La possession est démoniaque, la possession est politique. Dans le mot « possession », en français comme en latin, il y a l’idée du pouvoir, aux deux sens du terme. D’un côté, c’est la capacité d’exercer une force ou une contrainte sur quelque chose ou sur quelqu’un. D’un autre côté, c’est la capacité de disposer de quelque chose, d’un bien, matériel ou immatériel, voire d’une personne physique et morale. Possidere, posséder, vient de pot-sedere, qui décrit celui qui possède, le possessor, ou le sujet qui siège (sedere), qui repose et qui règne sur la chose. C’est celui qui domine, qui dirige, qui décide. C’est celui pour qui les choses sont à disposition, ou sont devenues des biens qui lui sont propres. En somme, c’est le propriétaire. Mais la possession, c’est aussi un récit, une fable, l’histoire d’un mot, qui se dit à la manière d’un énoncé performatif, et qui ouvre la scène archaïque d’une grande et première imposture, d’un droit de l’inégalité, de la misère et du meurtre, de la tromperie et du mensonge. Dans son Discours sur l’origine de l’inégalité, Rousseau montre comment et à quel point le pouvoir, la propriété et le discours sont liés de l’intérieur :
Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreur, n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteu…