Marc Dumont et Emmanuelle Hellier, Les Nouvelles Périphéries urbaines. Formes, logiques et modèle de la ville contemporaine, PUR, 2010, 218 p.
1La mise au programme des concours de la thématique de la ville est propice à la parution de manuels mais aussi d’ouvrages de fond sur la question. Les Presses universitaires de Rennes ouvrent leur catalogue à cette thématique avec la question de l’étalement urbain (cf. L’Étalement urbain, un processus incontrôlable ? Y. Djellouli, C. Emelianoff, A. Bennasr, J. Chevalier, PUR, 2010, 258 p.) et à celle de la question des périphéries urbaines avec l’ouvrage ici présenté. Il faut dire que les espaces périphériques des villes sont aujourd’hui les territoires où se jouent des « dynamiques au moins aussi importantes à considérer que celles qui ont traversé, en leur temps, les villes-centres dans les années 1960-1990 » (p. 11) Les périphéries sont les « laboratoires de l’urbain » car c’est là que se joue la ville de demain. Les périphéries urbaines sont la nouvelle frontière de la recherche. L’objectif de cet ouvrage est de faire le point sur l’avancée des travaux engagés.
2Maîtres de conférences en Aménagement et urbanisme à l’Université de Rennes 2, Marc Dumont et Emmanuelle Hellier réunissent ici les contributions de collègues (géographes, urbanistes, architectes, aménageurs) français, européens et canadiens sur la question de ces espaces intermédiaires parcourus par les mobilités. Ces articles publiés sont le résultat des échanges qui se sont tenus lors d’un séminaire ayant eu lieu à la maison des sciences de l’Homme de Bretagne, et dont les thèmes se retrouvent dans les titres de l’ouvrage.
Habitat, habiter : formes et métamorphoses
3Les mobilités quotidiennes interrogent la thématique de l’ancrage, au-delà de celle de la durabilité du mode d’habiter périurbain. Lionel Rougé revient ainsi sur le terrain mobilisé lors d’une thèse sur « Les captifs du périurbain » (2005) pour rendre compte du vécu périurbain et de ces évolutions. Le bilan, mené auprès des ménages de 2005 encore présents en 2009, est plutôt positif. Pour ceux qui sont encore là, la situation s’est améliorée et le sentiment d’enfermement est de moins en moins prégnant. Le quotidien des ménages s’est modifié et diversifié. Les mobilités ne sont plus seulement tournées vers l’agglomération toulousaine, dont ils étaient originaires, mais vers des petites communes qui offrent des services courants. Ce repositionnement réduit les distances tant en terme de temps que de kilomètres parcourus et rend ainsi la vie plus facile.
4La maison individuelle est l’archétype de l’imaginaire périurbain. Sa place est analysée par Daniel Le Couédic (Institut de géoarchitecture de l’université de Bretagne – Brest). S’il montre comment les politiques étatiques d’aide à l’accession à la propriété ont alimenté le processus d’étalement urbain, il s’attache à nuancer les impacts paysagers. La thèse de Pauline Frileux (La Haie et le Bocage pavillonnaire : diversités d’un territoire périurbain, entre nature et artifice, 2008) a « montré que, contrairement à l’idée reçue, le système pavillonnaire faisait bocage et pouvait être crédité d’une valeur positive au titre de la biodiversité végétale et animale » (p. 52).
Un autre élément de l’étalement urbain est constitué par les centres commerciaux qui sont de plus en plus excentrés et de plus en plus diversifiés (à l’hypermarché se sont rajoutés des enseignes spécialisées, des centres de restauration, sans compter les multiplex cinématographiques). L’espace disponible à la périphérie urbaine est le gage d’agrandissements futurs, inenvisageables pour une localisation à l’intérieur d’un quartier urbain. Les zones commerciales périphériques deviennent de nouveaux lieux d’urbanité et de centralité. La question de la gouvernance de ces espaces est posée, en raison des nombreux acteurs qui y agissent (élus, agriculteurs, résidents, associations locales). On retiendra, à propos des stratégies d’acteurs déployées, l’article de Marianne Thébert qui analyse les tactiques mises en œuvre par les municipalités de petits bourgs ruraux pour attirer des populations (mise en valeur de la centralité du bourg par des commerces, des équipements liés à la mobilité : parking) après que ces mêmes municipalités ont fait le choix de la réalisation d’une déviation routière.
Espaces ouverts émergents
5Dans cette partie, les auteurs s’interrogent sur le destin des espaces interstitiels mi-agricoles mi-privés que les urbanistes tentent d’aménager. Or, il apparaît que les opérations engagées sont plus le fait des décideurs que des usagers eux-mêmes de ces espaces. Ce constat est avéré dans le cas d’un parc comme celui des Jalles aux franges urbaines de Bordeaux. La nécessité d’un parc n’est pas ressentie par les populations locales, propriétaires foncières qui disposent d’un jardin privatif. L’étude réalisée dans le quartier nord rennais de Villejean arrive au même constat. Pour l’échantillon d’habitants qui a accepté de répondre à une enquête, il apparaît que la liaison entre le parc urbain et les espaces agricoles ne se fait quasiment pas. Espace peu aménagé, l’espace agricole n’attire pas. Pour les populations urbaines, y compris celles vivant dans les grands ensembles, c’est un ailleurs et peu sont nombreuses les personnes qui s’approprient cet espace dans le cadre de leurs loisirs.
6La ville de Stockholm, réputée pour être une ville verte (résultat combiné de la topographie vallonnée et rocheuse et d’une volonté politique développée après la seconde guerre mondiale) est aujourd’hui confrontée à une croissance urbaine importante (plus de 500 000 habitants d’ici à 2030) qui risque de mettre à mal la géographie des corridors verts (500 mètres de large en moyenne). La ville d’Ottawa présente, elle aussi, une ceinture verte (longue de 45 kilomètres et large de 2 à 10 kilomètres) située au sud de la ville. Cette ceinture verte est la concrétisation du plan d’urbanisme du français Jacques Greber élaboré dans la première moitié du xxe siècle pour mettre en valeur la capitale fédérale. Si l’objectif initial était de contenir l’urbanisation, force est de constater que le rôle assigné à la ceinture verte a évolué au cours de la seconde moitié du siècle. C’est aujourd’hui une réserve d’espaces verts traversée d’autoroutes qui relient la ville centre et les banlieues. Le statut de cet espace est de plus en plus remis en question dans le cadre de la révision du Plan directeur de la ceinture de verdure.
Revisiter les modèles
7C’est à l’analyse critique des modèles qu’est consacrée la dernière partie de l’ouvrage. L’exemple du réseau urbain belge, traité par Bénédicte Grosjean, illustre à la perfection à quel point la gestion de l’espace urbain est différente en Belgique et en France. On parle, en Belgique, de ville diffuse. Il faut comprendre par là que ce n’est pas la ville qui s’étend mais la campagne qui se densifie. On a là un inversement de paradigme par rapport à l’idée d’étalement urbain telle qu’on l’entend en France. C’est le résultat du réseau vicinal ferré très dense mis en place dès le début du xxe siècle et qui irrigue les campagnes, bien avant la généralisation de l’automobile.
8Rémy Allain, comme Thérèse Delavault dans le dernier article de l’ouvrage, analyse le cas de la ville linéaire à partir du cas de Rennes-Saint-Malo. Il faut entendre par là le projet d’aménagement théorisé par Arturio Soria Y Mata en 1862. Ce projet se veut une alternative aux formes d’extension urbaines déterminées par la centralité. Si l’exemple Rennes-Saint-Malo s’avère assez peu opérationnel par rapport à l’hypothèse de départ, ces articles sont l’occasion d’exposer des modèles utopiques urbains avec plans à l’appui et de confronter la réalité du terrain à la théorie.
