Couverture de LIG_732

Article de revue

Le tiers secteur associatif dans la regulation de l'habitat en France : une hypothèse géographique

Pages 47 à 59

Notes

  • [1]
    En 2007 pour un parc social de 4 millions de logements, on relève 176 000 issus des programmes de relogements des années de reconstruction (PLR, PSR), 126 000 des financements très sociaux (PLA TS et PLA I), 1,5 millions des logements destinés aux revenus moyens (ILM, ILN, PLI, PLS, PC locatifs) et enfin 2, 3 millions de logements sociaux.

Introduction

1La géographie du logement est peu développée en tant que telle en France, au contraire des États-Unis (Bourne, 1981). Elle représente pourtant une part importante de la politique d’aménagement du territoire. En effet, la construction, la démolition et la réhabilitation de logements fixent, attirent et déplacent des populations. Ces opérations animées par des acteurs publics et privés spécialisés différencient socialement l’espace en mobilisant des ressources matérielles et financières. Ainsi, le marché immobilier apparaît tel un système d’acteurs, dans lequel les pouvoirs publics jouent un rôle central, en relation avec les autres intervenants relevant d’une logique économique ou domestique. Dans cet article, on s’attachera dans la perspective d’analyse des réponses aux besoins sociaux proposée par Esping Andersen (1990) à décrire la place du tiers secteur associatif dans le fonctionnement du marché immobilier en France selon les cibles de clientèles, les types de produits immobiliers et les territoires. On recherchera une continuité historique entre ces formes d’action, hier (notamment au xixe siècle) et aujourd’hui. Suppléant au secteur social et au secteur privé mais s’appuyant sur lui, ce secteur développe des stratégies opérationnelles spécifiques qui lui permettent de traiter l’ensemble de la question du logement : l’hébergement comme la maîtrise par les habitants de leur propre cadre de vie.

Le marché, un système d’acteurs

2Chaque année en France 320 000 ménages nouveaux se présentent sur le marché du logement (Université Paris-Dauphine, Crédit Foncier, 2008). Qu’il s’agisse de nouvelles familles, de jeunes décohabitants ou de couples séparés, leurs besoins, fort divers, s’expriment d’abord sur un plan quantitatif. Pour comprendre comment se constituent les réponses à leurs demandes, et la place du tiers secteur associatif dans ce champ, il s’avère nécessaire d’envisager la gouvernance de l’habitat, c’est-à-dire la manière dont une grande diversité d’acteurs répondant à des contraintes différentes se trouve mobilisé dans un réseau d’interrelations. Des flux de demandes aboutissent dans le système : certaines sont satisfaites alors que d’autres sont condamnées au mal-logement ou à l’errance sans domicile fixe. Pour en expliquer les raisons, on doit d’abord noter que les champs d’activité des acteurs, fortement différenciés du point de vue de leur logique de fonctionnement, répondent aux demandes qui correspondent à leur domaine d’action. D’autre part, différentes logiques relevant soit de la raison économique, soit du champ organisationnel et politique, soit de la logique familiale et patrimoniale sont à l’œuvre et orientent l’offre.

