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Article de revue

Les reprises dans les interactions adulte-enfant : comparaison d'enfants dysphasiques et tout-venant

Pages 115 à 134

Notes

  • [1]
    Lev S. Vygotski, 1936-1985, Pensée et langage, Paris, Éditions Sociales.
  • [2]
    Jérôme S. Bruner, 1983, Le développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire, Paris, PUF.
  • [3]
    Frédéric François, 1993, Pratiques de l’oral, Paris, Nathan.
  • [4]
    Geneviève de Weck, 2001, " Stratégies d’étayage d’adultes en interaction avec des enfants normaux et dysphasiques ", in M. Almgren, A. Barrena, M.-J. Ezeizabarrena, I. Idiazabal et B. MacWhinney (eds), Research on Child Language Acquisition, Somerville, MA, Cascadilla Press, p. 352-386 ; Marie-Claude Rosat, 1998, " Comparaison des stratégies discursives d’étayage dans un conte et un récit d’expériences oraux ", TRANEL, 29, p. 29-47.
  • [5]
    Clare Gallaway et Brian J. Richards (eds), 1994, Input and Interaction in Language Acquisition, Cambridge, Cambridge University Press.
  • [6]
    Ève V. Clark, 2000, " Énoncés enfantins et reformulations adultes dans l’acquisition du langage ", Langages, Paris, Larousse, 140, p. 9-23.
  • [7]
    Anne Salazar Orvig, 2000, " La reprise aux sources de la construction discursive ", Langages, Paris, Larousse, 140, p. 68-91 ; Edy Veneziano, 1997, " Échanges conversationnels et premières acquisitions langagières ", in J. Bernicot, J. Caron-Pargue et A. Trognon (eds), Conversation, interaction et fonctionnement cognitif, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, p. 90-123.
  • [8]
    Christian Hudelot et Marie-Thérèse Vasseur, 1997, " Peut-on se passer de la notion d’étayage pour rendre compte de l’élaboration langagière en L1 et L2 ? ", Cahiers d’acquisition et de pathologie du langage, 15, p. 109-135.
  • [9]
    Heiko Hausendorf et Uta M. Quasthoff, 1992, " Patterns of adult-child interaction as a mechanism of discourse acquisition ", Journal of Pragmatics, 17, p. 241-259 ; Elaine Reese, Catherine A. Haden et Robyn Fivush, 1993, " Mother-child conversations about the past : Relationships of style and memory over time ", Cognitive Development, 8 (4), p. 403-430.
  • [10]
    Peter Lloyd, 1993, " Referential communication as teaching : Adults tutoring their own and other children ", First Language, 13, p. 339-357.
  • [11]
    Claude Lo ïc Gérard, 1991, L’enfant dysphasique, Paris, Éditions Universitaires ; Isabelle Rapin et Doris A. Allen, 1983, " Developmental Language Disorders : Nosologic Considerations ", in U. Kirk (ed.), Neuropsychology of Language, Reading and Spelling, New York, Academic Press, p. 155-184.
  • [12]
    Geneviève de Weck et Marie-Claude Rosat, 2003, Troubles dysphasiques. Comment raconter, relater et faire agir à l’âge préscolaire, Paris, Masson.
  • [13]
    Gina Conti-Ramsden et Sandy Friel-Patti, 1983, " Mothers’ discourse adjustment to language-impaired and non-language-impaired children ", Journal of Speech and Hearing Dosorders, 48, p. 360-367.
  • [14]
    Kristine M. Yont, Lynne E. Hewitt et Adele W. Miccio, 2002, " "What did you say ?" : Understanding conversational breakdown in children with speech and language impairments ", Clinical Linguistics and Phonetics, 16 (4), p. 265-285.
  • [15]
    Keith E. Nelson, Janet Welsh, Stephen M. Camarata, Laura Butkovsky et Mary Camarata, 1995, " Available input for language-impaired children and younger children of matched language levels ", First Language, 15 (43), p. 1-17 ; Debra C. Vigil, Jennifer Hodges et Thomas Klee, 2005, " Quantity and quality of parental language input to late-talking todlers during play ", Child Language Teaching & Therapy, 21 (2), p. 107-122.
  • [16]
    Rhea Paul et Terril J. Elwood, 1991, " Maternal linguistic input to toddlers with slow expressive language development ", Journal of Speech and Hearing Research, 34 (5), p. 982-988.
  • [17]
    P. J. Yoder, T. Klee, N. Hooshyar et M. Schaffer, 1997, " Correlates and antecedents of maternal expansions of utterances of children with language disabilities ", Clinical Linguistics & Phonetics, 12 (1), p. 23-41.
  • [18]
    Keith E. Nelson, Stephen M. Camarata, Janet Welsh, Laura Butkovsky et Mary Camarata, 1996, " Effects of imitative and conversational recasting treatment on the acquisition of grammar in children with specific language impairment and younger language-normal children ", Journal of Speech and Hearing Research, 39, p. 850-859.
  • [19]
    Elaine Kelman et Claire Schneider, 1994, " Parent-child interaction : An alternative approach to the management of children’s language difficulties ", Child Language Teaching and Therapy, 10 (1), p. 81-96.
  • [20]
    Ce programme, intitulé " Les retards de langage : procédures d’étayage des adultes en situation expérimentales et cliniques ", a été subventionné par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (Subside FNRS no 1113-45701 . 95). Marie-Claude Rosat a également largement contribué à ce programme.
  • [21]
    Pour plus de détails sur l’ensemble de l’analyse, voir de Weck, 2001 (n. 4, p. 116).
  • [22]
    Dans les exemples, les conventions suivantes sont adoptées : L = locuteur enfant ; A = adulte interlocuteur ; le numéro qui suit correspond à la numérotation des tours de parole établie de manière indépendante pour chaque participant ; les pauses brèves (respiration) sont marquées par /, les pauses de moins de trois secondes par //, les pauses plus longues par le temps entre traits obliques (ex : / 10 sec. /) ; les ? marquent une question établie sur la base de l’intonation et/ou de la présence d’un marqueur interrogatif ; les soulignements indiquent les chevauchements. Entre parenthèses sont notées les actions liées à l’activité de construction et les manifestations non verbales. Les segments discutés sont en italiques.
  • [23]
    Jean-François de Pietro, Marinette Matthey et Bernard Py, 1989-2004, " Acquisition et contrat didactique : les séquences potentiellement acquisitionnelles dans la conversation exolingue ", in L. Gajo, M. Matthey, D. Moore et C. Serra (eds), Un parcours au contact des langues, Textes de Bernard Py commentés, Paris, Didier, p. 79-93.