9Au finale, ce volume rassemble des contributions très diverses et très pointues par le choix des lieux et des entrées pour étudier les territoires. Voilà de quoi alimenter la réflexion de ceux qui ont à traiter la ville durable comme acteurs ou comme enseignants.
10Catherine Didier-Fèvre
Lucile Grésillon, Sentir Paris. Bien être et matérialité des lieux, Quae, 2010. 191 p.
11« “Paris, ça pue.” Telle a été longtemps l’opinion dominante de beaucoup de non Parisiens, énoncée souvent comme une des raisons majeures de leur peu d’envie de vivre à Paris. »
12Quelle drôle de façon de présenter Paris, ville lumière ! C’est ainsi que François Ascher débute la préface du livre de Lucile Grésillon consacré à Paris. Décédé en 2009, il avait suivi l’élaboration de l’ouvrage (issu du travail de thèse de l’auteur) et tenait à montrer, par là, l’avancée que constituait cette approche. Car on a bien affaire ici à de la géographie avec cette étude de Paris par le biais de ses odeurs ! Le propos est basé sur un travail d’enquête et d’observation analytique dans différents quartiers parisiens (quai du RER B, rue de la Huchette, mais aussi des quartiers résidentiels tels que le square des Peupliers et la place Pinel dans le 13e arrondissement ou bien encore la rue Lagrange dans le 5e). Par le biais de cinq lieux emblématiques au niveau olfactif, il s’agit d’approcher la géographie parisienne. C’est ce que l’on appelle de l’urbanisme sensoriel.
13Lucile Grésillon est urbaniste et maître de conférences en géographie à l’IUT d’Alençon et à l’université de Caen. Ce livre est tiré de sa thèse soutenue en 2005 à l’université Panthéon-Sorbonne, sous la houlette de Nicole Mathieu. Le mémoire de maîtrise de Lucile Grésillon portait déjà sur un thème adjacent et lui avait valu en 1998 de participer au colloque « La géographie des odeurs » mis sur pied par J.-R. Pitte et R. Dulau. Les travaux de Lucile Grésillon s’inscrivent dans le cadre d’une étude réalisée entre 1999 et 2002 suite à un appel d’offres lancé par le MATE (ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement).
14Notre mode d’habiter rend compte de la recherche du bien-être. Pourtant, il apparaît que l’élément sensoriel est trop peu pris en compte jusque-là par les urbanistes. La question que se pose Lucile Grésillon est savoir « en quoi l’étude des sources sensorielles du bien-être des Parisiens remet-elle en question notre manière de fabriquer la ville aujourd’hui et contribue-t-elle à tracer de nouvelles pistes ? » S’il est acquis que l’odorat tient une place centrale dans les rapports amoureux, comme dans les actes d’achat, le fait qu’il puisse entrer en ligne de compte dans notre mode d’habiter est moins évident à première vue. L’idée de la chercheuse est de considérer l’odeur non pas comme un « objet de recherche en soi, mais [comme] un instrument pour saisir le vécu sensible des citadins ».
15Elle a consacré pour cela beaucoup de temps à enquêter les habitants ou les passants des quartiers sélectionnés. La Rue de la Huchette, bien connue pour ses nombreux restaurants grecs, se distingue des 4 autres lieux par ses odeurs de nourriture, de « graillon », disent certains. Pour d’autres, selon les heures de la semaine, c’est l’odeur de poubelle qui l’emporte quand ce n’est pas celle d’urine ! Les stratégies pour lutter contre les odeurs font florès (refus d’ouvrir les fenêtres, installation de climatisation, obligation d’installer des extracteurs de fumée dans les cuisines des restaurants) mais s’avèrent assez limitées.