Le champ du marché

3Il renvoie, pour ce qui concerne le patrimoine, au secteur du locatif privé (21 % des logements en France) et de l’accession à la propriété (22 %). Comprenant des propriétaires privés personnes physiques, il se compose aussi des institutions financières, des collecteurs des fonds destinés au logement venant des entreprises, des promoteurs et investisseurs immobiliers. La logique de ce secteur est fondée sur le prix d’équilibre entre l’offre et la demande. Elle renvoie au déclin de la propriété locative qui n’est plus, ni l’expression des structures familiales et lignagères de l’Ancien Régime, ni un statut social incombant à des notables reconnus gouvernant un petit peuple de locataires insouciants, comme au xie siècle. Ces deux systèmes se sont sérieusement effacés après les deux conflits mondiaux lorsque l’investissement immobilier s’est trouvé en concurrence avec d’autres placements financiers. L’effondrement de la construction, le vieillissement du parc, malgré l’explosion de la demande, a conduit l’État, confronté à la rareté et à l’exploitation de locaux insalubres, à limiter les hausses de loyers et à intervenir dans le logement social. Après 1945, les propriétaires d’immeubles entiers se sont difficilement maintenus dans un contexte de forte limitation de leurs revenus. On a assisté au morcellement de la possession immobilière, au développement de la copropriété, soit par la vente sur plan d’appartements dans des immeubles en construction, soit par l’achat puis la subdivision d’immeubles anciens. Une petite propriété immobilière d’appartements s’est développée à l’intérieur de copropriétés ou de sociétés d’investissement immobilier. Après les années 1970, son extension s’est accrue grâce à l’encouragement de l’État en faveur de l’accession à la propriété d’occupation et au soutien, plus tardif, à l’investissement immobilier des bailleurs privés. Aujourd’hui, la propriété des personnes physiques est importante (18 millions de logements dont 13 occupés par leurs propriétaires) face au parc des institutions, municipales ou privées, sociales ou lucratives. Les stratégies de cette catégorie d’acteurs renvoient d’abord à la mise sur le marché des logements. Dans certaines grandes villes, on relève une part non négligeable d’appartements vacants. Une fois que le propriétaire a décidé de mettre son habitation sur le marché le choix entre la vente et la location s’intègre dans des facteurs qui dépassent le simple calcul économique immédiat. La perspective de transmettre par héritage le logement, ce qui correspond à des stratégies familiales, peut orienter profondément l’action. D’autre part, l’entretien et l’équipement par les propriétaires de leur parc immobilier est aussi source d’interrogations. On observe une grande diversité de tactiques, qui vont de la stratégie systématique de l’absence d’entretien et de la location de taudis à des personnes exclues du système social à des surinvestissements considérables destinés à des locataires de luxe (Lévy, Saint-Raymond, 1992).

Fig. 1

France : système de provision, acteurs et besoins

Fig. 1

France : système de provision, acteurs et besoins

4La promotion immobilière constitue un facteur de dynamisation des structures de propriété. En achetant et en revendant un produit immobilier qu’il a transformé, soit en le construisant, soit en le réhabilitant, le promoteur prend financièrement en charge le processus de sa mutation. L’un des enjeux principaux de ces agents est de réduire au minimum le temps d’immobilisation du capital, qu’il s’agisse de provision pour l’achat d’un terrain, l’obtention d’un permis de construire ou la réception de travaux (Topalov, 1983). Cette durée d’immobilisation dépend des formes de production et de mise sur le marché des logements. Les acteurs sont plus ou moins dotés de capitaux financiers et de relations sociales dans les sphères administratives, financières et constructives. Selon Lorrain (2002), on assiste aujourd’hui, dans le cadre d’une expansion des pouvoirs municipaux et d’une mondialisation des grands produits immobiliers, à une hybridation des grandes entreprises du bâtiment avec celles des services urbains contribuant à l’avènement de « grands ensembliers ». Mais les promoteurs ont aussi pour rôle d’orienter l’offre en fonction de ce qu’ils connaissent ou croient connaître de la demande. Ainsi, les grands groupes ensembliers comme Bouygues Immobilier, Nexity, ou Meunier sont-ils plus souvent spécialisés dans le domaine de l’accession à la propriété et moins souvent dans le locatif privé.

5Celui-ci reste donc le parent pauvre du marché, marqué à long terme par une diminution (23 % du parc en 1973, 19 % en 2002 selon l’enquête nationale logement de l’Insee), alors que le parc en accession à la propriété et le parc public concerne une part croissante des ménages. Néanmoins, la dynamisation du parc locatif privé, singulièrement celui relevant des propriétaires personnes physiques, constitue un enjeu de taille dès lors que le parc social atteint sa capacité d’accueil et que l’accession à la propriété est entachée de risques structurels.

