Notes
-
[1]
Claude Juillerat, Jean-François Nussbaumer, Claude Rebetez, 1986, Histoire du Jura, département de l’Éducation et des Affaires sociales de la république et canton du Jura, Fribourg (Suisse), Éditions Fragnière, p. 12-30. Vincent Philippe, 1978, Republik Jura. Der 23. Kanton der Schweiz, Verlag Huber Frauenfeld und Ex Libris Verlag Zürich, p. 254-256.
-
[2]
François Walter, 2010, Histoire de la Suisse, t. III, Neuchâtel, Éditions Alphil, Presses universitaires suisses, coll. « Focus », p. 111.
-
[3]
Elfi & Erich Weider, 2006, « Bilinguisme entre texte et terrain : faire son droit à Fribourg/Freiburg (Suisse) », Les Langues modernes, Paris, Dossier Le plurilinguisme, p. 66-72.
-
[4]
Elisabeth Baume-Schneider (ministre de l’Éducation), Alain Beuchat, Nathalie Charpié, René Dosch, Max Goetschmann, Clément Jeannin, Patrice Kamber, Rémy Meury, Nicole Ruf, Erich Weider, 2011, L’École jurassienne et la promotion de l’apprentissage des langues, République et canton du Jura, Delémont, p. 4.
-
[5]
Erich Weider, décembre 2010, La loi « Béguelin/Comte » : c’est tout bon ! L’Alouette, Lausanne, Journal de l’association suisse des journalistes francophones, p. 3.
– 3 février 2011, La loi « Béguelin/Comte » : c’est tout bon ! Le Jura libre, Delémont, Optique jurassienne, p. 2. -
[6]
Pierre-André Comte, 2010, Identité et langue française. De la législation linguistique dans le Jura, cplf, Conférence des peuples de langue française, Moutier, p. 39-43 et 80-86.
1For nearly 800 years, this French-speaking area was part of the prince-bishopric of Basel within the Holy Roman Empire (of the German Nation). Then, it was annexed by France in 1792. At the Congress of Vienna (1815), the Jura was given to the Canton of Bern where it remained until 1978 when the Catholic northern part became a full member of the Swiss Confederation. However, the southern districts which have a Protestant majority did not join the newly-formed canton.
2Now, for about ten years, the last created Swiss canton has been conducting a very ambitious language policy. So, it is opening itself to North-Western Switzerland which is German-speaking and economically quite strong with the capital Basel. Therefore, the Department of Education is initiating a lot of promising reforms in the field of languages by promoting a French-German bilingualism.
3Nevertheless, the parliament of the 26th canton does not forget its own language because the Jura is also the first and unique canton in Switzerland which promulgated a new law whose goals are to protect the French language, inclusively the local dialects, – particularly against the invasion of English – and to give German as a national and neighbouring language the absolute priority.
Repères historiques
- 999 : Une grande partie du territoire qui formera plus tard le Jura est cédé par le roi de Bourgogne au prince-évêque de Bâle.
- 1528 : Suite à l’adoption de la Réforme à Bâle, le prince- évêque (catholique) doit partir. Il choisit Porrentruy comme nouveau lieu de résidence.
- 1792 : 793 ans après, le dernier représentant des princes-évêques se voit contraint de fuir ses terres jurassiennes devant les troupes françaises.
- 1793 : La France annexe le pays et en fait le « département du Mont-Terrible », dénomination fantaisiste, mais tellement plus « révolutionnaire », dérivée du mont Terri, lequel sépare Porrentruy de Delémont.
- 1800 : Ce nouveau « département » est intégré dans celui du Haut-Rhin [1].
Histoire récente
- 20 mars 1815 : Le jour même où était signée à Vienne la déclaration sur la Suisse, Napoléon, prince de l’île d’Elbe, reprend le pouvoir à Paris, dix-neuf jours après son débarquement sur le continent.
6Toujours est-il que le congrès de Vienne (Wiener Kongress) avait octroyé le 20 mars 1815 une compensation au canton de Berne en lui annexant l’ancien évêché de Bâle et la ville de Bienne/Biel – des historiens français parleraient plutôt de « ré-union » et non d’annexion…
7Citons l’historien fribourgeois François Walter [2] : « Inutile de préciser que les Bernois n’étaient guère enthousiastes à l’idée d’accepter des francophones, dont un certain nombre étaient catholiques de surcroît ! Ils s’y résignent faute de mieux. »
8Ce « certain nombre de catholiques francophones » étaient les ancêtres des ressortissants actuels de la République et Canton du Jura.
9L’union forcée de 1815, qui n’était même pas un mariage de raison – seuls les patriciens bernois finirent par s’en faire une raison – cette union forcée (ou « réunion »), dura tout de même cent soixante-quatre ans, si bien que toutes les personnes avec qui je collabore actuellement sont d’anciens Bernois, puisque nées avant le 1er janvier 1979, date de l’entrée en souveraineté du 26e et dernier canton suisse – 26e, car il y a trois demi- cantons, dont ceux de Bâle d’ailleurs.
Le jura polysémique : géologique, géographique, juridique
10Tout d’abord, de par son nom déjà, le Jura est profondément conservateur, pour ne pas dire « moyenâgeux », le mésozoïque, cette ère géologique secondaire dont fait partie le jurassique, s’appelant en allemand Erdmittelalter…
11Ce grand massif de vieux plateaux calcaires déborde du reste en Alsace (Sud du Sundgau), en Souabe et en Franconie. Mais en Suisse aussi, il y a un Jura bâlois, neuchâtelois, vaudois et même genevois – à propos, « Vaud » pourrait être un synonyme étymologique de « Jura », puisqu’il s’agirait de la prononciation bernoise de « Wald » [vaud] (vocalisation du « l », comme en bavarois, brésilien et français : « val » > « vaux », « cheval » > « chevaux »), « Jura » venant d’un mot celte « jor » désignant le bois, la forêt.
12Et pour les juristes et latinistes, Jura [iu :ra] est un pluriel : les droits. Ainsi, les étudiants allemands font des études de droit (au pluriel), leurs « commilitons » suisses et autrichiens, plus modestes peut-être, se contentant du singulier « Jus » [iu:s].
Et pour nos voisins français ?
13Comme pour les Cent-Jours, les choses sont perçues différemment ; les sémanticiens parleraient de « changement de référent ». Le signifiant « Jura », c’est chez eux principalement le département 39 en Franche-Comté, 5 000 km2, environ 250 000 habitants, la patrie de Pasteur pour les chimistes et biologistes, de Jean Fourquet pour les germanistes (né au xixe, mort au xxie siècle) ; les œnologues ayant le vin jaune et le vin de paille d’Arbois, les amateurs de bouffardes le haut lieu de St-Claude, etc.
En Suisse
14Ici, en revanche, le signifiant « Jura » n’est pas une entité insignifiante politiquement, mais un État souverain avec son parlement, son gouvernement et ses ministres, sa juridiction – composé de trois districts (catholiques) s’étendant sur 839 km2, le tiers du Luxembourg, mais cinq fois le Liechtenstein – peuplé de quelque 70 000 habitants, la partie sud (protestante), restée bernoise, étant presque aussi vaste, et surtout peuplée de 55 000 habitants.
Un canton bilingue
15Je n’aborderai pas le long combat mené par les Jurassiens jusqu’à l’obtention partielle de leur indépendance à l’intérieur de la Confédération helvétique, mais me pencherai sur un cas encore plus exceptionnel, comme on ne peut en rencontrer qu’en Suisse :
Ederswiler : un pion important sur l’échiquier du bilinguisme
16Village paysan situé à sept kilomètres au nord de Delémont, la capitale cantonale, jouxtant pratiquement le village alsacien de Kiffis, Ederswiler s’étend sur 3,3 km2 et compte 122 habitants.
17Au dernier recensement de 2000, 84,5 % étaient germanophones, 10,1 % francophones et 2,3 % hispanophones.
18À l’occasion du plébiscite de 1974, ces Alémaniques avaient voté contre la création d’un nouveau canton jurassien et voulaient donc rester bernois. Contrairement aux huit communes limitrophes des districts méridionaux, ils ne purent revoter. Et quand le voisin germanophone de Laufen rejoignit en 1990 le canton de Bâle-Campagne, Ederswiler n’avait plus de frontière commune avec Berne. Refusant également l’échange avec la minuscule enclave bernoise de Vellerat (70 habitants) – qui elle réussit à devenir jurassienne en 1996 (après avoir été hors-la-loi pendant près de vingt ans) –, Ederswiler se retrouva seule commune germanophone dans un canton totalement francophone.
19Depuis qu’Ederswiler n’a plus d’école, fermée en 1993, les enfants sont scolarisés dans le bourg voisin de Movelier (400 habitants), de l’autre côté de la frontière linguistique.
20Ainsi, cinq élèves d’Ederswiler y fréquentent les écoles enfantine et primaire. La petitesse de l’école semble permettre à la maîtresse de pratiquer un bilinguisme relativement satisfaisant, même s’il n’est pas toujours facile d’atteindre ou de maintenir un certain niveau. En tout cas, le scepticisme des parents de l’époque semble s’être estompé ; tout comme l’aversion de bon nombre de Jurassiens de la région à l’égard de la langue allemande des Bernois (et aussi, dans une moindre mesure, des citadins bâlois).
21D’ailleurs, ces Jurassiens regrettent maintenant de s’être un peu trop focalisés sur leur lutte contre Berne, au point qu’ils en avaient oublié leur orientation géographique et économique naturelle, à savoir la région bâloise. Ce qui eut pour conséquence un relatif isolement de ces villages, les transports en commun, rails et routes, n’étant guère développés dans ce sens.
22Mais il est temps maintenant de se concentrer sur l’enseignement des langues, tel qu’il caractérise le plus jeune canton de la Confédération.
L’école jurassienne et la promotion de l’apprentissage des langues
À l’origine, le rapport Lüdi
23En 1998, un groupe d’experts, présidé par le romaniste de l’université de Bâle, Georges Lüdi, a élaboré un nouveau concept général pour l’enseignement des langues vivantes dans les écoles suisses. Il en ressortit qu’un enseignement plus précoce d’une 2e langue s’imposait, de même qu’un recours accru à l’enseignement bilingue ainsi qu’une meilleure prise en compte de la diversité linguistique des classes.
24Convaincu, le Jura se mit alors à développer l’enseignement de l’allemand et à redécouvrir la région bâloise. Petit dernier de la Confédération – le 26e, mais pas le plus petit – le Jura semblait, vingt ans après, avoir surmonté sa crise d’adolescence, c’est-à-dire ses réticences envers l’allemand, langue qui n’était finalement pas que celle de l’ours bernois (Berner Bär), mais aussi du diocèse bâlois (Basler Bistum), bref du bercail épiscopal – la crosse de l’évêque ne figure-t-elle pas sur le drapeau jurassien ?
La redécouverte du voisin bâlois
25Devenue adulte, la politique tenait enfin compte du fait que tous les matins, de nombreux Jurassiens s’en vont travailler dans l’agglomération bâloise (Basler Ballungszentrum), distante d’une petite demi-heure. Donc, place à l’allemand comme « bb-Sprache », dont l’apprentissage devance tout naturellement celui de la « bb-language », « Baby-language » des Bed and Breakfast ! – en souhaitant que cette dernière sera celle de la bbc et non de cnn…
Le français d’abord
26Prudente cependant, la République jurassienne ne se lança pas à corps perdu dans l’aventure. Le long combat mené par ses filles et ses fils, francophones septentrionaux catholiques, contre les germanophones réformés bernois, ce long combat avait été celui d’une minorité se sentant menacée dans son identité par une majorité alémanique.
27C’est dire si la langue et la culture françaises restent au centre de leurs préoccupations. Pour cette raison, l’école jurassienne se veut conservatrice dans la mesure où l’enseignement du français demeure fondamental ; celui-ci y fait l’objet d’une attention particulière : « Au cœur de la communication, il constitue le support des apprentissages et se trouve au croisement de toutes les disciplines », précise le Département.
Nouvelles priorités
28Progressiste et conservateur, le Jura le sera en accordant expressément la priorité à l’allemand – 1re langue nationale et langue de proximité de surcroît.
29Cette volonté révèle un désir de rapprochement pragmatique avec les régions linguistiques les plus proches du Nord-Ouest (Nordwestschweiz), Bâle-Ville (Basel-Stadt, bs), Bâle-Campagne (Basel-Land, bl) et Soleure (Solothurn, so).
30L’enseignement de l’allemand commencera en 3e primaire (8-9 ans), alors que l’anglais – illustration plus douteuse du « progressisme » romand – sera introduit d’ici trois ans, dès la 5e primaire (10-11 ans).
31Conservateur il reste, dans sa promotion soutenue de la lecture en langue maternelle. En effet, les autorités sont d’avis que l’école doit susciter le « plaisir de la lecture », cette approche de la lecture se devant de « traverser l’ensemble des disciplines ».
32Progressiste il est, en mettant en œuvre les principes louables, mais ô combien complexes, d’éole – éole, ce vent de nouveauté, n’est pas à la gloire d’un dieu grec, mais simplement l’acronyme de Éducation et Ouverture aux Langues de l’École.
33À Bâle, ce principe porte le sigle elbe – un fleuve allemand cette fois, et non un dieu grec – pour Éveil aux langues Language awareness Begegnung mit Sprachen.
34Ces démarches éole sont développées dès l’école enfantine pour favoriser la constitution d’attitudes positives vis-à-vis de l’apprentissage des langues. Les liens entre l’apprentissage du français et celui des langues – en particulier des langues de la migration – sont renforcés pour favoriser l’étude du fonctionnement de la langue et la mise en place de stratégies d’acquisition, puis l’instauration d’une didactique intégrée des langues.
Quid des autres langues ?
35La place de l’italien est confirmée (3e langue nationale). Son enseignement est inscrit au programme, sous forme d’option, à partir de la 8e.
36En réaffirmant la place des langues anciennes, le canton se montre également judicieusement conservateur. Ainsi, le latin reste discipline à option dès la 7e, le grec à partir de la 8e.
37Plutôt progressiste est la valorisation de la langue espagnole dans les écoles moyennes, en particulier en qualité d’option spécifique à la maturité (le baccalauréat suisse).
38Bêtement progressiste, la jeune république l’est, comme le troupeau, puisqu’elle incite les étudiants à se présenter aux examens de certification européens, ceux-ci attestant prétendument leurs soi-disant compétences – là aussi, le loup, tant décrié par ailleurs, est dans la bergerie, le renard dans le poulailler, le coucou pondant ses œufs partout !
39Ce qui vaut aussi pour sa naïveté – celle du canton, pas du coucou – envers le « fameux » Cadre européen de référence cecrl, une révérence à mes yeux déplacée.
40Plus sainement progressiste est l’encouragement aux jeunes Jurassiens d’étudier en plus grand nombre en Suisse allemande, plus particulièrement dans leur capitale universitaire, Bâle, plus vieille université suisse (550 ans).
Comment se présente la sensibilisation précoce à l’allemand à l’école enfantine et au 1er cycle ?
41Fonctionnant déjà comme projet pilote, ces démarches de sensibilisation seront généralisées dès la rentrée 2011. On relèvera qu’elles visent à découvrir des aspects linguistiques et culturels de la langue du voisin et des langues en général. Elles ne se fixent pas comme objectifs de doter les élèves de compétences réelles et mesurables sur lesquelles les enseignants des degrés ultérieurs pourraient s’appuyer – là, on est vraiment sainement progressiste.
42S’y ajoute de la 4e à la 6e le cours de langue et culture allemandes – qui a débuté l’an passé – lequel porte sur un apprentissage de la langue, orienté vers les contenus, notamment en référence aux disciplines suivantes : connaissances de l’environnement, éducation visuelle, activités créatrices manuelles, éducation musicale.
43Le cours de langue et culture allemandes est développé sous les formes d’un cours facultatif et, à terme, d’îlots d’immersion, intégrés de manière souple dans le cadre horaire des élèves et dispensé par des enseignants bilingues de l’école primaire, formés à cet effet.
