée par une meule et déchiquetée par une tenaille » (p. 308), Cosette fait l’expérience d’une angoisse qui devient une contrainte par corps, un véritable habitus au sens que Pierre Bourdieu donnait à ce terme : « La crainte ramenait ses coudes contre ses hanches, retirait ses talons sous ses jupes, lui faisait tenir le moins de place possible, ne lui laissait de souffle que le nécessaire, et était devenue ce qu’on pourrait appeler son habitude de corps (…). » (p. 318 ; nous soulignons). Le texte rend cette peur responsable de sa laideur, constatée à la fois par les personnages et le narrateur ; et cette laideur suggère la comparaison de l’enfant avec certains êtres, animaux ou esprits, inspirant la crainte. Le Thénardier remarque que Cosette « a plutôt l’air d’une chauve-souris que d’une alouette » (p. 329). Pour la femme du gargotier, c’est un « petit monstre » (p. 325), et le narrateur même constate qu’« à de certains moments, » il semblait qu’« elle fût en train de devenir une idiote ou un démon. » (p. 319). Empruntés aux typologies de croquemitaines, les termes choisis pour désigner Cosette, « chauve-souris » ou « garou », créent un paradoxe : l’enfant est assimilé aux êtres ayant pour fonction de l’effrayer.

4En fait, la rencontre de Valjean et Cosette semble se situer à un moment charnière de l’existence de la fillette, celui où l’habitude de corps est devenue tellement profonde qu’elle fait participer l’être qu’elle contraint de la nature même de sa contrainte. Dans le bois de Montfermeil, la peur devient à ce point le milieu respirable de l’enfant que Cosette finit par en ressentir la terrible attraction :

5

Sans se rendre compte de ce qu’elle éprouvait, Cosette se sentait saisir par cette énormité noire de la nature. Ce n’était plus seulement de la terreur qui la gagnait, c’était quelque chose de plus terrible même que la terreur. Elle frissonnait. Les expressions manquent pour dire ce qu’avait d’étrange ce frisson qui la glaçait jusqu’au fond du cœur. Son œil était devenu farouche. Elle croyait sentir qu’elle ne pourrait peut-être pas s’empêcher de revenir là à la même heure le lendemain.
(p. 312)

6Cette contamination par l’angoisse qui affecte celui qui vit dans la crainte, Fantine aussi en fait l’expérience ; se sentant « traquée » il se développe « en elle quelque chose de la bête farouche. » (p. 179)

7En cette soirée de Noël, Cosette se trouve donc à ce moment de basculement où l’être menacé devient menaçant, où la victime est prête à rejoindre ses bourreaux, moment où se font jour les possibles les plus effrayants. Ainsi, sortant de chez les Thénardier, la fillette quittera une « maison haïe et haïssant. » (p. 331)

Une figure de la damnation

8L’ambivalence de Cosette semble une conséquence de son statut social.

9C’est une enfant du péché puisque commise hors de tout lien légal. La volonté de Fantine de dissimuler l’existence de sa fille trahit bien cette conscience de la faute : « Ne pouvant pas dire qu’elle était mariée, elle s’était bien gardée (…) de parler de sa petite fille. » (p. 173) Son renvoi de la fabrique de monsieur Madeleine à la découverte du secret honteux vient par ailleurs sanctionner cette faute.

10C’est aussi une enfant sans parents. Tholomyès n’est qu’un géniteur qu’elle ne connaîtra pas, et l’absence de sa mère crée l’impression étrange d’un être jailli ex-nihilo. À une question de Valjean sur sa mère, la fillette adresse la réponse suivante : « — (…) Les autres en ont. Moi je n’en ai pas. (…)/ — Je crois que je n’en ai jamais eu. » (p. 316) À ce point du roman, la situation de Cosette recoupe parfaitement celle de sa mère, Fantine, « un de ces êtres comme il en éclôt, pour ainsi dire, au fond du peuple », une jeune fille « sortie des plus insondables épaisseurs de l’ombre sociale, [ayant] au front le signe de l’anonyme et de l’inconnu. » (p. 136)

11Conséquence de cette obscure naissance, la fille comme la mère n’ont pas été baptisées. Cela apparaît de manière évidente pour Fantine : « À l’époque de sa naissance, le Directoire existait encore. Point de nom de famille, elle n’avait pas de famille ; point de nom de baptême, l’église n’était plus là. » (p. 136) ; et de manière plus implicite pour Cosette qui « n’avait [jamais] mis le pied dans une église. » (p. 319) L’appellatif particulier de la Thénardier surnommant Cosette « Mademoiselle Chienfaute-de-nom » (p. 309) peut ainsi trouver sa justification dans l’absence du rituel baptismal [6]. Surtout, dans la tradition folklorique, le loup-garou est un des aspects sous lesquels peuvent se manifester les enfants des limbes, c’est-à-dire, les jeunes morts sans baptême [7].

12D’une manière plus générale, la lycanthropie affecte ceux sur qui pèse « une malédiction ecclésiastique » [8], une excommunication ou un bannissement, ainsi que les enfants morts en défaut de socialisation, que ce défaut provienne d’une bâtardise, d’un abandon, ou d’une perversion du rituel chrétien : « c’était le sort de certains enfants illégitimes, des fils de prêtres ou des enfants baptisés alors que le curé n’était pas en état de grâce. » [9] Dans tous les cas, l’agressivité de ces esprits est interprétée comme une demande de réparation de ce défaut.

13En ce soir de Noël, l’ensauvagement de Cosette, fillette errant « loin de tout regard humain » (p. 313), seul être à sortir dans les bois et la nuit alors qu’un des buveurs de Thénardier souligne qu’« il faut être un chat pour aller dans la rue sans lanterne à cette heure-ci » (p. 308), semble bien faire écho au bannissement du garou, être humain « devenu errant et vagabond (…), hant[ant] chemins creux et halliers, solitaire comme une bête sauvage » [10].

14De plus son apparition à Valjean, près d’une source, suscite à nouveau des comparaisons avec certaines manifestations d’enfants des limbes qui se produisent « au bord des eaux pour essayer de se baptiser ou se faire baptiser et échapper ainsi à leur état d’errance » [11]. L’eau agitée, faisant dans son seau « des cercles qui ressembl[ent] à des serpents de feu blanc » (p. 311), exerce d’ailleurs une curieuse fascination sur la jeune fille. Cette association de l’eau et du feu marque aussi les apparitions des enfants morts sans baptême dont les feux-follets sont les exemples les plus connus. Le parallèle entre l’errance de Cosette et celle des enfants des limbes ressort de cette remarque du narrateur : « Les forêts sont des apocalypses : et le battement d’ailes d’une petite âme fait un bruit d’agonie sous leur voûte monstrueuse. » (p. 312) Petite âme à l’agonie, morte avant d’avoir vécue, Cosette, dans le bois de Montfermeil, semble éminemment proche de ces juvéniles revenants qui cherchent leur place entre l’ici-bas et l’au-delà.

« Entrer et sortir »

15Le choix du « garou » pour désigner Cosette, en collaboration avec d’autres figures équivalentes, semble souligner à la fois la malédiction qui touche la fillette mais aussi son rapport avec l’univers des morts. Le statut des enfants des limbes est paradoxal et ambivalent ; ils restent dans un entre deux qui superpose les deux bornes de l’existence dont le franchissement n’a pas été possible. Par la faute ou l’absence du baptême, ils n’ont pu intégrer le monde des vivants et sont restés en partie attachés au monde inquiétant des esprits ; par leur fin prématurée ils n’ont pu rejoindre le domaine des morts et restent attachés à celui des vivants auxquels ils réclament, de manière agressive, les soins dont ils ont été privés. L’ambivalence du statut de ces êtres ressortit donc à ce double mouvement contradictoire et paradoxal d’entrée et de sortie dont aucun n’est jamais complètement achevé.

16Même si, évidemment, la désignation de Cosette est symbolique et que la jeune fille est bien vivante, ce qui frappe, dans sa première apparition est ce lien sans cesse affirmé avec diverses figures de morts. Dans les bois « où il y avait peut-être des revenants » et où apparaissent « tous les fantômes de la nuit » (p. 310-311), c’est l’indistinct, l’indéterminé qui semble naître sous les yeux de l’observateur ; et la perception de ce phénomène est à ce point puissante qu’elle semble faire participer le sujet de la nature de l’objet observé :

17

Une réalité chimérique apparaît dans la profondeur indistincte. L’inconcevable s’ébauche à quelques pas de vous avec une netteté spectrale. On voit flotter, dans l’espace ou dans son propre cerveau, on ne sait quoi de vague et d’insaisissable comme les rêves des fleurs endormies. Il y a des attitudes farouches sur l’horizon. On aspire des effluves du grand vide noir. (…) On éprouve quelque chose de hideux comme si l’âme s’amalgamait à l’ombre.
(p. 312)

18Cet amalgame qui s’opère entre la jeune enfant et l’univers de l’ombre qui l’environne permet de comprendre pourquoi sa mère morte semble la seule à pouvoir l’observer avec Dieu (p. 313). D’ailleurs, nous l’avons déjà remarqué, le lien entre la mère morte et la jeune enfant est affirmé à plusieurs reprises en ce soir de Noël que ce soit dans ce refrain étonnant que chante la fillette, « Ma mère est morte ! ma mère est morte ! ma mère est morte ! » (p. 322), dans la qualification de la mère par Thénardier qui en fait « une pas grand’chose », c’est-à-dire une Cosette, ou dans la croyance de Cosette dans le don de la « bonne fée », « c’està-dire la mère » (p. 327) — Fantine, fata, la fée, être fantastique et ambi-valent comme l’« enfant-garou » [12]… Enfin à l’abandon de Cosette par sa mère fait écho l’enterrement de Fantine qui apparaît, lui aussi, comme un abandon « dans ce coin gratis du cimetière qui est à tous et à personne, et où l’on perd les pauvres. » (p. 252) Le statut ambigu de la mère morte rejoint celui de la fille qui, être sauvage toujours tenu à l’écart des autres enfants — elle joue seule dans « ce que la Thénardier appelait “sa niche” » (p. 319) — n’a pu être intégrée.

19L’indétermination du statut de Cosette suscite une interrogation de la part du narrateur : « Quand elles se trouvent ainsi, dès l’aube, toutes petites, toutes nues, parmi les hommes, que se passe-t-il dans ces âmes qui viennent de quitter Dieu ? » (p. 308) Ce questionnement sur la nudité de ces êtres encore incomplets, hésitant entre le monde des hommes et celui de Dieu, rejoint une réalité culturelle observée par tous les anthropologues à savoir « que l’enfant naît toujours inachevé comme le montrent les gestes symboliques et les soins rituels qui accueillent sa venue au monde et qui sont partie intégrante des rites de séparation (du monde nonhumain) et d’intégration (à sa future communauté). » [13] Par défaut de ritualisation, Cosette, en ce soir de Noël, appartient donc à cette catégorie d’êtres « inachevés, ensauvagés » dont Françoise Zonabend se demande si elle ne constitue pas « une véritable classe » à part dans les représentations de la jeunesse [14] ; cette classe semble se constituer dans Les Misérables au travers d’occurrences à rapprocher de l’« enfant-garou ».

20Observons Eponine :

21

C’était une créature hâve, chétive, décharnée ; rien qu’une chemise et une jupe sur une nudité frissonnante et glacée. Pour ceinture une ficelle, pour coiffure une ficelle, des épaules pointues sortant de la chemise, une pâleur blonde et lymphatique, des clavicules terreuses, des mains rouges, la bouche entr’ouverte et dégradée, des dents de moins, l’œil terne, hardi et bas, les formes d’une jeune fille avortée et le regard d’une vieille femme corrompue ; cinquante ans mêlés à quinze ans ; un de ces êtres qui sont tout ensemble faibles et horribles et qui font frémir ceux qu’ils ne font pas pleurer.
(p. 542)

22En bref, Eponine est « quelque chose d’horrible et d’effrayant » comme l’indiquait la version primitive du passage (note 1, p. 542). Deux mois plus tard, en cet instant lisière de la journée, au « crépuscule », elle se présente à Mabeuf sous l’aspect d’une « bête fauve », d’une « chauvesouris », d’un « esprit », pour finir par être associée à l’image d’un « gobelin » (p. 626-627) par le vieux bibliophile. Ses frères, quant à eux, lors des émeutes de juin 1832, sont des « oiseaux fauves » (p. 850), des êtres « errants » (p. 851) échappés de « la barrière d’Enfer ». Toujours lors de ce mois de juin, Gavroche prend les traits d’« un étrange gamin fée », d’un « nain invulnérable », d’un « pygmée », et surtout, d’un « enfant feu follet » (p. 850). Enfin, Marius lui-même n’est pas épargné par ce type de qualification puisqu’il est comparé à un « buveur de sang » (p. 479).

23La perception d’une enfance encore inquiétante car non détachée du royaume des morts se dessine donc à travers Cosette, Gavroche, Eponine ou Marius. L’expérience de Valjean entrant au Petit-Picpus et percevant des voix « qui ne sont pas de la terre » et qui sont à la fois « celles que les nouveau-nés entendent encore et que les moribonds entendent déjà » (p. 358) semble confirmer cette image particulière de l’enfance dans Les Misérables. Bloqués dans un entre-deux qui les empêche d’intégrer le monde des vivants, tous ces enfants, à l’instar de ce que doivent faire Cosette et Valjean au Petit Picpus, devront résoudre « le double et effrayant problème : sortir et entrer. » (p. 422)

Noël : Une « immémoriale coutume »

24L’irruption de Valjean à Montfermeil, lors de cette nuit de Noël, permet de faire participer Cosette à une « immémoriale coutume des enfants » (p. 327). Le terme coutume est essentiel pour comprendre ce qui se déroule ce 24 décembre. La poupée Catherine, offerte à Cosette, permet d’en préciser les enjeux : « La poupée est un des plus impérieux besoins et en même temps un des plus charmants instincts de l’enfance féminine. Soigner, vêtir, parer, habiller, déshabiller, rhabiller, enseigner, un peu gronder, bercer, dorloter, endormir, se figurer que quelque chose est quelqu’un, tout l’avenir de la femme est là. » (p. 321-322). À travers la coutume [15], c’est le destin de Cosette qui se joue, destin d’un « enfantgarou » qui devra apprendre à quitter sa peau pour entrer dans la vie.

Croquemitainisation

25En ce soir de Noël, les actes de Jean Valjean n’ont pas manqué de suggérer aux critiques des rapprochements avec la figure du Père Noël : il lève l’angoisse qui pèse sur Cosette au bois de Montfermeil (p. 313), lui offre la poupée Catherine (II. 3. 8.), et va déposer un louis d’or dans le sabot de la fillette placé dans la cheminée (Id.). À l’opposé, la Thénardier joue auprès de Cosette le rôle d’une véritable mère fouettarde, d’un croquemitaine en somme. La plupart des aspects de la cabaretière permettent de l’assimiler à cette figure. La crainte qu’elle inspire détermine les actes de la fillette : « Maintenant, c’était la Thénardier qui lui apparaissait ; la Thénardier hideuse avec sa bouche d’hyène et la colère flamboyante dans les yeux. (…). Que faire ? Que devenir ? Où aller ? (…) Ce fut devant la Thénardier qu’elle recula. » (p. 311). La description du personnage emprunte ses traits aux êtres fantastiques et inquiétants : « Tout tremblait au son de sa voix (…). Son large visage, criblé de taches de rousseur, avait l’aspect d’une écumoire. Elle avait de la barbe. (…)Sans les romans qu’elle avait lus, et qui, par moments, faisaient bizarrement reparaître la mijaurée sous l’ogresse, jamais l’idée ne fût venu à personne de dire d’elle : c’est une femme. (…)Au repos, il lui sortait de la bouche une dent. » (p. 305) Enfin, un de ses attributs, un « martinet » qu’elle n’hésite pas à décrocher pour battre Cosette, participe d’une véritable pédagogie de la peur propre aux croquemitaines.