Le champ de l’État

6Ce champ est fortement structuré par le soutien financier à la construction. Les établissements financiers, les organismes de logements sociaux occupent une place centrale pour répondre aux besoins de logement dans un cadre d’utilité publique. En France, l’habitat social est au centre du dispositif institutionnel par lequel l’État, les communes et les organismes financiers, déterminent, au travers de l’aide à la pierre et de l’aide à la personne, des catégories de logements et des clientèles en fonction notamment des niveaux de ressource. Une hiérarchie de l’habitat social se constitue depuis les cités d’urgence jusqu’à l’habitat des couches à revenus dits moyens, soit un écart de 1 à 4 sur l’échelle des revenus. Cette différenciation du parc social, qui permet d’accepter potentiellement les trois quarts des ménages, pèse lourdement sur le marché. Même si l’offre de logement social existe à un niveau modeste (18 % du parc), sa potentialité d’accueil constitue pour les ménages une tentation de retrait du marché et donc un frein, au moins virtuel, à l’augmentation des prix tant pour le bas de gamme que pour le logement moyen. Mais ce système, fondé sur une conception universaliste du logement social, ne fonctionne que si chaque type de programme social est doté de la même façon. Or, on est loin, en France, de construire autant de logements très sociaux que des appartements pour les revenus moyens [1]. Il s’ensuit que les ménages aux revenus médians peuvent mieux faire jouer la concurrence avec le secteur privé que les familles pauvres qui se trouvent condamnées à résider dans le parc privé dégradé. Enfin, la place du logement social sur le marché dépend autant des autres produits immobiliers pouvant fournir des services similaires à des populations comparables, que des projets résidentiels des ménages. En effet, c’est bien en raison de la modicité de ses loyers que le logement social correspond, notamment pour les couches moyennes, à une étape dans le parcours résidentiel des ménages se destinant à l’accession à la propriété.

7Dans ce cadre les blocages du logement social renvoient très largement à la diversité des populations pour qui il est supposé construire et offrir des appartements. Malgré la pression de l’État qui a souvent imposé des formules de logement destinées aux plus pauvres (PLR, PSR, etc.) la pente naturelle des organismes, résultant de leur intérêt de gestionnaire les conduit à s’intéresser plus particulièrement aux revenus moyens.

8Cette tendance est accentuée par l’importance que revêt l’investissement des employeurs en faveur du logement de leurs salariés, notamment dans les périodes où l’État s’est retiré. L’intérêt que les employeurs ont développé pour le logement de leurs salariés remonte au siècle dernier. Les premières sociétés de logement social sont issues de la coordination des grandes entreprises, notamment celles du Nord de la France (Cornuel, Duriez, 1973). La transformation de cette initiative en une coordination politique, représentée en France comme étant « le 1 % patronal d’effort pour le logement », revient à Albert-Auguste Prouvost au lendemain de la guerre (Trébouet, 2001). Ce grand industriel textile, politiquement influent, avait mis en place, dès 1941, une allocation logement prise en charge par l’entreprise et calculée proportionnellement au loyer. Après guerre, il proposa à d’autres industriels de la région de fournir un effort financier sous forme d’une cotisation patronale de 1 % sur les salaires. Le Comité Interprofessionnel sur le Logement (CIL) pris alors en charge des opérations de démolition d’habitat insalubre et la réalisation de logements ouvriers. Il intégra les syndicats à la gestion des fonds, mais veilla particulièrement, pour ne pas retomber dans le paternalisme, à dissocier le lien entre le contrat de travail et l’attribution du logement. Dans l’après-guerre, L’État ne pouvait dans le contexte de la Reconstruction du pays, négliger l’important apport financier des employeurs. Aussi la loi de 1953 inscrit-elle l’obligation des entreprises à participer à hauteur de 1 % de leur masse salariale à l’effort de construction, sans restreindre les formes de leur action. Le 1 % devint alors un partenaire majeur de la politique du logement. Mais son dynamisme et sa présence dans les programmes de construction tend à effacer la place des appartements destinés aux plus démunis (Kamoun, 2005).

9La fonction du logement social est particulièrement soulignée par les municipalités qui ont développé un rôle important dans les dynamiques locales du marché du logement. Si dans la période de la Reconstruction, elles ont pesé sur la localisation des logements sociaux, elles ont reçu pour mission, depuis le début des années 1990, de veiller à la répartition des logements sociaux sur le territoire ainsi qu’aux stratégies de peuplement des bailleurs sociaux. Elles ont donc dû se mêler à des jeux politiques complexes favorisant soit l’accessibilité du parc social au plus défavorisés, soit l’augmentation du parc public, diversifié ou non en faveur des couches moyennes, soit l’accession à la propriété, ou enfin la diversification de l’offre locative privée. Espace de débat, les municipalités sont devenues le lieu d’arbitrage entre les intérêts des bailleurs sociaux, des réservataires (y compris le 1 % logement), des organismes sociaux et des habitants. La place et les filières d’accession des plus défavorisés constitue l’enjeu central en relation avec la volonté de diversifier le peuplement avec l’apport des couches moyennes, au nom de la mixité sociale.

Le champ domestique

10Enfin, si les secteurs marchand et public ne répondent pas aux besoins, c’est aux familles qu’incombent de répondre à leurs propres attentes en mobilisant un patrimoine immobilier dont la gestion renvoie aux dynamiques familiales (décohabitation, divorces, mariages) et aux logiques de l’économie domestique (revenu, emploi, épargne, stratégies de déplacement). Le retrait dans l’habitat social ne constitue pas la seule stratégie possible pour les ménages. La décohabitation plus tardive des jeunes adultes, l’hébergement par des proches constituent des réponses à des marchés immobiliers tendus. Elles se fondent sur des traditions et des structures familiales adaptées, ainsi que l’on en observe dans les pays de l’Europe du Sud. En Europe du Nord, où la part des ménages de petite taille est plus importante, des phénomènes récents mettent en évidence des couples sans domicile commun qui retardent leur installation dans un appartement où ils vivraient ensemble (Villeneuve-Gokalp, 1997).

11En définitive, le champ du logement se caractérise par son hétéronomie : les stratégies économiques de certains acteurs se confrontent à des organisations institutionnelles et politiques et au champ domestique soumis aux mutations contemporaines de la famille. Celle-ci est renforcée par des interdépendances : le secteur du logement social, qui se trouve à l’intersection des mécanismes de marché et des jeux de pouvoir institutionnels, ne saurait ignorer les stratégies familiales (Levy, 1992). Les calendriers d’accession à la propriété, comme d’ailleurs les stratégies de regroupement des populations (Piolle, 1983) constituent des limites aux normes et aux règlements. Mais en tout état de cause, le système ne répond pas à tous les besoins, notamment ceux émanant des ménages qui subissent la crise de l’emploi salarial et se trouvent incapables de mobiliser le champ domestique.

Les contours flous du tiers secteur

12Si l’une des trois composantes du système de provision ne répond pas à la demande, ou si celle-ci renvoie à des besoins spécifiques (populations en marginalité temporaire ou définitive) c’est au tour du tiers secteur, constitué d’associations, de fondations et organisations non gouvernementales de prendre le relais. Celui-ci peut être rapproché du secteur non-lucratif de logements abordables (affordable housing) que l’on rencontre aux États-Unis. Au Royaume-Uni, la montée en charge des Housing associations à la suite du mouvement de mise en vente des logements sociaux (loi Right to buy 1984) répond à cette même catégorisation (Malpass, 2005). Néanmoins, si les moyens de ce tiers secteur en termes de financements et de ressources humaines mériteraient d’être évalués, les modalités d’action qui consistent à prendre directement en charge les risques constituent un trait unifiant les pratiques : prise de garanties contre les impayés, prise en charge d’un contrat de sous-location, réalisation de travaux et gestion du peuplement au lieu et place du bailleur, constitution de caisses de solidarité pour travaux et achat du foncier, etc.

