Introduction
1 La Chine est le pays le plus peuplé du monde avec un vaste territoire couvrant environ 9,6 millions de km2 (5 500 km du Nord au Sud et 5 000 km d’Est en Ouest – voir figure 1). Dans un contexte de libéralisation et d’ouverture depuis 1978, l’urbanisation de la Chine a augmenté de manière significative (Doulet, 2013 ; ; Sanjuan 2015 ; Sit, 2010), passant de 20 % en 1990 à 54,77 % en 2014. Selon les données du recensement de 2010, le pays compte 193 zones métropolitaines avec une population de plus d’un million. Six mégapoles dépassent même les 10 millions : Shanghai, Pékin, Chongqing, Tianjin, Canton et Shenzhen. Dans un contexte de croissance économique très rapide, l’urbanisation se poursuivra au cours de la prochaine décennie, et en 2025, on estime que le pays aura 221 régions métropolitaines de plus d’un million d’habitants.
2 La pratique de l’aménagement accompagne donc le processus d’urbanisation dans un contexte de transition. Du point de vue économique, il s’agit du passage d’une économie planifiée à une économie socialiste de marché. Dans un contexte de croissance rapide les disparités entre les zones urbaines et rurales, et plus généralement l’écart entre les riches et les pauvres, augmentent rapidement. Du point de vue environnemental, l’extension urbaine rapide et l’essor de la production industrielle entraînent de nombreuses dégradations qui questionnent la pratique de l’aménagement à l’heure où la lutte contre le changement climatique et le développement durable s’imposent progressivement sur l’agenda politique. Du point de vue des acteurs de l’aménagement, la pratique se caractérise toujours par une approche descendante dominée par le Parti communiste chinois. Cependant depuis 1978 et l’ouverture de la Chine, les acteurs privés ont acquis plus d’espace et de pouvoirs. Les citoyens sont mieux informés mais restent souvent exclus des processus de décision car le parti communiste garde le monopole de la représentation politique.
3 Cet article vise à identifier l’évolution de la pratique de l’aménagement du territoire depuis le début du xxe siècle, et plus particulièrement les quatre dernières décennies avec l’ouverture de la Chine. Notre objectif est donc de questionner les différentes dimensions (économique, sociale, politique, territoriale, etc.) de la transition chinoise afin d’examiner le rôle des acteurs et des cadres institutionnels dans la pratique de l’aménagement. La première partie porte sur l’évolution des styles de planification, puis la deuxième partie examine les différents niveaux institutionnels impliqués dans l’aménagement de l’espace, avant que la dernière partie examine les innovations récentes illustrant la transformation de la pratique vers un modèle plus intégré.
L’évolution des styles de la planification
4 L’aménagement du territoire chinois a eu plusieurs influences théoriques (Abramson, 2006 ; Douay, 2008 ; Friedmann, 2005 ; Wu, 2015 ; Zhang, 2008). La tradition philosophique chinoise, avec le confucianisme et le taoïsme, est l’influence la plus ancienne, mais l’Occident a également été une source d’inspiration.
Planifier dans le contexte de la République
5 Depuis le début du xxe siècle, dans le contexte de la révolution industrielle, la doctrine de la planification rationnelle globale a émergé et est devenue le modèle dominant dans le monde occidental (Allmendinger, 2009). Comme le terme « global » l’indique, cette approche devait résoudre l’ensemble des dimensions de la croissance d’un territoire. L’élaboration de plans détaillés se concentrait alors sur la régulation juridique de l’usage des sols. Dès les années 1950, le modernisme devient le nouveau référentiel de la pratique. La planification suit alors des étapes qui se veulent logiques et rationnelles en partant de l’identification des problèmes jusqu’à leur résolution. Ce modèle est rapidement devenu le paradigme dominant dans la théorie et aussi dans la pratique professionnelle (Friedmann, 1987 ; Lindblom, 1990).
6 Dans les années 1920 et 1930, il a également été adopté en Chine par les nationalistes qui ont poursuivi une politique de modernisation axée sur les villes (Esherick, 2000). Par exemple à Nankin, qui devient alors la nouvelle capitale nationale, un plan est adopté en 1929. En outre, l’élaboration du plan du Grand Shanghai et le Plan métropolitain de Shanghai est influencée par l’occident, notamment avec le concept de villes-satellites (Henriot, 2015).
