Je décrirai d’abord quelques éléments significatifs de ce qu’on pourrait appeler la méthode éthique d’Imre Kertész. Ensuite je suivrai le parcours, exemplaire de précision et de justesse, du « chercheur de traces », qui illustre la qualité éthique de son travail.
Plutôt que d’affirmer ou de se souvenir, Kertész décrit ses prises de conscience. Pour ce faire, il tient ensemble quatre temporalités. Celle d’abord des événements, qu’ils soient personnels, collectifs, historiques ; ensuite la temporalité subjective de ces événements, dont l’ordre et le sens, l’importance et l’effet sont très variables en chacun, et qui peut évoluer tout au long d’une vie ; puis la temporalité des scansions signifiantes, produites par des événements (objectifs ou subjectifs) qui font passer d’une période de vie à une autre. Ces scansions sont le plus souvent remarquées dans un après-coup plus ou moins lointain, parfois jamais ; elles n’en produisent pas moins leurs effets sur nos façons d’être et de penser. Kertész, dans ses livres, en donne plusieurs : sa naissance, la découverte de la femme chauve – sa tante pieuse –, la scène d’humiliation à l’internat, la déportation, l’acte de « Monsieur l’instituteur », l’inversion des places avec le soldat allemand désormais prisonnier dans le camp, la découverte de sa destructivité pour sa femme, sa confrontation à la question de la paternité. Cette temporalité ne respecte pas l’ordre chronologique ni les relations simples de causes à effets mais remet sans cesse en question les évidences trop facilement acceptées…