La modernité européenne a vu le monde matériel livré au pouvoir de l’Homme, ou plus précisément, comme le disait Bataille, « aux hommes de la production, aux bourgeois », dont l’Homme prométhéen n’est qu’une figuration mythifiée. Ce processus historique et politique trouve son pendant philosophique dans une conception de la matière pensée comme pure étendue mesurable et manipulable. Un même geste préside à ce double mouvement : la tentative d’éliminer tout ce qui, dans la matière et dans les corps, engage une résistance (accidents, contingences, variations, forces d’irruption…). La matière devient dès lors le support neutre et indifférencié sur lequel le pouvoir de l’Homme trouve à s’exprimer sans autres limites que celles du « progrès » scientifique et technologique. Or le matérialisme dialectique de Marx ne permettra pas de rompre avec ce matérialisme productif. La théorie du travail (le paradigme hylémorphique à l’aune duquel il est pensé) reconduit la perspective anthropocentrique qui le fonde. Une autre conception de la matière, et donc un autre matérialisme, se profile cependant dans la persistance spectrale des forces révolutionnaires. « Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme. ». Le spectre dit ici la persistance d’une force matérielle paradoxale, d’une force qui échappe à toute positivité appréhendable. Cette force matérielle se déploie comme puissance et indique la persistance, à même le corps social, d’un indomptable. C’est depuis la persistance d’une telle puissance, d’une puissance de résistance et de frayage, d’une puissance d’irruption, qu’il s’agira de repenser l…