Planifier dans le contexte du socialisme
7 Lorsque les communistes ont pris le pouvoir en 1949, la pratique de l’aménagement a continué à suivre le modèle occidental. Au début des années 1950, les théories socialistes prennent plus d’importance sous l’influence de la vision soviétique avec le centralisme et les comités de planification (Hoa, 1981). Un mouvement d’industrialisation et de nationalisation marque alors les années 1950 et 1960. Dans le contexte socialiste, la planification urbaine ne vise pas à contrôler et diriger le développement économique, comme dans le cas d’une économie de marché. Au contraire, elle est destinée à localiser les projets de l’État et à incarner les grands objectifs de la politique du gouvernement. L’avènement du communisme concentre l’aménagement du territoire chinois sur les objectifs de modernisation urbaine avec un effort pour développer l’industrie dans un contexte de nationalisation. Le gouvernement déplace les usines des zones côtières développées vers les parties intérieures et occidentales du pays qui moins développées.
8 Dans le contexte du socialisme, la Révolution culturelle est un tournant majeur pour l’aménagement. Avec l’objectif de préserver la véritable idéologie communiste, la Révolution culturelle conduit à la suppression d’éléments capitalistes et traditionnels de la société chinoise. Mao Zedong renforce sa rhétorique contre les villes et décide d’axer le développement du pays sur les zones rurales. Le mouvement paralyse la Chine d’un point de vue politique et affecte significativement le développement économique et social. Cela se traduit par un rejet total de l’aménagement du territoire entre 1966 et 1976.
Planification dans le contexte de la transition vers le marché : vers une planification stratégique ?
9 Avec la fin du maoïsme et l’ouverture de la Chine à partir de 1978, nous pouvons observer une évolution du style de la planification avec le retour des acteurs privés et le développement d’une « économie socialiste de marché » dans un contexte de mondialisation (Yeh et Wu, 1999 ; Wu, 2002). Cette évolution illustre en partie le virage stratégique de la planification. Ce courant théorique a ses origines dans le domaine militaire et a ensuite été approprié par le monde des affaires et, enfin, par le secteur public, dans un contexte de néolibéralisme dans les pays occidentaux. Le modèle stratégique concentre l’action publique sur la recherche de résultats grâce à l’adoption de mesures précises. Dans cette perspective, la recherche de l’efficacité grâce à la réalisation de projets semble être la valeur de base de ce tournant stratégique.
10 Dans le contexte de transition vers le marché, l’aménagement s’adapte à l’émergence de l’esprit d’entreprise et l’ensemble du système de planification se donne comme objectif de favoriser la croissance, notamment par la valorisation du foncier (Wu, 2015).
11 L’ouverture de la Chine s’accompagne d’une série de restructurations territoriales (Sanjuan 2015, Zhang, 2007). L’économie dans les régions orientales et urbaines se développe rapidement, tandis que les zones rurales en Chine centrale et occidentale restent à la traîne. L’ouverture augmente le poids des métropoles, en particulier sur la côte, qui sont devenues les moteurs de la croissance économique. Par exemple, en 1980, les ports de Shenzhen, Zhuhai, Shantou et Xiamen sont devenus des « zones économiques spéciales » afin d’attirer davantage d’investissements étrangers et aider à développer une économie orientée vers l’exportation.
12 Suite à ce virage stratégique, 113 (données de février 2013) nouveaux districts (villes nouvelles et zones industrielles) ont été planifiés et construits au niveau local. Ceux-ci ont généré d’abondants investissements et finalement des recettes fiscales pour les institutions locales. L’exemple du nouveau district de Pudong à Shanghai est emblématique de ce processus. Il est créé en 1992 afin d’encourager le développement de l’économie internationale, la finance, le commerce et le transport et joue un rôle important dans la métropolisation de Shanghai.
Planification dans le contexte de l’ouverture : vers une planification concertée ?