INTRODUCTION

1Dans le cadre des interactions adulte-enfant, souvent qualifiées d’asymétriques en raison des différences de niveau de développement entre les deux partenaires de l’interaction, les reprises du langage de l’enfant par l’adulte sont considérées comme une source potentielle d’acquisitions langagières par l’enfant. Cette hypothèse se situe dans une conception interactionniste du développement, inaugurée par Vygotski (1936-1985) [1] et poursuivie par Bruner (1983) [2]. Dans cette perspective, toute acquisition se réalise en partie grâce à des processus de sociogenèse, c’est-à-dire grâce aux interactions avec des interlocuteurs plus compétents.

2De manière générale, les interlocuteurs plus compétents fournissent à l’enfant un étayage (Bruner, n. 2, p. 115) qui le guide dans la réalisation des tâches qu’il a à effectuer, qu’elles soient cognitives et/ou langagières. En ce qui concerne le développement du langage, l’aide apportée par l’adulte est dénommée étayage verbal (François, 1993) [3] : il comprend différents types de stratégies, dont font principalement partie les processus de reprises sous forme de répétitions et de reformulations. Ces stratégies interviennent à différents niveaux de la production discursive dialoguée (de Weck, 2001 ; Rosat, 1998) [4].

3Dans cet article, nous commencerons par rappeler le rôle des reprises dans le développement du langage, mais brièvement, dans la mesure où d’autres contributions à ce numéro leur sont consacrées. Nous nous attarderons davantage sur la question de savoir si les processus impliqués dans le développement dit normal se retrouvent de façon identique dans les troubles du développement du langage. Autrement dit, nous chercherons à savoir si les répétitions et les reformulations fonctionnent de la même manière dans les interactions adulte-enfant avec troubles du développement du langage que dans les interactions avec un enfant qui n’en présente pas. Cette question sera surtout traitée à partir d’exemples issus d’un programme de recherche consacré à l’analyse de l’étayage d’adultes en interaction avec des enfants avec et sans troubles du développement du langage dans une situation de dialogue injonctif.

RÔLE DES RÉPÉTITIONS-REFORMULATIONS DANS LE DÉVELOPPEMENT DU LANGAGE

4Les reformulations ont tout d’abord été étudiées dans le cadre de ce qu’on appelle le langage modulé (pour une synthèse, Gallaway et Richards, 1994) [5], c’est-à-dire cette variété de langue utilisée par les adultes s’adressant aux jeunes enfants, qui présente des particularités par rapport à la variété échangée entre adultes. Dans ce cadre, les reformulations ont une fonction de corrections implicites par opposition aux corrections explicites qui indiquent clairement à l’enfant que son énoncé est erroné. La correction implicite lui propose la forme conventionnelle en langue de ce qu’il a voulu dire sans autre indication. Si ce type d’interventions de la part des adultes, et en particulier des parents, est largement attesté, la question qui se pose est celle de son effet sur le développement du langage et de l’usage que peuvent faire les jeunes enfants des corrections explicites et implicites qui leur sont proposées. Comme le discute Clark (2000) [6], la réponse à ces questions passe par l’adoption d’un point de vue conversationnel, c’est-à-dire qui prenne également en considération les énoncés de l’enfant, avant la reformulation et après celle-ci. Ainsi, " les enfants utilisent le contraste entre les deux formes successives d’un énoncé au cours de l’échange " (Clark, 2000, p. 11). Et c’est notamment ce traitement du contraste qui leur permet de s’approprier progressivement les formes grammaticales de la langue. On notera par ailleurs que les reformulations, tout en apportant à l’enfant des informations importantes sur la langue, n’entravent pas la poursuite de la conversation : en effet, prenant appui sur ce que dit l’enfant, elles interviennent de façon indirecte en fournissant un modèle, mais sans demander à l’enfant de corriger son propre énoncé. La conversation peut donc se poursuivre sur le même thème ou avec un changement de thème qui n’est pas induit par la reformulation.

5De manière générale, le rôle des répétitions et des reformulations a surtout été étudié dans les interactions des mères avec leurs jeunes enfants, c’est-à-dire par rapport aux premières étapes du développement du langage (Salazar Orvig, 2000 ; Veneziano, 1997) [7]. Ces auteurs mettent en évidence le travail d’interprétation des adultes lorsqu’ils reformulent les propos de l’enfant. Par ailleurs, elles notent que les enfants font aussi preuve d’une activité de reprise en répétant au mieux les propos de l’adulte. C’est dans ces reprises de l’enfant que le travail d’appropriation des formes – phonologiques, lexicales et/ou syntaxiques – peut se réaliser et s’observer. Ainsi, une approche interactionniste permet de mettre en évidence les différentes formes de reprises, auto- et hétéro-formulées.

6D’autres travaux ont mis en évidence le rôle joué par l’étayage verbal, et notamment par les reformulations, dans la structuration du discours. Celles-ci amènent l’enfant à poursuivre et/ou à réorganiser son discours (François, n. 3, p. 116). Dans le même sens, Hudelot et Vasseur (1997) [8] montrent comment le discours de l’adulte organise les propos de l’enfant par la gestion des enchaînements, des contenus thématiques et des catégories de mise en mots. Enfin, des auteurs étudient la façon dont les adultes contribuent au développement des capacités discursives, comme par exemple raconter un événement vécu (Hausendorf et Quasthoff, 1992 ; Reese et al., 1993) [9] ou décrire un parcours en communication référentielle (Lloyd, 1993) [10]. Ces auteurs mettent en évidence les diverses façons dont les adultes guident des enfants de différents âges afin que l’activité langagière soit réalisée.

RÔLE DES RÉPÉTITIONS-REFORMULATIONS DANS LES INTERACTIONS AVEC DES ENFANTS PRÉSENTANT DES TROUBLES DU DÉVELOPPEMENT DU LANGAGE

7Les troubles du développement du langage (TDL par la suite), ou dysphasie, sont des troubles durables de l’acquisition du langage, en dépit d’une intelligence et d’une audition normales, et en l’absence de troubles neurologiques, de carences affectives ou éducatives graves. La dysphasie présente une certaine hétérogénéité, dont rendent compte les classifications qui permettent de définir différents syndromes (Gérard, 1991 ; Rapin et Allen, 1983) [11]. La forme de dysphasie la plus fréquente est le syndrome phonologique-syntaxique : il s’agit de difficultés de production à la fois sur le plan phonologique et sur le plan de la syntaxe et de la morphologie, la catégorie verbale ainsi que les pronoms et les déterminants constituant les aspects morphologiques les plus perturbés (pour une synthèse, voir de Weck et Rosat, 2003) [12]. La dimension lexicale est parfois aussi déficitaire. La compréhension est en général meilleure que la production, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit exempte de perturbations, en particulier par rapport aux aspects morphologiques cités.

8Dans le domaine des troubles du développement du langage, les recherches consacrées aux reprises visent à mettre en évidence une éventuelle spécificité de leur fonctionnement par rapport au développement standard. Elles supposent donc une comparaison entre deux types de dyades mère-enfant, les unes avec des enfants présentant des TDL et les autres avec des enfants tout-venant. Ces études peuvent être regroupées selon deux perspectives. La plupart étudie la relation entre le langage des mères et les troubles du développement du langage. D’autres adoptent un point de vue clinique, en se centrant sur les interventions des parents ou des cliniciens.

9Les études centrées sur le langage des mères abordent rarement les reprises de façon spécifique et dans bien des cas elles ne sont pas traitées, les interactions mère-enfant étant analysées surtout sous l’angle des caractéristiques générales de l’étayage verbal (pour une synthèse, voir de Weck, n. 4, p. 116) et de la gestion des conversations par les participants. Par exemple, les interventions des mères sont envisagées du point de vue de leurs fonctions, en termes d’actes de langage (Conti-Ramsden et Friel-Patti, 1983) [13] ou de réparations des pannes conversationnelles (Yont et al., 2002) [14], ces fonctions pouvant être réalisées sous forme de reprises. Les résultats montrent que les mères adressent moins de reprises à leur enfant avec TDL que ne le font les mères avec leur enfant sans trouble (Nelson et al., 1995 ; Vigil et al., 2005) [15]. Mais cette donnée générale doit être nuancée, car elle est souvent basée sur le pourcentage d’énoncés de la mère qui constituent une reprise. Par contre, quand on rapporte le nombre de reprises des mères au nombre d’énoncés de l’enfant qui peuvent être suivis d’une reprise, aucune différence entre les deux groupes de mères ne s’observe (Paul et Elwood, 1991) [16]. Si les reprises sont plus fréquentes avec les enfants sans troubles, c’est que ceux-ci donnent davantage d’occasions à leur mère de reprendre leur discours que ne le font les enfants avec TDL.

10Ce résultat met en évidence les influences réciproques des partenaires d’une interaction. Cette influence a été étudiée par plusieurs chercheurs pour tenter d’expliquer les variations de la fréquence d’utilisation des reprises. Ainsi, quand on considère le partage de significations exprimé (par exemple sous forme de répétition) par les mères vis-à-vis des tours de parole de leur enfant, on observe à nouveau que les mères d’enfants sans troubles en produisent davantage que les mères d’enfants avec TDL (Conti-Ramsden et Friel-Patti, n. 13, p. 119). Les enfants sans troubles initiant davantage de topics que les enfants avec TDL, les mères des premiers ont davantage l’opportunité d’accuser réception de leurs propos. De même, l’importance des reformulations dans les interventions des mères est dépendante des caractéristiques des énoncés des enfants. Yoder et ses collègues (1997) [17] ont montré que les mères d’enfants avec TDL ont tendance à davantage reformuler les énoncés de leur enfant qui sont intelligibles et composés de plusieurs mots que des énoncés qui sont partiellement intelligibles et/ou composés d’un seul mot, confirmant par là des données obtenues avec des mères d’enfants sans troubles.

