Tous les matins c’est à lui qu’elle parle.
Il y a cette femme qui vient le matin s’occuper du ménage et des poubelles de l’immeuble. Elle est seule à s’en charger, et la tâche lui déplaît au point qu’elle passe tout le temps de son travail à jurer, à insulter les poubelles et les locataires. Elle ne sait pas ce qu’elle dit, elle est habitée, elle cherche quelqu’un qui parle de l’intérieur d’elle-même.
Je l’entends de chez moi. J’habite au rez-de-chaussée.
Il se peut qu’elle m’entende aussi parler à quelqu’un qui n’est pas là.
Les folles.
Il faut tout de même être un peu inspirée, n’est-ce pas ? Je veux dire : pour entrer dans ce retrait.
Mais qui s’est retiré le premier ?
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Je ne connais Jean-Noël Vuarnet qu’au travers des témoignages de ceux qui lui ont survécu. Il porte avec lui la question de cette échéance, de ce qui a autorisé qu’ils restent quand lui s’en est allé – parce qu’il s’agit toujours dans le suicide d’une affaire humaine et d’une affaire philosophique (quand elle n’est pas aussi amoureuse, ou indistinctement humaine, philosophique et amoureuse). Plus qu’un autre peut-être, et du fait de l’existence de ce premier livre marqué par la mort brutale d’une fiancée, Jean-Noël Vuarnet a inscrit le suicide au cœur de l’événement que fut son œuvre – comme un après-coup et un pressentiment. Il en est ainsi des façons de mourir que de donner un style à la vie qu’on se choisit et aux objets qu’on y jette. Il n’y a là rien de complaisant ni de définitif, et si je m’y arrête, ça n’est qu’à suivre la nécessité de dire comment je l’ai rencontré – par ce savoir sur lui qui en disait trop sans rien révéler, réputation maudite qui produit l’effet dérangeant de nous rendre familiers des êtres parce qu’ils se sont donné la mort et qu’alors nous en disposons, en quelque sorte…