13 Il existe un consensus sur le fait que l’approche communicative ou collaborative est maintenant le paradigme dominant dans les théories de la planification spatiale occidentale (Innes, 1995). L’expérience chinoise montre les mêmes limites que les pratiques occidentales avec une collaboration qui est encore naissante (Alexander, 1997 ; Douay, 2010). La Chine a un système de planification descendant avec une concentration du pouvoir aux niveaux supérieurs. Ceci peut être expliqué historiquement par l’idéologie confucéenne, qui met l’accent sur la hiérarchie et l’ordre dans la société. En fait, l’aménagement du territoire dans la Chine contemporaine est souvent l’apanage d’un petit cercle d’acteurs qui peut être caractérisé comme l’élite de coalitions socialistes pro-croissance (Zhang, 2002a).
14 Afin de développer l’acceptabilité sociale des décisions de planification, la collaboration permet de répondre aux demandes citoyennes, de type NIMBY ou celles plus exigentes de partage de la décision. La participation du public se développe progressivement : les citoyens sont souvent invités à faire des suggestions notamment grâce aux outils numériques. En outre, des lieux d’exposition permettent la présentation des projets urbains. Parfois, les initiatives dépassent le stade de l’information comme à Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, avec la mise en œuvre d’un budget participatif (Cabannes et Ming, 2014). Celui-ci a financé près de 40 000 projets décidés par les citoyens entre 2009 et 2012. Mais le plus souvent, la participation du public est limitée à de l’information et l’interaction ne permet aucune forme de responsabilisation et encore moins d’émancipation (Zhang, 2002b). Le parti communiste garde le monopole de la représentation politique et rend donc presque impossible le développement d’une société civile, du moins comme nous pouvons l’entendre dans le monde occidental.
15 L’émergence d’une approche collaborative pose la question des inégalités sociales et renforce les demandes de réformes politiques. Le développement des métropoles s’accompagne inévitablement par le creusement des inégalités sociales. La question de la polarisation sociale concerne principalement les mingong (travailleurs migrants ruraux) qui ne disposent pas des mêmes droits. En outre, le déplacement de population pour réaliser des projets immobiliers conduit à de nombreuses expropriations (Douay, Severo et Giraud, 2012) qui sont souvent la source de conflits majeurs. Très souvent, les citoyens se plaignent du montant des indemnités et refusent de partir. Tout cela alors que dans un contexte de spéculation immobilière, de nombreux nouveaux logements restent vacants. Dans ces conditions, les inégalités sociales pourraient devenir explosives si elles continuent à être ignorées. En termes plus généraux, la construction d’une « société harmonieuse », pour reprendre les termes du parti communiste, suppose le développement de nouveaux mécanismes démocratiques sans quoi la véritable participation des citoyens dans les mécanismes de planification restera illusoire.
Planification dans le contexte de la croissance : vers une planification durable ?
16 La Chine ne fait pas exception à la tendance mondiale vers un développement plus durable. L’idée de la « société harmonieuse » a été présentée comme un nouvel objectif en 2004 lors d’une réunion du Comité central du Parti communiste. En matière d’aménagement, ce concept se traduit par une urbanisation qui prétend être « harmonieuse » telle que présentée à Nankin lors du 4e Forum urbain mondial de l’ONU ou encore lors de l’Exposition internationale de Shanghai en 2010. Lors de l’adoption du 11e plan quinquennal (2006-2010), l’Assemblée populaire nationale privilégie l’aspect qualitatif de la croissance économique, en particulier les aspects sociaux et environnementaux. Le plan prévoit un nouveau modèle de développement économique fondé non pas sur la consommation croissante de ressources, mais sur leur utilisation plus efficace. Le plan insiste sur la responsabilité des autorités locales dans la mise en œuvre de ces objectifs (OECD, 2007). Concrètement, le développement des éco-villes à la périphérie des grandes métropoles est une réponse courante (Curien, 2014 ; Douay et Cory, 2014 ; Henriot, 2015 ; Wu, 2015). Par exemple, Dongtan dans l'île de Chongming à proximité de Shanghai, vise à devenir un îlot écologique de renommée mondiale. Quand il a été proposé la première fois en 2005 (dans la perspective de l’exposition internationale de 2010), le projet a été salué comme étant un modèle avec une nouvelle ville à faible consommation d’énergie pour 50 000 personnes installées sur les dernières zones humides à proximité de Shanghai. Après de nombreuses controverses, les zones humides ont été épargnées et la ville modèle est devenue un petit ensemble de gratte-ciel classique avec un parc éolien mais le résultat est très loin des concepts théoriques du développement durable. Plus récemment, le cas du projet sino-singapourien de Tianjin est probablement le meilleur exemple d’une ville écologique fonctionnelle en Chine (Curien, 2016).
