Notes
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[1]
De Paulhan, Breton dit qu’il a marqué la transmission entre les derniers symbolistes (André Gide, Paul Valéry, Léon-Paul Fargue), le groupe formé autour d’Apollinaire (Max Jacob, Pierre Reverdy, Blaise Cendrars) et les surréalistes (Breton, 1952 : 46).
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[2]
C’est ce qui figure sur un bulletin de souscription broché dans Littérature 12 – exemplaire de la Bibliothèque Nationale.
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[3]
Paulhan dans une lettre à Éluard datant de l’année 1920 (brochée dans Littérature – exemplaire de la Bibliothèque Nationale ; cf. aussi Michel Sanouillet 1965 : 213).
-
[4]
« Le langage disparaît comme instrument, mais c’est qu’il est devenu sujet » (Blanchot 1949 : 45, inspiré de Jacques Rivière, cf. plus haut). Voir aussi la distinction que fait Tristan Tzara entre « la poésie – moyen d’expression » et « la poésie – activité de l’esprit » (Tzara, 1931).
-
[5]
Les théories de Paulhan sur le langage sont rassemblées dans les volumes 2 et 3 des œuvres complètes (Paulhan, 1966 : 70). En ce qui concerne la théorie de Paulhan sur le langage et son importance pour le surréalisme, voir en particulier Ferenczi 1968, Ferenczi 1970 et Baudouin 1970. Mes explications tiennent compte des résultats de ces études (qui se répètent parfois).
-
[6]
Cf. aussi la reproduction dans Paulhan 1966-70 : II, 127 sq.
-
[7]
Pour l’explication, cf. Ferenczi, 1969 : 803 et Ferenczi, 1970 : 49 sq. À ce sujet, il faut aussi mentionner les réflexions ultérieures de Charles Ogden et Ivor Richards, comme l’a fait Francis Édeline dans son étude sur le jeu de mots : « Si l’on se reporte au triangle bien connu d’Ogden-Richards :on voit qu’il permet un fonctionnement direct de la poésie entre les références et les symboles, sans appel aux référents. » (Édeline, 1963 : 304)
-
[8]
Tzara, qui qualifie les proverbes d’Éluard de dadaïstes, donne des indications importantes : le motif du proverbe habituel est l’observation, l’expérience, c’est-à‑dire la relation entre le texte et le domaine de la réalité. Les proverbes d’Éluard, en revanche, n’ont que l’apparence du proverbe habituel. L’ancien et le nouveau proverbe ont en commun l’art et la manière dont ils sont manipulés dans le processus de communication : comme plaisir ancré dans la conscience collective que procurent des mots qui sonnent bien. « Par exemple, la définition : “un proverbe est un proverbe” ou “un proverbe très proverbe” – Le proverbe dada résulte d’une sonorité aux apparences multiples, partie de toutes les bouches avec la force d’inertie et la conviction du ton, mais qui se pose avec le calme sur le vin. Le motif du proverbe populaire est l’observation, l’expérience, celui du proverbe dadaïste une concentration spontanée qui s’introduit sous les formes du premier et peut arriver au même degré et résultat : petite folie collective d’un plaisir sonore » (Tzara, 1921).
-
[9]
Dans un mémoire (Université de Bonn 1972), Annette Lukat a essayé d’analyser un à un les 152 proverbes d’Éluard et de Péret. Il apparaît clairement ici qu’il y a parfois aussi contamination de plusieurs proverbes (sur le plan sémantique, syntaxique ou phonétique), par exemple : Pour la canaille, obsession vaut mitre (= Possession vaut titre + Pour la canaille, nécessité fait loi) ou, dans l’exemple que nous avons cité : Il faut battre la mère pendant qu’elle est jeune (= Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud + Il faut courber le rameau quand il est jeune). Là où le lecteur ne connote pas un proverbe déterminé de même structure, il connote au moins « la fonction normative des proverbes. Il en résulte aussi une tension intéressante entre le sens général cherché sur la base de la connotation et le non-sens manifeste du texte surréaliste. […] Le sens de cette technique d’Éluard/ Péret est clair : la logique apparente du proverbe avec sa force malgré tout intacte est dévoilée par l’exagération » (Kloepfer, 1975 : 98).
-
[10]
Cf. ce qu’écrit Claude Roy dans un compte rendu : « Paul Éluard me fit don un jour d’une plaquette rare, imprimée par G.L.M. : “Notes sur la poésie” par Breton et Éluard. Le cadeau recelait un piège. J’y tombai. Je flairai cependant quelque chose mais ne sus pas trouver quoi. Appliquant la méthode du “retournement” pratiquée par Lautréamont dans ses ‘Poésies’ (où il inverse des maximes célèbres, les retourne comme une peau de lapin). Breton et Éluard avaient ici simplement “détourné” des phrases de Valéry. […] Éluard sourit de me voir joué » (Roy, 1975). Cf. aussi Gershman, 1964.
-
[11]
Ce qui sépare le proverbe initial du nouveau proverbe peut aussi être montré sur un exemple tiré de la publicité : pendant la crise pétrolière de 1973/74, Citroën lança comme slogan publicitaire : « Un franc est un franc. Un litre est un litre ». Par sa référence à l’actualité, la deuxième partie du slogan prend le référent de la première et renvoie, du point de vue de l’effet publicitaire, au produit propre. Sans rapport contextuel/situationnel on aurait affaire avec « un litre est un litre » à un proverbe « surréaliste ».
-
[12]
Pour le proverbe tautologique, cf. aussi Roland Barthes (1970 : 96-98).
-
[13]
Baudouin parle d’un « jeu d’un texte contre un pré-texte » (1970 : 300), pour décrire la référence aux modèles linguistiques précédents. Parler par jeux de mots est justifié aussi dans la mesure où un sens de l’humour (ironie, parodie) est incontestable dans les proverbes d’Éluard ; le recours aux formes de texte populaires et traditionnelles met cependant en même temps la valeur morale des proverbes en question tout en les rendant esthétiques par aliénation.
-
[14]
Riffaterre écrit : « une logique des mots s’impose qui n’a rien à voir avec la communication linguistique normale : elle crée un code spécial, un dialecte au sein du langage qui suscite chez le lecteur le dépaysement de la sensation où les surréalistes voient l’essentiel de l’expérience poétique » (1969 : 45).
-
[15]
Cette hypothèse se trouve chez Sanouillet (1965 : 212) ; critiquée également chez Pierre Dhainaut (1970 : 40 sq.).
-
[16]
« C’est toujours au proverbe que tout langage tend » (Ponge, 1961 : 238).
1. Introduction
1D’emblée, l’on précisera ou rappellera au lecteur que cette thématique se trouve répartie en deux articles consécutifs des numéros Varia de la présente tribune. Dans le premier (2019/2), on articulait le propos ainsi : 1. Introduction. 2. Présentation : en quête d’un nouveau langage ; 3. La langue comme fin ou comme moyen ? 4. Le lecteur-déchiffreur : jeux de mots dans le surréalisme ; 5. En guise de conclusion.
2Dans la seconde partie, ici présente, sont abordés les points suivants : 1. Introduction ; 2. Les mots comme croyance, les proverbes comme justification des mots ; 3. Réflexion de Paulhan : la ressource naturelle des mots ; 4. Concentration des mots ; 5. Renoncement au sens, ou redécouverte du sens ? 6. Détermination du lecteur ; 7. Bouleversement sémantique et syntaxique comme choc et conscience du lecteur ; 8. Conclusion générale.
2. Les mots comme croyance, les proverbes comme justification des mots
3Paul Éluard et son ami Jean Paulhan, poète et linguiste, ont fourni une contribution importante à la théorie surréaliste sur le langage, comme le reconnaît André Breton. Le premier partagera longtemps les préoccupations du second ; il cultivera sur le plan poétique ses savantes objections en matière de langage. Ce que dit et sous-entend Paulhan est à cet égard significatif (Breton, 1952 : 51 sq) [1].
4La revue Proverbe d’Éluard fondée en 1920, dont six numéros en tout parurent, avait été annoncée par un slogan très prétentieux :
5PROVERBE
6Feuille mensuelle
7Pour la justification des mots [2].
8« Justification des mots » reçoit cette définition d’Éluard dans sa préface à « Les Animaux et leurs hommes, les hommes et leurs animaux » (1920) :
9Et le langage déplaisant qui suffit aux bavards, langage aussi mort que les couronnes à nos fronts semblables, réduisons-le, transformons-le en un langage charmant, véritable, de commun échange entre nous (Éluard, 1919, 1920, 1968 : I, 37)
10Le « nouveau langage » dont il était question dans le vers de Guillaume Apollinaire (cité en-tête de Proverbe 1 et mentionné précédemment) reçoit une précision. Pour Éluard en effet, la réduction (« réduisons-le ») est la base d’un nouveau moyen de communication (« de commun échange entre nous ») ; et Paulhan lui emboîte le pas :
Je suis préoccupé de démontrer que les mots ne sont pas une traduction des pensées (comme il arrive pour des signes télégraphiques, ou les signes de l’écriture) mais une chose eux-mêmes, une matière à réduire, et difficile [3].
12Cette réduction est en outre dirigée contre la langue en tant que moyen (instrument) mais promue en tant que fin et entité, postulant un monde propre [4].
13Au sein de la grande problématique bien connue « langue et pensée », Paulhan admet la possibilité, dans certaines conditions, d’une séparation des deux, d’une certaine autonomie de la langue. Il est indispensable d’esquisser sa théorie linguistique pour comprendre les idées des écrivains surréalistes sur la communication. L’association voulue d’une « recherche verbale » et d’une « recherche intérieure » (Blanchot, 1949 : 104), du monde intérieur et du monde extérieur, repose en effet chez eux sur des hypothèses linguistiques élaborées principalement par Paulhan au début du mouvement surréaliste [5].
3. réflexions sémantiques de Paulhan : la ressource naturelle des mots
14Contre l’idée selon laquelle les mots sont les signes de la pensée (« Chaque idée a son mot, chaque mot a son idée »), Paulhan objecte que l’on aurait négligé ici ce qu’il appelle la « première ressource des mots, leur ressource naïve » (Paulhan, 1920) [6].
15Comme l’expose Thomas Ferenczi, Paulhan se fonde sur la théorie linguistique de Saussure et distingue ainsi les trois catégories bien connues : signifiant, signifié, référent ; par cette relation triangulaire, il réalise une double opération : l’opération linguistique relie la séquence phonétique (signifiant) à une représentation (signifié) ; l’opération logique relie la représentation (signifié) à un fait matériel externe (référent). Ce que résume la visualisation :
16Le rapport entre langage et pensée, mot et chose doit être décrit par une notion abstraite, intralinguistique, qui fonctionne comme point de départ et n’est aucunement identique au référent. Breton se révolte contre la conception contraire, conventionnelle :
[…] avant tout nous nous attaquons au langage qui est la pire convention. On peut très bien connaître le mot bonjour et dire Adieu à la femme qu’on retrouve après un an d’absence. (Breton, 1920 : 10) [7]
18Paulhan voit dans l’opération linguistique une preuve de l’autonomie de la langue. Le signifié est une abstraction qui, cependant, se manifeste ; c’est un peu comme un archi-sens dans lequel sont neutralisées et réunies les caractéristiques sémantiques distinctives : « Il faut commencer par faire retour aux mots, en quelque sorte, avant qu’il leur soit donné un sens (qui se trouve être, dans la suite, ambigu). » (Paulhan, 1966-70 : III, 384).
19C’est cet archi-sens qu’il appelle la « ressource naturelle des mots ». Ce qui importe à Paulhan (et avec lui aux surréalistes) ce n’est donc pas la mise en question de la relation linguistique, mais celle de la relation logique (Ferenczi, 1970 : 52).
20La distinction entre signifiant et référent, tout comme celle entre langue et parole, est importante sur le plan du mot. La phrase, en revanche, produit, par la situation et/ou le contexte, une relation directe entre signifiant et référent : les opérations linguistiques et logiques ne sont plus distinguées ; la « ressource naïve » visible sur le plan du mot se volatilise sur le plan de la phrase. Il existe cependant un type de phrases ou de textes – Paulhan les désigne par « mots longs » – où la « ressource naïve » est manifeste : ce sont les proverbes (Paulhan, 1966-70 : III, 395).
21Dans « L’expérience du proverbe », Paulhan décrit les difficultés qu’il a eues avec des proverbes malgaches. Il découvre que dans les proverbes aussi, le signifié est quelque chose d’autre que le référent. Dans un proverbe (« Le bœuf mort ne se protège pas des mouches ») l’auditeur perçoit une idée globale (quand on est vieux ou mort, on ne peut plus se défendre, tout grand que l’on soit) ; le signifié (un vieux bœuf exposé aux mouches) n’est cependant pas perçu. Il existe indépendamment du référent, conserve son autonomie (Paulhan, 1966-70 : II, 106).
22Ferenczi commente un autre exemple :
le proverbe offre cette particularité de présenter un sens (signifié) antérieur à la pensée (référent) qu’il est chargé d’exprimer. Si je dis « Il n’y a pas de roses sans épines », mon énoncé présente dès l’abord un sens (l’inexistence des roses dépourvues d’épines) ; il exprime ensuite une idée (la contrepartie malheureuse de tout événement heureux). (Ferenczi, 1970 : 54).
24Dans les proverbes – et ce n’est pas pour rien que la revue d’Éluard s’intitule Proverbe – Paulhan et Éluard voient un type de texte où l’autonomie de la langue demeure conservée, tout au moins en partie. L’étude de ces textes semble ainsi fournir aux surréalistes la possibilité de « restituer la langue à sa vraie vie » (Breton, 1969 : 181 sq.) qui n’est pas corrompue par le rapport avec la réalité et qui est pleine de force créatrice : « […] rendre le verbe humain à son innocence et à sa vertu créatrice originelle » (Breton, 1952 : 79).
25Si l’on voit à l’arrière-plan les réflexions de Paulhan on comprend alors mieux ce que Breton voulait dire quand il écrivait dans Proverbe 1 (1920) :
SA CHOSE demande SON NOM
et il fait des difficultés.
27L’opération logique est ici mise en doute, comme c’est le cas chez Paulhan. Et on peut également retrouver chez Breton la conviction de Paulhan que ce ne sont pas seulement les mots qui doivent suivre les idées/choses, mais que l’inverse aussi est possible (Paulhan, 1966-70 : II, 127), c’est-à‑dire la conviction qu’il existe entre le signifié et le référent une marge de relations : « Il est des mots qui travaillent contre l’idée qu’ils prétendent exprimer (Breton, 1970 : 139).
28Parmi les surréalistes, c’est surtout Éluard qui travaille avec des proverbes afin de montrer la force propre du langage, au sens de Paulhan. De ses proverbes, Tzara pense ceci : « Paul Éluard veut réaliser une concentration de mots, cristallisés comme pour le peuple, mais dont le sens reste nul. » (Tzara, 1921) [8]
29Mais les trois moments cités de concentration des mots, de détermination du lecteur et de renoncement au sens doivent être expliqués plus en détail.
4. Concentration des mots
30Il s’agit pour Éluard de tester les possibilités sémantiques jusqu’aux limites extrêmes en réduisant la phrase au maximum.