11En ce qui concerne les interventions cliniques, les enfants dysphasiques interagissent soit avec un orthophoniste-logopédiste, soit avec leurs parents en présence de spécialistes. Quelques – encore rares – travaux tentent de montrer les effets des interventions. Concernant les interactions logopédiste-enfant, un traitement basé sur des reformulations produites par le clinicien dans la conversation permet davantage à un enfant de progresser dans son développement langagier qu’un traitement basé sur des imitations par l’enfant des énoncés de l’adulte (Nelson et al., 1996) [18]. Quant aux interactions parent(s)-enfant, des modèles proposent des interventions en plusieurs parties, dont des sessions d’interactions filmées et discutées, pour établir le profil d’interaction de la famille (Kelman et Schneider, 1994) [19]. Dans ces interventions, la question des reprises par les parents des propos de leur enfant est centrale : elle donne lieu à des observations en vue de changements visant à aider l’enfant à poursuivre son développement du langage.

12En résumé, les travaux consacrés aux reprises par les adultes des propos des enfants présentant des TDL tentent de répondre à la question de la spécificité de ces reprises par rapport à celles adressées à des enfants sans troubles. Les résultats peuvent paraître contradictoires, puisque certains vont dans le sens de particularités et d’autres de similitudes. Une façon d’expliquer ces différences est de considérer les interventions des adultes en regard des propos des enfants, comme l’ont fait certains chercheurs précédemment cités.

STRATÉGIES D’ÉTAYAGE VERBAL : FORMES ET FONCTIONS DES REPRISES

13Dans ce qui suit, nous allons présenter plusieurs exemples illustrant la façon dont des adultes en interaction avec des enfants reprennent le langage de ces derniers. Ces exemples sont issus d’un programme de recherche [20] dont l’objectif était d’étudier les capacités et les difficultés d’enfants de 4 à 6 ans en interaction avec un adulte dans diverses activités langagières. Un groupe de sujets présentait une dysphasie phonologique-syntaxique (cf. supra), l’autre groupe étant composé d’enfants tout-venant, c’est-à-dire présentant un développement typique du langage (pour une synthèse, voir de Weck et Rosat, n. 12, p. 119).

14Les exemples discutés concernent des interactions avec des enfants de 6 ans (de 5;6 ans à 6;5 ans) – 9 enfants tout-venant et 8 dysphasiques – dans une situation de dialogue injonctif. Il s’agissait pour l’enfant de donner des instructions à son interlocuteur adulte – une expérimentatrice (assistante de recherche) formée aux interactions avec les enfants – sur la façon de construire une poupée avec des pièces en carton et des pincettes en plastique, afin qu’il puisse à son tour construire la poupée. Les enfants avaient appris précédemment à construire le dispositif ; le modèle ainsi constitué restait disponible pour eux, mais était caché pour l’interlocuteur. Le matériel contenait davantage de pièces que celles nécessaires à la construction. La consigne insistait sur le fait que l’enfant devait donner des indications verbalement, et non montrer à son interlocuteur comment faire. Les interactions ont été filmées et transcrites du point de vue verbal et non verbal (actions et gestes pertinents pour l’activité).

15L’analyse des interventions des adultes a porté sur l’ensemble de leurs interventions verbales et non verbales (répétitions, reformulations, questions, formulations, régulateurs, commentaires, et actions). Nous avons tout d’abord calculé le pourcentage d’apparition de chaque catégorie d’interventions par rapport à la totalité des interventions des adultes, et cela pour chacun des groupes de sujets séparément. Nous nous limitons dans cet article aux reprises, sous forme de répétitions et de reformulations [21]. Les répétitions et les reformulations sont elles-mêmes subdivisées en plusieurs types.

16Les répétitions sont définies comme une reprise par l’adulte des propos tenus par l’enfant dans le tour de parole précédent, sans modification de la forme linguistique. Les répétitions sont considérées comme partielles, lorsque l’adulte ne reprend qu’une partie des propos de l’enfant, et comme totales, lorsque tout l’énoncé de celui-ci est répété. Ces deux types sont exclusifs.

17Les reformulations constituent aussi des reprises par l’adulte des propos de l’enfant, mais avec une modification de la forme linguistique. Cette modification peut porter sur un ou plusieurs niveaux linguistiques : phonologique (exemple : [zon] reformulé jaune par l’adulte), lexical (exemple : un truc tout noir reformulé par l’adulte une petite pince), syntaxique et/ou énonciatif (exemple : la tête reformulé par l’adulte je dois prendre une tête, qui combine une reformulation syntaxique et une reformulation énonciative).

18Dans un deuxième temps, nous avons calculé les pourcentages d’apparition des différentes sous-catégories de répétitions (le 100 % correspond à l’ensemble des répétitions) d’une part et de reformulations (le 100 % correspond à l’ensemble des reformulations) d’autre part, et cela pour chacun des deux groupes de sujets séparément.

19L’analyse a pour but de mettre en évidence les similitudes et les différences des reprises des adultes selon qu’ils interagissent avec un enfant tout-venant ou dysphasique, sur les plans quantitatif et qualitatif. Le point de vue quantitatif (calcul des pourcentages) permet de répondre aux questions suivantes : les adultes produisent-ils proportionnellement autant de répétitions et de reformulations selon leur interlocuteur ? Produisent-ils les mêmes types de répétitions et de reformulations selon leur interlocuteur ? Le point de vue qualitatif aborde la question des fonctions de ces reprises dans le dialogue. Même si nous commençons par donner quelques résultats quantitatifs généraux, c’est la dimension qualitative qui est privilégiée dans cette contribution. Plus précisément, il s’agit d’analyser des séquences composées d’un énoncé de l’enfant, suivi d’une reprise par l’adulte, et d’observer dans la suite du dialogue l’effet de cette reprise.

Résultats généraux

20De manière générale, les reprises par les adultes du langage de l’enfant représentent 18 à 21 % de leurs interventions dans le dialogue injonctif (cf. tableau 1). Les répétitions apparaissent dans des proportions comparables avec les deux types d’enfants, alors que les reformulations sont davantage adressées aux enfants dysphasiques qu’aux enfants tout-venant.

Tableau 1
Tableau 1. — Pourcentages de reformulations, de répétitions, du total des reprises, des autres interventions et du total de toutes les interventions adressées par les adultes aux enfants tout-venant et dysphasiques

21Les différences quantitatives les plus importantes s’observent au niveau des types de reformulations et de répétitions. Les résultats sont présentés dans les tableaux 2 et 3.

Tableau 2
Tableau 2. — Pourcentages de reformulations phonologiques, lexicales, syntaxiques et énonciatives adressées par les adultes aux enfants tout-venant et dysphasiques
Tableau 3
Tableau 3. — Pourcentages de répétitions totales et partielles adressées par les adultes aux enfants tout-venant et dysphasiques

22La comparaison des deux groupes montre deux phénomènes inverses : l’un concerne les reformulations lexicales et syntaxiques, l’autre les répétitions totales et partielles. Ces différences sont clairement imputables aux caractéristiques langagières des enfants. En effet, l’importance des reformulations syntaxiques adressées aux enfants dysphasiques est à mettre en relation avec leurs troubles phonologiques-syntaxiques (par exemple, énoncé incomplet du point de vue grammatical, absence de déterminant, de prise en charge énonciative, constructions syntaxiques erronées, etc.). Par ailleurs, ces enfants ont tendance à produire des énoncés relativement courts, constitués souvent d’un seul syntagme, rendant ainsi leur répétition partielle impossible. Par contre, les enfants tout-venant produisent des énoncés complets et plus longs, dont on peut sélectionner une partie pour la répéter ; les reformulations lexicales proposent, comme on le verra plus loin, surtout une autre manière de décrire les pièces du dispositif.

Formes et fonctions des répétitions

23Nous venons de voir que les répétitions partielles et totales apparaissent à des taux différents selon le type d’enfants. Par contre, elles remplissent les mêmes fonctions : selon que ces répétitions sont produites sous forme déclarative ou interrogative, elles signalent respectivement un partage de signification ou un doute quant à ce partage. Ce fonctionnement se retrouve avec les enfants tout-venant et dysphasiques.

24L’exemple 1 illustre un partage de signification : la répétition partielle de l’adulte (en A1) est suivie d’un autre énoncé accompagnant son action selon l’indication donnée par l’enfant en L1. Cette séquence se poursuit par une ratification de l’enfant, suivie du rappel du nombre de pièces (en L2), et se clôt par une reformulation lexicale de l’adulte (en A2 ; voir plus bas la discussion de ces reformulations).

25Exemple 1 [22] :

26L1 : alors tu dois prendre deux machins noirs

27A1 : deux machins noirs / alors / c’est ceux-là (prenant une pince)

28L2 : oui / deux

29A2 : mm des p’tites pinces

30(Enfant tout-venant de 5;11 ans)

31Cette fonction de partage de signification peut se doubler d’un rôle au niveau de la planification. En effet, lorsque l’adulte signale à l’enfant par sa répétition qu’il a pu réaliser l’action indiquée ou prendre la pièce nécessaire, l’enfant poursuit en donnant à l’adulte une nouvelle information pour continuer la construction du dispositif. Ainsi, la répétition clôt un topic du dialogue et permet d’en initier un autre.

32Quant au doute sur la compréhension de l’information donnée par l’enfant, il peut être exprimé par une répétition sous forme interrogative (exemple 2) ; cette répétition prend alors une valeur de demande implicite d’information.

33Exemple 2 :

34L17 : après tu prends une jupe / elle est rouge et et : jaune

35A17 : rouge et jaune hmhm (prend la robe) // ah elle est jolie // et puis / qu’est-c’que j’fais ?

36L18 : tu la mets : avec la pincette

37A18 : j’la mets avec la pincette comme ça ? (met la robe dans le faux sens)

38L19 : (hoche négativement la tête) non

39A19 : non ? // alors comment ?

40L20 : tu mets la pointe dans la pincette

41(Enfant tout-venant de 5;10 ans)

42La répétition (A19) prend place à l’intérieur d’une phase de description relative à la manière d’accrocher une pièce à la construction : l’enfant exprime en L19 son désaccord par rapport à la façon dont s’y prend l’adulte, sans donner d’indication complémentaire. L’adulte répète ce refus sous forme interrogative, tout en laissant à l’enfant la place de prendre la parole (cf. la pause entre les deux énoncés du tour de parole A19). Comme ce dernier ne la prend pas, l’adulte poursuit son tour de parole par une demande d’information explicite.