17 Finalement, les autorités municipales sont souvent dans une position schizophrène car elles se retrouvent coincées entre des injonctions de croissance économique (qui sont essentielles dans la perspective d’avancement de carrière des responsables politiques) et un discours officiel sur le tournant durable qui pourrait freiner la croissance. Au-delà de cette injonction nationale, le changement de mentalité s’effectue aussi par la prise de conscience que les niveaux actuels, et souvent croissants, de pollution peuvent aussi affecter l’attractivité économique de leur territoire.
Le système contemporain de planification
18 Après la Révolution culturelle, l’aménagement du territoire a été progressivement ressuscité et est devenu un outil pour l’ouverture du pays et la transition de l’économie vers le marché. Maintenant, le système de planification est bien organisé avec une répartition des compétences à chaque échelle institutionnelle.
Le retour de la planification dans un contexte d’ouverture
19 Dans les années 1980 avec l’ouverture, la pratique de l’aménagement du territoire réapparaît progressivement (Yu, 2014). En 1984, la réforme urbaine est adoptée et en 1990 c’est au tour de la Loi sur l’aménagement urbain. Avec ces différents outils, le gouvernement dispose d’un nouveau système de planification articulé entre les différents niveaux institutionnels.
20 Il y a trois niveaux de plans (tableau 1). En fait, à chaque ministère correspond un secteur particulier avec ses propres objectifs de planification. La Commission nationale du Développement et de la Réforme conduit habituellement la planification régionale à travers l’élaboration de plans de développement socio-économiques qui sont étroitement liés à la stratégie nationale de développement. La planification de l’aménagement urbain et rural, qui est lié à l’aménagement physique de l’espace, est de la responsabilité du ministère du Logement et du Développement urbain et rural à travers l’élaboration des plans nationaux d’aménagement. Le ministère du Territoire et des Ressources s’occupe de planification de l’usage des sols sur la base des plans urbains et ruraux. Ces différents plans sont élaborés aux différentes échelles institutionnelles et cela conduit inévitablement à des contradictions et des incohérences entre les différentes politiques.
Échelle | Institutions | Plans de développement socio-économique/Commission nationale du Développement et de la Réforme | Plan national d’aménagement (usage des sols)/ministère du Territoire et des Ressources | Plans urbains et ruraux/Ministère du Logement et du Développement urbain et rural |
Nationale | Gouvernement central |
Plan quinquennal national pour le développement socio-économique | Plan national d’aménagement/Plan national d’usage des sols | Plan national d’organisation urbaine |
Provinciale | Province, ville-province, région autonome |
Plan quinquennal provincial pour le développement socio-économique | Plan provincial d’aménagement/Plan provincial d’usage des sols | Plan provincial d’organisation urbaine |
Préfecture-comté | Comté, ville-comté, district urbain |
Plan quinquennal préfectoral pour le développement socio-économique | Plan préfectoral d’aménagement/Plan préfectoral d’usage des sols | Plan préfectoral d’organisation urbaine |
Municipalité | Ville, canton, comité de rue | Plan cantonal d’usage des sols | Plan cantonal d’organisation urbaine/Plan de village |
Le rôle clé du plan quinquennal pour le développement socio-économique
21 Depuis 1953 la stratégie politique nationale est incarnée par le plan quinquennal pour le développement socio-économique. Approuvé par l’Assemblée populaire nationale (organe législatif national) et préparé par la Commission nationale du développement et de la réforme. Le plan présente une vision spatialisée du développement et fixe des objectifs pour l’économie nationale et l’utilisation des ressources. Cette stratégie nationale, de même que le reste de la hiérarchie des normes, a une finalité politique qui vise à susciter de la croissance économique pour créer des emplois et maintenir la stabilité sociale et ainsi préserver la domination du parti communiste.
22 Cependant, même si cet objectif de croissance demeure central les concepts et le vocabulaire de la planification évoluent. Ainsi lors de l’adoption du 11e plan (2005-2010), l’Assemblée populaire nationale a insisté sur les aspects qualitatifs de la croissance économique, en particulier les aspects sociaux et environnementaux avec la notion de « civilisation écologique ». Le plan a insisté sur la responsabilité des autorités dans la mise en œuvre de ces objectifs.
23 Le 12e plan (2010-2015) a pris en compte la nécessité de répondre à la crise financière mondiale et a fixé un objectif de « bien-être » dans la société qui se traduit par une augmentation des revenus du plus grand nombre dans le cadre d’une poursuite du processus d’urbanisation qui est spatialisé (voir Figure 3).
La stratégie d’urbanisation du 12e plan quinquennal 12 avec ses deux axes horizontaux et ses trois axes verticaux.
La stratégie d’urbanisation du 12e plan quinquennal 12 avec ses deux axes horizontaux et ses trois axes verticaux.
La stratégie globale est de développer la croissance économique et l’économie de marché d’Est en Ouest et du Sud au Nord le long de deux axes horizontaux suivants la route transcontinentale eurasienne et la rivière Yangtze et de trois axes verticaux. Quelques villes le long des axes doivent être des pôles de cette stratégie d’urbanisation.Le zonage des fonctions majeures pour mettre en œuvre le plan quinquennal aux échelles nationale et régionale
24 En 2010, le Conseil d’État a dévoilé un plan de zonage des quatre fonctions majeures qui doit constituer un outil pour réaliser la « civilisation écologique ». En 2011, il est devenu une stratégie nationale du 12e plan et chaque province a commencé à élaborer un tel plan avec une représentation du zonage des quatre fonctions. Celles-ci renvoient à des niveaux de développement : optimal, prirorisé, restreint ou prohibé. La zone optimale (1,48 % du territoire) est un espace à forte densité de population, haute intensité de développement où les enjeux environnementaux sont forts. La zone prioritaire (13.60 %) est un espace urbanisé avec un potentiel de développement et des ressources importantes. La zone restreinte (26.11 %) est un espace agricole et écologique qui ne convient pas pour le développement de l’industrialisation et de l’urbanisation. Enfin, la zone interdite (58,81 %) est un espace réservé à la protection des ressources naturelles et culturelles, qui accueille des réserves naturelles nationales, des sites du patrimoine culturel et naturel, des zones touristiques nationales, des parcs forestiers nationaux, des parcs géologiques nationaux et d’autres zones de fonctions écologiques.
Plans national et provincial d’aménagement
25 Il y a deux séries de plans en Chine : les plans d’aménagement (occupation des sols) et les plans urbains et ruraux. Le Plan national d’aménagement est établi sous la responsabilité du ministère du Territoire et des Ressources et est le fondement de la politique d’aménagement du territoire en veillant à l’utilisation optimale des ressources. Après trois années d’élaboration, les grandes lignes du plan national 2011-2030 ont été achevées en octobre 2013 et soumis au Conseil d’État pour approbation. Ces plans sont ensuite déclinés à l’échelle des provinces, comtés et municipalités et vont servir de lignes directrices stratégiques pour l’aménagement et le développement.
Le défi métropolitain
26 Dans un contexte de croissance rapide, l’urbanisation s’est développée rapidement au cours des dernières décennies entraînant de nombreux défis économiques, sociaux et environnementaux. Ces enjeux sont importants dans la Chine de l’Est notamment autour de Pékin, de Shanghai et du delta de la rivière Yangtze ou autour de Hong Kong et Canton dans le delta de la rivière des Perles.
27 Depuis le début des années 1980, la Chine développe des politiques nationales d’aménagement du territoire (Sanjuan, 2016) en s’inspirant des modèles japonais et européens. Dans le 12e Plan quinquennal, (chapitre 18, section 4) le développement de la zone côtière est avancé comme un objectif prioritaire, notamment dans les trois mégalopoles, afin de soutenir le développement de l’ensemble du pays. Une planification stratégique est ainsi développée sur ces espaces en dépassant les frontières des municipalités et surtout des provinces. Autour de la capitale, il s’agit de l’ensemble Pékin-Tianjin-Hebei et autour du fleuve Yangtsé, 11 provinces sont couvertes depuis Shanghai jusqu’au Yunnan. La substance du plan vise la répartition et la mise en réseau des activités économiques, le développement des infrastructures (ports, aéroports, autoroutes, lignes à grande vitesse, pipeline de pétrole et gaz, zones de logistique) et la protection des zones naturelles et agricoles.
28 Dans le nord de la Chine, l’intégration de l’ensemble Pékin-Tianjin-Hebei a reçu beaucoup d’attention du gouvernement qui cherche à répondre aux enjeux du gigantisme métropolitain et à diffuser les fonctions non essentielles de la capitale tout en favorisant le développement des liens entre les composantes de cet ensemble. Les grandes lignes de cette planification ont été discutées et décidées en 2015. Le plan propose que Pékin renforce ses fonctions de centre politique, culturel, médiatique, scientifique et technologique aux échelles nationale et internationale. Tianjin doit s’affirmer comme le pôle économique de production mais aussi de transport international, de recherche et développement à l’avant-garde de la réforme et de l’ouverture. La province du Hebei devrait évoluer comme une base nationale de production industrielle et de logistique s’appuyant sur une intégration entre l’urbain et le rural. Trois objectifs clés sont annoncés : la protection de l’environnement, l’amélioration des réseaux de transports et la modernisation industrielle. Au final, l’intégration de cet ensemble doit promouvoir les fonctions de capitale de Pékin tout en réduisant la pauvreté dans le Hebei.
La mise en œuvre du système de planification à l’échelle urbaine
29 Les plans urbains et ruraux sont établis pour l’ensemble du pays aux échelles nationale, provinciale et préfectorale jusqu’aux villes et villages. Ces plans ont été instaurés par la Loi sur l’aménagement et visent à planifier l’aménagement et le développement des zones urbaines, dans le cadre de la planification socio-économique. Il s’agit donc d’un instrument concret pour réguler l’usage des sols à l’échelle locale.
30 La première étape de la mise en place de ces plans a commencé en 1985 avec l’objectif de couvrir l’ensemble des villes. Finalement seulement 87 villes et 153 villes-comtés ont élaboré un plan. Une deuxième étape est lancée au début des années 1990 après le vote de la loi sur l’aménagement avec l’objectif d’adapter l’urbanisation à l’économie de marché. La loi a encouragé le développement raisonnable des villes moyennes et les petites villes, mais contrôlait strictement la croissance des grandes villes. Une troisième initiative a été lancée en 2005 et se concentre sur le développement équilibré entre les villes et les zones rurales et vise à construire une société socialiste harmonieuse (Douay, 2008). À partir de 2008, avec le vote de la Loi sur l’aménagement des campagnes, les plans ruraux se mettent en place.
Les innovations contemporaines à différentes échelles
31 Plus de trois décennies après l’ouverture de la Chine, le système d’aménagement du territoire a été rétabli. Il est devenu l’un des outils les plus importants et les plus efficaces pour la transition de la Chine, toutefois ce système est encore en évolution.
La « ceinture économique de la route de la soie » pour l’intégration régionale et internationale
32 Le projet « une ceinture, une route » constitue une mise à jour de la traditionnelle route de la soie. Il s’agit actuellement de la stratégie nationale la plus importante qui domine les discours politiques des dirigeants politiques depuis sa présentation par Xi Jinping, le président de la Chine, lors de ses visites au Kazakhstan et en Indonésie en 2013.
33 Cette stratégie tente d’établir un système économique transnational par l’intégration de l’économie en Asie du Sud-Est, en Asie du Nord-Est et jusqu’en Afrique et en Europe grâce à la construction d’infrastructures de transport terrestre et maritime (voir figure 4). Le projet concerne près de 60 pays et 4 milliards de personnes. La Chine y voit un moyen de renforcer son influence géopolitique ainsi que son accès à des ressources externes et à des points de vente pour ses marchandises, technologies et capitaux.
34 En janvier 2015, la stratégie a reçu le soutien de 60 pays et en mars 2015 un plan d’action a été publié marquant de ce fait le début de la phase opérationnelle. Plus des deux tiers des 28 provinces formulent maintenant leurs propres plans pour mettre en œuvre localement la stratégie. Les provinces de l’Ouest (Xinjiang, Shaanxi, Gansu, Ningxia et Qinghai) s’ouvrent vers les pays d’Europe centrale, d’Asie du Sud et de l’Ouest. Le Xinjiang sera notamment au centre de cette ceinture économique de la route de la soie. Dans le Nord-Est, la Mongolie intérieure, Heilongjiang, Jilin et Liaoning coopéreront avec la Russie, en formant le couloir de transport à grande vitesse eurasiatique reliant Pékin et Moscou. Au Sud-Ouest, le Guangxi, le Yunnan et le Tibet vont coopérer avec les pays de l’Asie du Sud, participant au développement de la région de l’ASEAN et de la sous-région du Grand Mékong. Les régions intérieures et côtières sont aussi concernées par la stratégie qui devient la structure même d’une politique nationale d’aménagement du territoire.
La stratégie nationale de la « ceinture économique de la route de la soie »
Quatre axes représentent les quatre principales stratégies spatiales du "Chine - Asie Centrale - Russie - Europe", "Chine - Asie centrale - Asie de l’Ouest - golfe Persique - mer Méditerranée", "Chine - Asie du Sud-Est - Asie du Sud - océan Indien" et "Chine - mer de Chine méridionale - océan Indien - mer Rouge - mer Méditerranée - Europe".Une nouvelle politique d’urbanisation pour l’intégration des zones urbaines et rurales
35 En 2012, Hu Jintao, ancien président de la Chine, a présenté un rapport au 18e Congrès du Parti communiste montrant que la Chine devrait poursuivre son industrialisation, mais d’une manière nouvelle, en favorisant l’application des technologies de l’information, l’urbanisation et la modernisation agricole. En décembre 2013, les politiques de modernisation des zones rurales et de nouvelle urbanisation ont été annoncés.
36 En 2014, le projet de « nouvelle urbanisation » (2014-2020) a été mis en avant, dans le but de réguler la distribution de la population et le développement urbain en Chine. D’une part, le gouvernement espère poursuivre le développement des villes alors que le taux d’urbanisation atteint 50 %, comparativement à 80 % dans les pays développés. Le gouvernement estime aussi que la migration de populations rurales vers les villes pourrait aider à stimuler la demande intérieure. D’autre part, le gouvernement espère encourager sa population flottante (migrants ruraux qui vivent dans les villes) à devenir des citoyens locaux, notamment dans les villes moyennes et petites.
37 Cette politique vise donc le renforcement des villes moyennes et petites dont le poids doit augmenter par rapport aux grandes villes avec un renforcement des fonctions urbaines. Une autre mesure importante est une politique différenciée de Hukou (passeport urbain pour les migrants ruraux). Il sera plus facile d’obtenir un Hukou pour les villes moyennes et petites, que pour les grandes. En 2014, un triple objectif quantitatif a été associé à cette politique : donner la citoyenneté urbaine à 100 millions de personnes, rénover les logements délabrés en ville et à la campagne de 100 millions de personnes et permettre la migration vers les villes de 100 millions de ruraux. Plus concrétement, le gouvernement annonce une politique d’agglomération avec la stratégie « 5 + 9 + 6 ». Cela signifie que 20 agglomérations urbaines seront prioritaires, avec 5 agglomérations urbaines au niveau national, 9 au niveau régional et 6 au niveau local (voir les figures 1 et 3 pour les limites de ces 20 agglomérations urbaines).
L’intégration entre les différents plans
38 La Chine a adopté des plans quinquennaux de développement socio-économique depuis 1953. Plus que des plans, il s’agit plutôt de stratégies de développement pas forcément très détaillées. Pour ce faire, différents services administratifs, à chaque niveau institutionnel, doivent présenter leurs objectifs et missions pour les cinq années. Par conséquent cet assemblage est souvent source de confusion.
39 Alors que le 13e plan pour 2016-2020 sera bientôt lancé. Celui-ci s’annonce différent car il va essayer d’intégrer ensemble les stratégies relatives à l’aménagement du territoire, la planification urbaine et la protection de l’environnement (Doulet, 2015). Des sites expérimentaux ont sélectionné dans 28 villes, comtés et districts afin d’intégrer ces différents plans en un seul document couvrant l’ensemble du champ des politiques publiques territoriales. Cette intégration se matérialise par un seul zonage qui se substitue à sept zones différentes que l’on retrouvait sur les plans au travers de différentes couleurs : le rouge (routes), vert (ceintures vertes), bleu (eau), noir (alimentation électrique des installations), orange (installations dangereuses), jaune (infrastructure), et violet (rues historiques). À l’échelle régionale, l’intégration des plans vise surtout à limiter la croissance urbaine en traçant une ligne rouge permanente qui porte sur la protection de l’environnement et des terres agricoles (situation assez proche de la pratique nord-américaine qui délimite un périmètre d’urbanisation).
40 En 2014, 14 grandes villes de plus de 5 millions d’habitants ont été choisies comme sites expérimentaux (voir figure 5). Officiellement l’élaboration de ces nouveaux plans intégrés sera terminée d’ici la fin de 2015 avec l’objectif de guider la planification de 600 villes dans toute la Chine. Au-delà de la définition de ces limites physiques de l’urbanisation dans une perspective de développement durable, il s’agit aussi de développer une approche plus créative du développement urbain en s’éloignant d’une pratique technocratique de la planification.
41 L’expérimentation de cette planification intégrée est importante car si elle réussit, cela pourrait complètement redéfinir le système d’aménagement du territoire en fusionnant ces différents instruments.
Conclusion : l’aménagement du territoire comme outil stratégique dans la transition de la Chine
42 L’aménagement du territoire chinois a connu des transformations spectaculaires durant les sept dernières décennies. Il était à l’origine un outil de l’économie planifiée puis il a disparu pendant la Révolution culturelle. Avec la fin du maoïsme et l’ouverture progressive de la Chine, l’aménagement du territoire a pris une part très importante dans la transformation du pays. Il est devenu un outil efficace afin de soutenir le processus de transition d’une économie socialiste planifiée à un marché émergent dans un contexte de globalisation.
43 La pratique est maintenant en plein essor avec la mise en œuvre du nouveau système d’aménagement du territoire afin de planifier l’urbanisation et de créer les conditions de la croissance économique avec trois types parallèles de plans. Cet objectif de modernisation est visible à tous les niveaux institutionnels, de l’échelle nationale au milieu local.
44 Toutefois, les défis sont encore nombreux. En termes de procédure, le système d’acteurs est toujours basé sur la domination d’un Etat centralisé et d’un parti communiste qui accapare tous les pouvoirs. De ce fait, la décentralisation est loin d’être complète et la capacité de la société civile à s’impliquer est très fortement limitée. L’évolution vers une planification collaborative pourrait être un outil pour permettre une participation plus efficace des citoyens mais la réalité des rapports de pouvoir laisse cette perspective assez improbable, voire impossible, sans un processus de démocratisation. Sur le fond, le contenu de la planification est principalement axé sur la croissance, cela génère une polarisation socio-spatiale et beaucoup de pollution. Dans le contexte récent d’un ralentissement de la croissance économique, le concept de planification durable pourrait soutenir l’évolution des pratiques. Ainsi, la nature de l’aménagement du territoire de la Chine est encore en évolution, afin de fournir des réponses à ces défis de meilleurs liens se développent entre les différents niveaux de prise de décision et de mise en œuvre.
45 Pour conclure, en regardant comment la planification a changé au cours des dernières décennies de transition, il est clair que tous les grands défis auxquels fait face la Chine (qu’ils soient économiques, sociaux, environnementaux, démocratiques, etc.) sont reliés en grande partie à l’espace et par conséquent à l’aménagement. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse selon laquelle l’aménagement du territoire restera un outil stratégique pour la transformation du pays.
Bibliographie
Bibliographie
- Abramson D. B. (2006), « Urban Planning in China : Continuity and Change : What the future holds may surprise you ». Journal of the American Planning Association, 72, 2, 197-215.
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