Ex. 1 | Je me demande un peu : « Qui trompe-t‑on ici ? » |
Ah. | |
Je me trompe un peu : « Qui DEMANDE-T-ON ici ? » | |
Ex. 2 | Si j’y reviens je les quitte. |
Si je les quitte je veux revenir. | |
Ex. 3 | Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. |
Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle casse. | |
Tant va la cruche à l’eau qu’elle casse. | |
Tant va la cruche qu’elle casse. | |
Tant la cruche qu’elle casse. | |
Tant qu’elle casse. | |
Tant |
31Ex. 4
Il faut violer les règles, oui, mais pour les violer il faut les connaître. L’Intransigeant. | Il faut connaître les règles, oui, mais pour les connaître il faut les violer. |
Il faut régler la connaissance, oui, mais pour la régler il faut la violer. | Il faut régler les viols, oui, mais pour les régler il faut les connaître. |
Il faut connaître les viols, oui, mais pour les connaître il faut les régler. | Il faut violer la connaissance, oui, mais pour la violer il faut la régler. |
32Dans ces exemples tirés de Proverbe 5 (1921) et de Proverbe 2 (1920), des variations sont introduites non pas sur la syntaxe, mais sur la sémantique : un schéma syntaxique fournit l’occasion de permuter ou de remplacer des segments sémantiques dans la phrase (ex. 1, 2, 4), ou, comme indiqué plus haut, de réduire la phrase pour la concentrer (ex. 3), afin de mettre à l’épreuve ses possibilités sémantiques. Dans l’exemple 4, on déduit du substantif « règles » de la phrase initiale le verbe correspondant « régler », des verbes « connaître » et « violer » les substantifs correspondants « connaissances » et « viols ». Ainsi, en excluant la tautologie, six phrases au total sont possibles. La disposition typographique permet deux modes de réception : une lecture horizontale et une lecture verticale. Les blocs de phrases forment alors plusieurs systèmes (chiasmes, parallèles), si bien que ce texte devient la systématisation complète d’une seule phrase.
33Dans 152 proverbes mis au goût du jour (1925), écrits par Éluard et Benjamin Péret, une phrase – ici un proverbe – donne lieu aussi à des variations :
Il faut battre sa mère pendant qu’elle est jeune. [Modèle : Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud]
Qui s’y remue s’y perd [Qui s’y frotte s’y pique]
Il n’y a pas de cheveux sans rides.
Il n’y a pas de bijoux sans ivresse. [Il n’y a pas de fumée sans feu]
Qui sème des ongles récolte une torche. [Qui sème le vent récolte la tempête]
Un clou chasse Hercule. [Un clou chasse l’autre]
Le son fait la Beauce. [Le ton fait la chanson]. (Éluard 1968 : I, 153 sq.)
35Il est ici attendu du lecteur, à qui l’on n’a pas indiqué le proverbe initial, qu’il établisse des relations intertextuelles – ce qui n’est pas toujours aussi simple que dans ces exemples [9]. Cependant, le type de textes auquel le lecteur doit se référer y est tout de même signalé. Le cas se présente différemment lorsqu’Éluard et Breton, dans « Notes sur la poésie », modifient un texte de poétique de Valéry (Éluard, 1968 : I, 473-482), adaptent cette fois des textes étrangers à leurs propres conceptions, en refusant de relever le texte de référence, de sorte que le lecteur tombe dans le piège, à la joie des auteurs [10].
36Même si le lecteur des nouveaux proverbes d’Éluard parvient à identifier le texte de référence, il perçoit tout de même une différence particulière : les proverbes ont une valeur de phrases à portée générale, et ne sont ensuite utilisés que si le contexte et/ou la situation le permettent. Cependant, ces nouveaux proverbes n’ont pas de référent au sens habituel. Reste donc à savoir si cette « ressource naïve » s’avère vraiment évidente, conformément à l’exigence de Paulhan d’un langage autonome. Quel est ici le rôle du signifié ?
5. Renoncement au sens ou redécouverte du sens ?
37Tout comme Tzara, Ferenczi propose d’annuler ici le sens, c’est-à‑dire, comme dans d’autres domaines de la linguistique, d’opérer avec une valeur zéro : « le sens reste nul »/« un signifié égal à zéro ». Ses arguments s’appuient sur l’analyse faite par Paulhan à propos « d’un ‘‘proverbe intermédiaire’’ situé entre le proverbe habituel et le nouveau proverbe » (Ferenczi, 1970 : 60). Si l’on suit l’exemple de Paulhan Un proverbe est un proverbe, celui-ci se distingue du modèle tautologique habituel Un sou est un sou, Un franc est un franc, par l’inexistence d’un référent de type Il ne faut pas gaspiller. Le nouveau proverbe en question ne renvoie cette fois plus au monde, mais à des textes où le monde est traité de façon particulière : il devient métatextuel [11].
38L’analyse de Paulhan est intéressante car elle montre que dans toutes ces formes de proverbe tautologique [12] le rôle du signifié présente une contradiction interne : « il suggère à la fois qu’un sou est un sou (A=A) et qu’un sou est beaucoup plus qu’un sou (A>A) » (Ferenczi, 1970 : 60). On postule aussi bien l’égalité que l’inégalité. Selon Paulhan, conclut Ferenczi, le signifié existe dans cette absurdité même ; il la définit comme « déraison », comme « état normal et commun de la donnée naturelle de notre esprit ». Ainsi, l’opération linguistique contredit, pour Paulhan, l’opération logique ; le sens y est de la sorte négligé, et un moment absurde semble caractériser la relation entre langage et monde, langage et pensée :
Pour les proverbes, exemples et autres mots à jamais marqués d’une première trouvaille, combien ce vide autour d’eux les fait plus absurdes et purs, pareillement difficiles à inventer, à maintenir. (Paulhan, cité par Éluard, 1968 : 55)
40En somme, dans le nouveau proverbe, le lecteur a affaire à un « continuel déplacement du sens » (Tzara, 1921) si l’autonomie relative du signifié par rapport au référent doit être préservée au sein du nouveau proverbe, si les opérations linguistiques et logiques doivent être distinguées, l’opacité devient donc un caractère constitutif, au risque d’une capitulation du lecteur devant l’obscurité et la confusion.
41Il reste improbable que la communication soit donc aussitôt remplacée par une énigme, comme le suppose Dominique Baudouin dans sa description du proverbe surréaliste (Baudouin, 1970 : 299). Il ne subsiste un caractère énigmatique que dans la mesure où les nouveaux proverbes (comme par exemple : Pour une revue c’est une revue (dans Proverbe 2, 1920) une ombre est une ombre quand même (Éluard, 1968 : I, 157) ou les proverbes d’Éluard et de Péret « adaptés au goût du jour », recourent à des modèles antérieurs que le lecteur doit deviner [13]. Il semble plus important pour l’aspect communicatif que la logique des mots recherchée dans les proverbes d’Éluard se réfère au code propre, à l’opération linguistique, à la forme de leur message. C’est ce qui, selon Roman Jakobson (1960), fait la fonction poétique et, selon Michael Riffaterre, la particularité des métaphores surréalistes [14].
6. Détermination du lecteur
42Cette expression d’Éluard correspond aux présupposés du lecteur-récepteur. Les réflexions linguistiques théoriques d’Éluard et de Paulhan sur la dialectique du signe et de l’idée, des mots et des choses, se retrouvent dans les textes d’Aragon, Breton, Robert Desnos et Michel Leiris, entre autres. Il y est attendu du lecteur de textes surréalistes qu’il englobe dans sa lecture des réflexions de ce type notamment sur les rapports entre langue et pensée, ou encore sur la « création d’un monde écrit, mais d’un monde qui dépasse les emplois ordinaires du langage » (Legrand, 1968 : 23).
43La technique d’Éluard ne se déduit pas, comme il est apparu, des jeux de mots (où le son devenait le principe de mutation) [15], mais de réflexions sémantiques qui, à partir d’une libération des mots, veulent provoquer une libération du langage.
44Une réception adéquate des textes influencés par les réflexions sémantiques en question devrait envisager un nouveau type de communication, où la langue est postulée dans son univers propre. Paulhan considère le langage surréaliste en tant que moyen d’illusion, de déconnection de la pensée, de rupture, comme labyrinthe de l’absurde (Artaud, 1925). Après avoir ébauché une description des proverbes comme se rattachant à un type de phrases où le référent n’apparaît en quelque sorte qu’ultérieurement, Paulhan cherche par leur biais à prouver l’autonomie d’un langage qui serait antérieur à la pensée. En effet, le langage serait ici libéré du monde et la structure d’un langage autonome ne serait plus un langage dans l’inconscient, mais le langage de l’inconscient (Ferenczi, 1970 : 62 sq.). Selon Walter Benjamin, il ne reste plus ici de place pour « un sou de sens » (Benjamin, 1966 : 201, 286).
45Tzara, dans sa remarque sur les proverbes d’Éluard, désignait par « le peuple » le destinataire supposé, insistait alors sur le « comme-si », sur l’apparence : « comme pour le peuple » (les textes semblent appartenir à un fonds commun de textes populaires).
46Le nouveau proverbe n’a cependant que l’apparence du proverbe habituel. En effet, ce qui dans un proverbe traditionnel touche le lecteur, ce qui l’intéresse, c’est avant tout le thème comme le constate Paulhan : « Ce n’est point ordinairement la phrase en eux qui nous retient, mais bien, tout au contraire, le sujet : fable, moralité, loi de la nature. » (Paulhan, 1925 : 51).
47Or le nouveau proverbe chez Éluard dénie précisément le rapport au monde propre des faits, alors que chez Francis Ponge (dont « Plus que raisons » avait été publié dans L.S.A.S.D.L.R. 1, 1930) le proverbe, en tant que fable réduite, est une clef donnant accès à ses textes (Raible, 1972 : 72). Quant à ces derniers, ils font référence d’une manière particulière au monde de nos faits. Ponge a même opéré des mutations sur certains proverbes :
Je suis donc du bois dont on fait les haches/Je suis donc du bois dont on fait les bombes atomiques. (Ponge, 1961 : 234 sq.).
49Il a en outre découvert, comme Paulhan, que la langue peut précéder la pensée : « Que les idées peuvent bien venir des mots » (Ponge, 1961 : 236). Ou encore : « Que l’idée parfois suive le mot, sorte de lui, le traduise » (Paulhan, 1966-70 : II, 128).
50Si Paulhan s’était référé au besoin d’un sujet chez le lecteur, que le proverbe d’Éluard donnait juste l’illusion de satisfaire, Ponge répondait au problème de l’attente des auteurs vis-à-vis des proverbes. Il voyait dans tout acte de parole une tendance au proverbe [16], fondée par une valeur d’usage attendue :
On veut que cela serve plusieurs fois et, à la limite, pour tous les publics, en toutes circonstances, que cela gagne le coup quand ce sera bien placé dans une discussion. (Ponge, 1961 : 238)
52De la même façon, on aurait pu décrire les intentions des surréalistes, si dans la présentation on avait pris en compte le « comme-si » : l’apparence d’un nouveau proverbe sert le but d’une valeur d’usage surréelle qui, en bouleversant les conceptions éthiques, morales et esthétiques traditionnelles, démasque l’ancien et propage une nouvelle vision du monde.
7. Bouleversements sémantiques et syntaxiques comme choc et conscience du lecteur
53Il est logique que Paulhan relie ses réflexions sur la sémantique à des réflexions sur la syntaxe. Il les publie dans le premier numéro de la revue d’Éluard et semble se référer implicitement à un article dans lequel Reverdy avait réclamé une nouvelle syntaxe (ici réduite à l’ordre pertinent des mots) :
Pour un art nouveau une syntaxe nouvelle était à prévoir ; elle devait fatalement venir mettre dans le nouvel ordre les mots dont nous devions nous servir. Les mots eux-mêmes devaient être différents (Paulhan, 1918).
55Paulhan discute des reproches faits à Breton et à Reverdy de critiquer une absence de syntaxe ; cette « absence » correspond, en termes linguistiques, à une syntaxe de l’oral, moins normée, s’écartant d’une syntaxe de l’écrit. Par exemple, dans des phrases comme : Barrez-vous, les flics et On se trotte, tant pis, Breton et Reverdy, proposent de « compléter » les phrases citées par celles, caractéristiques en fait d’une syntaxe de l’écrit ou de la langue soutenue : Barrez-vous parce que les flics…, Je regrette que l’on s’en aille. Paulhan dans Proverbe 1, par ailleurs, met en lumière l’usure du vocabulaire :
Les mots s’usent à force de servir, et quand ils ont une fois réussi ne donnent plus beaucoup d’eux-mêmes (comme il arrive aux hommes) (Paulhan, 1920).
57Parmi les mots usés, Paulhan range des morphèmes vus comme de vieux lieux communs tels que puisque et comme, et suggère leur suppression en vue de « contraindre un sens neuf ». La nouvelle syntaxe est donc pour Paulhan celle réduite à un programme sémantique allant contre l’attente du lecteur.
58La violation de normes syntaxiques traditionnelles est censée provoquer une réaction de surprise du lecteur : « Où la syntaxe est violée, où le mot déçoit le mouvement lyrique, où la phrase de travers se construit, là combien de fois le lecteur frémit » (Aragon, 1966 : 9).
59Cependant, dans les textes surréalistes on trouve très peu d’exemples de ce type. De fait, les modifications de la syntaxe se font fort rares ; il s’agit plutôt d’un « torpillage de l’idée au sein de la phrase qui l’énonce » (Breton, 1969 : 127). Et si Breton écrit dans Point du jour que « les mots méritent de jouer un rôle autrement décisif » et que « le langage peut et doit être arraché à son servage », et s’il pose la question rhétorique qui est de savoir ce qui l’empêcherait de « brouiller l’ordre des mots » (Breton, 1970a : 22-23), il souligne cependant déjà au paragraphe suivant son respect pour la syntaxe :
Je sais le sens de tous mes mots et j’observe naturellement la syntaxe (la syntaxe qui n’est pas, comme le croient certains sots, une discipline). (Breton, 1970a : 23)
61Breton conçoit en effet la syntaxe non pas comme un ordre imposé de l’extérieur, mais comme un système de règles internes qui peut être un moyen de découverte et de libération (Gracq, 1966 : 149, 152). Une conception analogue se retrouve chez Aragon, bien qu’il soit plus subversif dans son écriture : « […] il [l’homme] conçoit suivant elle [la syntaxe], et son cerveau n’est au fond qu’une grammaire. » (Aragon, 1969a : 7)
62L’hypothèse postérieure lacanienne postulant la correspondance de la structure de l’inconscient avec la structure du langage, ne peut ici être appliquée. Il est frappant que ce soit précisément dans ces textes qui, en tant qu’écritures automatiques, devaient porter l’inconscient directement dans le langage et de le coucher sur papier, que l’on s’écarte d’une telle violation de la syntaxe allant jusqu’à l’illisibilité. Thomas M. Scheerer décrit de façon positive, dans son étude sur l’écriture automatique, les effets du mode de production d’une écriture automatique sur la textualité : il essaie de percevoir les conditions que le texte crée lui-même pour permettre sa lecture, le critère de son intelligibilité (Scheerer, 1974 : 44). Pour ce qui est de la syntaxe de l’écriture automatique, malgré quelques « anomalies » (par exemple : indication relationnelle erronée, abréviation sténographique), il n’y a jamais transgression par rapport à l’usage. L’automatisme représente plutôt ce qui serait antérieur à la pensée – ce qui, éventuellement, serait vu comme sémantiquement contradictoire.
63La transgression de la syntaxe, encore une fois, se réalise finalement peu dans les textes surréalistes ; un schéma syntaxique en série semble plutôt en constituer une caractéristique structurale. Le principe des séries, qui peut être présenté comme un phénomène stylistique de parallélisme syntaxique, permet de nouvelles configurations imprévues d’images, pour lesquelles la technique d’assemblage, exploitée aussi dans les arts plastiques, est opérante.
64Deux auteurs font sur ce point figures d’exceptions. Aragon, pour sa part, expérimente, dans l’un de ses poèmes, des constructions syntaxiques déviantes. De même Tzara, dans un exemple vu précédemment, et comme le préconise aussi Paulhan, ainsi qu’on l’a évoqué plus haut :
BOUÉE
Dans une neige de neige / un enfant une fois / jeta l’âme de lui / et ne savait pas / il ferme les paupières des yeux
Un couple / il veut dire un homme et une femme / une fois une fois / tout le long du chemin / un couple d’eux deux
Le froid et le chaud une fois / Or il fut sur le point / Or il se mit / il chantait / il mange une gaufre au soleil gaufre
L’image d’elle dans l’eau
Une fois dans l’eau une fois
C’était un fleuve d’eau
L’eau mouille clair blanc
Fleur humide. (Aragon 1969 : 78)
66Dans ce poème en effet – comme l’explique l’auteur lui-même quarante ans après la publication (Aragon & Arban, 1968 : 70 sq.) – Aragon tente de reproduire la syntaxe d’une version interlinéaire ; le poème est caractérisé par une hésitation permanente quant à l’utilisation de morphèmes et de structures grammaticales ; ce faisant, il projette sur l’axe syntagmatique ce qui est habituellement placé sur l’axe paradigmatique :
67Or il fut sur le point
68Or il se mit
69Il chantait
70II mange une gaufre…
71L’hésitation se manifeste également au travers des répétitions, entre autres des réduplications, ou des juxtapositions de termes homophoniques (neige de neige, une fois une fois, d’eux deux, une gaufre au soleil gaufre), ainsi que par un changement de temps permanent (un enfant […] jeta […] et il ne savait pas il ferme / il se mit il chantait il mange).
8. Conclusion générale
72Dans le premier volet de l’article, on a tenté de montrer, à travers Breton, Aragon, Desnos, Tzara, Francis Picabia, Marcel Duchamp, Paulhan, Éluard, Roger Vitrac, Leiris principalement qu’une féconde créativité lexicale se déploie dans la poésie surréaliste, allant de pair avec une construction théorique et programmatique. On a vu que cette dernière se fonde sur une conception de la langue comme fin plus que comme moyen et sur une grande part de liberté d’interprétation accordée au lecteur-récepteur. La créativité repose, concrètement, d’une part sur une surexploitation de procédés poétiques préexistant ainsi que sur l’émergence de procédés originaux, sans oublier le rapport privilégié du texte à l’image. En outre, la mise à l’épreuve par les surréalistes des ressorts de la langue ainsi que de ses contraintes et scléroses y a été développée.
73Dans le second volet, ces mêmes auteurs sont convoqués pour mettre en valeur d’autres aspects de la question. Les Surréalistes non seulement battent en brèche l’idée que les mots seraient des manifestations de la pensée, mais tendent aussi à attaquer la langue comme convention, par une quête de la « ressource naïve des mots », d’un « archi-sens », en allant jusqu’à dissocier signifié et référent. Là encore, la liberté associative du récepteur se trouve stimulée. À l’échelle de la phrase également, les poètes de cette mouvance testent certaines limites sémantiques en opérant sur elle des réductions à l’extrême.
74C’est sans doute sur la syntaxe que le bouleversement surréaliste marque ses limites. Si Aragon souligne dans ses souvenirs les points communs des réflexions sur la syntaxe dans la littérature surréaliste, celle-ci n’en demeure pas moins dans la réalité des faits axée sur les subversions sémantiques plus que sur les transgressions syntaxiques. En réalité, la tendance, établie depuis Mallarmé, à introduire un programme sémantique l’a emportée sur celle de la syntaxe modifiée dont l’exemple éclatant, énoncé plus haut (en 7.), est « Bouée » d’Aragon.
Références bibliographiques
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- Paulhan Jean, 1918, Nord-Sud, no 14.
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- Paulhan Jean, 1970, Les incertitudes du langage. Entretiens à la radio avec Robert Mallet, Paris, Gallimard, coll. « Idées ».
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- Tzara Tristan, 1931, « Essai sur la situation de la poésie », Le Surréalisme au service de la révolution, no 4, pp. 15-23.
Notes
-
[1]
De Paulhan, Breton dit qu’il a marqué la transmission entre les derniers symbolistes (André Gide, Paul Valéry, Léon-Paul Fargue), le groupe formé autour d’Apollinaire (Max Jacob, Pierre Reverdy, Blaise Cendrars) et les surréalistes (Breton, 1952 : 46).
-
[2]
C’est ce qui figure sur un bulletin de souscription broché dans Littérature 12 – exemplaire de la Bibliothèque Nationale.
-
[3]
Paulhan dans une lettre à Éluard datant de l’année 1920 (brochée dans Littérature – exemplaire de la Bibliothèque Nationale ; cf. aussi Michel Sanouillet 1965 : 213).
-
[4]
« Le langage disparaît comme instrument, mais c’est qu’il est devenu sujet » (Blanchot 1949 : 45, inspiré de Jacques Rivière, cf. plus haut). Voir aussi la distinction que fait Tristan Tzara entre « la poésie – moyen d’expression » et « la poésie – activité de l’esprit » (Tzara, 1931).
-
[5]
Les théories de Paulhan sur le langage sont rassemblées dans les volumes 2 et 3 des œuvres complètes (Paulhan, 1966 : 70). En ce qui concerne la théorie de Paulhan sur le langage et son importance pour le surréalisme, voir en particulier Ferenczi 1968, Ferenczi 1970 et Baudouin 1970. Mes explications tiennent compte des résultats de ces études (qui se répètent parfois).
-
[6]
Cf. aussi la reproduction dans Paulhan 1966-70 : II, 127 sq.
-
[7]
Pour l’explication, cf. Ferenczi, 1969 : 803 et Ferenczi, 1970 : 49 sq. À ce sujet, il faut aussi mentionner les réflexions ultérieures de Charles Ogden et Ivor Richards, comme l’a fait Francis Édeline dans son étude sur le jeu de mots : « Si l’on se reporte au triangle bien connu d’Ogden-Richards :on voit qu’il permet un fonctionnement direct de la poésie entre les références et les symboles, sans appel aux référents. » (Édeline, 1963 : 304)
-
[8]
Tzara, qui qualifie les proverbes d’Éluard de dadaïstes, donne des indications importantes : le motif du proverbe habituel est l’observation, l’expérience, c’est-à‑dire la relation entre le texte et le domaine de la réalité. Les proverbes d’Éluard, en revanche, n’ont que l’apparence du proverbe habituel. L’ancien et le nouveau proverbe ont en commun l’art et la manière dont ils sont manipulés dans le processus de communication : comme plaisir ancré dans la conscience collective que procurent des mots qui sonnent bien. « Par exemple, la définition : “un proverbe est un proverbe” ou “un proverbe très proverbe” – Le proverbe dada résulte d’une sonorité aux apparences multiples, partie de toutes les bouches avec la force d’inertie et la conviction du ton, mais qui se pose avec le calme sur le vin. Le motif du proverbe populaire est l’observation, l’expérience, celui du proverbe dadaïste une concentration spontanée qui s’introduit sous les formes du premier et peut arriver au même degré et résultat : petite folie collective d’un plaisir sonore » (Tzara, 1921).
-
[9]
Dans un mémoire (Université de Bonn 1972), Annette Lukat a essayé d’analyser un à un les 152 proverbes d’Éluard et de Péret. Il apparaît clairement ici qu’il y a parfois aussi contamination de plusieurs proverbes (sur le plan sémantique, syntaxique ou phonétique), par exemple : Pour la canaille, obsession vaut mitre (= Possession vaut titre + Pour la canaille, nécessité fait loi) ou, dans l’exemple que nous avons cité : Il faut battre la mère pendant qu’elle est jeune (= Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud + Il faut courber le rameau quand il est jeune). Là où le lecteur ne connote pas un proverbe déterminé de même structure, il connote au moins « la fonction normative des proverbes. Il en résulte aussi une tension intéressante entre le sens général cherché sur la base de la connotation et le non-sens manifeste du texte surréaliste. […] Le sens de cette technique d’Éluard/ Péret est clair : la logique apparente du proverbe avec sa force malgré tout intacte est dévoilée par l’exagération » (Kloepfer, 1975 : 98).
-
[10]
Cf. ce qu’écrit Claude Roy dans un compte rendu : « Paul Éluard me fit don un jour d’une plaquette rare, imprimée par G.L.M. : “Notes sur la poésie” par Breton et Éluard. Le cadeau recelait un piège. J’y tombai. Je flairai cependant quelque chose mais ne sus pas trouver quoi. Appliquant la méthode du “retournement” pratiquée par Lautréamont dans ses ‘Poésies’ (où il inverse des maximes célèbres, les retourne comme une peau de lapin). Breton et Éluard avaient ici simplement “détourné” des phrases de Valéry. […] Éluard sourit de me voir joué » (Roy, 1975). Cf. aussi Gershman, 1964.
-
[11]
Ce qui sépare le proverbe initial du nouveau proverbe peut aussi être montré sur un exemple tiré de la publicité : pendant la crise pétrolière de 1973/74, Citroën lança comme slogan publicitaire : « Un franc est un franc. Un litre est un litre ». Par sa référence à l’actualité, la deuxième partie du slogan prend le référent de la première et renvoie, du point de vue de l’effet publicitaire, au produit propre. Sans rapport contextuel/situationnel on aurait affaire avec « un litre est un litre » à un proverbe « surréaliste ».
-
[12]
Pour le proverbe tautologique, cf. aussi Roland Barthes (1970 : 96-98).
-
[13]
Baudouin parle d’un « jeu d’un texte contre un pré-texte » (1970 : 300), pour décrire la référence aux modèles linguistiques précédents. Parler par jeux de mots est justifié aussi dans la mesure où un sens de l’humour (ironie, parodie) est incontestable dans les proverbes d’Éluard ; le recours aux formes de texte populaires et traditionnelles met cependant en même temps la valeur morale des proverbes en question tout en les rendant esthétiques par aliénation.
-
[14]
Riffaterre écrit : « une logique des mots s’impose qui n’a rien à voir avec la communication linguistique normale : elle crée un code spécial, un dialecte au sein du langage qui suscite chez le lecteur le dépaysement de la sensation où les surréalistes voient l’essentiel de l’expérience poétique » (1969 : 45).
-
[15]
Cette hypothèse se trouve chez Sanouillet (1965 : 212) ; critiquée également chez Pierre Dhainaut (1970 : 40 sq.).
-
[16]
« C’est toujours au proverbe que tout langage tend » (Ponge, 1961 : 238).