43Les répétitions, totales et partielles, peuvent aussi être utilisées pour manifester une imprécision lexicale et non une difficulté de compréhension du discours de l’enfant (exemple 3).

44Exemple 3 :

45L45 : pis un écharpe

46A45 : une écharpe / (...) / qu’est-ce qu’on pourrait prendre comme écharpe ? / qu’est-ce que j’dois prendre comme écharpe hein ?

47L46 : une ficelle

48A46 : une ficelle ? / (prenant le ruban) c’est une ficelle ça ?

49L47 : (acquiesce)

50A47 : un ruban hein / (...)

51(Enfant dysphasique de 6;3 ans)

52Étant donné le matériel à disposition, il n’y a qu’un élément qui peut convenir pour une écharpe, que l’adulte prend tout en répétant l’énoncé de l’enfant. La répétition, suivie d’une question visant à vérifier la connaissance de l’enfant (deuxième énoncé de A46), s’intègre bien dans un processus d’étayage sur le plan lexical, qui se termine par une reformulation lexicale (A47).

Formes et fonctions des reformulations

53Quatre formes de reformulations sont distinguées : les reformulations phonologiques, lexicales, syntaxiques et énonciatives. Nous les discutons dans cet ordre.

54Les reformulations phonologiques sont adressées presque exclusivement aux enfants dysphasiques. Elles attestent les difficultés que certains d’entre eux éprouvent sur le plan phonologique, alors que les enfants tout-venant n’en manifestent plus à cet âge. Ces reformulations ne sont pas forcément reprises par l’enfant. Certaines erreurs persistantes de l’enfant peuvent occasionner plusieurs reformulations de la part de l’adulte au cours du dialogue. Mais celui-ci ne reformule pas toutes les occurrences, si l’enfant n’essaie pas lui-même de produire le mot correctement.

55Les reformulations lexicales présentent un fonctionnement similaire avec les deux types d’enfants. Elles servent le plus souvent à préciser la dénomination d’une pièce du matériel (voir aussi exemples 1 et 3), et en particulier celle des attaches en plastique. Alors que les enfants utilisent souvent en première dénomination un terme générique (un truc, un machin), l’adulte propose un lexème plus précis. Certaines reformulations aboutissent, au sens où l’enfant accepte la proposition et la reprend dans la suite du dialogue, et d’autres pas.

56Exemple 4 :

57L4 : après tu prends un truc tout noir

58A4 : un truc tout noir (sourire) euh : / (prend une pince) c’est les petits trucs là les petites pinces ?

59L5 : ouais

60(...)

61L13 : ouais // après tu : hm : tu prends une autre pince

62A13 : oui (prend une autre pince)

63L14 : après euh tu l’accroches aux bras

64(...)

65L19 : ouais // après tu accroches ici (montre son thorax) à la perche

66A19 : à la pince

67L20 : ouais à la pince (sourire)

68(...)

69L22 : ouais pis après tu prends une autre pince

70A22 : oui (prend une pince)

71(Enfant tout-venant de 6;0 ans)

72L’exemple 4 illustre le travail d’acquisition lié à la reformulation lexicale de l’adulte (en A4). La proposition lexicale est ratifiée par l’enfant (en L5) et reprise dans le dialogue par celui-ci à plusieurs reprises (en L13, L19 et L22). La reprise L19, incorrecte, occasionne une nouvelle reformulation de la part de l’adulte (en A19), à nouveau ratifiée par l’enfant (en L20). Cette séquence de reformulations par l’adulte et de reprises par l’enfant à propos du même objet de discours permet à l’enfant de faire une acquisition lexicale. On peut donc l’interpréter comme une séquence potentiellement acquisitionnelle (de Pietro, Matthey et Py, 1989-2004) [23] aboutie.

73Les reformulations syntaxiques, prépondérantes avec les enfants dysphasiques, sont un corollaire de leurs difficultés de textualisation et de gestion du discours. En ce qui concerne la textualisation, la reformulation peut concerner le choix des déterminants en fonction des caractéristiques de la situation (A36 de l’exemple 5). Généralement, un référent qui ne fait pas partie de la connaissance partagée entre les interlocuteurs est introduit par un syntagme indéfini ; s’il en fait partie, un syntagme défini est possible. Dans l’exemple particulier, comme le modèle n’est pas disponible pour l’interlocuteur adulte, mais seulement pour l’enfant, l’introduction de la pincette devrait être réalisée par un syntagme indéfini. C’est ce que propose l’adulte en A36.

74Exemple 5 :

75L36 : il (?faudrait?) la pincette

76A36 : une pincette (en prend une)

77L37 : et (?démettez?) dessous la milieu à la bras

78A37 : au milieu du bras / oui / dessous (accroche la pincette) d’accord

79(Enfant dysphasique de 6;8 ans)

80La deuxième reformulation (en A37) porte sur la construction d’un syntagme prépositionnel que l’enfant formule incorrectement (en L37). L’adulte lui propose une formulation qui combine les deux informations spatiales qu’il voulait exprimer.