26Valjean lui-même, semble avoir conscience de la fonction répulsive du personnage, lorsque, poursuivi par Javert aux alentours du Petit-Picpus, il se sert de l’image de la Thénardier pour faire taire Cosette :

27

– Père, dit-elle tout bas, j’ai peur. Qu’est-ce qui vient donc là ?
– Chut ! répondit le malheureux homme, c’est la Thénardier. Cosette tressaillit. Il ajouta.
– Ne dis rien. Laisse-moi faire. Si tu cries, si tu pleures, la Thénardier te guette. Elle vient pour te ravoir.
(p. 357)

28Ces diverses apparitions de la gargotière esquissent bien une figure semblable à ces « êtres imaginaires dont les parents (…) font [aux enfants] une peinture succincte, mais terrifiante, en les menaçant de châtiments que ces entités peuvent leur infliger, s’ils commettent des imprudences ou s’ils désobéissent. » [16] Et même si dans le roman la Thénardier est un personnage bien réel, les folkloristes ont noté que nombre de figures empruntées à une réalité sociale ou historique sont aptes à investir l’imaginaire enfantin dans lequel ils exercent un rôle d’« épouvantail » [17] : il s’agit d’un des aspects de ce qu’ils nomment « processus de croquemitainisation » [18]. Or il semble bien que ce terme puisse particulièrement s’appliquer au traitement esthétique réservé à certains personnages des Misérables, à ce que Jacques Dubois qualifie de « tératologie du caché, du rentré, de l’escamoté. » [19]

29À partir des remarques précédentes, l’opposition entre Valjean et Thénardier, qui prendrait la forme du couple antithétique Père Noël / Père Fouettard, serait à reconsidérer. En effet, jusqu’à sa rencontre avec Cosette, il semble bien que Valjean lui-même soit « croquemitainisé ». L’ancien forçat apparaît comme un être de la peur. Cette peur se cristallise tout d’abord dans des appellatifs particuliers. À l’instar de cette catégorie de croquemitaines que forment les « êtres verbaux » étudiés par Nicole Belmont [20], Valjean existe d’abord dans les rumeurs comme objet de on-dit anxiogènes. Aux yeux d’une femme de Digne terrorisée, il est « l’homme » (p. 97), l’article défini renvoyant à celui dont « on parl[e] » (p. 101), c’est-à-dire « un rôdeur de mauvaise mine », « un vagabond suspect », « un bohémien, un va-nu-pieds, une espèce de mendiant dangereux ». La plupart de ces désignateurs se résument, pour madame Magloire, dans la formule « un homme de sac et de corde. » Cette figure de l’homme au sac est bien attestée dans les typologies de croquemitaines, son attribut servant à « enlever les enfants qui n’obéissent pas » [21]. À ce titre, le sac joue le même rôle que la hotte dans les représentations diaboliques. Or, Valjean et Cosette entretiennent des rapports particuliers avec les deux objets. Homme à la « poitrine velue » et à « la barbe longue » [22], « sinistre apparition » (p. 102) qui hante Digne en octobre 1815, l’ancien forçat porte « sur le dos un sac » (p. 93) contenant les outils qui lui serviront à cambrioler monseigneur Myriel. Dans le Petit-Picpus, Valjean indique à Cosette qu’elle devra être emportée dans « la hotte du jardinier » Fauchelevent (p. 410) — devenu le frère de Valjean — et termine ses recommandations par la formule comminatoire propre aux évocations de croquemitaines : « obéis et ne dis rien ! » Enfin, l’apparition de Valjean à Cosette dans la forêt de Montfermeil, n’est pas sans évoquer un autre aspect particulier du croquemitaine, celle de la main qui agit de manière autonome pour effrayer les enfants : « En ce moment, elle sentit tout à coup que le seau ne pesait plus rien. Une main, qui lui parut énorme, venait de saisir l’anse et la soulevait vigoureusement. » (p. 313)

30Dans le contexte historique des Misérables il est très difficile d’affirmer que le personnage de Valjean fait directement référence au Père Noël, cette création relativement moderne [23]. En fait le traitement ambivalent réservé à Valjean à la fois inquiétant et rassurant, semble appuyer l’aspect « immémoriale » de la coutume ; Hugo semble se situer avant ce « déplacement mythique » qui a conduit à « exalter le personnage bienveillant » pour le dissocier de ses « autres comparses » appartenant « à la même famille » et « maintenant rejetés à l’arrière plan : Croquemitaine, Père Fouettard, etc. » [24] Fidèle, par ailleurs, à des expériences de jeunesse auxquelles le roman fait référence, Hugo se plaît à conjoindre crainte et confiance dans des figures ambivalentes [25]. Ainsi, émettant une réserve quant à l’association de Valjean avec l’image du Père Noël, nous pourrons dire que Valjean est un Père Noël à la seule condition de ne pas oublier la crainte qu’inspire encore de nos jours l’apparition de ce personnage aux tous petits, crainte qui s’explique par son lien de parenté avec les croquemitaines.

Le don

31Qu’est ce qui pousse Valjean, en ce soir de Noël, à jouer le rôle de donateur auprès de Cosette ? L’explication par la simple satisfaction des désirs de l’enfant ne paraît pas suffisante. Ce don s’effectue en effet dans la cadre de « l’accomplissement de la promesse faite à la morte », titre du Livre dans lequel s’inscrit cette nuit de Noël, et qui a pour fonction de rappeler la dette essentielle contractée par le personnage envers Fantine décédée. Une note de travail de 1847 fonde d’ailleurs l’histoire du personnage sur cette relation débitrice : « Indiquer [expressément] dans la première partie que J.T. se regarde comme la cause du malheur et de la mort de Fantine et que ce qu’il fait pour Cosette est une réparation. » [26] Plus qu’aux droits des enfants, il semble bien que Jean Valjean réponde avant tout aux droits des morts en se chargeant du destin de Cosette. D’ailleurs, en plus de la poupée et du louis d’or, n’offre-t-il pas à la fillette une tenue de deuil (p. 331) plutôt incongrue en ce soir de fête ! La réparation que vise Valjean à travers ces dons semble bien prendre la forme de l’apaisement d’une âme dont nous avons dit qu’elle serait en peine pour être morte dans l’insatisfaction [27] : « La mère avait dû être contente dans sa tombe de voir sa fille porter son deuil (…) » (p. 950). Ainsi, comme l’a montré Claude Lévi-Strauss, la remise de cadeaux aux enfants le soir de Noël est certainement motivée par des raisons obscures : « La croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants. » À travers les échanges et les dons, l’apaisement des morts est en jeu selon « une démarche dialectique dont les principales étapes sont : le retour des morts, leur conduite menaçante et persécutrice, l’établissement d’un modus vivendi avec les vivants fait d’un échange de services et de présents, enfin, le triomphe de la vie quand, à la Noël, les morts comblés de cadeaux quittent les vivants pour les laisser en paix jusqu’au prochain automne. » [28]

32L’homologie structurelle entre ce schéma et l’histoire de Cosette et Valjean apparaît assez frappante. Nous avons en effet souligné le lien étroit entre la mère défunte et son enfant à travers le recours aux figures menaçantes des êtres fantastiques dont le « garou » est l’exemple le plus parlant. Les différents dons faits à Cosette servent bien l’instauration de ce « modus vivendi » avec la morte envers laquelle Valjean se sent redevable. Enfin, ces présents annoncent bien pour Cosette une véritable entrée dans la vie. La poupée Catherine, par exemple, permet à Cosette de se raccrocher à un destin de femme ; le jouet, par son nom et sa fonction, annonce le mariage et l’amour dont Gillenormand fera l‘ ?éloge : « il y a une certaine sainte Catherine que je voudrais voir toujours décoiffée. » (p. 927)