Projet pilote de filière bilingue à l’école primaire
44Son lancement a donné lieu à des discussions enflammées au parlement. Volonté politique d’une partie des députés, promesse électorale, ce projet rencontra une vive opposition de tous bords, beaucoup y voyant une remise en cause du principe égalitaire républicain.
45Il faut savoir que le Jura partage sa Haute École pédagogique (hep) – iufm en France – avec Neuchâtel et la partie francophone de Berne. Ainsi se nomme-t-elle bejune (BErneJUraNEuchâtel).
46L’idée d’un enseignement précoce de l’allemand fut d’abord proposée par les Jurassiens à leurs associés des autres cantons. Berne la rejeta pour des raisons financières – le canton est déjà bilingue –, quant aux anciens sujets du roi de Prusse, Neuenburg/Neuchâtel, ils étaient plutôt tentés par l’anglais.
47Or cette année, ces derniers viennent de lancer un projet pilote à l’école enfantine, mais en suisse allemand, comme la ville « jurassienne » bernoise de Bienne/Biel d’ailleurs…
48C’est donc pour ces raisons qu’en 2009, Delémont fit figure de pionnier.
49Destinée à des élèves germanophones ou bilingues, la nouvelle filière accueille en principe les élèves de la 1re à la 6e année. N’ayant pas eu assez d’inscriptions l’an passé, cette filière fut finalement intégrée dans le cursus normal, à raison de deux tiers du temps scolaire. Il ne s’agit donc en réalité que d’un tiers en langue allemande.
À l’école secondaire
Une structure d’enseignement bilingue
50Elle y sera lancée en 2012 pour une durée de trois ans. Partie intégrante du programme de législature 2011-2015, cet autre projet pilote poursuit la stratégie mise au point par le gouvernement jurassien de développer le bilinguisme scolaire, tout en intensifiant la collaboration et les échanges avec la région bâloise. Cette politique doit permettre une plus grande mobilité des jeunes Jurassiens dans le Nord-Ouest (Nordwestschweiz), les raisons étant aussi bien culturelles qu’économiques.
51Ce projet pédagogique est particulièrement ambitieux. En effet, il doit assurer une continuité à grande échelle du projet précité et s’adresse cette fois à tous les élèves.
52Vu que l’enseignement bilingue est au cœur des démarches d’innovation pédagogique et didactique, celui-ci a pour but de faire évoluer les apprentissages des élèves et les pratiques des enseignants concernés de l’école obligatoire. Partant, il remplit la fonction de banc d’essai dont les effets ne peuvent que bénéficier à l’ensemble des composantes de l’école jurassienne, estime le Département, lequel espère également que le profit qu’en retireront les élèves dans l’apprentissage de la langue 2 portera aussi sur la langue de référence et les autres langues.
53Comme à l’école primaire, cet enseignement bilingue n’est pas paritaire, puisqu’un tiers seulement des cours seront donnés en langue allemande. L’enseignement dans les disciplines d’immersion devra être assuré par un enseig- nant bilingue, de préférence de profil scientifique engagé à cet effet et, de manière subsidiaire, par des enseignants bilingues de l’établissement. Un appui spécifique d’une heure par semaine est prévu. L’établissement de liens avec la région bâloise accompagnera cet enseignement. Les effectifs ne devant pas dépasser les 60 élèves par année, un groupe de conduite formé pour la circonstance sera chargé des admissions et du suivi du projet.
54Après deux ans, il sera procédé à une première évaluation qui décidera des améliorations à apporter à la suite du projet. En effet, le Département est bien conscient qu’il faudra laisser un certain temps à cette formule afin qu’elle trouve sa place dans le paysage de la formation jurassienne – de 2001 à 2004, le collège Stockmar de Porrentruy avait déjà testé la praticabilité d’un système immersif dans deux classes durant deux ans.
55Soucieux de respecter le processus démocratique, cette structure sera présentée en 2011-2012 successivement aux parents d’élèves, au syndicat des enseignants, aux conseils scolaires et aux directeurs des écoles
Création d’une filière mixte français-allemand aux lycées de Porrentruy et de Laufental-Thierstein
56Sous l’impulsion de leurs directeurs, Pierre-Alain Cattin et Isidor Huber, ces deux établissements relativement proches géographiquement préparent l’ouverture d’une filière bilingue, également pour le début de l’année scolaire 2012-2013, qui s’étalera sur quatre ans et devra préparer à une maturité dans les deux langues. Il faut dire que l’université de Bâle regrette régulièrement de n’avoir qu’une poignée d’étudiants originaires du canton du Jura.
57Cette maturité bilingue sera une première en Suisse, car elle concernera trois cantons, puisque Laufen-Thierstein est déjà bicantonal : Bâle-Campagne et Soleure – le seul exemple de gymnase-collège (lycée) bicantonal étant celui de La Broye (Vaud-Fribourg), uniquement francophone.
58L’enseignement aura lieu principalement dans la langue du site d’accueil, quelques cours pouvant être dispensés dans la langue maternelle des élèves « hôtes », si le besoin s’en fait ressentir. Il a été décidé que les deux premières années seraient à Laufen (Laufon), les deux dernières à Porrentruy. Quant aux examens finaux, ils auraient lieu à Porrentruy dans la langue du choix de l’élève, tout comme la rédaction du travail de maturité.
59Ouverte en principe à l’ensemble des écoles secondaires, cette filière astreindrait les jeunes Jurassiens à suivre un cours d’appui en allemand, le semestre précédant leur départ pour Laufon.
60Les premiers contacts entre les professeurs concernés pour créer des groupes de coordination ont été pris en mars 2011 à Delémont. Assurer une transition harmonieuse dans les différentes disciplines n’est pas la plus simple des tâches, car, souveraineté cantonale oblige, non seulement les programmes diffèrent quelque peu, mais aussi la durée des études, les Laufonnais ayant par exemple un semestre de plus au gymnase. Certaines mises à niveau seront donc nécessaires, les deux directeurs insistant sur le fait qu’ils ne veulent pas de nivellement par le bas. Donc, selon les branches, l’un des deux cantons devra s’adapter à l’autre.
61Les distances n’étant pas si importantes, les élèves seront soit pendulaires, soit résidents.
62En Suisse, le maturiste (bachelier) doit choisir une option spécifique et une option complémentaire. Dans notre cas précis, il n’est évidemment pas possible d’offrir toute la gamme des options. C’est pourquoi le choix s’est porté sur deux paires, l’une assez large, économie-droit, l’autre plus « scientifique », chimie-biologie. Ce qui permettra aux jeunes Romands d’étudier par exemple à la célèbre université d’économie de Saint-Gall (Hochschule Sankt-Gallen) ou à la non moins célèbre faculté de droit de Fribourg (Universität Freiburg) en allemand ou en bilingue, unique lieu où cela est possible en Europe [3]. Quant à l’option chimie-biologie, elle coule presque de source en raison de la proximité d’un des centres de la chimie mondiale, à savoir Bâle.
63À propos de la chimie, la Suisse, comme les autres pays germanophones, associe cette matière à la biologie et non à la physique. Autre différence par rapport à la France – à l’Autriche et à l’Allemagne – le système de notation : ici, la meilleure note est 6, 5 étant bon, 4 suffisant, 3 insuffisant, 2 très faible, 1 le bas de l’échelle (performance catastrophique ou simple présence à l’examen). En Allemagne et en Autriche, c’est l’inverse, mais pas tout à fait, ce qu’apprennent très vite les enseignants autrichiens et allemands notant pour la première fois de jeunes Confédérés. En effet, si 1 correspond bien à 6, 2 à 5, 4 n’est en aucun cas un 3 suisse, car chez les uns 4 est encore la moyenne, alors que 3 est insuffisant chez les autres, ce qui provoque régulièrement de petites révolutions légèrement xénophobes chez les petits Suisses, habitués à une plus large marge vers le bas…
64Cette parenthèse pour rappeler que les conditions d’admission pour pouvoir entrer en filière bilingue seront relevées d’un demi-point en mathématiques, en langue maternelle, d’un point en langue 2 (allemand ou français) : il faudra donc avoir respectivement 4,5 et 5 dans ces matières. Cette hausse est censée donner à l’élève une réserve nécessaire pour aborder un parcours assurément plus exigeant, ce qui déteint parfois sur le caractère des « élus » : « Ils se la pètent, les bilingues ! », me confia dernièrement un professeur d’allemand…
65Le Département est évidemment conscient que tout ceci coûte cher et qu’il faudra former sérieusement les enseignants. À cet effet, la hep bejune (Haute École pédagogique, Berne – Jura – Neuchâtel) introduit cette année un module spécifique de huit semaines, dont six passées dans une classe alémanique.
66En conclusion, nous pouvons dire que les efforts entrepris pour dynamiser l’enseignement des langues à l’école embrassent l’ensemble du système de formation. Ils portent sur tous les niveaux, de l’école enfantine, en passant par la formation professionnelle et gymnasiale, jusqu’au niveau tertiaire.
Respect des traditions
67Dans le dernier fascicule consacré à l’enseignement des langues [4], nous pouvons lire un passage dont le titre est : « Le français : une langue plurielle » :
68« Comme toutes les langues vivantes, le français est une langue riche et variée. Ainsi n’y a-t-il pas un français unique et intangible, normé et codifié par l’Académie, mais une kyrielle de français aussi divers que peuvent l’être pays et régions, communautés et individus. En fait partie tout naturellement le français des Jurassiens avec ses spécificités. Cette langue originale ayant un passé bien à elle, l’École se doit de tenir compte de son histoire et de sa géographie. C’est pourquoi, en collaboration avec la Fédération jurassienne des patoisants, le Département de la Formation a mis en place le projet Patois jurassien/Djâsans, dans le but de sensibiliser chaque élève. Il ne s’agit pas d’apprendre le patois mais d’élargir l’horizon culturel et les connaissances des élèves jurassien-ne-s sur leurs origines en proposant aux classes de recueillir des témoignages du passé, sous forme d’enregistrements sonores, d’images, de films courts et de diffuser ces éléments sur la toile. Un site est à disposition, www.djasans.ch. Il comprend de multiples ressources destinées à faciliter la réalisation du projet.
69En cultivant parallèlement langue littéraire et langue populaire, l’élève jurassien-ne comprendra mieux la diversité linguistique, les différents stades que parcourent les langues, ce qui lui permettra de jeter des ponts vers d’autres langues romanes et germaniques, c’est-à-dire d’affronter avec plus d’assurance les autres langues de son environnement. »
Magnifiquement conservateur et résolument progressiste : le projet de « loi concernant l’usage de la langue française » [5]
70Adoptée par le parlement jurassien le 20 octobre 2010 en première lecture, la veille du Sommet de la francophonie de Montreux (Vaud), plébiscitée le 17 novembre en seconde lecture, cette loi consacre le Jura « hardi défenseur contre l’envahisseur » et le conforte dans son rôle de pionnier résolument progressiste, porteur d’une émulation prometteuse.
71Sans égale au plan suisse, cette loi de bon aloi s’inspire certes de la 101 québécoise et de la loi Toubon, sans aller toutefois aussi loin. Lancée sous la forme d’une motion en 1985 par Roland Béguelin, figure de proue du rassemblement jurassien, il ne lui aura fallu pas moins de vingt-cinq ans pour convaincre les élus. Vingt-cinq ans dans la vie d’un État à peine plus âgé, ce n’est pas un record de célérité…
72Belle au bois dormant, sommeillant dans les tiroirs du parlement – « schubladisiert » dit-on malicieusement en Suisse alémanique, et même de plus en plus dans la presse romande entre-temps – elle fut sauvée en 2001 et 2004 par le preux député-maire autonomiste, Pierre-André Comte, des pseudoprogressistes, soucieux de ne pas froisser l’économie, ayant voulu la classer définitivement, la jugeant alors incompatible avec le slogan pour le moins racoleur de « Jura : pays ouvert ! »
73Heureusement, la nouvelle donne gouvernementale de 2007 permit à l’énergique ministre de l’Éducation, Elisabeth Baume-Schneider, de relancer ladite motion. Ainsi fut créé un groupe de travail chargé d’élaborer un projet de législation relative à la langue française. En faisaient partie la linguiste Marie-José Béguelin, fille de Roland, Pierre-André Comte, « fils spirituel » de ce dernier, la comédienne Marianne Finazzi, la journaliste Laurence Jobin, le chef du Service juridique Christophe Kübler et son pendant à la culture, Claude Hauser (président). Aléas et péripéties de la motion jusqu’à l’avènement de la loi sont relatés avec verve par le véritable moteur du groupe, l’ancien et nouveau maire de Vellerat (voir p. 4), l’« Astérobélix » local, P.-A. Comte [6].
74Aux autres cantons romands maintenant d’emboîter le pas aux Jurassiens qui leur ont montré valeureusement le chemin – un postulat dans ce sens a été accepté par le Grand Conseil vaudois et quelques députés genevois ont aussi repris le flambeau…
75Par souci de concision, je me contenteraì de citer ce qui me semble le plus important :
- l’article 2 : « La présente loi s’inscrit dans le respect de la liberté de la langue, du principe de la territorialité des langues, ainsi que dans le respect des minorités et de la diversité linguistique.
- l’article 9 e) : « Il (l’État) édicte des recommandations, en particulier afin d’éviter les anglicismes inutiles et choquants. »
- l’article 10 : « L’État peut également prendre des mesures pour valoriser le patrimoine lié au patois. »
Conclusion
76Quoi de plus conservateur que de sauver de l’oubli la langue ancestrale, tout en cultivant la langue littéraire correspondante ?
77Quoi de plus progressiste que d’introduire un bilinguisme précoce à l’école, s’attachant à la langue de proximité ?
78Quant au combat qui nous oppose à l’invasion de l’anglo-américain dans nos écoles, dans le monde du travail et la vie de tous les jours, il se révèle harmonieusement conservateur et vaillamment progressiste, dans la mesure où cette lutte fait fi d’un air du temps vicié, puisque politically, ou plutôt economically correct.
79Edmond Rostand ne disait-il pas : « Avoir l’esprit ouvert n’est pas l’avoir béant à toutes les sottises… »
Notes
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[1]
Claude Juillerat, Jean-François Nussbaumer, Claude Rebetez, 1986, Histoire du Jura, département de l’Éducation et des Affaires sociales de la république et canton du Jura, Fribourg (Suisse), Éditions Fragnière, p. 12-30. Vincent Philippe, 1978, Republik Jura. Der 23. Kanton der Schweiz, Verlag Huber Frauenfeld und Ex Libris Verlag Zürich, p. 254-256.
-
[2]
François Walter, 2010, Histoire de la Suisse, t. III, Neuchâtel, Éditions Alphil, Presses universitaires suisses, coll. « Focus », p. 111.
-
[3]
Elfi & Erich Weider, 2006, « Bilinguisme entre texte et terrain : faire son droit à Fribourg/Freiburg (Suisse) », Les Langues modernes, Paris, Dossier Le plurilinguisme, p. 66-72.
-
[4]
Elisabeth Baume-Schneider (ministre de l’Éducation), Alain Beuchat, Nathalie Charpié, René Dosch, Max Goetschmann, Clément Jeannin, Patrice Kamber, Rémy Meury, Nicole Ruf, Erich Weider, 2011, L’École jurassienne et la promotion de l’apprentissage des langues, République et canton du Jura, Delémont, p. 4.
-
[5]
Erich Weider, décembre 2010, La loi « Béguelin/Comte » : c’est tout bon ! L’Alouette, Lausanne, Journal de l’association suisse des journalistes francophones, p. 3.
– 3 février 2011, La loi « Béguelin/Comte » : c’est tout bon ! Le Jura libre, Delémont, Optique jurassienne, p. 2. -
[6]
Pierre-André Comte, 2010, Identité et langue française. De la législation linguistique dans le Jura, cplf, Conférence des peuples de langue française, Moutier, p. 39-43 et 80-86.