81Quant aux difficultés de gestion du discours des enfants dysphasiques, certaines consistent en une absence d’articulation entre plusieurs constituants d’un énoncé. Comme l’illustre l’exemple 6, le discours de bien des enfants dysphasiques se caractérise par le fait qu’un tour de parole ne comprend souvent qu’un constituant, alors que la description de la pièce que doit prendre l’interlocuteur adulte peut être réalisée au moyen d’un énoncé qui comprend plusieurs syntagmes, comme le font la majorité des enfants tout-venant.

82Exemple 6 :

83L7 : après / (regarde le modèle) les bras

84A7 : les bras

85L8 : c’est (regarde le modèle)

86A8 : qu’est-ce que c’est les bras ?

87L9 : (chuchote) jaune / pis orange

88A9 : pardon ?

89L10 : jaune pis orange

90A10 : jaune et orange / les bras jaunes et oranges / (prenant le demi-cercle orange) ça c’est tout orange / c’est ça ?

91(Enfant dysphasique de 6;3 ans)

92Dans cet extrait, l’enfant commence par dénommer (en L7) la partie du corps que la pièce à rechercher est censée représenter dans la construction de la poupée. La description de la pièce est produite dans un autre tour de parole (en L9), suscitée par une question de l’adulte (A8). La reformulation (en A10) propose à l’enfant un énoncé qui articule l’élément déterminé et sa détermination.

93Enfin, les reformulations énonciatives remplissent des fonctions différentes selon qu’elles sont adressées aux enfants tout-venant ou dysphasiques. Avec les premiers, elles s’intègrent dans le cadre de la coconstruction des significations (exemple 7). La prise en charge énonciative modifiée entre L1 et A1 a pour fonction de réguler l’interaction en signalant un partage de signification. On peut considérer ces reformulations comme des régulateurs très explicites, caractéristiques des interactions adulte-enfant.

94

95Exemple 7 :

96L1 : prends ça (donne la tête à A) / ça

97A1 : je prends ça (prend la tête)

98(Enfant tout-venant de 5;9 ans)

99Par contre, avec les enfants dysphasiques, les reformulations énonciatives sont fréquemment utilisées en l’absence de prise en charge énonciative de leurs énoncés. Dans l’exemple 8, l’enfant débute une nouvelle phase du plan (en L9) en donnant une indication formulée avec un syntagme verbal à l’infinitif.

100Exemple 8 :

101A8 : au milieu d’accord // voilà

102L9 : pi y’a // couper un œil

103A9 : ah j’dois couper un œil dans quoi ?

104L10 : dans le vert

105(Enfant dysphasique de 6;8 ans)

106Par ailleurs, ce type de reformulation se combine souvent avec une reformulation syntaxique (exemples 8 et 9).

107Exemple 9 :

108A1 : qu’est-ce que je fais ?

109L2 : une tête

110A2 : une tête

111L3 : orange / rouge / noir

112A3 : je dois chercher une tête orange rouge et noire / alors ça a l’air d’être ça (prend la tête) / voilà

113(Enfant dysphasique de 6;2 ans)

114Les reformulations (en A9 et A3) ont plusieurs fonctions : d’une part, elles montrent que l’injonction non signifiée par l’enfant est intégrée par l’adulte qui l’explicite par une prise en charge énonciative de son énoncé et une modalisation ; d’autre part, elles jouent un rôle au niveau de la planification par le fait qu’elles comprennent (dans l’exemple 8) une question qui permet à l’enfant de préciser le topic ou qu’elles font partie d’un tour de parole qui clôt (dans l’exemple 9) la phase de description de la première pièce du dispositif. Enfin, dans l’exemple 9, elle fournit aussi un modèle d’articulation entre deux constituants d’un énoncé, en l’occurrence entre un élément déterminé et sa détermination (voir aussi exemple 6).

CONCLUSION

115Les exemples discutés avaient pour but d’approfondir le fonctionnement des diverses reprises et de mettre en évidence d’éventuelles différences de fonctionnement entre les deux groupes d’enfants. D’une manière générale, on a vu que les reprises peuvent remplir deux fonctions générales souvent attestées dans les travaux de psycholinguistique développementale et de linguistique de l’apprentissage des langues : d’une part signaler à l’enfant s’il y a ou non partage de signification, et d’autre part proposer à l’enfant un modèle en langue de son énoncé, sans qu’il y ait forcément un problème d’intercompréhension. Ces fonctions générales se retrouvent dans les dyades avec les deux types d’enfants.

116Dans le premier cas, les reprises font plutôt partie de la gestion des conversations et se rapprochent d’un fonctionnement que l’on pourrait observer dans les interactions entre locuteurs compétents plus âgés. En effet, signaler le partage de signification ou son absence fait partie des règles de base de la gestion d’une conversation. Ce qui est peut-être spécifique à ces interactions asymétriques, c’est l’importance des répétitions à cette fin. On peut considérer qu’il s’agit de régulateurs particulièrement explicites. Lorsqu’il n’y a pas de partage de significations, les interlocuteurs ont à faire face à une panne conversationnelle et à sa nécessaire réparation. La panne est signalée par l’adulte au moyen d’une reprise interrogative et pour la réparer l’enfant doit préciser le contenu de son énoncé afin que l’adulte puisse exécuter l’action indiquée.