33Le don de Noël permet donc la levée d’une double malédiction, expression de la « damnation sociale » [29] : celle de la mère et celle de l’enfant. Or adressé à une bête sauvage comme le « garou », le don est aussi la forme traditionnelle qui permet de lever la malédiction du lycanthrope. Avant même de lui offrir une poupée ou un louis, Valjean rencontre l’« enfant-garou » dans les bois et choisit spontanément de lui venir en aide. Cet acte mettant en valeur la bienveillance du personnage prend une dimension symbolique très forte puisqu’il s’agit de soulager Cosette d’un fardeau dont l’image est couramment associée à la pénitence : « Elle marchait penchée en avant, la tête baissée, comme une vieille ; le poids du seau tendait et roidissait ses bras maigres. L’anse de fer achevait d’engourdir et de geler ses petites mains mouillées ; de temps en temps elle était forcée de s’arrêter, et chaque fois qu’elle s’arrêtait, l’eau froide qui débordait du seau tombait sur ses jambes nues. » (p. 312-313) Cette nuit de Noël, dont l’influence magique est propice à la levée des malédictions, sert de cadre à des histoires dans lesquelles, l’acte généreux et désintéressé d’un humain permet au garou de se libérer de sa peine. C’est notamment le cas dans ce récit relevé par Charles Joisten où la malédiction d’un loup-garou est levée, un soir de Noël, par un jeune enfant qui lui offre une rissole. L’ex-lycanthrope commente ainsi le geste : « Pour rompre ce charme, il fallait qu’une personne, au lieu de me traiter en bête malfaisante, fasse à mon égard un geste charitable. C’est ce qui s’est produit chez vous et qui m’a permis de revenir à ma condition première. » [30]

34Ce dernier commentaire s’applique particulièrement bien au récit de l’entrée de Valjean à Digne. Se heurtant à l’hostilité des habitants de la petite ville il ne trouve l’hospitalité que chez Myriel. Condamné par son statut d’ancien forçat Valjean se trouve relégué dans l’animalité par une femme qui le traite de « chat de maraude » (p. 98) et, ensuite, par ce combat avec un chien pour une niche dans laquelle il souhaite se reposer (Id). Le scénario de l’entrée de Valjean à Digne joue ainsi en contrepoint par rapport à son arrivée à Montfermeil et suggère la présence structurante d’un motif très répandu dans la littérature orale, celui de l’hospitalité faite au mendiant [31]. De plus, ce geste charitable, qu’il soit accordé à un garou ou à un mendiant, a pour principal bénéfice de retourner le don en contre-don. Ainsi, si l’on émet l’hypothèse que Valjean accorde à Cosette, en ce soir de Noël, ce qui lui a été refusé à Digne, l’on suppose par là même qu’en levant la malédiction qui plane sur Cosette et Fantine, l’ancien forçat ouvre la voie de son rachat. Pour souligner l’importance de cette structure actantielle de l’échange qui semble se mettre en place à Noël à travers le don et le rachat réciproque, nous rappellerons que l’« enfant-garou » est aussi l’enfant mort sans baptême et que le lien qui se noue entre Valjean et Cosette à partir de ce soir prend la forme d’une parenté spirituelle qui fait « que Jean Valjean devi[e]nt d’une façon céleste le père de Cosette » (p. 342), un parrain en quelque sorte. De ce jour date donc une relation de réciprocité : « Il la protégea et elle l’affermit. Grâce à lui, elle put marcher dans la vie ; grâce à elle, il put continuer dans la vertu. » (p. 343-344) Or si l’on ajoute à ces remarques l’utilisation permanente par Hugo dans son œuvre des images infernales — voir à ce titre le chapitre entier « Tempête sous un crâne » (I.7.3.) qui débute par des références à Dante et Milton et qui s’achève sur ce dilemme résumant la situation de Valjean, « rester dans le paradis et y devenir démon ! Rentrer dans l’enfer et y devenir ange ! » (p. 211) — l’on sera frappé de l’homologie entre ce qui se passe ce Noël à Montfermeil et le conte type The Devil’s contract (T.756.B), mettant en valeur une structure actantielle reposant sur la réciprocité :

35

Il comprend trois séquences essentielles : un enfant est promis au diable, souvent par ses parents misérables ; mais grâce à la rencontre d’un adulte en étroite relation avec le diable, souvent un brigand, il fait un voyage en Enfer. Ce voyage a un double effet : il sauve l’enfant de l’Enfer en lui permettant par exemple de deviner le pacte signé par son père et il lui permet d’avertir son protecteur [parrain] qu’un fauteuil l’attend en Enfer. Celui-ci fait alors pénitence et peut se sauver lui-aussi. [32]

36Ainsi, au scénario du rituel de Noël, viennent se superposer ceux de récits de croyance et de contes soulignant que, si l’histoire de Cosette et Valjean peut être lue sur les trois plans du récit de Noël, du don au loup, ou du rachat du pécheur, elle le doit à cette structure actantielle commune qui, par l’échange de dons, intervertit les positions du destinateur et du destinataire et instaure la réciprocité.

Le temps du devenir

37L’image du loup-garou et des enfants menaçants souligne un aspect de l’œuvre hugolienne largement sous estimé : l’ambivalence.

38Le garou, « versipellis ou retournepeau », est en effet l’animal des renversements, dont la double peau, à la fois animale et humaine, se retourne régulièrement quand le temps inverse son cours [33]. L’enfant-garou, mélange d’innocence et de laideur, de même que les personnages touchés par la croquemitainisation — Valjean, à la fois menaçant et rassurant, mais aussi Thénardier, l’homme des transitions brutales capable de passer « en quelques instants (…) de la violence effrénée à la douceur tranquille et rusée » (p. 582) —, illustre une esthétique grotesque faite de la présence simultanée des contraires. Or, selon Bakhtine, la dimension temporelle de l’ambivalence est essentielle dans les représentations grotesques :

39

L’image grotesque caractérise le phénomène en état de changement, de métamorphose encore inachevée, au stade de la mort et de la naissance, de la croissance et du devenir. L’attitude à l’égard du temps, du devenir, est un trait constitutif (déterminant) indispensable de l’image grotesque. Son second trait indispensable, qui découle du premier, est son ambivalence : les deux pôles du changement : l’ancien et le nouveau, ce qui meurt et ce qui naît, le début et la fin de la métamorphose, sont donnés (ou esquissés) sous une forme ou sous une autre. [34]

40Ainsi, saisir toute l’ambivalence du garou nécessite de mettre en rapport cette figure avec une représentation particulière d’un temps qui serait celui du devenir, un temps propre à activer des dynamiques contradictoires, un temps à la fois génésiaque et eschatologique. Le roman reproduira sur le plan de ses structures temporelles cette ambivalence des « larves », enfants feux-follets ou garous, qui touchent au deux bouts de l’existence.

Les Douze Jours

41Les journées du 24 et du 25 décembre se prolongent dans le Livre « La masure Gorbeau », lors des 26 et 27 décembre (II.4.2 & 3). Cet ensemble de chapitres des Misérables constitue, dans le parcours de Valjean et Cosette, une période de marge, une sorte de réclusion où se dessine un mouvement d’alternances.

