Notes
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[1]
Respectivement effet d’éventualité, effet d’atténuation, effet d’indignation, effet historique et effet temporel de postériorité. Nous avons emprunté les exemples ainsi que leurs appellations à Maurice Grevisse, 1980 [1re éd. 1936], Le Bon Usage, Paris, Duculot ; Paul Imbs, 1960, L’Emploi des temps verbaux en français moderne : essai de grammaire descriptive, Paris, Klincksieck ; Charles Baylon et Paul Fabre, 1973, Grammaire systématique de la langue française, Paris, Nathan ; Frédéric Nef, 1986, Sémantique de la référence temporelle en français moderne, Berne, Franckfort, New York, Peter Lang.
-
[2]
Dan Sperber et Deirdre Wilson, 1986, Relevance. Communication and Cognition, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press ; Dan Sperber et Deirdre Wilson, 1995, Relevance. Communication and Cognition, Oxford, Blackwell. Cette deuxième édition introduit plusieurs modifications par rapport à la première.
-
[3]
Laurent Gosselin, 2003, « Observations linguistiques sur l’irréversibilité du temps », Revue de Sémantique et Pragmatique, Vol. 14, p. 7-31 ; Laurent Gosselin, 2005, Temporalité et modalité, Bruxelles, Duculot/De Boeck ; Laurent Gosselin, 2007, « De la distinction entre la dimension temporelle de la modalité et la dimension modale de la temporalité », Cahiers de praxématique, vol. 47, p. 21-52.
-
[4]
Iva Novakova, 2001, Sémantique du futur. Étude comparée français-bulgare, Paris, L’Harmattan.
-
[5]
Nous renvoyons à Jean-Paul Confais, 1992, « No future ? Les “futurs” du français et de l’allemand », Systèmes interactifs : mélanges en l’honneur de Jean David, Gertrud Gréciano et Georges Kleiber, éds, Metz, Université de Metz, Centre d’Analyse Syntaxique, p. 81-93 pour un résumé de la thèse selon laquelle le futur a une signification fondamentalement modale.
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[6]
Cf. note 3. Nous travaillons avec une perspective proprement linguistique sur la modalité, issue des travaux de Gosselin, qui fait entrer en jeu plusieurs paramètres : très brièvement, un sujet qui exprime son engagement par rapport au contenu énoncé, avec une certaine force, et relativement au locuteur, au temps et au contexte discursif. Nous nous éloignons en même temps d’autres travaux sur le futur où la modalité est assimilée à l’expression d’actes illocutionnaires ou est réduite à une logique d’opérateurs. Dans cet article, nous nous intéressons à la modalité telle qu’elle est affichée par l’énoncé, ce qui nous conduira plus tard à nous servir dans notre explication des « valeurs modales temporelles » et des « valeurs modales aspectuelles ».
-
[7]
Gosselin considère erroné d’envisager le possible ou l’irrévocable comme des modalités à part entière, suffisantes à elles seules pour aborder l’étude de la langue et des phénomènes linguistiques.
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[8]
Dans Camino Álvarez Castro, 2007, « Interprétation du futur de l’indicatif et représentation d’événements futurs », Études sémantiques et pragmatiques sur le temps, l’aspect et la modalité, Louis de Saussure, Jacques Moeschler et Geneviève Puskas, éds., Amsterdam/New York, Rodopi, p. 14, nous soutenons, au contraire, qu’il n’existe pas d’équivalence sémantique (linguistique et conventionnelle) entre les propositions exprimées par les énoncés suivants :
Paul passera demain au bureau
Je suppose que Paul passera demain au bureau -
[9]
D’un côté, s’il s’agit d’une question d’ordre épistémique en rapport avec l’insuffisance de la connaissance du sujet, on ne pourrait pas établir que le moment d’énonciation isole le certain (le passé et le présent) du non-certain (l’avenir), car de même que certains événements passés peuvent nous être inconnus, de même nous connaissons avec certitude certains événements futurs (par exemple, le soleil va se coucher). D’ailleurs, on peut même exprimer des certitudes à l’égard de l’avenir : Je sais que le soleil va se coucher. D’un autre côté, la représentation de l’avenir sous le signe de la contingence, c’est-à-dire ce qui peut être ou ne pas être, est une représentation particulière à la philosophie occidentale du temps. Elle constitue une position métaphysique particulière et partant non universelle.
-
[10]
La théorie de la pertinence soutient qu’une partie de l’interprétation d’un énoncé concerne la détermination des conditions de vérité, mais que l’interprétation n’est pas épuisée par celles-ci. Dans le processus d’interprétation, il y a des inférences non vériconditionnelles. C’est pourquoi Louis de Saussure, 2003, Temps et pertinence, Bruxelles, De Boeck/Duculot, p. 119, la qualifie de théorie « vérifonctionnelle ».
-
[11]
Il peut être utile de reprendre la définition donnée dans Sperber et Wilson, 1986, Relevance…, p. 228-229 : « Any representation with a propositional form, and in particular any utterance, can be used to represent things in two ways. It can represent some state of affairs in virtue of its propositional form being true of that state of affairs ; in this case we will say that the representation is a description, or that it is used descriptively. Or it can represent some other representation which also has a proposition form – a thought, for instance – in virtue of a resemblance between the two propositional forms ; in this case we will say that the first representation is an interpretation of the second one, or that it is used interpretively ».
-
[12]
Il est nécessaire de distinguer dans le processus d’interprétation la gestion propre à l’interlocuteur de son hypothèse à propos du vouloir-dire du locuteur. L’interlocuteur peut, en effet, attribuer un quelconque degré personnel d’adhésion ou de croyance en la réalisation dans l’avenir de l’éventualité en question. Mais cela n’a rien à voir avec la forme verbale elle-même, ni avec la construction de son hypothèse interprétative.
-
[13]
Le futur contient en lui-même un potentiel sémantique qui se déploie de façon différente selon l’énoncé en question et la situation de communication. En fonction des données issues du cotexte et du contexte l’interlocuteur est invité à suivre un parcours procédural en particulier. Nous utilisons ainsi la distinction développée dans la Théorie de la pertinence entre expressions conceptuelles et expressions procédurales. Pour dresser notre hypothèse, nous avons considéré le critère fonctionnel utilisé par Louis de Saussure, 2003, Temps et pertinence, Bruxelles, Duculot/De Boeck, p. 135-136, afin de reconnaître les expressions procédurales : c’est lorsqu’une notion conceptuelle n’épuise pas les effets de sens d’une expression que celle-ci doit être alors analysée comme expression procédurale. Nous jugeons que c’est bien le cas du futur en français. Nous renvoyons à Camino Álvarez Castro, 2006, El futuro en francés : análisis semántico-pragmático (una perspectiva relevantista), Thèse de doctorat, Universidad de Oviedo, pour l’argumentation de détail.
