L’appel lancé à l’occasion de ce numéro des trente ans de Lignes est arrivé dans un moment de déroute générale, qui est peut-être celle de l’époque, de sa longue mutation. Si les enjeux semblaient clairs, posés par la séquence électorale et ses rebondissements, ils ont plongé plusieurs d’entre nous dans un grand trouble, nourri par le spectacle continu de l’opinion et l’absence soudaine d’échéance. Il est arrivé qu’on ne se reconnaisse plus dans le présent et qu’on se sente étranger parmi les siens.
Le lendemain de l’investiture télévisuelle du nouveau Président de la République, je téléphonai à ma mère. Elle me dit que c’était beau. Ça l’a émue : « Il pourrait être mon fils ».
J’ai dû rater un épisode.
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J’ai dû rater un ou plusieurs épisodes, comme ils échappent à ceux qui parfois quittent le monde pour suivre leurs voix intérieures, parler tout seuls dans la rue ou chez eux, ceux qui disent la vérité régressive dans la langue du bien et du mal quand ils se touchent et se mélangent sur un même plan.
La profusion de discussions et de débats a déclenché des crises. Bruyantes chez les plus sensibles, silencieuses chez la plupart. Il s’est passé des choses que l’on ne maîtrisait pas.
Réciproquement, c’est la réalité qui délirait.
Dans l’intervalle, on aura vu des perspectives s’inverser. Le découragement social et moral devenir le ressort d’un nouveau genre d’espoir, d’une positivité qu’il n’y a plus rien à pouvoir contester. Parce qu’il faut oublier…