42Les 26 et 27 décembre confirment tout d’abord ce balancement de la peur et de la violence autour de Cosette lorsque celle-ci, se réveillant en sursaut au cri de « Ah ! mon Dieu ! mon balai ! » (p. 341), demande, craintive, à son nouveau père adoptif si elle doit continuer à jouer le rôle de servante qu’elle tenait chez les Thénardier. Elle ne comprend d’ailleurs pas les manifestations de tendresse de Valjean lui baisant les mains : « La pauvre enfant, accoutumée à être battue, ne savait ce que cela voulait dire, et s’en allait toute honteuse. » (p. 343) L’épisode de la masure Gorbeau permet de saisir un moment du roman où les impressions des personnages apparaissent contradictoires et ambivalentes. Ainsi, aux yeux de Cosette, et malgré l’apparence de Valjean, « le bonhomme ne (…) faisait même plus l’effet d’être vieux, ni d’être pauvre. Elle trouvait Jean Valjean beau, comme elle trouvait le taudis joli. » (p. 342) En retour, l’ancien forçat imagine « avec une sorte de joie » que Cosette sera « laide » (p. 343). Bien qu’échappés de Montfermeil, les deux personnages apparaissent toujours sous les traits de la sauvagerie, comme des « oiseaux fauves », « hibou et fauvette » (p. 340). Enfin, « semblables par le deuil » (p. 342), les deux existences de Cosette et Valjean semblent toujours conjoindre la vie et la mort. Ambivalence de la violence, ambivalence de la crainte, de la laideur, les jeux d’alternances et d’inversions semblent rendus possibles par ce médiateur au statut incertain qu’est l’enfant [35]. Le jeu qui semblait apparaître au soir de Noël à travers l’enfant-garou prend une force supplémentaire dans la Masure Gorbeau, comme si toutes les potentialités de l’ambivalence enfantine s’exprimaient à un degré supplémentaire. En se liant au destin de la jeune fille Valjean expérimente d’ailleurs des alliances improbables ; c’est un « pauvre vieux cœur tout neuf » (p. 342), homme enceint à la fois « mère » et « père », quasi fiancé de Cosette.

43Ces mouvements ambivalents qui apparaissent dans la masure Gorbeau prolongent ceux de Noël et surtout, rendent sensible cette dynamique d’une période de l’année considérée comme période de marge. Jours surnuméraires, épagomènes, les Douze Jours introduisent dans le calendrier le temps du devenir en liant fin de cycle et recommencement, image de la naissance et de la mort. Il semble donc bien que, sur un mode intimiste, l’épisode de la masure Gorbeau reproduise « cette identité fondamentale des contraires », cette « synthèse des extrêmes » [36] qui soustend la plupart des manifestations festives de la période des Douze Jours.

« Saturnales » en juin

44À l’opposé de Noël et des Douze Jours de décembre 1823, les émeutes de juin 1832 vont lier définitivement les destins de Cosette et Marius et sceller les histoires des personnages par des séries de retournements : retour de Marius chez Gillenormand et réconciliation avec son grand-père, mariage de Cosette un Mardi Gras, mort de Javert suite à un bouleversement complet de ses convictions sur le crime et la loi — « Une nouveauté, une révolution, une catastrophe venait de se passer au fond de lui-même », p. 911 —, effacement de Jean Valjean dans « La décroissance crépusculaire » (V.8.).

45De décembre 1823 à juin 1832, l’essentiel du destin de Cosette et Valjean va se jouer. Ces deux années sont inverses au niveau décimal (23-32), et entre elles se sont écoulés neuf ans. Neuf, chiffre éminemment symbolique puisqu’il rappelle que la lettre écrite par Fantine sur son lit de mort enjoignant à Thénardier de remettre Cosette à Valjean est datée du 25 mars 1823, jour de l’Annonciation, soit neuf mois avant le soir de Noël. Ainsi se comprend la grossesse masculine qui affecte un Valjean ressentant « des épreintes » (p. 342) et aussi l’extrême fécondité de la nature soulignée lors des émeutes de juin : « Toute la nature déjeunait ; la création était à table ; c’était l’heure » (p. 853). Par la durée (9 mois et 9 ans), par les dates (1823-1832), par la fécondité, ces deux bornes de l’histoire de Cosette et Valjean sont en miroir, à la fois équivalentes et inverses. D’un point de vue calendaire il convient par ailleurs de noter que ces deux épisodes du roman se situent à proximité des deux bornes solsticiales de l’année, équidistantes et inverses, marquées par le recouvrement liturgique qui établit en échos la Saint Jean d’hiver et la Saint Jean d’été — Valjean deux fois Jean par son nom et son prénom. Ce sont surtout les deux axes de l’année où le mouvement du temps s’inverse, et à ce titre il serait aussi particulièrement intéressant d’étudier comment Hugo se plaît à situer les actions de ses personnages ambivalents à des moments de retournements cosmiques, lors des pleines lunes, à l’aube ou au crépuscule. Exemple parmi d’autres de l’influence cosmique dans Les Misérables[37], le mouvement des grilles du cimetière Vaugirard semble rythmé par celui de l’astre solaire : « ces grilles tournaient donc inexorablement sur leurs gonds à l’instant où le soleil disparaissait derrière le dôme des Invalides. » (p. 414)

46Le rapprochement entre décembre 1823 et juin 1832 est effectué grâce à la réflexion d’un bourgeois qui qualifie les émeutes de juin de « Saturnales » (p. 854). Les deux bornes de l’année se touchent donc par ce raccord. Les « Saturnales » qui, dans le calendrier romain, s’achevaient au 24 décembre et constituaient en fait le moment de la « Libertate decembri » [38], désignaient cette période où les positions sociales s’inversaient, où la licence prenait des formes qui ont suggéré aux ethnologues des rapprochements avec les manifestations carnavalesques et avec celles du cycle des Douze Jours. La correspondance entre juin et décembre se comprend donc dans un mouvement qui serait celui du retournement et des inversions propre à ces deux périodes.

Une société à rebours

47En écho au « pauvre vieux cœur tout neuf » de Valjean se constitue, dans le roman, la « jeunesse vieille » (p. 465), produit de l’éducation doctrinaire. Si la société Ultra accouche de cette classe d’âge paradoxale c’est qu’elle semble se plaire à brouiller les repères générationnels. Gillenormand, qui en est un digne représentant, s’oppose ainsi à Marius, son petit-fils, dont l’apparence « grave » (p. 462) et sérieuse tranche avec la figure de « vert-galant » (p. 451) du grand-père. La « jeunesse vieille » se comprend donc dans son rapport à une vieillesse jeune. S’accordant « toutes les licences », Gillenormand est bien un vieillard à rebours, entrant en colère « le plus souvent à contresens du vrai » (p. 448), jurant comme au Grand-Siècle. Ce « vieillard gaillard » confond les âges et les générations puisque sa fille de cinquante ans « lui faisait l’effet d’avoir huit ans » ; bref, il est l’« l’homme d’un autre âge » (p. 447).

48La société dans laquelle Marius évolue et qui est, pendant un certain temps, son « milieu respirable » (p. 461), est donc une société à rebours, constituée de « fantômes » (p. 462), de « jeunes gens (…) un peu morts » (p. 464), de « revenants » (p. 465), déclarant « non avenu le temps écoulé depuis Coblentz » (p. 464). Ce petit monde maintient ses enfants dans une situation ambiguë ; à la fois non-morts et non-vivants, ceux-ci s’accordent parfaitement avec le portrait de la fille de Gillenormand : « Il y avait dans toute sa personne la stupeur d’une vie finie qui n’a pas commencé. » (p. 454) A l’image de ces enfants des limbes dont l’« enfant-garou » est l’expression la plus frappante, la « jeunesse vieille » Ultra erre donc dans un entre-deux, à la lisière de l’intégration. À ce stade du roman, le jeu des représentations ambivalentes qui n’affectaient que les descriptions des personnages se hisse au niveau d’une réflexion historique, puisqu’il devient le moyen de caractériser une période en marge : la parenthèse Ultra, « ces dix années [qui] furent un moment extraordinaire, à la fois bruyant et morne, riant et sombre, éclairé comme par le rayonnement de l’aube et tout couvert en même temps des ténèbres des grandes catastrophes qui emplissaient encore l’horizon et s’enfonçaient lentement dans le passé. Il y eut là, dans cette lumière et dans cette ombre, tout un petit monde nouveau et vieux, bouffon et triste, juvénile et sénile, se frottant les yeux. » (p. 465)