Une réponse aux besoins d’hébergement

13Dans le champ de l’hébergement, l’existence du tiers secteur n’est pas nouvelle. Dès le début de l’industrialisation, les métropoles ont suscité la création de structures d’hébergement privées pour les populations instables, sur le plan de l’emploi, notamment. Depuis le Second Empire, les garnis et hôtels meublés, rooming houses en Grande-Bretagne, hébergent temporairement toute personne qui ne peut trouver de solution dans le parc de logement classique et qui se résout à cette forme d’abri précaire. Les immigrants, les salariés pauvres, les sans-domicile-fixe, les sortants de prison constitue sa clientèle habituelle. Ce type de clientèle n’a pas été pris en charge par le logement social émergeant au milieu du xxe siècle (Magri, 1991). En Angleterre et en France, les initiatives philanthropiques s’inscrivent dans le courant conservateur qui défend la propriété contre l’ingérence de l’État. Chaque réalisation veut montrer que tout « bon travailleur » peut être éduqué afin d’habiter un logement décent équipé de services collectifs. Dès l’après-guerre, alors que la construction en masse de logements sociaux répond à la demande des salariés, des formes privées d’hébergement sont relayées par des organisations parapubliques : foyers Sonacotra et pour jeunes travailleurs (151 000 logements en 1999), centre d’hébergement d’urgence (20 000), centres d’hébergement et de réinsertion sociale (75 000), maisons de retraite (425 000), cités universitaires (153 000). Au recensement de 1999 le marché de l’hébergement se constitue autour du chiffre d’un million de logements ce qui semble corroborer le dernier rapport du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées qui évalue à 730 000 le nombre de personnes sans perspective d’accès, à court terme, à un logement autonome. Mais le chiffre de cinq millions de personnes mal-logées avancé par la Fondation Abbé Pierre en 2008 complexifie la nature du problème.

14Les formes de l’hébergement sont variables. Les foyers ont marqué les années 1960 et 1970. Depuis la fin des années 1980, une série de mesures consiste à faire prendre en charge le risque locatif par un tiers associatif sous forme de prêts ou de transfert de responsabilité. Outre le système de la sous-location, qui permet à un organisme locataire en titre d’héberger un tiers, le bail glissant permet à un public défavorisé d’accéder à un logement ordinaire par le biais d’une sous-location avant de faire passer (« glisser ») le bail à son nom. Il y a là transfert de risque au même titre que le bail à réhabilitation qui permet aux propriétaires d’immeubles en mauvais état de les faire réhabiliter par des associations sans en assurer la gestion pendant une durée limitée. Souvent ces dernières, encouragées par l’État et l’Agence Nationale d’Amélioration de l’Habitat, y logent temporairement des personnes défavorisées. D’autres dispositifs leur permettent aussi de prendre en gestion des hôtels meublés et donc les populations qui les occupent de manière à bénéficier de subventions de l’ANAH.

Tab. 1

France. Les situations de mal logement en 2008

Tab. 1
Nombre de personnes Habitant à l’hôtel 50000 Occupant d’hôtels meublés 584 000 Habitant durant toute l’année un camping un mobil home 100 000 Dans des habitations de fortune 41000 Hébergées par des amis ou de la famille 823 000 Hébergées par des tiers 150 000 Hébergées par des organisations caritatives 142 500 En occupation sans titre 145 500 Dans des ménages en impayés de loyers 722 500 En situation de surpeuplement accentué 1 037 000 Vivant dans des logements sans équipement sanitaire 1 150 000 Total 5 846 000 Source : Fondation Abbé Pierre, 2008.

France. Les situations de mal logement en 2008

15L’exemple de l’association Emmaüs est intéressant pour les formes très différentes d’hébergement. Outre une trentaine de centres d’hébergement d’urgence, l’organisation dispose de logements temporaires en hôtels sociaux (135 places) et de pensions de famille en maisons relais (229 personnes). Elle dispose aussi d’une centaine de résidences sociales et d’appartements d’insertion, souvent disséminée dans le parc de logements d’une commune (rapport d’activité, 2007).

16Le parc locatif privé construit avant 1948 constitue l’une des cibles privilégiées des associations faisant face à l’hébergement : aussi la localisation privilégie les vieux centres-villes concernés par des opérations de réhabilitation. Néanmoins, la stratégie de dispersion géographique est corollaire au transfert des risques vers le secteur associatif. Ainsi, des équipes associatives de Maîtrise d’œuvre Urbaine et Sociale, (MOUS) instituées depuis 1990, peuvent être chargées par les acteurs locaux (État, municipalité, départements) de prospection immobilière et foncière à l’attention des personnes défavorisées tant dans le secteur public que privé.

Une réponse à un besoin d’habiter

17Mais l’hébergement ne constitue pas la finalité de l’activité du tiers secteur. Comme le rappelle Heidegger, l’habiter est une catégorie inséparable de l’activité de loger. Face à la rigidité des marchés, qui limite l’accès à certains secteurs comme l’accession à la propriété, face à la rigidité des structures bureaucratiques de gestion de l’habitat public (Bonnetti, 2004), des expériences d’autoconstruction et d’autogestion de l’habitat se sont développées notamment dans les périodes où la tension relative au besoin en logement a mis en évidence la nécessite de mieux maîtriser son milieu de vie.

18Le modèle coopératif, fort développé en Europe du Nord, est repérable dès le xixe siècle au Royaume-Uni. Il est inspiré de la doctrine des Équitables de Rochdale. Le système consiste à mobiliser l’épargne des adhérents afin de construire à tour de rôle. En France, Napoléon III et l’économiste Charles Gide sont favorables à ce qui leur paraît être une alternative au marché, notamment pour les plus démunis. Dans les années 1880-1900 quelques initiatives sont repérées à Paris, Lyon, Chambéry, Marseille, Rennes, Reims, Saint-Denis, Athis-Mons. Les sociétés se donnent des noms singuliers qui traduisent leur projet : « Terre et famille », « Foyer ouvrier », « Campagne à Paris », « Abri familial ». Lorsque le mouvement institutionnel prend de l’ampleur, après la Première Guerre mondiale, les projets visent plutôt les couches moyennes basses à l’instar de la cité-jardin de Draveil, en Région parisienne, construite entre 1915 et 1930. En effet, la formule de la location-attribution, par laquelle la coopérative procure à son associé un logement en location, dont il devient pleinement propriétaire lorsqu’il aura remboursé le prêt, s’avère relativement sélective. Le principe de l’auto construction prônée par Georgia Knapp et le Cottage social de France doit pallier ce problème en promouvant une construction plus économique, le « béton banché » et en substituant à l’apport financier de l’accédant un investissement sous forme de travail. Après la Seconde Guerre mondiale, les Castors s’inscrivent dans la continuité de ce mouvement des « cottages sociaux ». Dans les années 1945 à 1950, en pleine crise du logement, des familles se regroupent dans quelques villes de France (Lyon, Villeurbanne). Grâce au travail collectif effectué pendant les heures de loisirs, la difficulté financière des personnes qui s’associent est amoindrie. Face à la pénurie de logement, beaucoup de jeunes couples obligés de résider chez leurs parents trouvent une issue. Chacun paye sa maison à son prix de revient et une caisse de solidarité pour les travaux est établie. En se rencontrant et en confrontant leurs expériences, parfois en liaison avec des groupements politiques et religieux, des sites nouveaux voient le jour : Pessac dans la banlieue bordelaise, Montreuil dans la région parisienne et Rezé dans la banlieue nantaise. Près de 12.000 logements sont construits entre 1948 et 1952 sans aide de l’État.