117Dans le deuxième cas, on peut considérer que les reprises entrent dans le cadre général de l’étayage, dans la mesure où elles sont appropriées au niveau de développement langagier, qu’il soit perturbé ou non, de l’enfant. Le modèle fourni par l’adulte, généralement par une reformulation, constitue une correction implicite et peut, après traitement du contraste entre les deux énoncés (Clark, n. 6, p. 117), être intégré par l’enfant afin d’augmenter progressivement ses capacités. De ce point de vue, ce qui ressort des résultats obtenus c’est l’importance des reformulations syntaxiques et énonciatives produites à l’adresse des enfants dysphasiques pour améliorer la textualisation de leurs énoncés. Cet aspect rejoint les données de la littérature. Cette importance ne doit pas laisser supposer que les reprises des adultes adressées aux enfants dysphasiques ont pour principale fonction de leur proposer des modèles d’énoncés satisfaisants : en effet, les fonctions des reprises sont pour l’essentiel les mêmes qu’avec les enfants tout-venant et les reformulations sont souvent plurifonctionnelles (niveaux de la textualisation et de la planification du discours notamment). On insistera aussi sur le fait que certaines reprises concernent les difficultés de construction du discours des enfants dysphasiques, et pas seulement la mise en mots d’un énoncé. Cet aspect est moins souvent étudié, qu’il s’agisse des travaux relatifs aux enfants tout-venant ou avec TDL. Enfin, avec les enfants tout-venant, l’importance des reformulations lexicales semble davantage liée à l’activité particulière, où la dénomination précise des pièces du matériel permet de réaliser plus efficacement la tâche.

118Par ailleurs, les données présentées montrent, comme bien des travaux discutés en introduction, les influences réciproques des interactants sur leurs modes d’intervention et de participation au dialogue. Les différences de fonctionnement de certaines catégories de reprises doivent être comprises dans ce cadre. En cela, il s’agit d’une illustration des tentatives d’un ajustement précis et réciproque, caractéristique de l’étayage verbal. Cet ajustement fin peut aller jusqu’à la formulation par l’adulte des actions de l’enfant qu’il n’accompagne pas de verbalisations. Cet aspect, observé dans notre corpus en particulier avec les enfants dysphasiques, n’a pas été approfondi. Mais il devrait faire partie d’une analyse complète de l’étayage verbal, permettant peut-être de montrer une continuité entre les dimensions non verbales et verbales avec les jeunes enfants en début d’acquisition du langage ou avec les enfants dysphasiques plus âgés, mais parlant peu.

119Enfin, on relèvera les implications possibles par rapport à la clinique orthophonique-logopédique des résultats présentés. Comme on l’a vu, le développement des théories interactionnistes ont influencé les pratiques cliniques, au sens où les parents sont bien davantage intégrés qu’auparavant aux interventions des professionnels. Mais de nombreuses recherches seraient à mener pour mieux connaître les effets des interventions, ainsi que les modalités d’interactions des parents d’une part et des professionnels d’autre part. Dans ce sens, nos résultats confirment déjà que les stratégies d’étayage verbal proposées par les parents ou les professionnels ne présentent pas de différences notoires, ce qui renforce la pertinence d’une intégration des parents dans les interventions thérapeutiques.


Date de mise en ligne : 01/12/2008.

https://doi.org/10.3917/ling.422.0115

Notes

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  • [2]
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  • [3]
    Frédéric François, 1993, Pratiques de l’oral, Paris, Nathan.
  • [4]
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  • [5]
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  • [6]
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  • [7]
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  • [10]
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  • [11]
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  • [12]
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  • [13]
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  • [14]
    Kristine M. Yont, Lynne E. Hewitt et Adele W. Miccio, 2002, " "What did you say ?" : Understanding conversational breakdown in children with speech and language impairments ", Clinical Linguistics and Phonetics, 16 (4), p. 265-285.
  • [15]
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  • [16]
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  • [17]
    P. J. Yoder, T. Klee, N. Hooshyar et M. Schaffer, 1997, " Correlates and antecedents of maternal expansions of utterances of children with language disabilities ", Clinical Linguistics & Phonetics, 12 (1), p. 23-41.
  • [18]
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  • [19]
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  • [20]
    Ce programme, intitulé " Les retards de langage : procédures d’étayage des adultes en situation expérimentales et cliniques ", a été subventionné par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (Subside FNRS no 1113-45701 . 95). Marie-Claude Rosat a également largement contribué à ce programme.
  • [21]
    Pour plus de détails sur l’ensemble de l’analyse, voir de Weck, 2001 (n. 4, p. 116).
  • [22]
    Dans les exemples, les conventions suivantes sont adoptées : L = locuteur enfant ; A = adulte interlocuteur ; le numéro qui suit correspond à la numérotation des tours de parole établie de manière indépendante pour chaque participant ; les pauses brèves (respiration) sont marquées par /, les pauses de moins de trois secondes par //, les pauses plus longues par le temps entre traits obliques (ex : / 10 sec. /) ; les ? marquent une question établie sur la base de l’intonation et/ou de la présence d’un marqueur interrogatif ; les soulignements indiquent les chevauchements. Entre parenthèses sont notées les actions liées à l’activité de construction et les manifestations non verbales. Les segments discutés sont en italiques.
  • [23]
    Jean-François de Pietro, Marinette Matthey et Bernard Py, 1989-2004, " Acquisition et contrat didactique : les séquences potentiellement acquisitionnelles dans la conversation exolingue ", in L. Gajo, M. Matthey, D. Moore et C. Serra (eds), Un parcours au contact des langues, Textes de Bernard Py commentés, Paris, Didier, p. 79-93.
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