Pierre aimait, comme il le disait souvent, qu’on lui rapporte des histoires extérieures qu’il n’avait pas vécues, de même qu’il aimait se promener pour rencontrer des personnages, des sensations, des situations vivantes, au présent comme au passé, pour lui. C’est pour cela qu’il aimait bien sortir : il était reclus, mais, quand on se voyait, il aimait bien sortir.
Cette sortie était très inégale : ce pouvait être s’asseoir à la terrasse d’un café et regarder les gens passer. Ce pouvait être aller sur un lieu sur lequel je travaillais, un chantier. Ce pouvait, très souvent, et c’était le plus riche pour moi, marcher pour revivre une histoire. Pour Pierre, c’était très important : parler en marchant, penser en marchant et oublier son corps. Il le disait souvent : pour oublier son corps, il faut se mettre en mouvement. Comme le rythme cardiaque fonctionne seul, indépendamment de soi, il fallait mettre son corps en mouvement, l’échauffer, « mettre la machine en route », comme il le disait souvent, et partir.
Ce qui était formidable chez lui, c’est que tout sujet, tout détail, toute sensation, était d’une curiosité inouïe : un détail d’assemblage, la date de construction d’un métro, la puissance d’une femme passant devant lui, le rire d’un enfant, l’énergie… Il pouvait être très bouleversé par l’énergie. Quand un enfant sautait, un enfant courait… Il était très bouleversé par une jeunesse très belle. Pour lui, il faut revivre l’histoire pour la comprendre, ce pouvait être de prendre un parcours banal, un trajet que tout le monde fait tous les jours pour aller au travail, et revivre une histoire : une halte de Jeanne d’Arc, la descente de saint Denis de Montmartre, la tête coupée, le lieu d’implantation du cirque d’Annie Fratellini sous le périphérique……