49Pour sortir de sa situation intermédiaire, Marius, à l’image de Cosette, doit intégrer un processus de retournement. Celui-ci débutera par le rejet du grand-père et de sa société, rejet présenté comme un véritable changement d’« orientation », au sens cosmique du terme : « Ce qui avait été le couchant était le levant. Il [Marius] s’était retourné. » (p. 472-473) Et ce retournement est comparé au fait de se « dépouill[er] », de perdre « son ancienne peau ». Marius serait donc lui aussi un « versipellis » ! Et son changement de peau le précipitera du côté des insurgés de juin, lors de ces émeutes / Saturnales qui provoqueront un nouveau renversement du personnage. Blessé grièvement, Marius est reconduit chez son grandpère par Valjean et plongé dans un nouvel état intermédiaire, « ni mort ni vivant » (p. 921). Or, la charpie que Cosette passe son temps à faire (p. 924) et que Valjean apporte tous les jours chez le vieillard, permet littéralement de refaire une nouvelle peau au jeune homme dont « on coupait les chairs mortes avec des ciseaux » (p. 922) [39]. Ayant subi l’expérience du retournepeau, c’est l’ex-« enfant-garou » qui taille à Marius sa nouvelle peau et, tout en permettant la résurrection de celui-ci, amorce le dernier retournement du roman, à savoir l’« abdication » du grand-père qui devient « le petit-fils de son petit-fils » (p. 922).

50Entre Noël 1823 et juin 1832, un système d’échos se met en place dans une dynamique qui est celle des inversions, des retournements. Le mouvement de basculement, inauguré à Noël par la possibilité du rachat de Valjean et Cosette, s’achève en juin, dans ce qui est présenté comme des « Saturnales ». L’histoire des personnages versipellis s’inscrit dans un cadre particulier, celui du devenir, de la marge, de l’entre deux, « qui interpose une épaisseur temporelle au sein de la rupture » [40] et introduit des dynamiques complexes rompant avec la linéarité.

La fonction de croyance

51Inscrit dans le devenir, l’enfant-garou permet de saisir la frontière entre l’enfant et l’adulte comme fluctuante. Ce n’est pas le moindre des paradoxes, en effet, de voir les enfants du roman devenir en quelque sorte les « croquemitaines » des adultes. Cette représentation particulière suggère une absence de solution de continuité entre les générations. Claude Lévi-Strauss l’avait souligné dans son étude sur Noël : ce qui fonde la différence entre adultes et enfants n’est pas l’absence ou non de croyance, mais la forme de cette croyance. En fait, à travers le folklore enfantin, les adultes projettent leurs phantasmes et leurs craintes sur les jeunes gens et assurent ainsi la permanence de la fonction de croyance [41].

52Premier exemple révélateur : dans l’épisode de la « chasse noire » (II.5.), Valjean, en utilisant la Thénardier comme croquemitaine pour faire taire Cosette, transpose surtout sa propre peur de celui qui apparaît comme son propre croquemitaine, à savoir Javert.

53À Montfermeil, le soir de Noël, même si une distinction se dessine entre Valjean et Cosette du fait que le premier a conscience de jouer le rôle de la bonne fée dispensatrice de présents et que la seconde y croit réellement, la croyance de cette dernière sert en fait de point d’appui à celle de Valjean qui pense tout de même que cette bonne fée existe, mais sous une autre forme, celle d’une âme en peine dont il doit assurer le salut.

54Ces deux exemples montrent une évidente continuité entre les croyances de Cosette et celles de Valjean. Dans cette relation de réciprocité qui s’instaure entre les deux personnages, l’ancien forçat assoit son autorité en jouant avec la crédulité de la fillette ; parallèlement ce jeu lui permet de se libérer de ses propres craintes : « La manipulation des croquemitaines serait ainsi une manière détournée, pour l’adulte, de se mettre en position d’autoprotection. (…) Les enfants aideraient ainsi, par un effet retour, les adultes à vaincre leurs peurs (…). » [42]

55L’importance de la notion de croyance se manifeste aussi dans la construction de l’image de Cosette. Dans la maison de la rue Plumet, la jeune fille, quitte sa laideur d’enfant-garou comme elle quitterait « un déguisement » (p. 642). Et surtout, de même qu’elle s’était « toujours crue laide » (p. 640), elle devient belle à partir du moment où elle croit être belle. Insistant non sur la beauté ou la laideur en elles mêmes, mais plutôt sur la foi en cette beauté ou cette laideur, le texte affirme, à travers le retournement de peau de Cosette, non une rupture radicale, mais une certaine continuité. En effet, l’important semble surtout, au-delà des images du corps, de continuer à « croire ». Et la répétition de ce verbe dans le chapitre « La rose s’aperçoit qu’elle est une machine de guerre » (IV.3.5.) confirme l’importance de la croyance. De plus, même belle, la fillette apparaît toujours comme un être menaçant ; ses armes ont changé, mais le fait est que cette beauté sert « une machine de guerre » qui inspire toujours de la crainte à Valjean. Celui-ci considère en effet « avec angoisse » (p. 642) et « avec anxiété » les « ravages » de la beauté, comprenant que ce qui est en train de se produire est « terrible » (p. 641) et qu’il n’y a rien « de si dange- reux » (p. 642) que la femme. Cette femme qui naît en Cosette n’est d’ailleurs pas sans rapport avec l’enfant qu’elle était puisque le jeu de séduction qu’elle mène avec Marius lui procure « une joie encore toute enfantine » (p. 643). La femme continue donc l’enfant à travers la séduction : « Les femmes jouent avec leur beauté comme les enfants avec leur couteau. Elles s’y blessent. » Et la continuité est d’autant plus importante entre la « rose » et l’« enfant-garou » que Cosette, à Montfermeil, jouait déjà avec un petit sabre « emmaillotté » comme une poupée (p. 321). La coquetterie des femmes ne serait donc que la forme adulte des jeux des fillettes qui, grâce à leurs poupées, se figurent « que quelque chose est quelqu’un ». Comme l’affirme le narrateur, « tout l’avenir de la femme est là ». Jouer sur les représentations, faire semblant, croire en sa bonne fée ou au croquemitaine, tout se passe comme si, dans ce temps du devenir qui est aussi celui du « versipellis », la croyance jouait un rôle déterminant et permettait de faire le lien entre les différents retournements, entre les changements d’état des personnages, entre les enfants et les adultes.