19Dans les années 1970, le Mouvement pour l’Habitat Groupé Autogéré réunit des groupes d’habitants qui poursuivent l’expérience des Castors et Fraternités Nouvelles en développant de nouveaux rapports de propriété, de construction et de gestion des équipements collectifs (Bonnin, 1983). Ces petites expériences résidentielles d’une dizaine de familles, en moyenne (une centaine en France, plus nombreuses en Europe du Nord) mettent en avant la primauté du pouvoir des habitants dans toutes les opérations relevant de la construction et de la gestion. Ces opérations sont consacrées, dans la plupart des cas, à de la construction neuve dans du périurbain.

20Aujourd’hui cette forme d’organisation communautaire paraît particulièrement adaptée, face aux contraintes du marché. Certaines grandes villes voient se développer le système de la colocation dont il est difficile de connaître l’ampleur statistique, tout au moins en France où la catégorie n’existe pas. Au Québec, on évalue entre 3 % et 5 % le nombre de ménages non familiaux partageant leur habitation. Ce phénomène est plus important dans les grandes villes mais ne se limite pas aux jeunes adultes (Ducharme, 2005 ; Pastinelli, 2005). De jeunes couples comme des personnes âgées trouvent dans ce système un moyen de se loger en développant des systèmes d’entraide. Dans le même esprit, le cohousing (co-voisinage), encore peu développé en France, qui s’inspire des expériences menées en Europe du Nord et au Canada en réaction à une offre de logement insuffisante et souhaite recréer un esprit communautaire. Il est fondé sur la coexistence de logements individuels, d’équipements collectifs et d’espaces communs gérés par l’ensemble des résidents. Situés en zone périurbaine, les cohabitants regroupent 15 à 30 ménages de logements mitoyens bâtis autour d’espaces piétonniers, de cours ou de jardins. Il s’agit le plus souvent de constructions neuves dont les formes de gestion varient de la copropriété à la coopérative de locataires.

21En définitive, qu’elles répondent à un besoin d’hébergement ou à une autre manière d’habiter, les initiatives associatives correspondent à des modes d’action spécifiques, situés à l’intersection des mécanismes de marché, de la régulation par l’État ou par la famille. C’est en mobilisant à la fois des ressources financières (subventions) provenant des pouvoirs publics et un certain capital social issu du champ domestique (bénévolat, prêts gratuits) que le tiers secteur associatif s’est inscrit sur le marché du logement.

La géographie invisible du tiers secteur associatif

22Le logement faisant partie du processus d’urbanisation, les professionnels de l’aménagement du territoire sont souvent confrontés à la présence de ce type nouveau d’acteurs que représente le tiers secteur associatif. En s’attachant à la réhabilitation des vieux quartiers anciens de centre ville, les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat, les plans d’éradication de l’habitat indigne et même les interventions en centre ancien de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine, mobilisent ce type d’acteur afin de résoudre de manière souple les questions de relogement des populations les plus fragiles, la prise en charge de locaux vacants et l’incitation des bailleurs privés. Au nom de la recherche de la mixité sociale, mais aussi pour des raisons financières, ces opérations sont souvent disséminées dans l’espace urbain de manière à rendre peu visible la présence de populations défavorisées. L’intervention des associations dans le parc social est également peu lisible malgré l’existence de logements en sous-location par des associations. De plus ces logements sont souvent temporaires, tant pour l’organisme preneur que pour l’occupant : les logements-relais ou passerelles ne sont pérennisés ni dans leur forme ni dans leur fonction. Ainsi, le mode de construction des grandes unités d’hébergement que l’on a connu depuis le xixe siècle dans les faubourgs urbains et dans les années 1950 avec les cités de travailleurs migrants en périphérie, est-il révolu. Quant aux initiatives de construction menées dans un esprit coopératif, où l’Ouest de la France paraît particulièrement concerné, l’espace périurbain semble fortement prisé en raison des prix fonciers. On peut donc s’interroger sur la manière dont ces formes d’habitat s’inscrivent dans leur territoire, à la lisière du monde rural, où ils constituent un certain type de communautés fermées et discrètes, également peu visibles.

