Imaginons une falaise sauvage battue par les flots de l’océan, à l’autre bout du monde, du moins pour le voyageur européen qui se trouve passer par là. Le voyageur est André Breton. Elisa est à ses côtés, qui prend avec son Rolleiflex quelques photographies de la beauté environnante : oiseaux des mers et, surtout, le relief littoral qui évoquerait presque une gigantesque barricade, mais trouée en deux endroits. Devant le paysage extrême de l’île Bonaventure en Gaspésie – région péninsulaire du Québec – dont le point focal, en effet, tient dans ce majestueux « Rocher Percé », il n’est pas impossible qu’André Breton ait songé à l’exil hugolien : se tenir des années durant devant l’océan et, saisi par l’immensité de ce qu’on voit, imaginer encore. Hugo avait imaginé Les Travailleurs de la mer, il s’était comme involué dans la gigantesque formation des tempêtes, donnant forme à son exil politique dans la grande vague de Ma Destinée ou dans les reliefs redoutables, troués eux aussi, du « Rocher de l’Ermitage ». Comme Hugo, d’ailleurs, André Breton est en exil politique. En Europe la guerre fait encore rage, bien que les Alliés aient déjà débarqué. Nous sommes à la fin août ou au courant de septembre 1944. Elisa et Breton ramassent sur la plage, comme des messages venus de l’autre bout de l’océan, les agates apportées par le flux.
C’est à partir de là que Breton écrit Arcane 17. Texte étrange, texte que je dirai trans-genre – ou bien « palimpseste », comme l’a proposé Pascaline Mourier-Casile – parce que s’y mêlent un récit de passion amoureuse, un poème en prose, une méditation philosophique, une divagation symbolico-hermétique e…