56À partir de la qualification initiale qui fait de Cosette une « enfantgarou », l’étude ethnocritique [43] a voulu souligner comment le texte hugolien, en s’appropriant un fonds de culture populaire qu’il retravaille selon des contraintes et des orientations littéraires, s’ouvre le champ « des possibles narratifs » [44]. Le statut du garou, être de la marge et de l’ambivalence, infléchit le cours du récit dans un sens particulier en intégrant les personnages à des structures actantielles construites sur le principe de la réciprocité. Ainsi, cette figure « en voie de constitution » [45] qu’est Cosette permet, en retour, de tracer les contours d’une autre figure en devenir, celle d’un Valjean tout à la fois croquemitaine et parrain de la fillette. Enfin, le rôle que joue la croyance dans ces états intermédiaires, dans ces moments de la marge si importants pour l’évolution des personnages, permet d’apporter des précisions sur la dimension initiatique des Misérables ; roman de passage, il permet plus de saisir des continuités que des ruptures entre les générations, entre les différents états des personnages. À travers leurs croyances et leurs peurs qui se soutiennent mutuellement, Cosette et Valjean suivent un parcours qui peut se comprendre grâce à la définition qu’Octave Mannoni donne de l’initiation : « après cette épreuve pénible où la croyance infantile a été démentie, elle peut donc continuer son existence sous une forme adulte : quelque chose a pour ainsi dire passé de l’autre côté (…). » [46]

Notes

  • [1]
    Pour Nicole Savy, l’inscription calendaire fait de Valjean une figure du Père Noël et de Cosette une Cendrillon, « Cosette : un personnage qui n’existe pas », in Lire Les Misérables, Paris, José Corti, 1985, p. 179. Pour Pierre Laforgue, Cosette est « à la fois un enfant Jésus et la vierge de ce même enfant Jésus, alors que Jean Valjean assumerait le double rôle de Christ de la Maternité et de Saint Joseph, — s’il n’était incontestablement Balthazar » qui « apporte l’or », « Histoire, roman et symbolique dans Les Misérables. L’exemple de Cosette et Gavroche », in Gavroche. Études sur Les Misérables, Paris, CDU/SEDES, 1994.
  • [2]
    Les pages renvoient à l’édition chronologique de Jean Massin, Paris, Club français du livre, 1967-1969, t. 11 pour Les Misérables.
  • [3]
    Arnold Van Gennep dans Le Folklore français, t. 3, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1998, signale : « En cette période de l’année riche en magie, les êtres fantastiques s’agitent, les esprits peuplent l’air et les sorciers sont libres. » p. 2702 ; « En Normandie, “les loups-garous empruntent toutes sortes d’animaux et font leurs expéditions entre Noël et la Chandeleur”. Dans cette période toute bête est en horreur, c’est-à-dire, explique Lecœur, “que les warous et tous les esprits malfaisants courent la campagne”. » p. 2703
  • [4]
    Selon la définition qu’en donne A.J. Greimas dans « Les actants, les acteurs et les figures », Du Sens II, Paris, Seuil, 1983, p. 65-66.
  • [5]
    « Aussi les [loups-garous] considérait-on comme des animaux d’une espèce particulière, doués d’un instinct merveilleux, comme des êtres surnaturels qui savaient découvrir les fautes et les punir. De là l’expression “gare au loup-garou” par laquelle on avertissait les coupables, les maraudeurs, les malintentionnés, et surtout les enfants qui n’étaient pas sages. » J.-B. Bardin, Le pays de Septème (Isère) […], Lyon, 1912, pp. 115-121, cité par Charles Joisten dans « Les loups-garous en Savoie et Dauphiné » in Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1992, p. 170 ; Françoise Loux parle aussi du « loup dont il faut se garer » dans L’ogre et la dent. Pratiques et savoirs populaires relatifs aux dents, Paris, Berger-Levrault, 1981, p. 165.
  • [6]
    A ce titre les qualifications démoniaques résultant de l’absence de baptême formeraient une modalité particulière des procès de nomination dont l’importance et la complexité, dans Les Misérables, ont été mises en évidence par Anne Ubersfeld dans l’article « Nommer la misère », Revue des sciences humaines, n° 156, 1974, p. 581-596.
  • [7]
    Voir sur ce sujet l’étude de Jean-Michel Doulet, Quand les démons enlevaient les enfants. Les changelins : étude d’une figure mythique, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002 ; Paul Sébillot, Croyances, mythes et légendes des pays de France, Paris, Omnibus, 2002, p. 767 à 771.
  • [8]
    Paul Sébillot, op. cit., p. 768. Voir aussi Sophie Bobbé, L’ours et le loup. Essai d’anthropologie symbolique, Ed. de la Maison des sciences de l’homme, INRA, Paris, 2002, p. 37, et Jean Marigny, Sang pour sang. Le réveil des vampires, Paris, Gallimard, coll. Découvertes, 1993.
  • [9]
    Françoise Loux, op. cit.
  • [10]
    La citation est extraite du Livre des merveilles de Gervais de Tilbury, au chapitre « Des hommes qui ont été des loups » et exploitée par Hanna Zaremska pour montrer que les histoires et les croyances « raconte[nt] à [leur] manière ce que le droit expose à la sienne » à savoir que « dans les cultures indo-européennes, l’exilé, le fugitif et l’étranger sont souvent comparés aux loups », ce que prouve par ailleurs le terme de wargus désignant dans la loi salique l’exilé et dont l’étymologie remonte à la forme germanique « vargr, varg, vearg, qui signifie “loup” ». Hanna Zaremska, Les bannis au Moyen Âge, Paris, Aubier, 1996, p. 40-41.
  • [11]
    Nicole Belmont, « Les enfants des limbes », Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1992, p. 201.
  • [12]
    Sur l’origine du nom du personnage en rapport avec les êtres fantastiques des vallées vaudoises voir Jean Gaulmier, « de Fantine aux Vaudois d’Arras », in Centenaire des Misérables. Hommage à Victor Hugo, Strasbourg, 1962, p. 85-94. Pour un point de vue folklorique sur les origines de ces êtres fantastiques voir Christian et Dominique Abry, « Des Parques aux fées et autres êtres sauvages : “Naroues” (xvie s.), “Naroves” (xixe s.) et “Naroua” (xxe s.) savoyardes », Croyances, récits et pratiques de traditions. Mélanges Charles Joisten, Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1982, p. 247-280.
  • [13]
    Jean-Michel Doulet, op. cit., p. 350.
  • [14]
    Françoise Zonabend, « La mort : le chagrin, le deuil », in Le fœtus, le nourrisson et la mort, dir. Catherine Le Grand-Sébille, Marie-France Morel, Françoise Zonabend, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 37.
  • [15]
    Hugo avait-il conscience du lien étroit qui unit étymologiquement « coutume » et « costume » ? Toujours est-il que le jeu sur l’habillement de la poupée apparaît au cœur de cette « immémoriale coutume » qu’est Noël ; il permet de construire un destin à Cosette en la rattachant à une tradition et en lui ouvrant la perspective d’un avenir de femme : « De costume dérive le mot coutume ; des habits, le terme habitudes ; et les vêtements sont par excellence le moyen d’exprimer les convenances lors de tous les grands moments de la vie. » Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, Paris, Gallimard, 1979, p. 204.
  • [16]
    Paul Sébillot, Revue des traditions populaires, 1903, p. 489.
  • [17]
    Antonio Lavieri, « La Main verte et autres épouvantails enfantins. Tentative de typologie. », Ethnologie française, XXVI, 1996, 3, p. 453-463.
  • [18]
    Pour la description de ce phénomène nous renvoyons aux articles d’Alice Joisten et Christian Abry, « Les croquemitaines en Dauphiné et Savoie », et de Daniel Loddo et Jean-Noël Pelen, « Croquemitaines d’Occitanie », Les croquemitaines. Faire peur et éduquer, Le Monde alpin et rhodanien, 2-4/1998.
  • [19]
    Jacques Dubois, « L’affreux Javert » in Hugo dans les marges, textes réunis par Lucien Dällenbach et Laurent Jenny, Genève, éd. Zoé, 1985, p. 18.
  • [20]
    Nicole Belmont, « Comment on fait peur aux enfants », Topique, revue freudienne, n° 13, 1974.
  • [21]
    Nicole Belmont, « Les croquemitaines, une mythologie de l’enfance », Le monde alpin et rhodanien, 2-4/1998, p. 9.
  • [22]
    Apparence velue et barbe longue forment aussi les principales caractéristiques de cet étrange croquemitaine qu’est le « barbo », par ailleurs assez proche du loup-garou ; voir les études de Jacques Berlioz, « Masques et croquemitaines. À propos de l’expression “Faire barbo” au Moyen Âge », in Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1982, p. 221-234, et « Le masque et la barbe. Figures du croquemitaine médiéval » avec Danièle Alexandre-Bidon, in Le monde alpin et rhodanien, 2-4/1998, p. 163-186.
  • [23]
    Comme le note Arnold Van Gennep, « on constate une carence documentaire qui prouve la modernité relative de l’intrusion du Père Noël dans le folklore français », op. cit., t. 3, p. 2413. « Il s’agit donc d’un cas précis de Folklore naissant ou vivant », ibid, p. 2415.
  • [24]
    Claude Lévi-Strauss, « Le Père-Noël supplicié », Les Temps modernes, n° 77, 1952, p. 1580. Voir aussi à ce sujet Hedwige Heinecke, « Saint Nicolas et les enfants », Revue des traditions populaires, t. 4, n° 12, déc. 1889, p. 641.
  • [25]
    Gavroche s’amuse à chercher un monstre fabuleux, « le sourd », « qui a des écailles sous le ventre et qui n’est pas un lézard, qui a des pustules sur le dos et qui n’est pas un crapaud, qui habite les trous des vieux fours à chaux et des puisards desséchés, noir, velu, visqueux, rampant, tantôt lent, tantôt rapide, qui ne crie pas mais qui regarde, et qui est si terrible que personne ne l’a jamais vu ». Le plaisir que procure cette recherche est ambivalent puisque « c’est un plaisir du genre redoutable » (p. 432). Comme le rappelle Yves Gohin dans une note de l’édition Folio, 1995, « c’est Victor Hugo et son frère Eugène qui avaient ainsi désigné le monstre qu’ils se plaisaient à chercher dans le puisard des Feuillantines (Victor Hugo raconté, chap. VII, éd. Massin, I, p. 854). »
  • [26]
    « Notes de travail » du « Dossier des Misérables » établi par René Journet dans Victor Hugo. Œuvres Complètes. Chantiers, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2002, p. 731. Les initiales J.T. y désignent Jean Valjean sous son premier nom, Jean Tréjean.
  • [27]
    Sur les morts insatisfaits voir Jean-Pierre Piniès. Figures de la sorcellerie languedocienne, Paris, éd. du C.N.R.S., 1983, et notamment le chapitre « Signes des morts et messager des ames », p. 205-265.
  • [28]
    Claude Lévi-Strauss, op. cit., p. 1587 et 1589 pour la citation précédente.
  • [29]
    Préface du 1er janvier 1862 des Misérables.
  • [30]
    Le monde alpin et rhodanien, 1-4/1992, p. 84.
  • [31]
    Comme exemple de ce motif nous citerons une de ces formes particulières qu’est le voyage du Christ, de saint Jean et de saint Pierre. Ceux-ci se présentent toujours de manière anonyme chez des paysans, font l’épreuve de l’hospitalité, et récompensent chacun selon ses mérites. Les contes de Luzel. Légendes chrétiennes de la Basse-Bretagne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Terre de Brume, 2001, présentent un ensemble complet de récits construits autour de ce motif. C’est aussi le cas d’une légende que connaissait certainement Hugo par l’intermédiaire de Champfleury et dont nous soupçonnons le poète d’avoir repris des éléments dans Les Misérables, à savoir celle du Bonhomme Misère. Voir à ce sujet Alfred Harou et Paul Sébillot dans la Revue des traditions populaires, t. 4, n° 12, déc. 1889, p. 645-648, t. 5, n° 5, mai 1890, p. 299-300, t. 9, n° 5, mai 1894, p. 248-250.
  • [32]
    Conte analysé et résumé ainsi par Agnès Fine dans « Le parrain, son filleul et l’audelà », Études rurales, n° 105-106, janv.-juin 1987, p. 136.
  • [33]
    « Tandis qu’au xviie, le loup-garou est nommé “lycanthrope”, les Latins le désignent auparavant par le terme versipellis, littéralement “peau retournée”, renvoyant à une croyance selon laquelle la face intérieure de la peau de l’homme est poilu comme celle d’une bête », Sophie Bobbé, op. cit.
  • [34]
    Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au moyen âge et sous la renaissance, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1982, p. 33.
  • [35]
    Selon l’étude de François-André Isambert, à l’instar de l’Enfant Jésus le soir de Noël, les enfants deviennent bien de véritables médiateurs durant le cycle des Douze Jours : « On remarquera l’ambiguïté du rôle de l’Enfant, qui est don du ciel mais aussi lumière, à la fois donné et donnant, (…) » Le sens du sacré. Fête et religion populaire, Paris, éd. de Minuit, 1982, p. 200.
  • [36]
    François-André Isambert, p. 207 et 204.
  • [37]
    « L’astronomie devient perspective surplombante dans l’œuvre de Hugo à partir de l’exil parce qu’elle est la totalité supérieure qui accueille la problématique du devenir. » Paule Petitier, « Astronomie, histoire ouverte et poétique de la connaissance » in Victor Hugo 4 –x Science et technique. Revue des Lettres modernes, Paris, Minard, 1999, p. 57.
  • [38]
    Horace, Satires, II, 7, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 200. À propos des Saturnales voir aussi l’ouvrage de Macrobe, Paris, Les Belles Lettres, 1997. Hugo semble avoir subi l’influence païenne qui fait du Carnaval une survivance des Saturnales : « La saturnale, cette grimace de la beauté antique, arrive, de grossissement en grossissement, au mardi-gras. » (p. 941) À propos des Saturnales comme ancêtres du Carnaval voir aussi James George Frazer, « Saturnales et fêtes similaires », Le Rameau d’Or, t. 3, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1983, p. 604-665.
  • [39]
    Dans la plupart des études sur le loup-garou on relève cette ambiguïté sur la nature de la peau de l’animal ; tantôt c’est la propre peau du garou qui se retourne, tantôt pour devenir garou il faut revêtir une autre peau. Dans ce dernier cas l’opération est réellement comparée au fait de se vêtir ou de se déguiser ; ainsi, comme le note Charles Joisten, le « terme s’habiller avec une peau de loup, ou plus simplement s’habiller “en loup”, “en bête”… est absolument général. » Le monde alpin et rhodanien, 1992, p. 51. Cette correspondance entre la peau et le vêtement est d’ailleurs développée à travers tout un réseau de mythes étudiés par Claude Lévi-Strauss au chapitre « parures, blessures » d’Histoire de Lynx, Paris, Plon, 1991, coll. Pocket, p. 129-143. À l’image des héroïnes des récits Chilcotin, il est surprenant de voir comment le texte hugolien produit ce passage des blessures de Marius aux parures de Cosette dans le mariage.
  • [40]
    Nicole Belmont, « Temps continu, temps rompu, temps oublié », Ethnologie française, 2 000/1 –x janv.-mars, p. 24.
  • [41]
    Expression employée par Nicole Belmont et traduisant le fait que les adultes ne se débarrassent jamais complètement de leurs terreurs infantiles : « Même formalisées, élaborées dans le langage, grâce aux noms et à la description qu’ils reçoivent, les épouvantails ont quelque chose à voir avec les phantasmes infantiles persécutants. Ou plus exactement peutêtre, ils sont les représentations de quelque chose de non représentable puisqu’inconscient. » « Les croquemitaines… », Le monde alpin et rhodanien, 2-4/1998, p 16.
  • [42]
    Daniel Loddo et Jean-Noël Pelen, op. cit., p. 93.
  • [43]
    Pour les principes d’une « interprétation ethnologique » de la littérature nous renvoyons aux travaux de Jean-Marie Privat, Bovary Charivari, Paris, CNRS éditions, 1994, et de Marie Scarpa, Le Carnaval des Halles. Une ethnocritique du Ventre de Paris de Zola, Paris, CNRS éditions, 2000,
  • [44]
    Claude Brémond, « La logique des possibles narratifs », Communications, n° 8, 1966.
  • [45]
    « des figures en voie de constitution », c’est la définition que Greimas donne des personnages de roman, op. cit., p. 64.
  • [46]
    Octave Mannoni, Clefs pour l’imaginaire ou l’Autre Scène, Paris, Seuil, coll. Points, 1969, p. 16-17.
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