23Plus largement, on peut relever l’hypothèse que la manière discrète dont le tiers secteur associatif s’inscrit dans le paysage urbain s’explique par son intégration interstitielle entre les logiques domestiques, institutionnelles et de marché.

Bibliographie

Bibliographie

  • Attar M., Lourier V., Vercollier J.-M. (1998), « La place de la forme coopérative dans le secteur de l’habitat en France », Fédération Nationale des Sociétés Coopératives d’HLM, Paris, PUCA.
  • Bonetti M. (2004), « Les conceptions de la gestion et des modes de communication avec les habitants des différents organismes de logements européens », Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, Paris, PUCA.
  • Bonnin Ph. (1983), Habitat autogérés MHGA, Paris, Éditions Alternatives/Syros.
  • Bourne L-S. (1981), Geography of housing, New-York, Wiley and sons.
  • Cornuel D., Duriez B. (1983), Le Mirage Urbain : Histoire du Logement à Roubaix, Paris, Anthropos.
  • Ducharme M.-N. (2005), « Les pratiques organisées d’habitation partagée au Québec », Québec, SHQ.
  • Esping-Andersen G. (1990), Les trois mondes de l’État-providence, Paris, PUF.
  • Fondation Abbé Pierre (2008), L’état du mal logement en France, rapport annuel, Paris, Fondation Abbé Pierre.
  • Kamoun P. (2005), « Financement du logement social et évolution de ses missions. De 1894 (Loi Siegfried) à nos jours », Informations sociales, n° 123, p. 20-33.
  • Lévy J.-P. (1992), « La mobilité résidentielle dans le contexte local de l’habitat, une approche comparative en France », in C. Lévy-Vroelant et E. Lelièvre (éd), La ville en mouvement : habitat et habitants, Paris, L’Harmattan.
  • Lévy J.-P., Saint-Raymond O. (1992), Profession propriétaire, logiques patrimoniales et logement locatif en France, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail.
  • Lorrain D. (2002), « Capitalisme urbain : des modèles européens en compétition », L’Année de la régulation, n° 6, p. 195-239.
  • Magri S. (1991), « Des ouvriers aux citoyens modestes. Naissance d’une catégorie les bénéficiaires des habitations à bon marché au tournant du xxe siècle », Genèse, n° 5, p. 35-53.
  • Malpass P. (2005), Housing and the welfare state. The development of housing policy in Britain, New York, Palgrave Macmillan.
  • Messu M. (2007), L’Esprit Castor – Sociologie d’un groupe d’autoconstructeurs. L’exemple de la cité de Paimpol, Rennes, PUR.
  • Paris-Dauphine, Crédit foncier de France Université (2006), « Demande de logement : la réalité du choc sociologique », L’Observateur immobilier
  • Pastinelli M. (2005), Seul et avec l’autre, la vie en colocation dans un quartier populaire de Québec, Québec, Presses Universitaires de Laval.
  • Piolle X. (1979), Les citadins et leur ville, Toulouse, Privat.
  • Topalov Ch. (1983), Les promoteurs immobiliers, Paris, Centre de Sociologie Urbaine.
  • Topalov Ch. (1987), Le logement en France, histoire d’une marchandise impossible, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.
  • Trebouet C. (2001), Habitat social et capitalisme. Les comités interprofessionnels du logement dans les rapports État/Patronat, Paris, L’Harmattan.
  • Villeneuve-Gokalp C. (1997), « Vivre en couple, chacun chez soi », Population, n° 52, p. 1959-1081.

Notes

  • [1]
    En 2007 pour un parc social de 4 millions de logements, on relève 176 000 issus des programmes de relogements des années de reconstruction (PLR, PSR), 126 000 des financements très sociaux (PLA TS et PLA I), 1,5 millions des logements destinés aux revenus moyens (ILM, ILN, PLI, PLS, PC locatifs) et enfin 2, 3 millions de logements sociaux.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.86

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions