Qu’est-ce donc que cette épidémie nous aura appris ? Lorsqu’il m’arrivait, pendant nos 55 jours de confinement, de me promener – sans masque, je l’avoue – dans des rues vides et des parcs déserts, j’ai été frappé par le comportement des rares personnes que je croisais et qui différait grandement de celui que nous adoptions auparavant. Quand nous croisions des inconnus dans le « monde d’avant », nul n’adressait à l’autre le moindre signe, que ce soit de connivence ou de crainte. Chacun s’en tenait à une indifférence polie. Or, je me suis aperçu que cette neutralité avait laissé la place à des attitudes fortement polarisées. Alors que les uns, les plus nombreux et les moins masqués, me saluaient d’un geste ou d’un sourire, les autres s’écartaient de moi en faisant un large détour et en me lançant un regard à la fois indigné et inquiet. Comme ceux qui se détournaient portaient presque toujours un masque, j’en suis venu à les désigner comme les « phobiques masqués ».
En période d’épidémie, la relation aux autres apparaît ainsi fortement ambivalente. Tout se passe comme si elle révélait une communauté nouvelle, celle des hommes et des femmes qui savent qu’ils traversent une même épreuve. En même temps, elle laisse transparaître de l’hostilité chez ceux qui appréhendent désormais la rencontre d’autrui comme un danger et s’en détournent avec effroi. Nous redécouvrons dans notre vie quotidienne l’ambivalence du hostis. On sait que ce terme latin désigne à la fois l’hôte, celui que je pourrais accueillir ou qui pourrait m’accueillir, mais aussi l’adversaire, l’ennemi, celui qui m’es…