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[14]
La signification fondamentale du futur est constituée autour de trois coordonnées temporelles : E, S et R (nous adoptons la notation de Hans Reichenbach, 1966 [1re éd. 1947], Elements of Symbolic Logic, New York, The Free Press, très répandue par la suite). Les deux premières correspondent respectivement à la temporalité de l’événement et au moment d’énonciation. R est conçu à la manière de Gosselin, Temporalité et…, c’est-à-dire, comme une coordonnée non autonome du point de vue sémantique qu’il faut localiser et déterminer. R correspond à ce qui est montré du procès. Nous assumons en même temps l’existence dans la sémantique du futur de deux dimensions autour de E/R et de R/S. À l’instar de Renaat Declerck, 1986, « From Reichenbach (1947) to Comrie (1985) and beyond », Lingua, Vol. 70, p. 305-364 et Wolfgang Klein, 1994, Time in Language, Londres, New York, Routledge, nous considérons qu’aucune contrainte linguistique ne porte sur les relations chronologiques entre le moment d’énonciation (S) et la temporalité de l’événement en question (E). La première tâche de l’interlocuteur serait celle de déterminer la valeur de R et le type de rapport entre R et S. À ce propos, le fonctionnement référentiel du futur est déictique (S-R) (ex. 6) non par nature, mais par défaut, en l’absence d’informations qui le rendent impossible ou qui prennent le relais de S et donnent lieu à une interprétation suffisamment pertinente à moindre coût. Cf. Álvarez Castro, El futuro en…
-
[15]
Cf. note 7. Ces « valeurs modales » correspondent aux valeurs prises par un des paramétres constitutifs de la modalité linguistique et ne constituent donc pas des modalités à part entière. Elles ne sont pas à confondre avec les « valeurs » que l’on attribue aux différents morphèmes de la langue, tels que le futur.
-
[16]
Cf. note 9. La conception de l’avenir sous-jacente dans notre présentation est caractérisée par une vue positive de la contingence. L’avenir a été associé au contingent à partir du chapitre IX du De interpretatione d’Aristote, le philosophe de l’Antiquité dont le système nous reste le plus accessible (Jules Vuillemin, 1984, Nécessité et contingence. L’aporie de Diodore et les systèmes philosophiques, Paris, Minuit, p. 8). C’est le célèbre problème des futurs contingents, qui a été à l’origine d’une littérature et d’un débat très abondants. Cette conception de l’avenir, que l’on pourrait nommer postaristotélicienne, coexiste avec une conception nécessitariste, qui se traduit par l’acceptation fataliste de tout événement et par la négation de la liberté et de toute activité intentionnelle.
-
[17]
Dans les deux cas, on pourrait ajouter un complément circonstanciel du genre en + durée indiquant l’aspect aoristique :
Les nuages couvriront la moitié nord du pays en deux heures
Les actions de Air France-KLM monteront de 5 % en deux heures -
[18]
Gosselin, Temporalité et…, p. 93.
-
[19]
Cet exemple est cité par Patrick Dendale, 2001, « Le futur conjectural versus devoir épistémique : différences de valeur et de restrictions d’emploi », Le Français moderne, Vol. LXIX/1, p. 2.
-
[20]
Dans le cadre de la Théorie de la pertinence, le premier résultat du processus d’interprétation est la « forme logique », une suite ordonnée de concepts produite par le décodage linguistique. Elle est donc moins que propositionnelle.
-
[21]
En réalité, il est peu plausible que l’esprit accède à une représentation temporelle future lorsqu’une autre référence temporelle est directement saillante dans son environnement cognitif. Le processus de sélection, tel que nous le décrivons ici, ne serait pas conscient mais automatique en fonction d’hypothèses contextuelles accessibles. Puisque la cognition serait orientée vers la maximisation de pertinence, Louis de Saussure, 2005, « Parallélisme et linéarité de l’interprétation : remarques sur un cas de causalité implicite », Intellectica, vol. 40, p. 47 signale que l’esprit cherche le moins possible à manipuler des informations dépourvues de référence et qu’il cherche le plus possible à anticiper des informations complexes. Il s’agit d’un engagement précoce et risqué de l’interlocuteur.
-
[22]
Dans d’autres cadres, la relation entre ces deux énoncés (l’énoncé épistémique au futur et le correspondant déclaratif au présent) a été interprétée comme un signe de la distance entre la proposition et le moment de sa vérification (par exemple, Jacques Damourette et Édouard Pichon, 1970 [1911-1936], Des mots à la pensée : essai de grammaire de la langue française. V : verbe (fin) : auxiliaires, temps, modes, voix, Paris, Éditions d’Artrey). Ou encore comme un signe de la non-assertion de la proposition. Dans ce sens, Robert Martin, 1987, Langage et croyance, Bruxelles, Pierre Mardaga considérait aussi que le futur épistémique représentait le temps de dicto ou le moment de la « prise en charge » de l’énoncé. Mais resterait à savoir comment analyser les énoncés au futur épistémique dans un contexte d’ignorance qui autorise la supposition non vérifiable, comme celui du futur antérieur cité par Linda Bellahsène, 2007, « L’expression de la conjecture : le cas du futur en français », Représentation du sens linguistique. Actes du colloque international de Montréal (2003), Denis Bouchard, Ivan Evrard et Etleva Vocaj, éds., Bruxelles, Duculot/De Boeck, p. 254 :
– Comment diable est-ce dans mes bottes ?
– Ce sera, sans soute, répondit-elle, tombé du vieux carton aux factures, qui est sur le bord de la planche (Flaubert, Madame Bovary) -
[23]
Liliane Tasmowski et Patrick Dendale, 1998, « Must/will and doit/futur simple as epistemic modal markers. Semantic value and restrictions of use », English as a human language : to honour Louis Goossens, Johan Van der Auwera, Frank Durieux et Ludo Lejeune, éds., Munich, Lincom Europa, p. 325-335. Ces linguistes mettent en relief que le futur transmettrait une certitude liée à l’apparence montrée par le locuteur (qui semble de ce fait plus confiant en ce qu’il dit), tandis que devoir transmettrait une certitude liée à une activité inférentielle plus élaborée. Ainsi, le premier serait plus approprié que le deuxième pour donner un message de calme comme le suivant (p. 329) :
– Je ne sais pas ce que j’ai, mais…
– Ce ne sera rien, ma chérie. Dans deux jours cela aura disparu, tu verras.
En effet, on comprend aisément que, s’il existe des formes explicites d’exprimer la modalité, comme le verbe devoir, le surcroît de l’activité cognitive exigé de l’interlocuteur avec l’énoncé au futur, dès le moment où il comprend que l’éventualité en l’occurrence n’est pas future, doit correspondre à une capacité de l’énoncé d’être le véhicule d’effets plus spécifiques ou, au moins, différents. -
[24]
Mutatis mutandis, une vision compatible à propos du will anglais est présentée dans José Luis Berbeira Gardón, 1998, « Algunas reflexiones sobre los verbos modales ingleses : mundos potenciales y contexto », Pragmalingüística, Vol. 5-6, p. 415-434 et Paul Larreya, 2000, « Modal Verbs and the Expression of Futurity in English, French and Italian », Belgian Journal of Linguistics, Vol. 14, p. 115-129.
-
[25]
Exemple emprunté à Dendale (« Le futur conjectural… », p. 1).
-
[26]
Nous ne pouvons pas, dans le cadre qui nous est donné ici, approfondir la question de l’architecture du processus interprétatif ou, en d’autres termes, de l’interface entre les différentes étapes de la compréhension du langage naturel. Le débat à l’heure actuelle fait appel également aux travaux menés par les psycholinguistes cognitivistes (cf. Saussure, « Parallélisme et… »). En attendant une hypothèse plus raffinée de la modélisation des processus interprétatifs et par souci de clarté et de concision, nous continuons à utiliser la distinction explicitation-implicitation, même si nous admettons l’hypothèse de « l’ajustement parallèle mutuel » posée par Robyn Carston, 2002, « Relevance Theory and the saying/implicating distinction », UCL Working Papers in Linguistics, vol. 13, p. 1-35 et Saussure, « Parallélisme et… ».
-
[27]
Suivant la notation de Reichenbach, la virgule signale une relation de simultanéité entre S et R.
-
[28]
Bertrand Sthioul, 2000, « L’imparfait comme expression procédurale », L’Imparfait, Jean-Emmanuel Tyvaert, éd., Reims, Presses universitaires de Reims, p. 53-71.
1This article analyses the French future tense through two of its uses. Its aim is to determine what kind of relationship is established between the uses traditionally called temporal and modal, or between the temporality and modality in the language. In the case concerned, we will show that this relationship is one of articulation through an underdetermined procedural and temporal semantics of the future tense.
Introduction
2Le rapport entre les valeurs temporelles des temps verbaux et leurs valeurs modales s’avère une question particulièrement pertinente quand on aborde l’analyse de l’emploi du temps verbal futur en français. La théorie sémantique sur le futur s’est révélée féconde et on a cherché à déterminer d’une manière exclusive la valeur de base (temporelle, modale) qui serait à l’origine de la diversité de ses emplois. Sur le mode de la grammaire descriptive, on peut en effet observer des différences plus ou moins importantes parmi les prédications au futur : grosso modo des usages beaucoup plus modaux et d’autres beaucoup moins modaux ou beaucoup plus temporels [1] :
Notre intention n’est pas de procéder à une description détaillée de tous les usages du futur, mais, nous concentrant sur des usages sélectionnés, nous tenterons de montrer à leur propos que c’est à travers le processus pragmatique lié à l’interprétation du futur que l’interlocuteur peut être amené à atteindre une dimension modale à partir d’une dimension temporelle.
Articulation entre temporalite et modalite
3Le thème de cette étude nous oblige à repenser, en premier lieu, la question des rapports entre temporalité et modalité dans la langue. Cette question paraît toucher de très près l’examen du futur. Le travail de Novakova (2001) [4] ainsi que d’autres analyses menées dans d’autres cadres en témoignent. Dans une perspective dichotomique sur ces rapports (ce qui est temporel ne saurait être modal et réciproquement), le futur a été considéré comme modal et non temporel [5]. Le renvoi à l’avenir propre au temps verbal futur appartiendrait au domaine du probable ou du possible, étant donné une propriété ontologique de l’avenir : son caractère intrinsèquement inconnu ou incertain. De même, on fait appartenir le présent et le passé au domaine temporel, car on assimile temporel à réel ou certain. Toutefois, notre approche se veut sur cet aspect proprement linguistique et pour ce faire, nous suivons Gosselin (« Observations... », Temporalité et..., « De la distinction... ») [6], qui rejette une dichotomie exclusive entre temporalité et modalité. Il soutient, au contraire, que ce sont des catégories en relation d’articulation et que le temps ainsi que l’aspect sont porteurs de caractéristiques modales.
4En effet, le temps possède une caractéristique essentiellement modale, liée à l’irréversibilité du temps vécu. Le temps est irréversible, car il transforme continûment le possible en irrévocable. Cette structure modale asymétrique du temps vécu oppose le possible (le futur) à l’irrévocable (le passé et le présent). La coupure modale est située dans le « maintenant ». Ce qui est postérieur est possible, ce qui est simultané ou antérieur est irrévocable. Ce choix du « maintenant » comme point de division conduit à définir ce que les philosophes appellent les « modalités temporelles », car elles sont dépendantes du temps.
5Nous sommes d’accord avec Gosselin sur le fait que cette vision n’est tout de même pas suffisante telle quelle dans une optique linguistique [7]. Une description de ce genre pourrait assimiler la valeur du futur à l’expression, par exemple, d’une croyance ou d’un jugement de probabilité. Ainsi, les énoncés au futur représenteraient des propositions sur des événements futurs comme possibles, n’étant ni vraies ni fausses [8].
6Bien au contraire, nous refusons d’attribuer au futur une valeur modale donnant du poids à l’indétermination objective des éventualités futures par rapport à l’état du monde au moment de l’énonciation. Cette indétermination échappe dans une certaine mesure à la conception représentative du langage. Nous avons déjà exposé plusieurs arguments à ce propos dans Álvarez Castro « Interprétation du futur… ». Ils passent par la nécessité, entre autres, de distinguer la représentation linguistique des éventualités futures de leur représentation ontologique. Nous considérons que la langue nous permet de représenter un état de fait d’un monde dans l’avenir, sans exprimer automatiquement pour autant un quelconque degré de croyance de la part du locuteur [9]. La dimension du possible liée à l’avenir ne fait pas partie de la dénotation du futur. Dans la perspective « vérifonctionnelle » de cette théorie [10], on ne postule pas d’ontologie à propos du monde. En d’autres termes, ce type d’approche ne considère pas que le monde est structuré d’une manière ou d’une autre. La signification d’une phrase au futur est l’ensemble des conditions qui la rendraient vraie dans le monde, dans un monde possible.
En même temps, nous avons rejeté la thèse de la transparence des états mentaux du locuteur, selon laquelle l’état mental du locuteur (ce que les philosophes analytiques appellent « attitude propositionnelle ») ferait partie du sens conventionnel de l’énoncé. Il serait difficile d’assimiler tout énoncé au futur à l’expression d’un état mental en particulier, une croyance ou une probabilité, ne serait-ce que parce que nous sommes capables de réfléchir sur nos propres pensées et celles exprimées par les autres et d’y reconnaître des différences : croyance, probabilité, désir, intention…
Reste à savoir, cependant, si on évacue vraiment toute trace de la structure asymétrique modale du temps vécu dans l’usage du langage et dans l’interprétation pragmatique. Dans ce qui suit, nous prendrons en considération ces observations et nous aurons affaire à une deuxième asymétrie modale, celle qui concerne l’aspect. Nous nous intéressons donc à la représentation au plan linguistique des éventualités futures.
Usage descriptif et dimension modale
7Ayant refusé une valeur modale pour le futur, nous revenons au rapport entre ses emplois qualifiés de temporels et ceux qualifiés de modaux. Mais nous n’allons pas reprendre cette classification telle quelle. Nous aurons recours, en particulier, à la distinction issue de la Théorie de la pertinence entre usage descriptif et usage interprétatif [11], sans prétendre établir une quelconque équivalence avec la première distinction.
8Prenons un exemple pour illustrer l’usage descriptif d’un énoncé au futur. Dans un bulletin météo, le présentateur annonce :
9De notre point de vue, un usage descriptif comme (6) correspond à un usage par défaut : c’est celui qui exige le plus faible enrichissement pragmatique pour compenser de façon optimale le coût de traitement par des effets contextuels suffisants. La description d’un état de choses localisé dans l’avenir serait l’hypothèse interprétative la plus accessible, mise en œuvre en l’absence de contraintes la contrariant. Cette exploitation par défaut d’un énoncé au futur est prévue partiellement par la procédure attachée au futur. En effet, nous considérons ce tiroir verbal comme une expression fortement procédurale, constituée d’une signification fondamentale et d’une série organisée d’instructions qui servent de guide à l’interprétation de l’interlocuteur [13]. La signification fondamentale du futur met en jeu des variables temporelles, saturables par l’interlocuteur qui doit leur assigner une valeur durant le processus pragmatique d’interprétation. C’est ainsi qu’il utilisera une des instructions véhiculées par le morphème verbal [14].
10Cela dit, nous estimons que la perception du temps des interlocuteurs (qui prend part à la disposition des modalités temporelles) peut intervenir dans l’interprétation d’un usage descriptif d’un énoncé au futur. L’indépendance de la représentation linguistique, défendue antérieurement, n’empêche pas une exploitation pragmatique, dans certaines conditions, de l’expérience des individus sur l’avenir et ses propriétés ontologiques. Mais, suivant Gosselin (Temporalité et…, p. 89-91), au lieu de parler de « modalités temporelles » on parlera plutôt de « valeurs modales temporelles [15] ». Ainsi, la représentation d’un état de fait futur est accompagnée de la valeur modale de « possible ». Elle n’est pas marquée linguistiquement (elle n’est pas encodée dans le futur), mais inférée pragmatiquement. Elle correspond à une certaine image ou expérience du monde, du temps et de l’avenir [16].
À côté des valeurs modales temporelles, nous faisons appel pour notre explication aux « valeurs modales aspectuelles », qui modulent de manière proprement linguistique la dimension intrinsèquement modale du temps vécu. Elles sont tributaires du type de représentation aspectuelle véhiculée par l’énoncé et rendent compte de la deuxième asymétrie modale dans le modèle de Gosselin, touchant à l’aspect. L’aspect grammatical est défini par la relation entre ce que Gosselin appelle « l’intervalle de référence » (ce qui est montré du procès par l’énoncé) et « l’intervalle du procès » (ensemble de situations sous la détermination d’un procès). La coupure modale entre le possible et l’irrévocable est opérée dans ce cas par la borne finale de l’intervalle de référence. Ce qui précède cette borne est irrévocable ; ce qui suit est possible. Par exemple, la représentation aoristique d’un procès (le procès est vu de façon globale, car l’intervalle du procès est englobé tout entier dans l’intervalle de référence) situe le procès intégralement dans l’irrévocable, puisque la borne finale de l’intervalle du procès coïncide avec la borne finale de l’intervalle de référence.
11Nous allons observer maintenant comment cela s’applique à l’analyse de deux énoncés au futur. Imaginons les exemples suivants dans des situations de communication où ils reçoivent une interprétation descriptive :
13Le même énoncé se voit donc assigner deux représentations différentes : possible pour ce qui est de la valeur modale temporelle, irrévocable pour ce qui est de la valeur modale aspectuelle. Ce conflit peut être résolu sur le plan pragmatico-cognitif par l’interlocuteur, qui considère le procès “comme faisant l’objet d’une certitude subjective” [18]. Le conflit ici décrit déclencherait une inférence pragmatique soulevant une dimension épistémique (le sujet exprime une croyance) ou boulique (le sujet exprime sa volonté ou son intention), qui ne s’était pas manifestée auparavant dans le traitement interprétatif de l’énoncé. Il s’agit d’un enrichissement libre, en ce sens qu’il n’est encodé dans le futur, mais il n’est pas non plus entravé par sa valeur. L’interlocuteur peut interpréter que le procès envisagé est l’objet d’un quelconque degré de certitude subjective (ex. 6 et 7) ou que l’interlocuteur fait part de son intention (ex. 8) :
Nous pourrions donc conclure cette première partie de notre analyse, consacrée à l’usage descriptif des énoncés au futur, en soulignant que la relation entre temporalité et modalité exhibée dans les exemples traités ne correspond pas au type de la disjonction exclusive : un usage temporel ne pourrait donner lieu à une interprétation relevant de la modalité. Nous y trouvons plutôt une articulation en ce sens que l’interprétation d’une référence temporelle, réussie grâce, en partie, à l’information encodée dans le futur n’exclut pas le passage à une dimension modale. L’entrée en conflit de la valeur modale temporelle et de la valeur modale aspectuelle peut déclencher une inférence pragmatique exploitant la connaissance des propriétés ontologiques et soulevant généralement une dimension épistémique. Mais ce sera toujours moyennant le principe de pertinence et le critère de cohérence en accord avec ce dernier, qui constitue le principe moteur et le critère sélectif majeur pour l’interprétation.
Usage interprétatif et dimension modale
14Le dépassement de la dimension strictement temporelle et le passage à la dimension modale se produisent également dans le cas des usages interprétatifs des énoncés au futur. Mais la transition est légèrement différente.
15La possibilité pour un énoncé d’être interprété sous une lecture descriptive ou interprétative n’est pas l’apanage du seul temps verbal ou d’une quelconque catégorie linguistique. L’émergence d’une lecture ou d’une autre est une propriété de la forme propositionnelle. Il est vrai, toutefois, que le choix d’un futur, couplé à certaines circonstances contextuelles, déclenche fréquemment une lecture interprétative, dans le sens de la Théorie de la pertinence, celle-là étant associée — si notre hypothèse est juste — au processus d’attribution d’une référence temporelle. Un emploi interprétatif est l’emploi épistémique [19] :
17C’est ainsi que l’interlocuteur interprète que la proposition p ne représente pas de façon descriptive un état de fait, mais une représentation d’une autre représentation. L’interlocuteur enrichit la forme propositionnelle et en tire l’hypothèse que le locuteur a l’intention d’exprimer une réserve sur sa valeur de vérité. L’interprétation épistémique établit ainsi une relation au niveau des pensées, entre métareprésentations. Le degré de réserve du locuteur vis-à-vis de la proposition exprimée sera déterminé par l’interlocuteur par confrontation de l’information encodée dans l’énoncé avec des informations contextuelles accessibles.
Développons les éléments intégrants de cette stratégie d’analyse. Nous comprenons que la relation entre (9) et (9’) :
19D’autre part, nous observons que la modalité épistémique dont il est question dans (9) porte sur le contenu propositionnel, en le modifiant, et non sur l’état de fait du monde directement. D’un côté, l’attitude propositionnelle projetée recouvre le contenu propositionnel, sans faire partie de sa valeur. Nous considérons qu’une lecture épistémique métareprésente la proposition sous sa portée ; mais ce n’est pas dans la nature du futur ni d’un autre élément constitutif de l’énoncé d’être un opérateur modal. D’un autre côté, la modalité épistémique ne concerne pas les éventualités, vu qu’elle ne peut pas traduire des relations causales et temporelles. Au contraire des interprétations déontiques et réelles, l’interprétation épistémique ne traduit pas de relation causale entre deux éventualités, celle qui serait représentée par la proposition modalisée et une autre qui en serait la cause. Ce n’est pas le fait que notre ami est absent qui cause sa migraine, s’il y avait causalité ce serait plutôt dans le sens inverse. De plus, s’il y avait causalité, il devrait y avoir en même temps une succession temporelle, y compris l’orientation justement vers l’avenir, entre la cause et la conséquence, ce qui n’est pas le cas dans (9). La relation qui s’établit dans notre exemple est toute autre. Le rapatriement de la représentation « Notre ami est absent » dans le contexte d’interprétation construit pour interpréter Il aura encore sa migraine permet de justifier la conclusion « Il a encore sa migraine », entretenue avec un certain degré de croyance par le locuteur. L’usage épistémique du futur suppose un processus inférentiel, qui est la source de la connaissance que le locuteur a du contenu propositionnel. À partir d’une situation effectivement présente et des connaissances encyclopédiques, le locuteur est amené à produire une inférence et une assertion dont la valeur de vérité reste à confirmer. C’est ce processus inférentiel qui engendre la valeur de provisoire ou de probable de la conclusion, ce qui serait paraphrasable par « Je (le locuteur) suppose qu’il a encore sa migraine ». Cette origine inférentielle est rendue mutuellement manifeste durant le processus interprétatif.
Cela étant posé, il importe d’ajouter que la bibliographie consacrée à ce sujet a élargi fréquemment son champ d’étude vers l’emploi épistémique du verbe devoir. La sous- détermination sémantique aussi bien du futur que du verbe devoir pourrait amener à croire qu’il existe une certaine similitude. Toutefois, même si la sensibilité au contexte et l’importance commune des processus de spécification contextuelle les rapprochent, nous considérons que leur signification est sujette à certaines divergences. De précédents travaux explorent amplement leurs conditions respectives d’emploi et discutent leur caractère systémique ou non. Nous nous concentrerons sur ce que nous comprenons comme la spécificité sémantique de l’emploi épistémique du futur face au verbe devoir, ce qui nous permettra d’observer la part du futur dans cette lecture interprétative.
20Il a été question, par exemple, du degré différent de certitude avec lequel un locuteur qui se sert d’un énoncé épistémique au futur ou avec devoir représente la proposition exprimée. Mais on peut observer qu’un énoncé au futur s’adapte aussi bien à des adverbes exprimant le doute (10), qu’à d’autres exprimant un grand degré de confiance ou d’adhésion (11) :
22Par ailleurs, Dendale (« Le futur conjectural… », p. 12) signale que la spécificité du devoir épistémique a trait à la qualité épistémique de l’information. Le verbe devoir en usage épistémique serait utilisé pour indiquer que le locuteur a créé l’information communiquée à partir d’une activité inférentielle propre, ce que le futur ne ferait pas de manière directe. De même, certains effets pragmatiques respectifs relevés par Tasmowski et Dendale (1998) seraient en rapport avec cette spécificité sémantique [23]. Avant, Imbs (L’Emploi des temps verbaux…, p. 54) avait avancé une autre explication. Selon lui, le futur épistémique exprime une hypothèse « n’étant pas fondée sur une enquête approfondie ». Cette impression de conclusion rapide ou peu élaborée, en contraste avec le devoir épistémique, apparaît à plusieurs reprises dans les études sur le futur épistémique.
23À notre avis, pour ce qui est du futur, ces effets découlent en réalité d’une particularité de son emploi épistémique. Il s’agit de la non-nécessité pour l’interlocuteur face à un énoncé comme (9) d’avoir accès à toutes les évidences ou hypothèses contextuelles sur lesquelles s’est appuyé le locuteur dans le processus de codification (par exemple : l’ami est très scrupuleux au travail, il ne manquerait jamais au travail si ce n’était pour une bonne raison, il ne jouit pas d’une bonne santé, etc.). Dans la récupération d’une lecture épistémique de cet énoncé, l’ensemble de ces évidences n’est pas pertinent, quoique l’adverbe encore donne accès de façon explicite à une représentation itérative du procès et à une connaissance éventuellement déjà existante chez l’interlocuteur (par exemple : l’ami a souvent de grosses migraines). En l’absence de ce type de marques, il n’est pas nécessaire que ces hypothèses contextuelles soient mutuellement manifestes au locuteur et à l’interlocuteur pour que l’énoncé soit pertinent. Pour arriver à une interprétation satisfaisant les attentes de pertinence, il suffit à l’interlocuteur d’inférer et de comprendre que le locuteur avait de bonnes raisons de tirer la conclusion présentée et de lui accorder un certain degré de certitude. Un énoncé comme (9) admettrait, d’ailleurs, une réplique comme celle qui est montrée en (12) :
– Pourquoi tu dis ça ?
25En outre, revenant au sujet du blocage de la référence temporelle future, nous constatons qu’il se produit également dans l’usage épistémique de devoir. En français, une interprétation épistémique de ce genre et une succession temporelle entre éventualités semblent s’exclure mutuellement, comme on l’observe aussi dans l’exemple suivant avec devoir [25] :
Si cela s’avère juste, la dimension épistémique, aussi bien dans (13) que dans (9), contribue à la construction d’une explicitation, mais d’ordre supérieur. Afin d’obtenir un sens minimal l’interlocuteur avance une hypothèse interprétative impliquant une attitude modale du locuteur face à la proposition communiquée. Conjecturer ensemble et à des niveaux différents les hypothèses interprétatives décrites fait sens, sans oublier les implicitations que l’interlocuteur sera à même de tirer [26]. De plus, il ne pourrait pas s’agir d’une implicitation, puisque son annulation conduirait à une contradiction :
Pour clore l’emploi épistémique, nous pouvons conclure que le futur y semble agir non comme un localisateur temporel, mais comme un garant du déplacement vers la dimension des métareprésentations. On ne pourrait pas attribuer au futur le blocage de la référence temporelle future, qui est le résultat de l’action de facteurs linguistiques unis à des facteurs contextuels. Les coordonnées temporelles seraient positionnées de la forme S,R [27]. C’est quand cette situation se présente que le futur ordonne de traiter la proposition p comme une représentation interprétative provisoire (valable en S) d’une autre représentation. Toutes les deux sont assumées par le locuteur lui-même à des moments de conscience différents et représentent un dédoublement de sa pensée. Par conséquent, l’instruction du futur, couplée à l’hypothèse que le locuteur avait de bonnes raisons de tirer la conclusion présentée, conduit l’interlocuteur à ne pas considérer l’énoncé comme la description d’un état de fait.
En définitive, l’obtention de l’usage interprétatif traité ici se caractérise par la manipulation de métareprésentations. Cette manipulation est due dans notre perspective à un développement du processus pragmatique d’interprétation, prenant appui sur le blocage de l’obtention d’une référence temporelle future.
Conclusion
27Sous la réserve imposée par le besoin de compléter cette analyse avec l’étude d’un deuxième emploi interprétatif, le « futur historique », nous pourrions conclure, comme le fait Sthioul (2000, p. 60) [28] à propos de l’imparfait, que dans le cas du futur il n’existe pas stricto sensu d’emplois temporels et d’emplois non temporels. En réponse à la question posée dans le titre, force est de constater qu’on ne peut pas dresser des cloisons étanches mais plutôt une articulation sous forme d’une certaine continuité entre les différents emplois. Le processus pragmatique lié à l’interprétation d’un énoncé, commandé en partie par la procédure encodée dans le futur et gouverné par des critères pragmatiques majeurs, mobilise l’attention de l’interlocuteur sur la référence temporelle sans exclure pour autant la dimension modale. La confrontation de la séquence linguistique où apparaît le futur à un contexte peut donner lieu à des inférences pragmatiques conduisant vers une dimension modale, à partir du processus pragmatique d’attribution d’une référence temporelle. C’est ainsi qu’une interprétation temporelle future peut être l’objet d’une finition à caractère modal de même qu’une lecture modale peut s’imposer à partir d’un processus manqué d’assignation de référence temporelle future.
Notes
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[1]
Respectivement effet d’éventualité, effet d’atténuation, effet d’indignation, effet historique et effet temporel de postériorité. Nous avons emprunté les exemples ainsi que leurs appellations à Maurice Grevisse, 1980 [1re éd. 1936], Le Bon Usage, Paris, Duculot ; Paul Imbs, 1960, L’Emploi des temps verbaux en français moderne : essai de grammaire descriptive, Paris, Klincksieck ; Charles Baylon et Paul Fabre, 1973, Grammaire systématique de la langue française, Paris, Nathan ; Frédéric Nef, 1986, Sémantique de la référence temporelle en français moderne, Berne, Franckfort, New York, Peter Lang.
-
[2]
Dan Sperber et Deirdre Wilson, 1986, Relevance. Communication and Cognition, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press ; Dan Sperber et Deirdre Wilson, 1995, Relevance. Communication and Cognition, Oxford, Blackwell. Cette deuxième édition introduit plusieurs modifications par rapport à la première.
-
[3]
Laurent Gosselin, 2003, « Observations linguistiques sur l’irréversibilité du temps », Revue de Sémantique et Pragmatique, Vol. 14, p. 7-31 ; Laurent Gosselin, 2005, Temporalité et modalité, Bruxelles, Duculot/De Boeck ; Laurent Gosselin, 2007, « De la distinction entre la dimension temporelle de la modalité et la dimension modale de la temporalité », Cahiers de praxématique, vol. 47, p. 21-52.
-
[4]
Iva Novakova, 2001, Sémantique du futur. Étude comparée français-bulgare, Paris, L’Harmattan.
-
[5]
Nous renvoyons à Jean-Paul Confais, 1992, « No future ? Les “futurs” du français et de l’allemand », Systèmes interactifs : mélanges en l’honneur de Jean David, Gertrud Gréciano et Georges Kleiber, éds, Metz, Université de Metz, Centre d’Analyse Syntaxique, p. 81-93 pour un résumé de la thèse selon laquelle le futur a une signification fondamentalement modale.
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[6]
Cf. note 3. Nous travaillons avec une perspective proprement linguistique sur la modalité, issue des travaux de Gosselin, qui fait entrer en jeu plusieurs paramètres : très brièvement, un sujet qui exprime son engagement par rapport au contenu énoncé, avec une certaine force, et relativement au locuteur, au temps et au contexte discursif. Nous nous éloignons en même temps d’autres travaux sur le futur où la modalité est assimilée à l’expression d’actes illocutionnaires ou est réduite à une logique d’opérateurs. Dans cet article, nous nous intéressons à la modalité telle qu’elle est affichée par l’énoncé, ce qui nous conduira plus tard à nous servir dans notre explication des « valeurs modales temporelles » et des « valeurs modales aspectuelles ».
-
[7]
Gosselin considère erroné d’envisager le possible ou l’irrévocable comme des modalités à part entière, suffisantes à elles seules pour aborder l’étude de la langue et des phénomènes linguistiques.
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[8]
Dans Camino Álvarez Castro, 2007, « Interprétation du futur de l’indicatif et représentation d’événements futurs », Études sémantiques et pragmatiques sur le temps, l’aspect et la modalité, Louis de Saussure, Jacques Moeschler et Geneviève Puskas, éds., Amsterdam/New York, Rodopi, p. 14, nous soutenons, au contraire, qu’il n’existe pas d’équivalence sémantique (linguistique et conventionnelle) entre les propositions exprimées par les énoncés suivants :
Paul passera demain au bureau
Je suppose que Paul passera demain au bureau -
[9]
D’un côté, s’il s’agit d’une question d’ordre épistémique en rapport avec l’insuffisance de la connaissance du sujet, on ne pourrait pas établir que le moment d’énonciation isole le certain (le passé et le présent) du non-certain (l’avenir), car de même que certains événements passés peuvent nous être inconnus, de même nous connaissons avec certitude certains événements futurs (par exemple, le soleil va se coucher). D’ailleurs, on peut même exprimer des certitudes à l’égard de l’avenir : Je sais que le soleil va se coucher. D’un autre côté, la représentation de l’avenir sous le signe de la contingence, c’est-à-dire ce qui peut être ou ne pas être, est une représentation particulière à la philosophie occidentale du temps. Elle constitue une position métaphysique particulière et partant non universelle.
-
[10]
La théorie de la pertinence soutient qu’une partie de l’interprétation d’un énoncé concerne la détermination des conditions de vérité, mais que l’interprétation n’est pas épuisée par celles-ci. Dans le processus d’interprétation, il y a des inférences non vériconditionnelles. C’est pourquoi Louis de Saussure, 2003, Temps et pertinence, Bruxelles, De Boeck/Duculot, p. 119, la qualifie de théorie « vérifonctionnelle ».
-
[11]
Il peut être utile de reprendre la définition donnée dans Sperber et Wilson, 1986, Relevance…, p. 228-229 : « Any representation with a propositional form, and in particular any utterance, can be used to represent things in two ways. It can represent some state of affairs in virtue of its propositional form being true of that state of affairs ; in this case we will say that the representation is a description, or that it is used descriptively. Or it can represent some other representation which also has a proposition form – a thought, for instance – in virtue of a resemblance between the two propositional forms ; in this case we will say that the first representation is an interpretation of the second one, or that it is used interpretively ».
-
[12]
Il est nécessaire de distinguer dans le processus d’interprétation la gestion propre à l’interlocuteur de son hypothèse à propos du vouloir-dire du locuteur. L’interlocuteur peut, en effet, attribuer un quelconque degré personnel d’adhésion ou de croyance en la réalisation dans l’avenir de l’éventualité en question. Mais cela n’a rien à voir avec la forme verbale elle-même, ni avec la construction de son hypothèse interprétative.
-
[13]
Le futur contient en lui-même un potentiel sémantique qui se déploie de façon différente selon l’énoncé en question et la situation de communication. En fonction des données issues du cotexte et du contexte l’interlocuteur est invité à suivre un parcours procédural en particulier. Nous utilisons ainsi la distinction développée dans la Théorie de la pertinence entre expressions conceptuelles et expressions procédurales. Pour dresser notre hypothèse, nous avons considéré le critère fonctionnel utilisé par Louis de Saussure, 2003, Temps et pertinence, Bruxelles, Duculot/De Boeck, p. 135-136, afin de reconnaître les expressions procédurales : c’est lorsqu’une notion conceptuelle n’épuise pas les effets de sens d’une expression que celle-ci doit être alors analysée comme expression procédurale. Nous jugeons que c’est bien le cas du futur en français. Nous renvoyons à Camino Álvarez Castro, 2006, El futuro en francés : análisis semántico-pragmático (una perspectiva relevantista), Thèse de doctorat, Universidad de Oviedo, pour l’argumentation de détail.
-
[14]
La signification fondamentale du futur est constituée autour de trois coordonnées temporelles : E, S et R (nous adoptons la notation de Hans Reichenbach, 1966 [1re éd. 1947], Elements of Symbolic Logic, New York, The Free Press, très répandue par la suite). Les deux premières correspondent respectivement à la temporalité de l’événement et au moment d’énonciation. R est conçu à la manière de Gosselin, Temporalité et…, c’est-à-dire, comme une coordonnée non autonome du point de vue sémantique qu’il faut localiser et déterminer. R correspond à ce qui est montré du procès. Nous assumons en même temps l’existence dans la sémantique du futur de deux dimensions autour de E/R et de R/S. À l’instar de Renaat Declerck, 1986, « From Reichenbach (1947) to Comrie (1985) and beyond », Lingua, Vol. 70, p. 305-364 et Wolfgang Klein, 1994, Time in Language, Londres, New York, Routledge, nous considérons qu’aucune contrainte linguistique ne porte sur les relations chronologiques entre le moment d’énonciation (S) et la temporalité de l’événement en question (E). La première tâche de l’interlocuteur serait celle de déterminer la valeur de R et le type de rapport entre R et S. À ce propos, le fonctionnement référentiel du futur est déictique (S-R) (ex. 6) non par nature, mais par défaut, en l’absence d’informations qui le rendent impossible ou qui prennent le relais de S et donnent lieu à une interprétation suffisamment pertinente à moindre coût. Cf. Álvarez Castro, El futuro en…
-
[15]
Cf. note 7. Ces « valeurs modales » correspondent aux valeurs prises par un des paramétres constitutifs de la modalité linguistique et ne constituent donc pas des modalités à part entière. Elles ne sont pas à confondre avec les « valeurs » que l’on attribue aux différents morphèmes de la langue, tels que le futur.
