La question de la matérialité passe par celles de la matière, du matériel, de l’hypermatière et de l’immatériau – concepts que je mobilise depuis dix ans contre la fable de l’immatériel. La question de l’immatériau, telle qu’elle a été posée par l’exposition Les immatériaux de J.-F. Lyotard, ne suffit cependant pas à surmonter l’idéologie qui sous-tend cette fable. Dans ce qui suit, je reprends le début d’une analyse quant à ce que signifie le mot immatériau, pour ensuite revenir vers la matière en tant que telle.
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Dans un article paru en mai 2014, Vivek Chibber dénonçait les ravages idéologiques provoqués par ce que l’on appelle le poststructuralisme et par ses versions issues des postcolonial studies. Cet article ne fait aucun droit aux questions qui auront été posées par les courants de la pensée française rassemblés sous le qualificatif « poststructuraliste » – et c’est une grave erreur. Mais pour ceux qui, comme moi, affirment la nécessité de poursuivre l’examen des travaux issus du poststructuralisme, ce serait une erreur encore plus grave d’ignorer les questions que pose Vivek Chibber, c’est-à-dire de les mépriser.
Quant à ces questions, ma propre thèse est que ce que le poststructuralisme – que l’on apparente au postmodernisme – ne parvient pas à penser, c’est la technique, c’est-à-dire aussi ce que j’ai appelé l’hypermatière, ou encore l’inorganique organisé, tel qu’il devient, pour ce que j’appellerai ici l’appareil noétique, la noèse elle-même, la noèse comme technès…