16L’étude consacrée au RER B et à son quai, non-lieu, au sens ou Marc Augé le définit (1992), est particulièrement intéressante. Elle montre en quoi la matérialité du lieu est source de mal-être (ce qui n’est pas vrai du métro, construit selon des normes hygiénistes : réflectance, blancheur des céramiques, aération…). Tout joue contre le bien-être des personnes au-delà des mauvaises odeurs qui caractérisent le lieu (la très reconnaissable odeur d’oeuf pourri, résultat de la décomposition du gypse sous l’action de l’humidité et du dioxyde de carbone rejeté par les voyageurs). Ce n’est pas la senteur muguet du parfum Madeleine incorporé dans les détergents de nettoyage qui rend le lieu plus agréable. L’auteur montre que tout est fait ici pour que l’on s’y sente mal : les quais se tournent le dos, le revêtement sur les murs et au plafond est trop foncé et ne laisse pas la lumière se réfléchir. Les espaces sombres sont synonymes de mal-être voire d’insécurité.
17L’étude des quartiers résidentiels révèle les stratégies mises en œuvre par les occupants pour lutter contre la pollution atmosphérique. Les témoignages montrent que cette lutte s’inscrit dans le cadre d’« angoisses contagionnistes du xviiie et xixe siècles où il fallait se prémunir de l’air méphitique de la ville sous peine de succomber ». Les plans des appartements haussmanniens ne rejettent-ils pas d’ailleurs les cuisines et autres lieux d’aisance à l’arrière dans des pièces donnant sur une petite cour ? L’auteur appuie ses analyses sur les travaux des historiens qui ont travaillé la thématique (Alain Corbin, Roger-Henri Guerrand ou bien encore Georges Vigarello).
18L’étude laisse apparaître que la perception de Paris, de ses odeurs et du bien-être des lieux dépend du degré d’appropriation des habitants, de leur âge et du sexe des personnes interrogées. Les femmes sont particulièrement sensibles à la question, telles des « sentinelles sanitaires ». Il apparaît aussi que les différences sont importantes selon les lieux et selon les échelles d’étude (la rue ou le quartier). Le recours aux neurosciences est nécessaire pour éclaircir le rapport être humain et matérialité urbaine. Les travaux de Holley (L’éloge de l’olfaction, 1999) comme le travail mené par le professeur Mac Leod (ancien directeur du laboratoire de neurobiologie de l’École pratique des Hautes Études), parallèlement au développement de l’imagerie cérébrale fonctionnelle ont permis de confirmer que la phénoménologie (le fait que des personnes perçoivent une même chose de manière différente) n’est pas une idée vaine. C’est ainsi que le classement de la perception des cinq sens a totalement été remis en cause par ces travaux et remplacée par un autre neurophysiologique : photorécepteurs, mécanorécepteurs, thermorécepteurs ou chimiorécepteurs. Rendre compte de cela est difficile et c’est le but de la recherchemenée par Lucile Grésillon, qui vise à mettre au point une méthode pour étudier ce terrain sensible. Il est difficile de quantifier le ressenti, de faire la part entre le discours formel (ce qu’il est de bon ton de dire) et le ressenti personnel. « Nommer une odeur pour qualifier un lieu, c’est accepter de se révéler en se référant à ses souvenirs, ce qui met en valeur le lien entre perception, mémoire, émotion et plaisir ».
19On est ici dans le cadre d’une démarche exploratoire qui s’inscrit dans la lignée de ce qu’Éric Dardel ébauche en géographie en 1952 avec son livre L’homme et la terre. S’intéresser aux odeurs, c’est mettre en avant notre vécu individuel et collectif dans notre rapport au lieu mais cela vise, par cette géographie sensible, à mettre en place un urbanisme du désir, dans l’objectif de la mise en place de la ville durable.
Ouvrez grand vos narines ! Humez l’air du temps pour savoir ce que sera la ville de demain !
Catherine Didier-Fèvre