-
[16]
Cf. note 9. La conception de l’avenir sous-jacente dans notre présentation est caractérisée par une vue positive de la contingence. L’avenir a été associé au contingent à partir du chapitre IX du De interpretatione d’Aristote, le philosophe de l’Antiquité dont le système nous reste le plus accessible (Jules Vuillemin, 1984, Nécessité et contingence. L’aporie de Diodore et les systèmes philosophiques, Paris, Minuit, p. 8). C’est le célèbre problème des futurs contingents, qui a été à l’origine d’une littérature et d’un débat très abondants. Cette conception de l’avenir, que l’on pourrait nommer postaristotélicienne, coexiste avec une conception nécessitariste, qui se traduit par l’acceptation fataliste de tout événement et par la négation de la liberté et de toute activité intentionnelle.
-
[17]
Dans les deux cas, on pourrait ajouter un complément circonstanciel du genre en + durée indiquant l’aspect aoristique :
Les nuages couvriront la moitié nord du pays en deux heures
Les actions de Air France-KLM monteront de 5 % en deux heures -
[18]
Gosselin, Temporalité et…, p. 93.
-
[19]
Cet exemple est cité par Patrick Dendale, 2001, « Le futur conjectural versus devoir épistémique : différences de valeur et de restrictions d’emploi », Le Français moderne, Vol. LXIX/1, p. 2.
-
[20]
Dans le cadre de la Théorie de la pertinence, le premier résultat du processus d’interprétation est la « forme logique », une suite ordonnée de concepts produite par le décodage linguistique. Elle est donc moins que propositionnelle.
-
[21]
En réalité, il est peu plausible que l’esprit accède à une représentation temporelle future lorsqu’une autre référence temporelle est directement saillante dans son environnement cognitif. Le processus de sélection, tel que nous le décrivons ici, ne serait pas conscient mais automatique en fonction d’hypothèses contextuelles accessibles. Puisque la cognition serait orientée vers la maximisation de pertinence, Louis de Saussure, 2005, « Parallélisme et linéarité de l’interprétation : remarques sur un cas de causalité implicite », Intellectica, vol. 40, p. 47 signale que l’esprit cherche le moins possible à manipuler des informations dépourvues de référence et qu’il cherche le plus possible à anticiper des informations complexes. Il s’agit d’un engagement précoce et risqué de l’interlocuteur.
-
[22]
Dans d’autres cadres, la relation entre ces deux énoncés (l’énoncé épistémique au futur et le correspondant déclaratif au présent) a été interprétée comme un signe de la distance entre la proposition et le moment de sa vérification (par exemple, Jacques Damourette et Édouard Pichon, 1970 [1911-1936], Des mots à la pensée : essai de grammaire de la langue française. V : verbe (fin) : auxiliaires, temps, modes, voix, Paris, Éditions d’Artrey). Ou encore comme un signe de la non-assertion de la proposition. Dans ce sens, Robert Martin, 1987, Langage et croyance, Bruxelles, Pierre Mardaga considérait aussi que le futur épistémique représentait le temps de dicto ou le moment de la « prise en charge » de l’énoncé. Mais resterait à savoir comment analyser les énoncés au futur épistémique dans un contexte d’ignorance qui autorise la supposition non vérifiable, comme celui du futur antérieur cité par Linda Bellahsène, 2007, « L’expression de la conjecture : le cas du futur en français », Représentation du sens linguistique. Actes du colloque international de Montréal (2003), Denis Bouchard, Ivan Evrard et Etleva Vocaj, éds., Bruxelles, Duculot/De Boeck, p. 254 :
– Comment diable est-ce dans mes bottes ?
– Ce sera, sans soute, répondit-elle, tombé du vieux carton aux factures, qui est sur le bord de la planche (Flaubert, Madame Bovary) -
[23]
Liliane Tasmowski et Patrick Dendale, 1998, « Must/will and doit/futur simple as epistemic modal markers. Semantic value and restrictions of use », English as a human language : to honour Louis Goossens, Johan Van der Auwera, Frank Durieux et Ludo Lejeune, éds., Munich, Lincom Europa, p. 325-335. Ces linguistes mettent en relief que le futur transmettrait une certitude liée à l’apparence montrée par le locuteur (qui semble de ce fait plus confiant en ce qu’il dit), tandis que devoir transmettrait une certitude liée à une activité inférentielle plus élaborée. Ainsi, le premier serait plus approprié que le deuxième pour donner un message de calme comme le suivant (p. 329) :
– Je ne sais pas ce que j’ai, mais…
– Ce ne sera rien, ma chérie. Dans deux jours cela aura disparu, tu verras.
En effet, on comprend aisément que, s’il existe des formes explicites d’exprimer la modalité, comme le verbe devoir, le surcroît de l’activité cognitive exigé de l’interlocuteur avec l’énoncé au futur, dès le moment où il comprend que l’éventualité en l’occurrence n’est pas future, doit correspondre à une capacité de l’énoncé d’être le véhicule d’effets plus spécifiques ou, au moins, différents. -
[24]
Mutatis mutandis, une vision compatible à propos du will anglais est présentée dans José Luis Berbeira Gardón, 1998, « Algunas reflexiones sobre los verbos modales ingleses : mundos potenciales y contexto », Pragmalingüística, Vol. 5-6, p. 415-434 et Paul Larreya, 2000, « Modal Verbs and the Expression of Futurity in English, French and Italian », Belgian Journal of Linguistics, Vol. 14, p. 115-129.
-
[25]
Exemple emprunté à Dendale (« Le futur conjectural… », p. 1).
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[26]
Nous ne pouvons pas, dans le cadre qui nous est donné ici, approfondir la question de l’architecture du processus interprétatif ou, en d’autres termes, de l’interface entre les différentes étapes de la compréhension du langage naturel. Le débat à l’heure actuelle fait appel également aux travaux menés par les psycholinguistes cognitivistes (cf. Saussure, « Parallélisme et… »). En attendant une hypothèse plus raffinée de la modélisation des processus interprétatifs et par souci de clarté et de concision, nous continuons à utiliser la distinction explicitation-implicitation, même si nous admettons l’hypothèse de « l’ajustement parallèle mutuel » posée par Robyn Carston, 2002, « Relevance Theory and the saying/implicating distinction », UCL Working Papers in Linguistics, vol. 13, p. 1-35 et Saussure, « Parallélisme et… ».
-
[27]
Suivant la notation de Reichenbach, la virgule signale une relation de simultanéité entre S et R.
-
[28]
Bertrand Sthioul, 2000, « L’imparfait comme expression procédurale », L’Imparfait, Jean-Emmanuel Tyvaert, éd., Reims, Presses universitaires de Reims, p. 53-71.